Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Chambre de la sécurité financière c. Freedin

2015 QCCDCSF 64

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1073

 

DATE :

14 décembre 2015

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A. Pl. Fin.

Membre

M. Antonio Tiberio

Membre

_____________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

 

BILLY FREEDIN, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 112982, BDNI 1553871)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ LES ORDONNANCES SUIVANTES :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom et du prénom du plaignant ainsi que des membres de sa famille mentionnés aux documents ou pièces produits au dossier;

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des informations financières personnelles de l’intimé ainsi que de non-accessibilité à la pièce I-18 et de non-divulgation, non-publication et de non-diffusion de tous les renseignements y contenus.

[1]           Le 27 janvier 2015, au siège social de la Chambre sis 300, rue Léo-Pariseau, 26étage, Montréal, et le 13 mai 2015, aux locaux de la Commission des lésions professionnelles sis au 500, boulevard René-Lévesque Ouest, 18e étage, Montréal, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« 1.       À Montréal, le ou vers le 21 décembre 2010, l’intimé a signé sous la mention « signature guaranteed »  apposée sur une lettre et transmis celle-ci à Transamerica, sans avoir confirmé personnellement l’identité des signataires et/ou avoir été témoin de leur signature, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3). »

PREUVE DES PARTIES

[2]           Au soutien de la plainte, la plaignante fit entendre Mme Lucie Coursol, enquêteure au bureau de la syndique depuis mai 2014.

[3]           Elle versa de plus au dossier une preuve documentaire qui fut cotée P-1 à P-9.

[4]           Quant à l’intimé, en plus de déposer une preuve documentaire qui fut cotée I-1 à 22, il fit entendre son épouse C.Z. et témoigna lui-même.

LES FAITS

[5]           Le contexte factuel rattaché à la plainte est le suivant.

[6]           En 1998, G.Z. décède. Sa succession se compose notamment de propriétés immobilières à revenus.

[7]           Par testament il a créé un « spousal trust » en faveur de son épouse I.Z. et a prévu qu’au décès de cette dernière les biens de sa succession seront partagés entre leurs trois (3) enfants, soit leurs fils A.Z., G.Z. junior et leur fille C.Z.

[8]           Il y nomme comme fiduciaires et liquidateurs A.Z., G.Z. junior ainsi qu’un ami comptable. Quelque temps après, ce dernier sera remplacé à ces postes par C.Z.

[9]           Dans ledit testament G.Z. stipule que les immeubles ne devront pas être vendus avant une période de dix (10) ans suivant son décès (donc seulement à compter de 2008).

[10]        En vertu du « spousal trust », il prévoit que sa conjointe, I.Z., recevra sa vie durant les revenus de la succession.

[11]        En 2003 l’intimé épouse et/ou devient le conjoint de C.Z.

[12]        En 2010, les trois (3) fiduciaires et liquidateurs s’accordent pour disposer des cinq (5) immeubles de la succession.

[13]        Ils conviennent alors que le produit de la vente sera investi dans des « fonds distincts ».

[14]        Trois (3) compagnies d’assurance-vie sont alors, à tour de rôle, sélectionnées pour procéder auxdits placements, soit Sun Life, Desjardins et Transamerica.

[15]        Lors de la souscription auprès de Transamerica, après avoir reçu de la part de la succession un chèque signé par les trois (3) liquidateurs, l’assureur réclame que les preneurs, c’est-à-dire les héritiers fiduciaires, signent et lui acheminent une « Confirmation Letter »[1].

[16]        L’intimé prépare alors celle-ci, la fait signer par son épouse C.Z. et la lui remet ensuite afin qu’elle la transmette à I.Z. avec instructions d’obtenir que ses deux (2) garçons A.Z. et G.Z. junior y apposent leurs signatures.

[17]        Quelque temps après I.Z. retourne par télécopieur le document complété à l’intimé et ce dernier, afin de donner suite à l’achat des « fonds distincts », y applique sa signature sous la mention « signature guaranteed » et le transmet à l’assureur.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[18]        À l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, il est reproché à l’intimé d’avoir le ou vers le 21 décembre 2010 signé sous la mention « signature guaranteed », apparaissant à la « Confirmation Letter » et transmis celle-ci à Transamerica, sans avoir confirmé personnellement l’identité des signataires et/ou avoir été témoin de leur signature, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi que 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[19]        Or soulignons d’abord que les faits en cette affaire ne sont généralement pas contestés.

[20]        L’intimé a en effet admis tant à l’enquêteure de la Chambre, que lors de l’audition, avoir, à titre de représentant de Independant Planning Group inc., apposé sa signature sous une « étampe » à la « Confirmation Letter » où il était mentionné « signature guaranteed ».

[21]        Il a de plus reconnu ne pas avoir été témoin de la signature des signataires concernés (sauf celle de son épouse C.Z.).

[22]        Selon ce qu’il a déclaré, après que son épouse eut signé la « Confirmation Letter », cette dernière l’aurait, conformément aux instructions qui lui avaient été données, acheminée à I.Z. qui aurait obtenu la signature de A.Z. et G.Z. junior sur le document.

[23]        Ladite « Confirmation Letter » lui aurait ensuite été retournée par télécopieur et il aurait alors vérifié à partir de documents qu’il détenait à son bureau l’exactitude « prima facie » des signatures de A.Z. et G.Z. junior qui s’y retrouvaient.

[24]        Il a produit au dossier les pièces utilisées pour comparer les signatures.

[25]        De plus, selon ce qu’il a affirmé au comité, il aurait alors eu une conversation téléphonique avec I.Z. et cette dernière lui aurait confirmé la signature de chacun de ses fils à la « Confirmation Letter ».

[26]        Quant à la plaignante, au soutien de l’unique chef d’accusation contenu à la plainte, elle a produit un document sans date sous la signature de A.Z.[2], où celui-ci indique qu’il n’a pas signé la « Confirmation Letter » datée du 21 décembre 2010 adressée à Tansamerica.

[27]        Elle n’a toutefois pas fait entendre A.Z. et n’a produit aucune expertise au soutien de l’affirmation de ce dernier.

[28]        D’autre part la preuve présentée au comité a aussi révélé, tel que précédemment mentionné, que peu avant qu’il ne réclame la signature d’une « Confirmation Letter », l’assureur avait obtenu, pour la souscription des fonds distincts en cause, un chèque de 180 000 $, signé par les trois (3) fiduciaires et liquidateurs de la succession.

[29]        Aucun élément de preuve n’a été administré permettant de croire qu’A.Z., qui dispute la signature à son nom apparaissant à la « Confirmation Letter », contesterait ou aurait contesté celle qui se retrouve audit chèque, et ce, alors même que celle-ci aurait été apposée, en toute vraisemblance, la semaine précédente, soit le 15 décembre 2010.

[30]        De plus, bien que le ou vers le 6 mars 2013, A.Z. déposait auprès de l’AMF un formulaire de dénonciation[3] énonçant alors plusieurs reproches à l’endroit de l’intimé dont notamment celui d’administrer une somme de 750 000 $ qui lui revenait, de refuser de l’informer ou de le consulter en sa qualité d’héritier, de liquidateur, de fiduciaire et de bénéficiaire, etc., nulle part ne lui reprochait-il l’acheminement à l’assureur d’un chèque de 180 000 $ comportant une signature falsifiée à son nom.

[31]        Et alors l’on peut se poser la question : s’il a signé le chèque de 180 000 $ en paiement des fonds distincts, pourquoi n’aurait-il pas la semaine suivante signé la « Confirmation Letter »?

[32]        De plus il faut mentionner que la preuve administrée ne permet pas de déterminer à quel moment A.Z. aurait signé le document (P-5) où il affirme que la signature apparaissant à la « Confirmation Letter » n’est pas la sienne.

[33]        Et bien qu’il ne puisse être totalement exclu que ledit document ait pu avoir été signé au moment ou peu après la transaction d’achat des fonds distincts, il pourrait aussi n’avoir été signé que quelques années plus tard.

[34]        Aussi, compte tenu de ce qui précède et en l’absence du témoignage de l’intéressé, la preuve de la plaignante tentant d’établir qu’A.Z. n’aurait pas lui-même signé la « Confirmation Letter » n’est pas parue très convaincante.

[35]        Mais quoi qu’il en soit à cet égard, que la signature de A.Z. à la « Confirmation Letter » ait été ou non contrefaite n’est pas la question que le comité a à décider.

[36]        La question qu’il doit trancher est plutôt la suivante : en apposant sa signature sous l’« étampe » à la « Confirmation Letter » où il était mentionné « signature guaranteed » sans avoir personnellement confirmé l’identité des signataires ou avoir été témoin de leur signature, l’intimé a-t-il agi avec négligence ou manqué de compétence et/ou de professionnalisme?

[37]        La plaignante soutient que les termes « signature guaranteed » comportaient l’obligation pour l’intimé d’être témoin des signatures ou de personnellement confirmer l’identité des signataires du document.

[38]        Or aucune preuve permettant au comité de reconnaître à l’expression « signature guaranteed » un sens plus large que ce qui apparait à la simple lecture, n’a été administrée.

[39]        Et ainsi bien qu’il s’engageait relativement à la qualité des signatures et répondait de celles-ci à l’assureur, l’intimé n’indiquait nullement au document avoir été témoin des signatures y apparaissant. Nulle part n’y attestait-il non plus avoir confirmé personnellement l’identité des signataires.

[40]        Néanmoins, il s’engageait envers l’assureur et se portait alors garant des signatures envers ce dernier. Et dans une telle situation, le comité doit s’interroger à savoir si, compte tenu des faits prouvés, tel que la plaignante le soutient, en « garantissant les signatures » sans avoir assisté à celles-ci et/ou sans confirmer personnellement l’identité des signataires, l’intimé aurait agi avec négligence ou aurait manqué d’agir avec compétence et professionnalisme, contrevenant alors à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF).

[41]        Or de l’avis du comité, la plaignante n’est pas parvenue en l’espèce à démontrer au moyen d’une preuve prépondérante que tel aurait été le cas.

[42]        L’intimé a pris des moyens que le comité qualifierait de raisonnables pour se convaincre que la « Confirmation Letter » comportait bien la signature des personnes concernées. Relativement à la signature de C.Z., selon ce qu’il a déclaré, cette dernière a signé le document devant lui. Relativement aux signatures de A.Z. et de G.Z. junior, il s’est assuré que le document soit acheminé à leur mère I.Z. avec le mandat pour cette dernière d’y obtenir la signature de ses deux (2) fils. Le document lui a par la suite été retransmis par I.Z. dûment complété.

[43]        Sur réception de celui-ci, il a communiqué avec I.Z. et celle-ci l’a assuré que ses deux (2) garçons avaient bel et bien signé le document.

[44]        De plus, comme ces derniers, ses deux (2) beaux-frères, étaient aussi ses clients et qu’il possédait dans ses filières des documents comportant leurs signatures, il a comparé les signatures apparaissant sur le document que venait de lui transmettre sa belle-mère avec celles qu’il possédait et, croyant raisonnablement être en présence de signatures authentiques, en apposant sa signature à la « Confirmation Letter » sous la mention « signature guaranteed », il s’est porté garant de celles-ci auprès de l’assureur.

[45]        Ainsi dans les circonstances propres à la présente affaire et considérant les démarches et les moyens utilisés par l’intimé avant de « garantir », « certifier » ou « confirmer » les signatures en cause, le comité ne voit pas que les agissements de ce dernier puissent constituer une infraction déontologique.

[46]        Pour permettre au comité de déclarer l’intimé coupable d’avoir contrevenu aux règles de compétence et de professionnalisme notamment mentionnées à l’article 16 de la LDPSF, la plaignante devait démontrer un manquement attribuable soit à une insouciance ou à une absence de diligence, ce qu’elle n’a pas été en mesure d’établir.

[47]        Même s’il est possible qu’un autre représentant placé dans les mêmes circonstances aurait agi différemment et aurait insisté pour que le document soit signé devant lui avant d’apposer sa signature sous la mention « signature guaranteed », de l’avis du comité, l’intimé a dans les circonstances propres à la présente affaire respecté une règle de conduite qui, sans être la plus souhaitable, était raisonnable. Et il faut savoir distinguer entre un comportement qui ne soit pas le plus souhaitable et un comportement déontologiquement condamnable.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

REJETTE l’unique chef d’accusation contenu à la plainte.

LE TOUT sans frais.

 

 

(s) François Folot _________________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Shirtaz Dhanji__________________________

M. SHIRTAZ DHANJI, A.V.A. Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Antonio Tiberio_________________________

M. ANTONIO TIBERIO

Membre du comité de discipline

 

 

Me Valérie Déziel

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Antonietta Melchiorre

LAPOINTE ROSENSTEIN MARCHAND MELANÇON

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

27 janvier et 13 mai 2015

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Pièce P-4.

[2]     Pièce P-5.

[3]     Pièce P-2.

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