Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Chambre de la sécurité financière c. Efraimidis

2015 QCCDCSF 52

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1072

 

DATE :

21 octobre 2015

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

Mme Gisèle Balthazard, A.V.A.

Membre

M. Stéphane Côté, A.V.C.

Membre

_____________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière;

Partie plaignante

c.

 

GRÉGORY EFRAIMIDIS, conseiller en sécurité financière et conseiller en régimes d’assurance collective de personnes (numéro de certificat 111722);

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom des consommateurs concernés ainsi que de toute information qui permettrait de les identifier.

[1]           Le 29 janvier 2015 aux locaux de la Chambre de la sécurité financière ainsi que le 18 mars 2015, à l’Hôtel Delta, 475 avenue du Président-Kennedy, salle Debussy, Montréal, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s’est réuni et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« 1.       À Montréal, le ou vers le 14 juin 2000, l’intimé n’a pas recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de D.A. et C.A. alors qu’il leur faisait souscrire le contrat d’assurance-vie universelle portant le numéro [...], contrevenant aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, chapitre D-9.2, r.1.3) »

[2]           Au terme de l’audition, il fut convenu que la plaignante verrait à faire tenir au comité des notes relativement à l’adoption du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (le Règlement). Elles furent acheminées au comité le ou vers le 20 mars 2015. La réponse de la procureure de l’intimé parvint ensuite au comité le ou vers le 26 mars 2015, date du début du délibéré.

PREUVE DES PARTIES

[3]           Au soutien de sa plainte, la plaignante fit entendre Mme Lucie Coursol (Mme Coursol), enquêteure au bureau de la syndique en plus de verser au dossier une preuve documentaire qui fut cotée P-1 à P-10.

[4]           Quant à l’intimé, il choisit de témoigner mais ne déposa aucune pièce.

LES FAITS

[5]           La trame factuelle en lien avec la présente plainte est la suivante :

[6]           Le ou vers le 6 février 2013, le consommateur C.A. et son épouse D.A. déposent auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) une demande d’enquête ou dénonciation relativement à la conduite professionnelle de l’intimé (P-2).

[7]           Ils y indiquent avoir, en l’an 2000, souscrit une police d’assurance-vie par l’entremise de ce dernier. Après avoir souligné que la prime à payer était au moment de l’achat, à leur avis, « convenable », ils y affirment qu’à compter de l’an 2020 il leur sera impossible d’acquitter celle-ci.

[8]           Ils se déclarent « très insatisfaits » de la situation et indiquent rechercher de l’intimé un « règlement monétaire » pour les « primes élevées » qu’ils ont payées depuis la souscription de ladite police. Ils mentionnent qu’ils ont fait l’objet de fausses représentations de la part de l’intimé relativement aux termes et conditions de ladite police.

[9]           À la suite de la dénonciation susdite, la syndique de la Chambre de la sécurité financière entreprend une enquête mais, peut-on penser, ne retient aucun des reproches invoqués par les consommateurs puisqu’à la plainte portée contre l’intimé l’on ne retrouve aucun chef d’accusation directement en lien avec les blâmes ou allégations de ces derniers.

[10]        Au cours de son enquête, la plaignante en vient à la conclusion toutefois qu’en l’an 2000, lors de la souscription de la police en cause, l’intimé aurait fait défaut de procéder à une analyse complète et conforme des besoins financiers des assurés contrevenant alors à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (le Règlement). Et de là, la présente plainte disciplinaire ne contenant qu’un seul chef d’accusation reprochant à l’intimé le défaut de procéder, le ou vers le 14 juin 2000, à une analyse complète et conforme des besoins financiers de ses clients C.A. et D.A.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[11]        Il faut d’abord mentionner que la preuve soumise au comité n’a démontré de la part de l’intimé aucune intention malveillante et que l’intégrité de ce dernier n’apparaît pas être en cause.

[12]        Ajoutons que le comité n’a pas à se prononcer sur le caractère approprié ou non de la couverture d’assurance qu’il a fait souscrire aux consommateurs concernés le ou vers le 14 juin 2000, puisqu’aucun reproche à cet égard ne lui est adressé dans la plainte.

[13]        En l’espèce, le comité a seulement à trancher la question à savoir si lors de la souscription de ladite police l’intimé aurait fait défaut de respecter l’article 6 du Règlement.

[14]        Au moment des événements, ledit article 6 se lisait comme suit :

« 6. Le représentant en assurance de personnes doit, avant de faire remplir une proposition d'assurance, analyser avec le preneur ou l'assuré ses besoins d'assurance, les polices ou contrats qu'il détient, leurs caractéristiques, le nom des assureurs qui les ont émis et tout autre élément nécessaire, tels ses revenus, son bilan financier, le nombre de personnes à charge et ses obligations personnelles et familiales. Il doit consigner par écrit ces renseignements. »

[15]        C’est donc en conservant à l’esprit les obligations imposées au représentant en vertu de cette disposition réglementaire que le comité doit examiner la preuve qui lui a été soumise.

[16]        Or celle-ci a révélé que, lors de son enquête un représentant de la plaignante a réclamé de l’intimé une copie intégrale de son dossier-client.

[17]        Dans la lettre qu’elle lui adressait le 17 février 2014, Me Marie-Julie Gauthier (Me Gauthier) indiquait en effet à l’intimé (P-3) :

« In order to complete our investigation, we require the following documentation: a complete copy of your client file with regards to the consumers, Mr. CA and Mrs. DA (including, but not limited to your financial needs analysis, your adviser notes, the insurance application, etc.). »

[18]        En réponse à ladite correspondance, le 18 février 2014, l’intimé faisait tenir à l’enquêteure copie de quelques documents se retrouvant à son dossier, lesquels sont précisés à sa lettre d’accompagnement (P-4).

[19]        Le 14 mai 2014, l’enquêteure rappliquait en lui faisant tenir un courriel où elle lui mentionnait :

« On April 29th and May 8th, we asked you to provide us with complete copies of the clients files (clients: Mr. and Mrs. A) in your possession. You have not yet responded and have not provided the requested documentation. We remind you that you have an obligation to respond to this letter and to provide the information and documentation requested. »

[20]        À la suite dudit courriel, l’intimé faisait tenir à l’enquêteure, tel que réclamé, l’entièreté de son dossier[1].

[21]        Toutefois, selon le témoignage de Mme Coursol, parmi l’ensemble de la documentation acheminée par l’intimé, il lui a été impossible de retrouver un document écrit qui démontrerait que l’intimé a procédé à une analyse complète des besoins des consommateurs avant la souscription par ces derniers, le ou vers le 14 juin 2000, du contrat d’assurance-vie mentionné à la plainte.

[22]        Selon ses affirmations, elle n’a pu retracer au « dossier » que lui a transmis l’intimé aucune « analyse des besoins » (ABF) qui soit conforme à l’article 6 du Règlement préalablement cité.

[23]        D’autre part ce dernier qui a témoigné, a fait défaut de produire alors un quelconque document témoignant d’une véritable « analyse des besoins de ses clients » et n’a avancé aucun motif pouvant justifier l’absence d’un tel document à son dossier-client.

[24]        De plus, lors d’une entrevue téléphonique intervenue le 29 avril 2013, entre lui et l’enquêteure de la Chambre, Me Gauthier, laquelle a été enregistrée, et dont la transcription dudit enregistrement a été versée en preuve, ce dernier a admis, d’une part que lors de la souscription d’une police d’assurance-vie il ne procédait pas toujours à une analyse des besoins financiers de ses clients et, d’autre part, qu’il était possible, que dans le cas qui nous occupe, il n’en ait pas préparée. Il ajoutait qu’à tout événement « il allait faire tenir à l’enquêteure tout ce qu’il avait en son dossier. »

[25]        Voici la teneur de l’échange :

« (MJG):      And actually, I was looking for the financial needs analysis…

(GE):            M’hm.

(MJG):         … that was made in two thousand… before the subscription to the Transamerica Advantage Life Plus product.

(GE):            Un-hum.

(MJG):         Is there one in the file?

(GE):            Is there what?

(MJG):         Is there one in the file?

(GE):            I don’t know. I’ll have to…

(MJG):         A financial needs analysis.

(GE):            I’m going to… I’am going to look. I’m not going to tell you what is there… what’s there. I’m going to just take the file and…

(MJG):         Do you usually make financial needs analysis?

(GE):            Not… not always.

(MJG):         Not always?

(GE):            Not always. Not always.

(MJG):         Okay.

(GE):            I do a brief… I always try to find the needs of the… of the prospect. I make my recommendations based on the needs, based on the capacity and based on the understanding. And, you know, I…

(MJG):         Yes yes.

(GE):            … I didn’t put anything in my pocket. I sold him a policy that I explained him in Greek language.

(MJG):         M’hm.

(GE):            You know? I’m… I happen to be a well-educated Greek and I made sure that he understood what I sold him.

(MJG):         Okay.

(GE):            You know…

(MJG):         So there might be a possibility that there’s no financial needs analysis regarding the Transamerica Advantage Life Plus?

(GE):            Well, I don’t know. I’m going to send you everything I have.

(MJG):         Perfect.

(GE):            Yes.

(MJG):         And also, if you have the annual or quarterly statements, everything, okay? So…

(GE):            I’m going to send you what I have, Mrs. Gauthier. »

[26]        Peu après, la conversation entre les deux va comme suit :

« (MJG):      Okay. And do you recall if you made a financial needs analysis to reach that amount or it’s really…

(GE):            Not really. No, not really.

(MJG):         All right.

(GE):            Not really. If it was…

(MJG):         He said, “I want twenty-five thousand (25,000).”

(GE):            If it was a partnership insurance, millions of dollars, I would make an analysis with the help of the head office guys and probably present something to… get his lawyer involved or his accountant involved. You know, I usually… on a small amount of ten (10) or twenty thousand dollars ($20,000), I don’t do an estate analysis. »

[27]        Il est vrai que lors de la rencontre précédant la souscription de la police d’assurance-vie en cause, l’intimé a procédé à une cueillette de certaines données et a obtenu des consommateurs des informations les concernant.

[28]        La preuve ne révèle toutefois pas qu’il ait alors rassemblé tous les renseignements exigés par l’article 6 précité du Règlement. Elle ne révèle de sa part qu’un exercice incomplet.

[29]        Ajoutons que même dans l’hypothèse qui lui soit la plus favorable, la preuve prépondérante est à l’effet qu’en contravention de l’obligation que lui imposait l’article 6 précité, il a à tout le moins fait défaut de consigner par écrit le résultat de l’exercice.

[30]        La disposition en cause, couchée en termes impératifs, fait obligation au représentant, avant de compléter une proposition d’assurance, non seulement de procéder à une analyse des besoins financiers du client (ABF) mais aussi de mettre par écrit les renseignements obtenus.

[31]        Aux fins de convaincre le comité de rejeter la plainte, la procureure de l’intimé, lors de sa plaidoirie, a insisté sur l’importance du fardeau de preuve que devait rencontrer la plaignante pour réussir sur celle-ci.

[32]        À cet égard, elle référa notamment au jugement rendu par le Tribunal des professions (Tribunal) le 21 novembre 2012 dans l’affaire Vaillancourt[2].

[33]        Elle cita l’affirmation suivante du Tribunal : « Les faits devant être prouvés doivent dépasser le seuil de la possibilité et s’avérer probables. »[3], ainsi que le passage subséquent dudit jugement où la Cour rappelait que : « La preuve doit être toujours claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. »[4]

[34]        Or, tout à fait conscient des principes et du standard de preuve à juste titre évoqués par ladite procureure, le comité en arrive néanmoins à la conclusion, qu’en l’espèce, la plaignante est parvenue à se décharger de son fardeau de preuve prépondérante.

[35]        En terminant, il mérite d’être souligné que les faits de l’affaire remontent à près de quinze (15) ans et qu’à l’époque l’obligation pour le représentant de consigner par écrit tous les renseignements obtenus lors de l’ABF était relativement nouvelle. Mais s’il s’agit d’un élément qui pourra être invoqué au stade de l’imposition de la sanction, il ne peut servir à disculper l’intimé.

[36]        Enfin il ne peut être exclu que, tel qu’il le soutient, la dénonciation ait été déposée par les consommateurs dans le but d’essayer de lui soutirer des « soi-disant dommages » injustifiés. Mais néanmoins, malgré toute l’empathie que le comité peut avoir à l’endroit de l’intimé, dont l’intégrité, tel que nous l’avons mentionné au départ, n’est pas en cause, il doit être déclaré coupable de l’unique chef d’accusation contenu à la plainte.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l’intimé coupable de l’unique chef d’accusation contenu à la plainte;

CONVOQUE les parties, avec l’aide du secrétaire du comité de discipline, à une audition sur sanction.

 

 

 

(s) François Folot____________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Gisèle Balthazard_________________

Mme GISÈLE BALTHAZARD, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

(s) Stéphane Côté____________________

M. STÉPHANE CÔTÉ, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Valérie Déziel

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Iulia Cimpoiasu

Procureure de la partie intimée

 

Dates d’audience :

29 janvier et 18 mars 2015

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Voir la pièce P-6 où l’on retrouve un document confirmant la livraison par l’intimé de son dossier complet à l’enquêteure.

[2]     Luc Vaillancourt c. Guylaine Mallette et Nancy J. Trudel, 2012 QCTP126-A.

[3]     Page 23 de la décision, par. 63.

[4]     Page 24 de la décision, par. 65.

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