Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Chambre de la sécurité financière c. Arbour

2015 QCCDCSF 25

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1055

 

DATE :

5 juin 2015

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Serge Bélanger, A.V.C.

Membre

M. François Faucher, Pl. Fin.

Membre

_____________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

 

HENRI-LOUIS ARBOUR, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat      100396)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom de la consommatrice concernée ainsi que de toute information qui permettrait de l’identifier.

[1]           Le 2 décembre 2014, à l’Hôtel Palace Royal, salle Fontainebleau, situé au 775, avenue Honoré-Mercier, Québec, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni et a procédé à l'audition d’une plainte disciplinaire portée contre l’intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« 1.       À St-Joseph-de-la-Pointe-de-Lévy, le ou vers le 13 septembre 2010, l’intimé n’a pas agi avec professionnalisme, dignité et modération en transmettant une lettre de reproches à P.F., sa cliente, au motif que cette dernière avait refusé de le rencontrer pour discuter de son dossier d’assurance, exprimant ne pas être en état de le faire en raison d’un décès, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 6 et 16 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

2.          À St-Joseph-de-la-Pointe-de-Lévy, le ou vers le 20 février 2013, l’intimé n’a pas agi avec professionnalisme, compétence, objectivité et modération en transmettant à P.F. une lettre la priant de signer, à défaut de recours judiciaire, une demande de rachat de son contrat d’assurance sur la foi d’informations fausses, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 6 et 16 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3). »

PREUVE DES PARTIES

[2]           Au soutien de la plainte, la plaignante fit entendre Mme P.F., la consommatrice concernée, et versa au dossier une preuve documentaire qui fut cotée P-1 à P-10.

[3]           Quant à l’intimé, il témoigna pour sa défense et déposa une pièce qui fut cotée I‑1.

LES FAITS

[4]           Le contexte factuel rattaché à la présente plainte se résume essentiellement comme suit :

[5]           Depuis 1989, l’intimé agit à titre de conseiller et représentant pour la consommatrice en cause, P.F.

[6]           Ils entretiennent, du témoignage de cette dernière, des relations professionnelles cordiales.

[7]           Au début de septembre 2010, P.F. sollicite une rencontre avec l’intimé. Elle est en processus de séparation d’avec son conjoint et veut être renseignée sur le rachat de la police d’assurance-vie qu’elle détient avec ce dernier[1] et/ou sur la souscription, le cas échéant, d’une nouvelle police pour « couvrir ses enfants ».

[8]           La rencontre est fixée au 7 septembre 2010 à la résidence de P.F.

[9]           À ladite date l’intimé se présente chez P.F., mais il est alors informé par cette dernière que, particulièrement affectée par l’annonce du décès de son ancien patron, un personnage politique connu, elle en a « oublié » le rendez-vous. Attristée, elle est au téléphone avec un (ou une) collègue de travail ou ami(e) et « écoute à la télé les nouvelles » relatives à la personne décédée.

[10]        Selon la version de P.F., elle lui aurait alors déclaré quelque chose comme : « Je suis désolée, M. X. est décédé, j’ai pas la tête à parler d’assurance. On devra se reprendre à une autre date, à un autre moment ». En réaction à ses propos, l’intimé serait immédiatement reparti, « la rencontre ne se serait pas éternisée ».

[11]        Or l’intimé aurait alors été hautement injurié, outragé de la situation. Il n’aurait pas accepté ou compris que P.F. ait « oublié » son rendez-vous, l’ait annulé et/ou ait fait défaut de l’aviser avant qu’il ne se rende chez elle.

[12]        Devant le comité il a déclaré n’avoir jamais été aussi blessé ou insulté en quarante (40) ans de carrière. À son point de vue, il a alors été « retourné comme un moins que rien ».

[13]        Aussi, le ou vers le 13 septembre 2010, il fait tenir à P.F. une correspondance dont nous croyons utile de reproduire le texte in extenso puisqu’elle est à l’origine du chef d’accusation numéro 1.

«  Le 13 septembre 2010

Madame P.

(…) rue A (…)

(…) Qc

(…)

Madame, Monsieur,

J’ai tardé quelques jours afin de laisser retomber la poussière, mon outrage ayant été à la hauteur de votre insulte, il va sans dire.

Inutile de vous rappeler les faits, à savoir que vous aviez consenti à ce que je vous rencontre à votre domicile en ce 7 septembre afin de compléter votre dossier en sécurité financière et que sur le pallier de votre porte vous m’avez cavalièrement annulé l’entrevue sous la base du décès du (…).

Il ne fait aucun doute que Monsieur (…) n’aurait jamais approuvé un tel comportement, soit celui d’accorder plus d’importance aux morts qu’aux vivants.

Malgré l’extrême douleur qui vous afflige face à cette perte notable pour tout le Québec, vous n’avez visiblement rien apprise du vécu de ce dernier, qui lui n’aurait jamais imposé une telle humiliation à son pire ennemie.

Qui plus est, Madame vous avez poussé l’injure et l’insulte en vous disculpant sous le sceau de l’irresponsabilité en affirmant que vous aviez tout simplement oublié de me téléphoner afin de m’informer de votre décision. On pardonne l’oubli aux enfants, mais aux adultes ça devient un peu plus problématique.

À moins de me présenter des excuses et d’accepter de vous déplacer à mon bureau pour la suite des choses, vous verrez à vous trouver un autre conseiller en sécurité financière et surtout ayez le courage de bien l’informer du comportement que vous avez eu à mon endroit après plus de 20 années de loyaux services dédiés. Je ne suis pas convaincu du tout que dans ces circonstances un autre conseiller acceptera de faire affaire avec vous.

Acceptez en terminant ma profonde désolation, au minimum vous en conviendrez.

Louis H. Arbour

Conseiller en sécurité financière. »

[14]        Le 21 septembre 2010, P.F. répond à l’intimé et, puisque ce dernier l’a enjointe dans sa correspondance de se trouver un « autre » conseiller financier, elle lui indique notamment qu’elle communiquera avec la compagnie d’assurance pour que l’on transfère son dossier à un autre conseiller (pièce P-3), ce qui se produit par la suite.

[15]        P.F. n’a ensuite aucun contact ou communication avec l’intimé pendant plus de deux (2) ans.

[16]        Mais le ou vers le 20 février 2013, ce dernier lui fait tenir une nouvelle correspondance où il lui indique qu’il détient un mandat de son ex-conjoint de fait, M. R.C. Il l’informe qu’en vertu du contrat d’assurance qu’elle détient avec ce dernier « est subvenu un imbroglio relativement aux valeurs disponibles » qui y sont rattachées. Il lui mentionne que les valeurs de rachat audit contrat se chiffreraient à 40 600 $ en ce qui concerne R.C. et 8 890 $ en ce qui la concerne. Il la prie de signer le document qu’il joint, et ce, afin de « terminer le dossier ce qui de toute évidence éviterait des procédures judiciaires inutiles et très coûteuses ». Il lui indique que dans le doute, elle est invitée bien entendu à s’assurer que sa démarche est raisonnable et conforme à ses intérêts. Il termine en déclarant qu’à défaut de recevoir le document joint dans les huit (8) jours : « Nous devrons procéder par la voie des tribunaux sans autre délai ni avis ».

[17]        Voici reproduite in extenso ladite correspondance :

« Le 20 février 2013

Madame P.

…Rue B

Ville A, Qc…

 

Sujet : Police [...] Financière Manuvie

Madame,

Étant mandaté par Monsieur C., votre ex-conjoint de fait, nous vous informons de ce qui suit.

En vertu du contrat mentionné en titre qui lui-même se subdivisant en cinq garanties sous les numéros [...] à [...], je vous serais gré de bien vouloir prendre faits et causes liant le soussigné et vous-même quant à la propriété de ces actifs, plus particulièrement concernant les contrats [...] sur la vie du soussigné et [...] vous concernant, il appert qu’un imbroglio est en cause quant aux valeurs disponibles liés au titre de propriétés.

Les valeurs en question se chiffrant à 40600$ en ce qui concerne Monsieur C. et 8890$ en ce qui vous regarde, nous avons comptabilisé le partage des sommes en établissant un pro rata, ce qui en toute équité représente une juste part du partage pour les propriétaires concernés.

Vous êtes priée de signer le document joint afin que nous puissions terminer ce dossier de manière adéquate ce qui de toute évidence éviterais des procédures judiciaires inutiles et très couteuses.

Dans le doute, bien entendu nous vous invitons à consulter afin de vous assurer que votre démarche est conforme et raisonnable à vos intérêts.

Juridiquement parlant la situation regardant la propriété de ces contrats est considérée comme étant communément appelée « trou dans un nœud » mieux connue en anglais sous le nom de « loop hole », et dans de telles situations à défaut que les parties puissent s’entendre à l’amiable, le tout peut être porté devant les tribunaux afin de forcer par l’intervention d’un juge une décision finale, ce qui nous le soulignons  une nouvelle fois, est très coûteux et dont les résultats ne sont jamais profitable pour les parties.

Bien entendu, à défaut de recevoir les documents joints dans les huit jours de la réception de la présente, nous devrons procéder par la voie des tribunaux sans autres délais ni avis.

En terminant, Madame, nous vous prions d’accepter nos sentiments les meilleurs et respectueux.

H. Louis Arbour, conseiller en sécurité financière.

Vous êtes priée de faire suivre les documents à la financière Manuvie ou à mon intention.

Merci

P.j. : formulaires de rachat et lettre d’instruction à Manuvie pour le partage des valeurs de rachat. »

[18]        Après réception de ladite correspondance, P.F. vérifie le bien-fondé des affirmations de l’intimé auprès de l’assureur[2].

[19]        Elle apprend alors qu’il n’y a aucune valeur de rachat à la police concernée puisque les valeurs ne commencent à s’y accumuler qu’à la fin de la trentième année alors que le contrat n’a été émis que le 3 décembre 1989.

MOTIFS ET DISPOSITIF

Chef d’accusation numéro 1

[20]        À ce chef, il est reproché à l’intimé d’avoir fait défaut d’agir avec professionnalisme, dignité et modération en transmettant, le ou vers le 13 septembre 2010, une lettre de reproches à P.F., sa cliente, à la suite du refus de cette dernière de le rencontrer pour discuter de son dossier d’assurance, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi qu’aux articles 6 et 7 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[21]        Or, de l’avis du comité, en expédiant à sa cliente la lettre du 13 septembre 2010 reproduite in extenso au paragraphe 13 des présentes, l’intimé, qui semble avoir été hautement blessé et offensé par le refus de sa cliente de le rencontrer à la date convenue et/ou de l’aviser au préalable de son incapacité à donner suite au rendez-vous agréé, s’est rendu coupable de l’infraction qui lui est reprochée.

[22]        Si le comité s’explique difficilement que l’intimé ait pu être aussi insulté de la situation qu’il semble l’avoir été, il ne lui en fait pas reproche. Celui-ci aurait cependant dû être plus mesuré et pondéré dans la correspondance (P-2) qu’il adressait à sa cliente.

[23]        L’intimé aurait dû user de réserve et se dispenser de certains propos.

[24]        L’article 6 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière se lit comme suit :

« 6. La conduite du représentant doit être empreinte de dignité, de discrétion, d’objectivité et de modération. »

[25]        De l’avis du comité, en expédiant à sa cliente la correspondance dont le texte est reproduit in extenso au paragraphe 13 des présentes, l’intimé a manqué de modération. Pour avoir contrevenu à la disposition précitée de son Code de déontologie, il sera déclaré coupable sous ce chef.

Chef d’accusation numéro 2

[26]        À ce chef, il est reproché à l’intimé d’avoir fait défaut, le 20 février 2013, d’agir avec professionnalisme, compétence, objectivité et modération en transmettant à P.F. une lettre priant cette dernière de signer, à défaut de recours judiciaire, sur la foi d’informations fausses, une demande de rachat de son contrat d’assurance, contrevenant alors aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, 6 et 16 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[27]        Ledit chef comporte deux (2) éléments de reproche à l’endroit de l’intimé.

[28]        D’une part il lui y est reproché d’avoir fait défaut d’agir avec professionnalisme, compétence, objectivité et modération en transmettant à P.F. une lettre où il la priait de signer, à défaut de recours judiciaire, une demande de rachat de son contrat d’assurance et, d’autre part, de lui avoir transmis dans le cadre de celle-ci, des informations fausses.

[29]        En regard de ce dernier reproche, il faut souligner qu’alors que l’intimé semble laisser entendre, à sa lettre, que le contrat d’assurance en cause était rachetable, la preuve présentée au comité a démontré qu’il ne l’était pas. Trente (30) ans devaient s’être écoulés depuis l’émission de la police pour qu’il le devienne.

[30]        L’intimé a lui-même concédé, lors de son témoignage, qu’audit contrat aucune valeur de rachat n’était encaissable avant trente (30) ans.

[31]        La correspondance de l’intimé à sa cliente comportait donc des renseignements erronés.

[32]        Selon ce que l’intimé a déclaré, il se serait trompé après avoir lu une indication à son dossier que le produit concerné était un « produit accélérateur » vingt (20) ans plutôt qu’un « produit accélérateur » trente (30) ans et il n’avait pas le contrat en sa possession au moment où il a écrit sa lettre.

[33]        Or ce dernier avait le devoir de vérifier ses informations avant de s’adresser à P.F.

[34]        Même si l’intimé semble avoir été de bonne foi, il aurait été de son devoir de demander une copie du contrat à son client ou d’obtenir les informations nécessaires de l’assureur plutôt que de procéder comme il l’a fait à écrire une lettre à la consommatrice comportant des informations non vérifiées qui se sont avérées inexactes et/ou fausses.

[35]        D’autre part, il lui est aussi reproché d’avoir manqué de professionnalisme et de modération dans la rédaction du document.

[36]        Or à l’avant-dernier paragraphe par exemple, l’intimé indique : « Bien entendu, à défaut de recevoir les documents joints dans les huit (8) jours de la réception de la présente, nous devrons procéder par la voie des tribunaux sans autre délai ni avis ».

[37]        L’intimé y menace P.F. de procédures judiciaires si elle n’obtempère pas à sa demande de signer les documents de rachat du contrat joints à sa lettre.

[38]        Lors de l’audition l’intimé a reconnu que la formulation n’en était pas heureuse, il a semblé indiquer qu’il avait pu par inadvertance et sans s’en rendre compte avoir inconsciemment erré en adoptant la formule précitée.

[39]        Quoi qu’il en soit, de l’avis du comité, l’intimé a alors fait tenir à la consommatrice une lettre intimidante, manquant de modération.

[40]        Il ne peut même pas être exclu, tel que l’a invoqué le procureur de la plaignante, qu’en menaçant, au dernier paragraphe, P.F. de procédures judiciaires, l’intimé contrevenait à la Loi sur le Barreau.

[41]        Compte tenu de ce qui précède, l’intimé sera déclaré coupable sous ce chef d’accusation pour avoir contrevenu à l’article 6, précédemment cité, du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l’intimé coupable de chacun des chefs d’accusation 1 et 2 contenus à la plainte;

CONVOQUE les parties avec l’assistance du secrétaire du comité à une audition sur sanction.

 

 

 

_(s) François Folot  __________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

_(s) Serge Bélanger__________________

M. SERGE BÉLANGER, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

_(s) François Faucher_________________

M. FRANÇOIS FAUCHER, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT, CARON, PREVOST, BELISLE, GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente lui-même.

 

Date d’audience :

2 décembre 2014

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Il s’agit d’un contrat conjoint, la proposition apparaît à P-5.

[2]     La consommatrice a sollicité des informations auprès de Mme Cavazos au Centre de service à la clientèle de l’assureur en cause par lettre en date du 22 février 2013, pièce P-8. Dans celle-ci elle indique qu’elle a reçu une demande de rachat de police de la part de son ex-conjoint R.C. et elle demande à l’assureur de valider les informations qui lui ont été transmises par l’intimé dans la lettre qu’il lui a adressée le 20 février 2013. La réponse de l’assureur apparaît à la pièce P-9. L’assureur y signale à P.F. que la police est une police Vie Entière payable en trente (30) ans. Il lui fait parvenir les pages du contrat démontrant les valeurs de rachat.

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