Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1042

 

DATE :

2 octobre 2015

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LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

Mme Monique Puech

Membre

M. Serge Lafrenière, Pl. Fin.

Membre

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NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

PIERRE BLAIS (certificat numéro103430 et BDNI numéro 1522211)

Partie intimée

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DÉCISION SUR SANCTION

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[1]           Le 29 avril 2015, à la suite de sa décision sur culpabilité rendue le 19 janvier précédent, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni pour procéder à l'audition sur sanction.

[2]           À la suite de cette audience, les parties ont soumis des représentations additionnelles de sorte que le délibéré a commencé à l’expiration du délai accordé à cette fin aux parties soit le 3 juin 2015.

[3]           La plaignante était représentée par Me Julie Piché et l’intimé se représentait seul.

LA PREUVE SUR SANCTION

[4]          La plaignante a déposé une preuve documentaire supplémentaire constituée de :

a)     L’attestation du droit de pratique datée du 12 septembre 2014 (SP-1);

b)        Une série de onze chèques datés du 5 février 2002 tirés du compte en fidéicommis de l’intimé, en paiements d’intérêts versés aux consommateurs pour l’année 2001, le tout totalisant 1 226,72 $ (SP-2);

c)         Le plumitif du litige devant la Cour supérieure du Québec entre l’intimé et les consommateurs impliqués dans la présente plainte. Une décision a été rendue le 26 juin 2014 condamnant notamment l’intimé. Bien que l’intimé ait porté cette décision en appel, le 28 novembre 2014, l’appel était déserté (SP-3);

d)        Une décision du comité de discipline de la Chambre des notaires rendue le 30 août 1990 (SP-4).

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES SUR SANCTION

        LA PLAIGNANTE

[5]          Me Piché a indiqué que sa cliente recommandait les sanctions suivantes :

a)        Sous chacun des chefs 1, 2, 4 à 27, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de six ans, à purger de façon concurrente considérant que les trois derniers chefs qui reprochent des lettres de sollicitation sont liés à ceux d’avoir fait souscrire sans détenir la certification puisque ces lettres poursuivaient le même objectif;

b)        Sous le chef 3, la radiation permanente de l’intimé pour s’être approprié ou avoir utilisé à des fins personnelles la somme de 2 316,96 $.

[6]          Elle demande en outre la publication de la décision et la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[7]           À l’appui de ces recommandations, elle a soumis un cahier de décisions[1] qu’elle a pris soin de commenter.  

[8]          Pour les chefs reprochant les lettres de sollicitation, elle a insisté sur le fait que l’intimé était celui qui avait entraîné les consommateurs dans cette aventure, sans compter qu’il indiquait sur ces lettres de sollicitation détenir des diplômes en droit et en notariat afin de les sécuriser.

[9]          Aussi, comme la compagnie dans laquelle les actions avaient été souscrites n’avait pas encore été formée, il déposait l’argent des clients dans son compte en fidéicommis et, sans obtenir l’autorisation préalable de ces derniers, l’a investi à son nom personnel[2].

[10]       En plus de la gravité objective des infractions, elle a invoqué les facteurs aggravants suivants :

a)       L’intimé devait savoir ce qu’il faisait. Bien qu’il indique avoir été victime d’une arnaque, la sollicitation, les promesses et les représentations faites aux clients étaient les siennes et il ne peut en rendre responsable monsieur Guay;

b)       Les consommateurs impliqués étaient des personnes vulnérables déjà clients de l’intimé ou des étudiants à qui il enseignait à l’Université du troisième âge ce qui les rendait encore plus vulnérables à l’égard des placements qu’il leur suggérait;

c)       L’intimé, ayant acquis de nombreuses années d’expérience au moment des faits en litige, ne peut prétendre à une faute de débutant;

d)       Les fautes ont été commises sur une période de trois ans, impliquent quatorze clients, sauf pour le chef 3 qui implique un seul couple;

e)       L’ampleur du préjudice pécuniaire qui s’élève environ à 260 000 $ dont près de 60 000 $ perdu par le seul couple R.G.;

f)        Le bénéfice tiré par l’intimé qui a touché des commissions;

g)       Les gestes posés portent atteinte à l’image de la profession;

h)      L’absence de règlement entre les parties, bien qu’il y ait eu, selon l’intimé, des négociations entre elles;

i)        L’antécédent disciplinaire découlant de la décision rendue par le comité de discipline de la Chambre des notaires.

[11]       Au titre des facteurs atténuants, elle a mentionné que:  

a)        L’infraction remontait à plus de douze ans;

b)        L’inactivité de l’intimé depuis le mois de janvier 2013;

c)         La situation financière précaire de l’intimé qui a fait deux faillites.

        L’INTIMÉ

[12]       Il connaissait monsieur Guay depuis huit ans alors qu’ils étaient tous deux cofondateurs du club Rotary. Ils se rencontraient régulièrement aux dîners de l’Association et ce dernier était devenu son client. Il avait une totale confiance en monsieur Guay de qui il voulait apprendre les techniques de gestion immobilière. Comme monsieur Guay l’a approché pour trouver du financement, il a consulté les baux et les états financiers certifiés qui démontraient la solvabilité de l’entreprise.

[13]       Bien que le tout ait commencé vers 1994, ce n’est qu’en 2000 qu’il a réalisé, qu’en faisant souscrire des actions d’une compagnie privée à des consommateurs, il agissait en dehors de sa certification. Il a toutefois continué puisqu’il avait entraîné ses clients dans cette aventure et qu’il était trop tard pour se retirer. Rien ne pouvait laisser deviner la tromperie dont tous, y compris lui-même, ont été victimes de la part de monsieur Guay.

[14]       Il a lui-même recommandé à ses clients de le poursuivre puisque son assurance responsabilité pouvait probablement les dédommager. Il est aussi le seul à s’être présenté devant la Cour supérieure, alors que monsieur Guay, sa fille et son fils, également impliqués dans la compagnie et aussi défendeurs, avaient disparus. Il a rapporté que même les procureurs des consommateurs ont reconnu devant la Cour supérieure qu’il ne s’agissait ni de fraude ni d’erreur lourde, mais d’une erreur grave de sa part.

[15]       Il a entrepris des négociations avec le procureur des consommateurs pour en arriver à un certain règlement afin que ceux-ci soient dédommagés. Il a offert que le produit d’une police d’assurance de 60 000 $ qu’il détenait auprès de SSQ soit versé, lors de son décès, à leur procureur en fidéicommis afin qu’il le remettre à ceux-ci[3].

[16]       Il a contesté la radiation permanente réclamée par la plaignante sous le chef 3, celle-ci étant incompatible avec ses valeurs et affectant son estime personnelle. Il a expliqué qu’il ne s’était pas approprié quelque argent que ce soit puisqu’il provenait en partie de ses commissions. C’est la première et la seule fois qu’il a fait perdre de l’argent à ses clients en plus de vingt ans de notariat. À son avis, une telle radiation équivaut à la peine de mort en droit criminel.

[17]        Il a eu une carrière sans tache, exception faite de la décision rendue par le comité de discipline de la Chambre des notaires, et il a nuancé les faits ayant mené à cette décision.

[18]        En 2013, il s’est lui-même sanctionné en démissionnant d’Industrielle Alliance et ainsi ne représente pas un danger pour le public. Il n’a pas l’intention d’exercer de nouveau la profession et, ayant déjà 62 ans, une radiation de dix, quinze ou même vingt ans faisait en sorte que la protection du public était définitivement assurée.

[19]        Exprimant ses regrets à l’égard de ses clients et étudiants de l’Université du troisième âge, il conteste être dans le déni et de ne pas avoir de remords, alors qu’il ne se pardonne pas d’avoir été l’initiateur de ce scandale. Il n’a jamais eu d’intention malveillante ou malhonnête.

[20]        Reconnaissant le préjudice pécuniaire important subi par les consommateurs, il a ajouté avoir aussi subi des conséquences très malheureuses, ayant perdu sa profession, la maison et son automobile. Il est maintenant locataire d’un condominium et tire des revenus annuels approximatifs de 30 000 $ comme greffier pour un tribunal administratif et autres fonctions liées à la sécurité dans les institutions. Ces derniers éléments font partie des circonstances atténuantes.

RÉPLIQUE DE LA PLAIGNANTE

[21]       Me Piché a rétorqué qu’il fallait minimalement une radiation temporaire de longue durée, mais a soutenu que selon sa cliente, l’intimé méritait une radiation permanente, ce dernier étant notaire devait savoir ce qu’il faisait sans oublier son antécédent auprès de la Chambre des notaires.

ANALYSE ET MOTIFS

[22]       Le certificat de l’intimé dans les disciplines de l’assurance de personnes et de l’assurance collective de personnes est expiré depuis le 31 janvier 2013. Quant à la discipline de courtage en épargne collective, il n’est plus inscrit depuis le 6 novembre 2012.

[23]       Les gestes reprochés ont été commis entre 2000 et 2003 et sont d’une gravité objective indéniable. Ils portent atteinte à la profession et les consommateurs ont subi un préjudice pécuniaire important.

[24]       Aussi, même s’il s’avère que l’intimé a été victime des manœuvres de celui en qui il avait mis sa confiance et qu’il n’était pas habité d’une intention malveillante, il a fait preuve de grandes négligence et naïveté d’autant plus qu’il était un notaire d’expérience.

[25]       Par ailleurs, au lieu de se dérober, l’intimé a fait face à la justice à l’égard des clients qu’il a entraînés dans cette aventure ainsi qu’à l’égard de ses pairs pour ses fautes professionnelles. Celles-ci ont eu des conséquences malheureuses tant sur sa santé que sur sa situation financière. Il est âgé de 62 ans et son épouse souffrant d’une maladie grave fait en sorte qu’il est le seul à pourvoir aux besoins du couple qui vit une situation financière précaire.

[26]       En ce qui concerne la décision du comité de discipline de la Chambre des notaires datée du 30 août 1990 par laquelle l’intimé a été radié pour une période de trois mois, le présent comité ne croit pas devoir, en l’espèce, y accorder trop de poids. En plus de remonter à près de 25 ans, il y est notamment indiqué que le public n’a pas eu à souffrir des agissements de l’intimé et mentionné que la plainte avait par ailleurs été portée à la suite d’une visite d’un membre du service d’inspection professionnelle de la Chambre des notaires au greffe de l’intimé et non à la suite d’une plainte d’un citoyen. Cette plainte constituait une première portée contre l’intimé et en dépit du fait qu’il semblait avoir une pratique notariale exemplaire et avoir rendu sa comptabilité conforme aux exigences de la Chambre des notaires depuis cette visite, ce qui atténuait la gravité objective des infractions commises.

[27]       Les décisions fournies par la plaignante à l’appui d’une radiation temporaire de six ans sous chacun des chefs 1, 2, 4 à 27, diffèrent du cas présent notamment par la non-reconnaissance par les intimés des gestes posés, la durée des infractions commises, le nombre de compagnies dans lesquelles les intimés ont fait souscrire leurs clients, l’absence d’expression de regrets et même l’existence de dessein frauduleux dans l’affaire Morinville.

[28]       Ainsi, pour ces derniers chefs, le comité estime qu’une radiation temporaire pour une période de trois ans constitue une sanction juste et appropriée en l’espèce. 

[29]       Parmi les décisions soulevées par la plaignante en ce qui concerne le troisième chef, seule la décision Bouchard conclut à la radiation permanente de l’intimé lequel n’avait d’aucune façon reconnu ses fautes et qu’il s’agissait apparemment de récidive. Les affaires Savann et Ferjuste concluent à des radiations de cinq et dix ans respectivement. Dans ces deux derniers cas, il s’agissait de sommes minimes. Toutefois, dans cette dernière affaire, le comité donnait suite aux recommandations communes des parties.

[30]       En l’espèce, il s’agit également d’une somme de moindre importance mais le comité ne peut que réitérer que la probité constitue une des qualités essentielles à tout représentant et ce, peu importe le montant en cause. L’intimé possédait plusieurs années d’expérience, détenait une formation de notaire ce qui aurait dû de surcroît le préserver de commettre ces gestes.

[31]       Aussi, considérant tant les éléments objectifs que subjectifs qui lui ont été présentés, le comité ordonnera la radiation temporaire de l’intimé pour une période de dix ans, à être purgée de façon concurrente estimant que celle-ci constitue en l’espèce une sanction juste et appropriée, adaptée à l’infraction et respectueuse des principes d’exemplarité et de dissuasion.

[32]       De plus, l’intimé sera condamné au paiement des déboursés et la publication de la décision sera ordonnée.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

ORDONNE, sous chacun des chefs 1, 2, 4 à 27 la radiation temporaire de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière et ce, pour une période de trois ans à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE, sous le chef 3, la radiation temporaire de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière et ce, pour une période de dix ans à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a eu son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, c. C-26.

 

 

(s) Janine Kean______________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) Monique Puech___________________

Mme Monique Puech

Membre du comité de discipline

 

(s) Serge Lafrenière__________________

M. Serge Lafrenière, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

M. Pierre Blais

L’intimé était présent, mais non représenté.

 

 

Date d’audience :

Le 29 avril 2015

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Champagne c. Hanahem, CD00-0811, décision sur culpabilité du 30 novembre 2010 et décision sur sanction du 26 mai 2011; Thibault et Champagne c. Provost, CD00-0709 et CD00-0805, décision sur culpabilité du 2 novembre 2011 et décision sur sanction du 22 mai 2012; Lelièvre c. Morinville, CD00-0821, décision sur culpabilité du 25 octobre 2011 et décision sur sanction du 12 juin 2012; Thibault c. Bouchard, CD00-0650, décision sur culpabilité du 5 octobre 2009 et décision sur sanction du 8 juillet 2010; Champagne c. Savann, CD00-0908, décision sur culpabilité et sanction du 3 juillet 2012; Champagne c. Ferjuste, CD00-0922, décision sur culpabilité et sanction du 26 avril 2013.

[2] Paragraphe 32 de la décision sur culpabilité.

[3] Notons que la police d’assurance déposée par l’intimé désigne comme bénéficiaire le procureur des   consommateurs, mais cette désignation est toutefois révocable. Au surplus, la preuve a révélé qu’aucun règlement n’était encore intervenu en mai 2015.

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