Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1030

 

DATE :

16 décembre 2014

 

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. André Chicoine, A.V.C.

Membre

M. Jean-Michel Bergot

Membre

______________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

MOULAY EL MEHDI EL MANAR EL BOUANANI (certificat numéro 176483)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]          Le 16 septembre 2014, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre, sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé le 28 novembre 2013.

[2]           La plaignante était représentée par Me Julie Piché.

[3]           Quant à l’intimé, il était présent et a enregistré, par l’entremise de son procureur Me Charles A. Ashton, un plaidoyer de non-culpabilité sous chacun des chefs contenus à la plainte portée contre lui :

 

LA PLAINTE

À l’égard de P.N.D.

1.         À Montréal, le ou vers le 25 septembre 2008, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de P.N.D., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

À l’égard de B.S.J.

 

2.         À Montréal, le ou vers le 21 mai 2009, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de B.S.J., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

3.         À Montréal, le ou vers le 22 mai 2009, l’intimé a fourni de faux renseignements à l’assureur Industrielle Alliance sur la proposition numéro [...] en indiquant que B.S.J. était titulaire du compte bancaire [...] à la succursale 05261 de la Banque Royale du Canada, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

À l’égard de P.M.

 

4.         À Lachute et à Montréal, le ou vers le 28 juin 2009, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de P.M., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

5.         À Montréal, le ou vers le 2 juillet 2009, l’intimé a fourni de faux renseignements à l’assureur Industrielle Alliance sur la proposition numéro [...] en indiquant que P.M. était titulaire du compte bancaire [...] à la succursale 05261 de la Banque Royale du Canada, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

6.         À Montréal, le ou vers le 2 juillet 2009, l’intimé a soumis à Industrielle Alliance la proposition numéro [...] à l’insu de P.M., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.7.1);

 

À l’égard de I.G.

 

7.         À Montréal, le ou vers le 4 novembre 2009, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de I.G., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

8.         À Montréal, le ou vers le 6 novembre 2009, l’intimé a fourni de faux renseignements à l’assureur Industrielle Alliance sur la proposition numéro [...] en indiquant que I.G. était titulaire du compte bancaire [...] à la succursale 00991 de la Banque Royale du Canada, contrevenant aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

À l’égard de G.N.

 

9.         À Montréal, le ou vers le 26 novembre 2009, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de G.N., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

10.      À Montréal, le ou vers le 27 novembre 2009, l’intimé a fourni de faux renseignements à l’assureur Industrielle Alliance sur la proposition numéro [...] en indiquant que G.N. était titulaire du compte bancaire [...] à la succursale 05261 de la Banque Royale du Canada, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

À l’égard de L.R.

 

11.      À Montréal, le ou vers le 20 mai 2010, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de L.R., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

À l’égard de M.M.

 

12.      À Montréal, le ou vers le 24 juin 2010, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de M.M., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);


 

13.      À Montréal, le ou vers le 25 juin 2010, l’intimé a fourni de faux renseignements à l’assureur Industrielle Alliance sur la proposition numéro [...] en indiquant que M.M. était titulaire du compte bancaire [...] à la succursale 00991 de la Banque Royale du Canada, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

À l’égard de M.D.

 

14.      À Montréal, le ou vers le 21 septembre 2010, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de M.D., contrevenant ainsi à l’article 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

15.      À Montréal, le ou vers le 24 septembre 2010, l’intimé a fourni de faux renseignements à l’assureur Industrielle Alliance sur la proposition numéro [...] en indiquant que M.D. était titulaire du compte bancaire [...] à la succursale 05261 de la Banque Royale du Canada, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

À l’égard de N.E.K.

 

16.      À Montréal, le ou vers le 19 octobre 2010, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de N.E.K., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

17.      À Montréal, le ou vers le 21 octobre 2010, l’intimé a fourni de faux renseignements à l’assureur Industrielle Alliance sur la proposition numéro [...] en indiquant que N.E.K. était titulaire du compte bancaire [...] à la succursale 00991 de la Banque Royale du Canada, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

À l’égard de M.J.

 

18.      À Montréal, le ou vers le 18 novembre 2011, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de M.J., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 


19.      À Montréal, le ou vers le 18 novembre 2011, l’intimé a fourni de faux renseignements à l’assureur Industrielle Alliance sur la proposition numéro [...] en indiquant que M.J. était titulaire du compte bancaire [...] à la succursale 05261 de la Banque Royale du Canada, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

À l’égard de V.S.H.

 

20.      À Montréal, le ou vers le 6 janvier 2012, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de V.S.H., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

21.      À Montréal, le ou vers le 6 janvier 2012, l’intimé a fourni de faux renseignements à l’assureur Industrielle Alliance sur la proposition numéro [...] en indiquant que V.S.H. était titulaire du compte bancaire [...] à la succursale 05261 de la Banque Royale du Canada, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

À l’égard de J.J.P.

 

22.      À Montréal, le ou vers le 9 mars 2012, l’intimé a accordé un rabais et/ou convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie numéro [...] au nom de J.J.P., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2) et 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

 

23.      À Montréal, le ou vers le 9 mars 2012, l’intimé a fourni de faux renseignements à l’assureur Industrielle Alliance sur la proposition numéro [...] en indiquant que J.J.P. était titulaire du compte bancaire [...] à la succursale 05261 de la Banque Royale du Canada, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, chapitre D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3).

[4]          Ensuite, Me Piché a fait entendre M. Donald Poulin, enquêteur pour la syndique de la Chambre de la sécurité financière (CSF), et B.M.[1], la consommatrice impliquée dans les chefs 4, 5 et 6. Seul l’intimé a été entendu en défense.

[5]          Le cahier de pièces de la plaignante (P-1 à P-16) a été produit de consentement. À celui-ci, se sont ajoutées les pièces P-17 et P-18, lesquelles ont été déposées au cours du témoignage de l’enquêteur.

LA PREUVE

[6]          D’entrée de jeu, les parties ont soumis une liste d’admissions[2] qui peuvent se résumer comme suit :

a)     Les primes, pour les contrats contenus aux documents P-5, P-6, P-7, P-9, P-12, P-14, P-15 et P-16 et visés par les chefs 1, 2, 4, 9, 10, 14, 15, 18, 20 et 22, ont été payées à même le compte conjoint détenu par l’intimé et son épouse;

b)     Le compte de banque ouvert au nom de l’intimé seulement a servi à payer les primes pour les contrats déposés sous les pièces P-8, P-10, P-11, P-12, et concernent les consommateurs impliqués aux chefs 7, 11, 12 et 16;

c)      Tous les contrats ont été annulés en raison des exigences médicales non reçues, notamment les tests paramédicaux. La compagnie d’assurance Industrielle Alliance (IA) a remboursé aux consommateurs les primes prélevées sauf la consommatrice impliquée aux chefs 14 et 15, dont la police est tombée en déchéance.

[7]          L’intimé détenait un certificat en assurance de personnes, du 30 novembre 2007 au 9 mai 2012. 

[8]          L’enquête a débuté quand la syndique a reçu de l’Autorité des marchés financiers (AMF) une lettre adressée par IA à l’intimé par laquelle la compagnie informait l’intimé qu’elle mettait fin à son contrat le 26 avril 2012.

[9]          En conséquence, le 1er août 2012, l’enquêteur a demandé, par lettre, à l’intimé ses relevés bancaires. Le 21 août 2012, l’avocate de l’intimé lui répondait que ces documents contenaient des renseignements de nature personnelle et privilégiée. Le 28 août 2012, l’enquêteur a fait suivre, par courrier recommandé, une lettre de rappel de sa demande à l’intimé.

[10]       L’intimé faisait souscrire les consommateurs à des propositions d’assurance en indiquant pour le paiement de leurs primes tantôt le numéro du compte de banque détenu avec sa conjointe, tantôt celui de son compte personnel.

[11]       La seule proposition qui indiquait « le nom véritable du propriétaire de compte inscrit dans les livres de banque » est celle décrite au premier chef d’accusation. Dans ce cas, l’intimé a écrit le nom de sa conjointe comme véritable propriétaire du compte de banque fourni. 

[12]       Dans les autres propositions, même s’il fournissait son compte personnel ou celui détenu avec sa conjointe, l’intimé inscrivait le nom du consommateur comme étant « le nom véritable du propriétaire de compte inscrit dans les livres de banque ».

[13]       Ainsi, l’intimé acquittait, pour les consommateurs, les primes fixées aux propositions d’assurance. Il fournissait ainsi à l’assureur de faux renseignements quant au titulaire du compte bancaire.

[14]       Dans les deux ou trois mois suivant le dépôt de la proposition, IA résiliait les contrats, soit parce que le consommateur avait refusé le contrat émis ou faute de s’être plié aux exigences médicales.

[15]       Les documents recueillis au cours de l’enquête ont tous été fournis par l’assureur. Le responsable du service de la conformité chez IA a indiqué à l’enquêteur que la compagnie avait procédé à une enquête interne quand elle a soupçonné l’intimé d’octroyer des rabais de primes.

[16]       Selon l’enquêteur, l’intimé lui a indiqué qu’il s’agissait à son bureau d’une pratique courante dont ses supérieurs étaient au courant.

[17]       Le service de la conformité d’IA a indiqué à l’enquêteur que c’est grâce à l’enquête interne menée par la compagnie à ce sujet que les gestes reprochés à l’intimé ont été découverts d’où la lettre lui confirmant la terminaison de son contrat avec IA[3].

[18]       IA a procédé à un rappel des commissions avancées à l’intimé, mais l’enquêteur n’a pas vérifié chacun des contrats. Cependant, selon ses informations, IA a réclamé à l’intimé 18 000 $. 

[19]       Quant au chef 6, alléguant que l’intimé a soumis à l’insu de B.M., la consommatrice, une proposition d’assurance la concernant, celle-ci a témoigné que l’intimé s’était présenté à son domicile comme représentant en assurance sans avoir communiqué autrement avec elle au préalable.  Elle lui a expliqué qu’elle n’avait pas les moyens de contracter des assurances, étant sans travail et prestataire d’aide sociale. L’intimé lui a quand même exposé différentes options d’assurances vie et a passé à travers toute la documentation. La rencontre a duré environ une heure. Elle ne lui a remis ni chèque ni spécimen de chèque ni même d’argent comptant.

[20]       B.M. a noté que certaines informations contenues dans la proposition étaient erronées, par exemple la date de naissance de son fils aîné. Elle a reconnu sa signature sur les différents documents, mais a ajouté que l’intimé lui a dit qu’en remplissant ces documents, ce serait plus facile si plus tard elle décidait de souscrire à une assurance.

[21]       Aussi, bien qu’elle ait signé le formulaire d’autorisation de prélèvement exigé pour les paiements préautorisés, B.M. a rappelé qu’elle n’a jamais remis de spécimen de chèque. Selon sa compréhension, ainsi elle n’était pas obligée de prendre l’assurance.

[22]       Quand elle a reçu, en remboursement de primes, un chèque d’IA, elle a informé la compagnie qu’elle n’avait jamais contracté de police d’assurance avec elle, mais la préposée lui a répondu de conserver le chèque. Mentionnant que ces événements remontaient à plusieurs années, elle a expliqué qu’elle était consciente qu’il s’agissait d’une proposition d’assurance, mais n’avait pas compris que cela l’engageait. Elle a mal saisi la conséquence de la préparation de cette documentation, réitérant qu’elle ne s’estimait pas engagée puisqu’elle n’avait pas remis un spécimen de chèque.

[23]       L’intimé a témoigné qu’il travaillait maintenant pour une compagnie de machinerie agricole. Il a commencé comme représentant en assurance après avoir été sollicité par un de ses futurs supérieurs chez IA, alors qu’il était étudiant en marketing. Environ six mois plus tard, il l’a de nouveau contacté lui faisant valoir qu’il aurait un bel avenir avec IA. Il a ainsi suivi le cours de représentant en assurance et, après avoir perfectionné sa connaissance de l’anglais, a commencé à travailler pour IA.

[24]       Selon la formation reçue, le paiement de la première prime par le représentant n’était pas interdit, ajoutant qu’IA était au courant puisqu’il remettait toujours un spécimen de chèque portant le même numéro. Le fait de déposer une proposition avec un chèque tiré de son compte de banque n’a jamais fait l’objet de correction ou de critique de la part de ses supérieurs.

[25]       Comme IA connaissait son épouse, la compagnie savait qu’il avait utilisé son compte pour payer les primes. IA devait également savoir que l’autre compte utilisé était le sien, puisque ses commissions et autres rémunérations y étaient versées. 

[26]       La terminaison de son contrat est survenue après qu’il ait manifesté, au cours d’une réunion de bureau, sa désapprobation du licenciement d’un autre représentant. Il a refusé de signer la lettre du 25 avril 2012 lui annonçant la terminaison de son contrat.

[27]       Questionné par le comité, l’intimé a témoigné ne pas pouvoir expliquer pourquoi dans le cas de la consommatrice visée par le premier chef d’accusation, il avait inscrit le nom de son épouse comme titulaire du compte conjoint, alors que pour toutes les autres propositions, même s’il s’agissait du même compte conjoint ou de son compte personnel, il indiquait comme titulaire du compte de banque le nom du consommateur.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

La plaignante

[28]        Me Piché a amendé, avec le consentement de l’intimé, le quatorzième chef d’accusation pour ajouter le lien de rattachement à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers, comme d’ailleurs indiqué à tous les autres chefs de même nature contenus à la plainte. 

[29]       Quant à la première catégorie de chefs relative aux rabais de prime (chefs 1, 2, 4, 7, 9, 11, 12, 14, 16, 18, 20 et 22), elle a rappelé les admissions des parties voulant que ce soient les comptes bancaires de l’intimé qui ont servi au paiement des primes.

[30]       Même si l’intimé dit avoir procédé ainsi parce que les consommateurs n’avaient pas de spécimens de chèques ou n’avaient tout simplement pas de compte de banque ou encore de preuve qu’ils étaient propriétaires de compte de banque, l’infraction reprochée étant de responsabilité stricte, la motivation ou l’intention de l’intimé importait peu.

[31]       Quant au fait d’avoir procédé à l’insu de l’assureur, Me Piché a fait valoir que l’infraction déontologique est personnelle[4] au représentant et que la preuve a démontré qu’aussitôt qu’IA a appris le processus suivi par l’intimé, la compagnie a mis fin à son contrat. Au surplus, IA n’était pas liée, contrairement à ce que l’intimé a laissé entendre en témoignant, parce que ses patrons immédiats étaient au courant de sa façon de faire.

[32]       Comme rapporté par la responsable de la conformité dans son courriel à l’enquêteur, l’assureur prend pour acquis que les informations fournies par son représentant sont exactes. Il n’a pas de raison de douter que les comptes n’étaient pas ceux des consommateurs, d’autant plus que ceux-ci signaient les formulaires de prélèvements préautorisés. Il s’agissait, en l’espèce, d’un ou deux contrats par année répartis sur cinq ans.

[33]       Me Piché a soutenu que l’intimé savait pertinemment qu’il ne pouvait pas agir de la sorte.

[34]       De même, si l’assureur était au courant, pourquoi n’a-t-il pas remboursé l’intimé directement, plutôt que les consommateurs?

[35]       Me Piché a qualifié de plutôt vague la réponse de l’intimé à la question posée par le comité. L’intimé s’est contenté de répondre qu’il voulait seulement rendre service.

[36]       Elle a allégué qu’en l’absence de preuve que les paiements de primes effectués par l’intimé ont été reçus «consciemment» par l’assureur, il fallait conclure qu’ils avaient été faits à son insu et non à sa connaissance[5].

[37]       Selon Me Piché, ses représentations s’appliquent également à la deuxième catégorie de chefs reprochant d’avoir fourni de fausses informations (chefs 3, 5, 8, 10, 13, 15, 17, 19, 21 et 23).

[38]       Quant au sixième chef d’accusation reprochant d’avoir procédé à la proposition à l’insu de la consommatrice, la procureure de la plaignante a soutenu que cette dernière a témoigné qu’elle croyait ne pas avoir autorisé l’intimé à la soumettre puisqu’elle ne lui avait pas remis de spécimen de chèque.

[39]       Enfin, Me Piché a cité le Tribunal des professions dans l’affaire Weigensberg[6], qui indique que le représentant ne peut se défendre en disant avoir agi comme d’autres le faisaient pour justifier une pratique déficiente.

L’intimé

[40]        Me Ashton, après avoir rappelé que la mission du comité de discipline consistait à protéger le public, a indiqué que deux notions étaient en cause, soit la façon habituelle de pratiquer et la connaissance de l’assureur.

[41]        Quant à la première catégorie de chefs reprochant d’avoir octroyé un rabais de prime, Me Ashton a soutenu qu’il est erroné de conclure qu’avancer une prime équivaut à octroyer un rabais puisqu’une proposition d’assurance est une offre conditionnelle et que le contrat n’est pas concrétisé.

[42]        Quant au fait que ce paiement aurait été fait à l’insu de l’assureur, la preuve prépondérante fournie par l’intimé est que ses supérieurs immédiats étaient au courant et savaient qu’une telle pratique était suivie par les représentants.

[43]        Il a fait valoir que la preuve avait démontré que depuis l’appel en 2009 de la consommatrice visée aux chefs 4, 5 et 6, l’assureur avait été mis au courant et cet appel aurait dû éveiller ses soupçons.

[44]        Il a allégué que la plaignante ne s’était pas déchargée de son fardeau de preuve puisque la défense de l’intimé porte justement sur le fait que ses supérieurs étaient au courant. Selon lui, la plaignante aurait dû faire témoigner un représentant de l’assureur pour contrer cette preuve.

[45]        Il a avancé que la crédibilité de l’intimé n’a pas été attaquée et que le fait pour celui-ci de ne pouvoir répondre à la question du comité démontrait sa candeur.

[46]        Il a prétendu que d’indiquer sur la proposition le nom de l’assuré plutôt que celui du véritable titulaire du compte de banque n’était pas fournir de faux renseignements, il s’agissait tout au plus d’une erreur, mais non d’une infraction déontologique.

[47]        Selon Me Ashton, en ce qui concerne le sixième chef reprochant d’avoir soumis la proposition d’assurance à l’insu de la consommatrice, la preuve a démontré une certaine insistance de la part de l’intimé à présenter le produit, mais que la consommatrice avait indiqué l’avoir signée étant quand même intéressée à voir ce qui arriverait de la proposition. Par conséquent, le comité ne peut conclure que la proposition a été soumise à son insu.

[48]        Quant à l’affaire Giroux, citée par sa consœur, l’assureur était venu témoigner que s’il l’avait su, il aurait refusé le paiement, preuve qui n’existe pas dans le présent dossier.

ANALYSE ET MOTIFS

[49]       Trois types d’infractions sont reprochées à l’intimé. Quant à la première série de chefs d’accusation reprochant d’avoir accordé un rabais de prime et/ou d’avoir convenu d’un mode de paiement différent de la prime du contrat d’assurance vie, la preuve prépondérante a démontré que le paiement des primes était fait à même le compte détenu conjointement par l’intimé et son épouse ou son compte personnel. L’intimé joignait également un spécimen de chèque du compte choisi. 

[50]       Après examen de la preuve documentaire, le comité a noté que le premier spécimen de chèque fourni par l’intimé mentionnait le nom de son épouse contrairement à tous les autres spécimens de chèques sur lesquels aucun nom n’apparaissait.

[51]       L’intimé ne peut excuser une pratique défaillante en s’appuyant sur celle des autres. Comme soutenu par la procureure de la plaignante, l’obligation déontologique est personnelle au représentant. Le comité ne saurait donner l’aval à une pratique défaillante sous prétexte que d’autres représentants travaillant chez le même assureur adoptaient ce genre de pratique.

[52]       Le comité est aussi d’avis que la preuve prépondérante a démontré que les gestes de l’intimé ont été commis à l’insu de l’assureur. L’intimé ne pouvait se limiter à dire que parce que ses supérieurs étaient au courant, l’assureur ou IA le savait ou était présumé le savoir. Il lui revenait de le démontrer par preuve prépondérante. Comme indiqué dans l’affaire Giroux, c’est à l’intimé de prouver le contraire. Même si, comme l’intimé a témoigné, ses supérieurs donnaient l’aval à une telle pratique, ceci ne peut remplacer l’approbation du service de conformité ou de l’assureur comme entité.

[53]       En conséquence, le comité le déclarera coupable sous chacun des chefs d’accusation 1, 2, 4, 7, 9, 11, 12, 14, 16, 18, 20 et 22 contenus à la plainte.

[54]       Quant à la deuxième série de chefs d’accusation, la preuve a clairement démontré que l’intimé a fourni de faux renseignements à l’assureur, sauf dans le cas concernant la première consommatrice et d’ailleurs aucun chef n’a en conséquence été porté à ce titre. L’intimé avait inscrit le nom de son épouse qui représentait le nom de la véritable titulaire du compte de banque inscrit à la proposition. Pour les autres propositions, l’intimé s’est bien gardé de l’indiquer. Il a fourni un faux renseignement indiquant que le consommateur était le titulaire du compte inscrit alors que c’était lui ou son épouse. L’intimé ne peut pas se disculper en disant que c’était la pratique à son bureau.

[55]       Le comité a donné à l’intimé une occasion d’expliquer pourquoi il n’avait pas indiqué le nom de son épouse ou le sien dans les autres propositions comme il l’avait fait pour la première consommatrice impliquant B.N.D. Sa réponse a été pour le moins nébuleuse et évasive.

[56]       Par conséquent, le comité le déclarera coupable sous chacun des chefs 3, 5, 8, 10, 13, 15, 17, 19, 21 et 23 contenus à la plainte.

[57]       Quant au sixième chef lui reprochant d’avoir soumis une proposition à IA à l’insu de la consommatrice, la preuve offerte est non concluante et le comité le déclarera non-coupable sous ce chef.

[58]       Il ressort du témoignage de la consommatrice que son souvenir n’était pas précis étant donné le temps écoulé depuis les événements. Elle a reconnu avoir signé la proposition et rempli les questions médicales, ainsi que l’autorisation de prélèvements préautorisés. Elle a ajouté que, bien qu’elle ait signé tous ces documents, elle avait compris que cela ne l’engageait pas puisqu’elle pouvait refuser la police si jamais elle était émise. Même si le comité estime qu’elle a livré un témoignage honnête et ne doute pas de sa sincérité, le comité conclut que la proposition n’a pas été soumise à son insu, elle était pleinement consciente sachant qu’elle pouvait s’en dégager en refusant la police si elle était émise.

 


PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l’intimé coupable sous chacun des chefs d’accusation 1, 2, 4, 7, 9, 11, 12, 14, 16, 18, 20 et 22 pour avoir contrevenu à l’article 36 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

DÉCLARE l’intimé coupable sous chacun des chefs d’accusation 3, 5, 8, 10, 13, 15, 17, 19, 21 et 23  pour avoir contrevenu à l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, chapitre D-9.2, r.3);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant aux autres dispositions législatives et règlementaires alléguées sous chacun des chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 contenus à la plainte;

ACQUITTE l’intimé sous le sixième chef d’accusation;

CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

(s) Janine Kean______________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) André Chicoine ___________________

M. André Chicoine, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

(s) Jean-Michel Bergot ________________

M. Jean-Michel Bergot

Membre du comité de discipline

 

 

 


 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Charles A. Ashton

ASHTON AVOCATS

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 16 septembre 2014

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ


 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1030

 

DATE :

30 juillet 2015

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. André Chicoine, A.V.C.

Membre

M. Jean-Michel Bergot

Membre

______________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

MOULAY EL MEHDI EL MANAR EL BOUANANI (certificat numéro 176483)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

[1]           Le 10 mars 2015, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni à l’Hôtel Delta, sis au 475, avenue du Président-Kennedy,
à Montréal, pour entendre la preuve et les représentations des parties sur sanction,
à la suite de la décision sur culpabilité rendue contre l’intimé le 16 décembre 2014.

[2]           Rappelons que l’intimé a été déclaré coupable sous douze chefs d’accusation pour avoir accordé un rabais de prime ou convenu d’un mode différent de paiement de prime d’un contrat d’assurance. Il a également été déclaré coupable d’avoir fourni pour dix de ces contrats, de faux renseignements à l’assureur en indiquant que les clients étaient les titulaires du compte bancaire sur lequel étaient prélevés les paiements, alors que c’était lui ou son épouse qui en était le véritable titulaire. Ces infractions se sont échelonnées sur une période de quatre ans et impliquent 12 clients.

[3]           L’intimé a par ailleurs été acquitté d’un des chefs qui lui reprochaient d’avoir soumis la proposition d’assurance à l’insu de sa cliente.

[4]           La plaignante était représentée par Me Julie Piché et l’intimé par Me Charles A. Ashton.

PREUVE DES PARTIES SUR SANCTION

La plaignante

[5]          Comme preuve supplémentaire sur sanction, Me Piché a déposé:

a)     Une attestation de droit de pratique de l’intimé datée du 5 mars 2015. Celle-ci confirme que l’intimé est toujours inactif, et ce, depuis le mois de mai 2012, soit depuis que l’Industrielle Alliance (IA) a mis fin à son contrat (SP-1);

b)     Une attestation de l’admission de l’intimé, le 16 novembre 2012, à l’Ordre des agronomes du Québec, ayant été agronome au Maroc (SP-2);

c)      Le plumitif de la poursuite civile intentée par l’intimé contre son employeur, lui réclamant un dédommagement à la suite de son congédiement. Ce plumitif, émis le 23 février 2015, révèle qu’aucun règlement n’est intervenu, mais qu’une demande reconventionnelle a été portée par l’IA (SP-3).

L’intimé

[6]           Pour sa part, l’intimé a témoigné :

a)     Être âgé de 50 ans;

b)     Être un bon et honnête travailleur, bon citoyen et bon contribuable;

c)      Avoir travaillé seul après trois mois de formation seulement;

d)     S’être classé deuxième ou troisième meilleur vendeur en terme de volume dans cette agence;

e)     Avoir acheté une clientèle au cours des dernières années;

f)       Avoir été induit en erreur par son directeur immédiat, mais qu’il ne répétera jamais ces gestes. Il a retenu la leçon et posera davantage de questions à l’avenir, avant de suivre les indications de son superviseur;

g)     N’avoir jamais eu d’intention malhonnête ou malveillante. Il a agi ainsi dans le but d’aider ses clients qui avaient des conditions financières modestes;

h)     Désirer exercer de nouveau la profession;

i)       Avoir toujours travaillé depuis son arrivée au Québec en 2006, sauf pour quelques mois suivant son congédiement par IA;

j)       Que son congédiement par IA a eu lieu après qu’il ait questionné, au cours d’une réunion, le congédiement sans cause d’un autre représentant;

k)      Son congédiement lui avait causé beaucoup de tort, IA fournissant de mauvaises références à son sujet, ce qui a rendu sa recherche d’emploi difficile;

l)       Avoir réussi à faire reconnaître ses qualifications d’agronome obtenues au Maroc et avoir été admis à l’Ordre des agronomes du Québec en novembre 2012;

m)    Avoir besoin de travailler et qu’une radiation temporaire de longue durée, comme celle suggérée, affecterait sa capacité de le faire.

[7]           Même s’il n’avait jamais été impliqué dans des procédures légales auparavant, il a intenté un recours contre IA, estimant qu’il avait été l’objet d’une injustice et victime d’un règlement de compte.

[8]          Il dit regretter ses gestes et n’avoir tiré aucun avantage de ceux-ci.

[9]          Questionné par le comité au sujet de sa rémunération chez IA, il a expliqué qu’en tant que représentant rattaché, il recevait la même rémunération chaque semaine. Les commissions sur les produits vendus étaient déposées dans un compte.

[10]       Il n’existerait aucun lien entre les polices visées par la plainte et les 18 000 $ réclamés par IA dans la poursuite civile. Au moment de son congédiement, 9 000 $ étaient accumulés dans son compte auquel s’ajoutent les contrats, qui étaient à l'étude, et qui sont restés au profit d’IA. Enfin, IA a conservé la clientèle qu’il avait achetée au cours de la dernière année.

[11]       Il a suivi un cours en planification financière, mais a dû abandonner dans les circonstances et il ne peut pas agir dans les postes liés au secteur financier, en raison de son congédiement par IA.  

[12]       Enfin, le stress causé par le processus disciplinaire et l’instance devant la Cour supérieure ont affecté sa santé de façon significative.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES SUR SANCTION

La plaignante

[13]        Me Piché a recommandé la radiation temporaire de l’intimé pour une période de dix ans sous chacun des chefs relatifs à l’octroi d’un rabais de prime (chefs 1, 2, 4, 7, 9, 11, 12, 14, 16, 18, 20 et 22).

[14]        Quant aux chefs relatifs aux fausses informations fournies à l’assureur (chefs 3, 5, 8, 10, 13, 15, 17, 19, 21 et 23), elle a réclamé la radiation temporaire de l’intimé pour une période de trois ans sous chacun d’eux.

[15]       En outre, elle a demandé la publication de la décision et la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[16]       À part la gravité objective des infractions, elle a mentionné les facteurs aggravants suivants :

a)     La préméditation, étant donné la répétition des infractions sur une période de quatre ans;

b)     L’existence d’un risque de récidive, se disant d’avis que les regrets exprimés par l’intimé étaient mitigés, invoquant qu’il s’agissait d’un règlement de compte de la part de son superviseur.  

[17]       Au titre des facteurs atténuants, elle a mentionné :

a)     L’absence d’antécédent disciplinaire;

b)     L’absence de préjudice pécuniaire pour les consommateurs qui ont même reçu un chèque de l’assureur en remboursement de la prime payée par l’intimé;

c)      Les admissions de l’intimé ayant permis de réduire la durée et les coûts de l’instruction de la plainte;

d)     L’absence de nouvelle plainte portée contre l’intimé.

[18]       Par ailleurs, le peu d’expérience de l’intimé devait plutôt être retenu comme facteur aggravant, puisque les infractions s’étaient poursuivies sur une période de quatre ans et que l’intimé étant déjà un professionnel au Maroc possédait une certaine expérience de vie. Elle a également soutenu que l'avocat précédent de l'intimé avait fourni une fin de non-recevoir à la demande de l’enquêteur pour obtenir des informations sur l’identité des propriétaires des comptes de banque, de sorte que la collaboration de l'intimé à l’enquête de la syndique était limitée. Enfin, en dépit de son congédiement, l’intimé a pu travailler grâce à sa formation d’agronome.

[19]       Au soutien de sa recommandation de radiation pour une période de dix ans sous les chefs de rabais de prime, elle a fourni quatre décisions[7] dont trois concluent à une radiation permanente et une autre à une amende. Toutefois, sa cliente était d’avis qu’une radiation temporaire de dix ans était suffisante en l’espèce, étant donné que les faits dans ces affaires différaient de celle-ci.

[20]       Quant à la deuxième catégorie de chefs, pour laquelle sa cliente réclame une radiation de trois ans, elle a commenté l’affaire Platis[8]. Dans celle-ci, le comité a donné suite aux recommandations des parties pour une période de radiation de trois ans. L’intimé avait soumis des propositions d’assurance pour des clients fictifs, alors qu’en l’espèce, il s’agit de vrais clients.

L'intimé

[21]       Le procureur de l'intimé a fait valoir que celui-ci avait témoigné avec candeur et honnêteté.

[22]       Il a allégué qu’étant donné le contexte des infractions rapporté par l’intimé, il n’était pas surprenant que l’assureur, afin de justifier le congédiement de son client, ait rapporté que l’intimé avait fait de fausses informations ou agi à son insu. À ce sujet, il a rappelé que l’enquêteur avait reconnu ne pas avoir investigué davantage pour savoir si l’assureur savait que les informations relatives au propriétaire réel du compte de banque inscrit sur les souscriptions étaient fausses ou non. En conséquence, il estimait que le contenu de la lettre d’IA à laquelle a fait référence sa consœur ne pouvait servir à appuyer les sanctions suggérées.

[23]       Il a soutenu que l’assureur aurait dû être inquiété, puisqu’il avait reçu un appel d’une des consommatrices lui signalant que, comme elle n’avait pas versé de prime, elle ne comprenait pas pourquoi il lui envoyait un chèque. Or, il a informé la consommatrice de conserver quand même le chèque qu’il lui avait fait parvenir.  

[24]       Me Ashton a mis en garde le comité de conclure sur cet aspect, puisque le litige civil est celui qui fera la lumière sur la responsabilité de l’assureur dans les circonstances, concédant toutefois que le comité avait pour mission la protection du public qui différait de l’objectif des tribunaux de droit commun.

[25]       Quant aux arguments de Me Piché voulant que l’intimé ait insisté et même été intimidant auprès de la consommatrice qui a témoigné sous le sixième chef, il a rappelé le témoignage de cette dernière voulant que l’intimé lui ait très bien expliqué la proposition et que son attitude fût normale dans un contexte de vente. Il a également rappelé que l’intimé, qui avait un revenu de 50 000 $ par année, n’avait pas d’intérêt pécuniaire à soumettre les propositions tel que reproché, celles-ci rapportant au plus une commission d’environ 300 $. Aussi, le reproche d’un manque de collaboration de l’intimé en raison du refus de son procureur de fournir les informations concernant les comptes des clients ne pouvait lui être fait d’autant plus que celles-ci ont été ensuite transmises à l’enquêteur.  

[26]       Me Ashton a allégué que, de façon générale, les décisions soumises par sa consœur ne pouvaient servir de guide, car les faits différaient grandement de ceux en l’espèce. Il a noté que dans l’affaire Roche, le comité avait indiqué qu’il s’agissait d’une tromperie alors que dans celle de Maguire, il qualifie l’intimé de fourbe, ce qui diffère grandement du cas en l’espèce.

[27]       Quant à l’affaire Déry, il s’agissait d’un stratagème démontrant la malhonnêteté de l’intimé, sans compter que le préjudice s’élevait à plus d’un million de dollars. Dans l’affaire Couture, il s’agissait  d’un représentant qui a collaboré avec la plaignante et par conséquent, celui-ci, bien qu’il ait commis les mêmes infractions que son complice Déry visé dans l’autre affaire, les facteurs atténuants ont permis de conclure à des amendes plutôt qu’à une période de radiation.

[28]       En l’espèce, vu l’absence d’antécédent disciplinaire de l’intimé, l’absence de malhonnêteté et les différentes conséquences que l’intimé a subies tant sur son travail que sur sa santé, il a recommandé d’ordonner une radiation temporaire d’une période maximale de trois ans estimant que l’effet dissuasif à l’égard de l’intimé était atteint.

[29]       Quant à la publication de la décision, il a demandé une dispense, mais sans justifier cette demande par quelques circonstances exceptionnelles, sauf pour soutenir que le nom de l’intimé était un nom qui se distinguait des noms autrement plus courants, de sorte que cette publication lui créerait un préjudice indu.

[30]       Enfin, il a demandé une réduction des déboursés en raison du préjudice déjà subi par l’intimé à la suite de son congédiement et du fait qu’il devait faire face à des honoraires et autres frais, tant pour sa représentation devant le comité que pour le recours civil intenté contre IA pour l’injustice qu’il estimait avoir subie.

Réplique

[31]        Au sujet des indices qui auraient dû inquiéter l’assureur, la procureure de la plaignante a rappelé la réponse de ce dernier produite sous la pièce P-18.

[32]        Quant à la publication de la décision, elle rappelle que celle-ci sert à informer le public de même que les autres ordres professionnels.

[33]        Quant aux déboursés, elle soumet qu’il y a absence de motifs permettant d’en être déchargé, sauf peut-être un léger pourcentage en raison de son acquittement sous le chef 6.

ANALYSE ET MOTIFS

[34]        Bien que le nombre de chefs soit imposant, il ne s’agit que de deux types d’infraction.

[35]        La première catégorie visée par les chefs 1, 2, 4, 7, 9, 11, 12, 14, 16, 18, 20 et 22 consiste à avoir octroyé un rabais de primes. L’intimé a défrayé la première prime du contrat au lieu et place du client. Cette pratique est certes prohibée.

[36]        La deuxième catégorie concerne les chefs 3, 5, 8, 10, 13, 15, 17, 19, 21 et 23 et reproche d’avoir fourni des fausses informations à l’assureur. L’intimé a indiqué sur les propositions que le consommateur était le titulaire du compte bancaire sur lequel la prime était prélevée, alors que son épouse ou lui-même en était titulaire.

[37]       Bien que la gravité objective des infractions commises soit indéniable, la version de l’intimé voulant que la formation reçue par l’assureur eût été défaillante et qu’il s’agissait d’une pratique courante paraît vraisemblable. Au surplus, le récit fourni par la consommatrice visée par le sixième chef dont l’intimé a été acquitté corrobore d’une certaine façon sa version. Cette consommatrice a voulu retourner le chèque fait à son ordre par l’assureur en remboursement de la première prime révélant qu’elle n’était pas celle qui l’avait versée, mais la compagnie a refusé lui indiquant de l’encaisser. Comme souligné par le procureur de l’intimé, cette information aurait dû inquiéter, voire alerter l’assureur à ce sujet[9].

[38]       Il est aussi surprenant qu’il n’y ait pas eu autre vérification des dires de l’intimé à savoir s’il s’agissait d’une pratique courante chez d’autres représentants de cet assureur afin de s’assurer de corriger la situation, le cas échéant.

[39]       La plupart des polices en cause n’ont pas été mises en vigueur de sorte que les commissions liées à celles-ci ont été soustraites du compte de l’intimé. Quant aux polices conservées par les consommateurs, ces derniers en ont assumé les primes. Il y a donc absence de gain indu par l’intimé.

[40]       Bien que les infractions se soient échelonnées sur quatre ans, la preuve révèle que l’intimé n’a procédé ainsi qu’à raison de deux à trois polices par année, ce qui ne peut être qualifiée de pratique systématique. De plus, le congédiement de l’intimé étant intervenu en avril 2012, alors que les contrats de 2012 ont été placés et non résiliés, laisse songeur sur les vrais motifs du congédiement. Quoi qu’il en soit, selon le tableau produit par la plaignante, les commissions sur ces contrats totalisent au plus 2 800 $ sur une période de quatre ans, alors que l’intimé gagnait environ 50 000 $ par année. L’appât du gain ne paraît pas être la motivation de l’intimé. La poursuite civile intentée par ce dernier ne fait que corroborer son témoignage voulant qu’il considérât avoir été injustement traité et victime d’un règlement de compte.

[41]       Compte tenu des faits démontrés en l’espèce, le comité estime les périodes de radiation temporaire réclamées par la plaignante trop sévères, voire punitives.

[42]       Aussi, le comité peut difficilement trouver appui dans les affaires fournies au soutien des recommandations de la plaignante. Aucune des décisions citées ne rapporte une situation factuelle s’approchant des faits de la présente affaire[10]. Il ressort des affaires Déry et Couture que les intimés ont notamment prémédité leurs gestes, mis en place un stratagème, étaient dirigeants principal, fondateur de leur cabinet et ont causé un préjudice pécuniaire de très grande ampleur. Quant aux affaires Roche et Mc Guire, ces décisions ordonnent une radiation permanente mais ne permettent pas de distinguer le raisonnement suivi par le comité à l’égard des infractions d’octroi de rabais de primes traitées en même temps que celles de contrefaçon de signature répétée ou d’appropriation de fonds ou encore liées à de fausses informations. Quant à l’affaire Platis, l’intimé avait démontré un manque flagrant de probité en utilisant des noms fictifs de consommateurs ainsi que des cartes de crédit non activées en plus de maintenir ses mensonges au cours de l’enquête de la syndique de la CSF.

[43]       En l’espèce, l’intimé a certes commis ces infractions pour lesquelles il a été reconnu coupable. Toutefois, au stade de la sanction, le comité doit tenir compte des circonstances entourant leur commission sans oublier le droit de l’intimé d’exercer sa profession.

[44]       Le comité estime que l’intimé a livré un témoignage sincère et crédible. Il est aussi convaincu qu’il n’était pas animé d’une intention malveillante ou malhonnête.

[45]        En tenant compte des faits propres à la présente affaire notamment de l’absence de malhonnêteté et d’antécédent disciplinaire, des conséquences subies par l’intimé tant sur son travail que sur sa santé, celui-ci ayant perdu sa clientèle et la possibilité de pratiquer dans le domaine financier depuis déjà plusieurs années, une radiation temporaire pour une période de trois mois paraît juste et appropriée et permettant d’atteindre l’effet dissuasif à son égard et l’exemplarité à l’égard des collègues qui seraient tentés de l’imiter.

[46]        Par conséquent, pour chacun des chefs 1, 2, 4, 7, 9, 11, 12, 14, 16, 18, 20 et 22, ayant trait aux rabais de primes, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de trois mois sera ordonnée.

[47]       Quant aux chefs 3, 5, 8, 10, 13, 15, 17, 19, 21 et 23, concernant de fausses informations fournies à l’assureur, ces infractions découlent des mêmes événements et impliquent les mêmes clients, une radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois à être purgée de façon concurrente sera donc ordonnée.

[48]       Enfin, le comité ordonnera la publication de cette décision, en l’absence de circonstance exceptionnelle, justifiant de ne pas le faire, et condamnera l’intimé au paiement des déboursés, ne voyant pas de motif de déroger à la règle, voulant que la partie qui succombe soit condamnée à leur paiement.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

ORDONNE pour les chefs 1, 2, 4, 7, 9, 11, 12, 14, 16, 18, 20 et 22, la radiation temporaire de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière pour une période de trois mois, à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE pour les chefs 3, 5, 8, 10, 13, 15, 17, 19, 21 et 23, la radiation temporaire de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière pour une période d’un mois, à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a eu son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions RLRQ, chapitre C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ, chapitre C-26.

 

 

(s) Janine Kean______________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) André Chicoine___________________

M. André Chicoine, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

(s) Jean-Michel Bergot________________

M. Jean-Michel Bergot

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Charles A. Ashton

ASHTON AVOCATS

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 10 mars 2015

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Selon la consommatrice, bien que sur les pièces produites un « P. » apparaisse à son prénom, celui-ci commence par un « B. ». Ainsi, ses initiales sont « B.M. » et non « P.M. » comme indiqué à la plainte.

[2] P-17.

[3] P-18. Ce document est un courriel de Madame Apold, responsable du service de la conformité chez IA. Il ressort de ce courriel que les agissements de l’intimé sont passés inaperçus jusqu’à leur découverte par le service de la conformité.

[4] Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441.

[5] Lévesque c. Giroux, 2011 QCCQ 11691, paragraphes 32 à 35.

[6] Weigensberg c. Chimistes (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 41, page 16, paragraphes 77 et suivants.

[7] Rioux c. Roche, CD00-0441, décision sur culpabilité et sanction du 12 août 2003; Rioux c. Maguire, CD00-0518, décision sur culpabilité et sanction du 19 décembre 2003; Champagne c. Déry, CD00-0843, décision sur culpabilité et sanction du 11 août 2011; Champagne c. Couture, CD00-0842, décision sur culpabilité et sanction du 20 septembre 2011.

[8] Champagne c. Platis, CD00-0882, décision sur culpabilité et sanction du 16 avril 2012.

[9] Avec respect pour l’opinion contraire, les informations fournies par la lettre produite sous P-18 ne répondent pas à cette question.

[10]     Décisions citées par la plaignante.

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