Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0942

 

DATE :

18 novembre 2014

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

Mme Nacera Zergane

Membre

_____________________________________________________________________

 

Me CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière;

Partie plaignante

c.

 

M. ABDELLAH BOURBEL, représentant de courtage en épargne collective (numéro de certificat 167 874);

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom des consommateurs en cause ainsi que des informations qui permettraient de les identifier.

[1]   Les 30 janvier, 5 mars 2013 et 27 mai 2014, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« À L’ÉGARD DE LA FILLE DE A

1.             À Montréal, le ou vers le 12 août 2011, l’intimé, au moyen de fausses représentations, s’est approprié la somme de 20 031,10 $ appartenant à la fille de A, contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q.,c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1.);

À L’ÉGARD DE A

2.             À Montréal, le 16 décembre 2011, l’intimé, au moyen de fausses représentations, s’est approprié la somme de 30 000 $ appartenant à A, contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r.7.1.);

À L’ÉGARD DE B

3.             À Montréal, le ou vers le 16 février 2012, l’intimé s’est approprié la somme de 20 000 $ appartenant à B pour la remettre à A, contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D‑9.2, r. 7.1);

À L’ÉGARD DE C

4.             À Montréal, le ou vers le 17 février 2012, l’intimé s’est approprié la somme de 50 000 $ appartenant à C pour remettre 30 000 $ à A et 20 000 $ à B, contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières ( c. D-9.2, r. 7.1);

À L’ÉGARD DE D

5.             À Montréal, le ou vers le 17 février 2012, l’intimé s’est approprié la somme de 11 000 $ appartenant à D, contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières ( c. D-9.2, r. 7.1);

6.                   À Montréal, le ou vers le 17 février 2012, l’intimé ne s’est pas acquitté du mandat confié par son client D en n’effectuant pas le placement de 11 000 $ demandé par ce dernier, contrevenant ainsi aux articles 160 et 160.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 2 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c.D-9.2, r.7.1). »

PREUVE DE LA PLAIGNANTE

[2]   Au soutien de la plainte, la plaignante fit entendre Mme Francine Barbe (Mme Barbe), vice-présidente adjointe à la Banque Laurentienne, Me Brigitte Poirier, directrice des enquêtes à la Chambre de la sécurité financière, et produisit une importante documentation cotée R-1 a) à R-16.

[3]   Quant à l’intimé, en plus de témoigner il versa au dossier quatre (4) documents qui furent cotés I-1 à I-4.

LES FAITS

[4]   Le contexte factuel rattaché à la plainte se résume comme suit :

[5]   Le ou vers le 28 février 2012, un client (que nous appellerons A) de la succursale de l’institution financière auprès de laquelle œuvrait l’intimé s’est plaint à la directrice de certaines anomalies dans son compte.

[6]   Il lui aurait déclaré qu’après avoir réalisé qu’une somme de 50 000 $ avait disparue de celui-ci, il avait, depuis le mois de décembre 2011, tenté mais sans succès d’obtenir des éclaircissements de la part de l’intimé.

[7]   Bien qu’afin de combler le « vide » à son compte, une somme de 20 000 $ y avait été versée ou transférée le ou vers le 16 février 2012, puis une somme additionnelle de 30 000 $ le lendemain, il cherchait à avoir des explications sur ce qui s’était passé.

[8]   Comme conséquence de la plainte de « A », le 29 février 2012 la directrice rencontra l’intimé afin d’obtenir ses commentaires relativement aux transactions au compte du client en cause. L’intimé lui aurait alors déclaré que l’épouse de « A » avait retiré ou pris la somme en cause (50 000 $) à l’insu de son mari pour l’investir au nom de sa fille.

[9]   La directrice aurait alors réclamé de l’intimé qu’il lui transmette une copie des pièces justificatives au soutien des transactions alléguées.

[10]        Le ou vers le 1er mars 2012, n’ayant pas reçu les documents réclamés, la directrice aurait à nouveau interrogé l’intimé.

[11]        C’est alors que celui-ci lui aurait avoué s’être approprié ladite somme de 50 000 $, lui mentionnant toutefois qu’il ne s’agissait que d’un « emprunt temporaire » puisqu’il avait par la suite « tout remboursé » au client.

[12]        L’intimé étant en pleurs et signalant qu’il ne se portait pas bien, la directrice lui aurait suggéré de quitter et d’aller « se reposer » chez lui.

[13]        Au terme de la rencontre, cette dernière, de concert avec la vice-présidente adjointe, aurait résolu de procéder à un travail d’enquête approfondi.

[14]        Elle aurait alors découvert que la somme de 50 000 $ appartenant à « A », avait bel et bien été remboursée à ce dernier, tel que soutenu par l’intimé, mais à partir de sommes provenant de comptes appartenant à deux (2) autres clients.

[15]        Ses recherches l’amenèrent en effet à conclure que le 16 février 2012 l’intimé avait retiré 20 000 $ du compte de la cliente Mme « B » pour le déposer dans le compte de « A » et que le lendemain, 17 février 2012, il avait retiré un placement de 50 000 $ appartenant à « C » et en avait utilisé le produit pour rembourser le 20 000 $ retiré la veille du compte de Mme « B » ainsi que pour déposer 30 000 $ au compte de « A ».

[16]        Le ou vers le 2 mars 2012, la directrice, accompagnée de la vice-présidente adjointe, entreprit de rencontrer à nouveau l’intimé.

[17]        Ce dernier leur aurait alors raconté qu’il connaissait bien « A », qu’il s’agissait d’un client qu’il avait desservi antérieurement lorsqu’il était à l’emploi de la CIBC.

[18]        Il leur aurait aussi déclaré qu’en 2009 il avait « prêté » 40 000 $ à « A » à titre d’investissement dans une pizzeria « deux pour un » sur la rue Fleury à Montréal. Puis, en août 2011, son épouse étant en arrêt de travail, il avait demandé à « A » de lui retourner la mise de fonds de 40 000 $. Selon son témoignage, ce dernier lui aurait alors remis 50 000 $, soit le capital initialement versé plus 10 000 $ représentant une part de bénéfices. « A » serait toutefois revenu ensuite lui demander qu’il lui retourne la somme de 50 000 $ car il en aurait eu besoin pour faire face à une réclamation inattendue des autorités fiscales. Sommé de produire des documents confirmant la dette de 40 000 $ de « A » à son endroit, l’intimé aurait alors déclaré qu’aucun document n’avait été préparé, les parties se faisant mutuellement confiance.

[19]        L’institution financière aurait poursuivi son enquête. Celle-ci lui aurait révélé que de plus, le ou vers le 11 août 2011, l’intimé avait retiré 20 031,10 $ du compte de la fille de « A » pour ensuite faire un chèque du même montant à la compagnie Proart dont il était le principal, sinon l’unique actionnaire. L’enquête aurait aussi révélé que le ou vers le 16 décembre 2011, l’intimé avait procédé à un retrait de 30 000 $ du compte appartenant à « A » et avait ensuite tiré un chèque du même montant à l’ordre de la banque TD Waterhouse pour être versé à un compte d’investissement à son nom afin d’acheter des actions.

[20]        Enfin l’enquête aurait révélé que le ou vers le 17 février 2012, l’intimé avait retiré 11 000 $ du compte de « D », montant que ce dernier lui avait remis afin de procéder à l’achat de fonds mutuels. Il avait ensuite déposé ladite somme dans le compte de la marge de crédit appartenant à son épouse[1].

[21]        La preuve a par ailleurs démontré qu’afin de rembourser la somme de 50 000 $ qu’il avait détournée, l’intimé a remis 20 000 $ le 2 mars 2012 à la banque. Il aurait retiré 19 600 $ de son compte chez TD Waterhouse pour ce faire. Il aurait par la suite aussi remboursé une somme de 10 000 $ le 7 mars 2012 et une somme de 20 000 $ le 9 mars 2012.

[22]        Selon l’intimé, afin de procéder au remboursement desdites sommes détournées, il aurait obtenu les montants nécessaires de sa belle-mère.

[23]        D’autre part, « A » est revenu auprès de l’institution financière pour demander qu’on vérifie un retrait de 6 083 $ et un autre de 6 083,50 $ débités à son compte le 24 novembre 2011.

[24]        Après des recherches, les autorités de l’institution ont conclu que le montant de 6 083 $ avait servi pour « A » mais pour ce qui est du deuxième montant de 6 083,50 $, celui-ci avait servi à payer la carte MasterCard BMO de l’intimé.

[25]        Les employés de l’institution financière ont également retracé deux (2) autres retraits le 24 novembre 2011 : un retrait de 3 500 $ qui aurait servi à préparer un chèque qui a été déposé dans le compte personnel de l’intimé à la CIBC et un autre de 2 819,57 $ qui aurait servi à préparer un chèque fait à l’agence de recouvrement Marathon afin de payer les dettes de ce dernier.

[26]        Les montants de 6 083,50 $, 3 500 $ et 2 819,57 $ totalisent 12 403,07 $.

[27]        Ces sommes n’auraient pas été remboursées par l’intimé.

[28]        L’intimé devrait donc toujours à l’institution financière une somme de 12 403,07 $.

[29]        À la suite des événements ci-haut décrits, le ou vers le 15 mars 2012 la Banque Laurentienne a congédié l’intimé. Une lettre lui a alors été remise confirmant les motifs de son congédiement.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[30]        En l’espèce, de l’avis du comité, la plaignante s’est déchargée de son fardeau de preuve prépondérante à l’égard de tous et chacun des chefs d’accusation contenus à la plainte.

[31]        D’une part, Mme Barbe, vice-présidente adjointe de l’institution financière en cause, a témoigné que l’intimé lui avait admis les faits qui lui sont reprochés et Me Brigitte Poirier, a aussi témoigné que l’intimé lui avait fait les mêmes aveux. Dans chacun des cas, il leur a admis avoir détourné les sommes en cause et leur a donné des explications sur la façon dont il y était parvenu.

[32]        D’autre part, l’intimé qui a témoigné, n’a ni nié ni tenté de nier les faits qui lui sont reprochés[2].

[33]        Ce dernier s’est plutôt employé à démontrer qu’au moment des événements en cause, il souffrait d’anxiété et d’un état dépressif rattaché notamment au « stress » qu’il éprouvait à son travail et que, compte tenu de sa condition, il devrait être acquitté des infractions qui lui sont reprochées.

[34]        À l’appui de sa proposition, en plus de témoigner lui-même, il a versé en preuve un document émanant de la psychologue Lisa Libarian, qu’il avait consultée pour dix (10) sessions de thérapie à l’été 2011, où cette dernière conclut qu’il souffrait alors de dépression sévère ainsi que de problèmes d’anxiété. Elle lui avait alors suggéré de consulter un psychiatre étant d’avis qu’il devait être « médicamenté ». Elle indique que l’intimé avait toutefois fait défaut de suivre son conseil et de consulter un psychiatre ne voulant pas être astreint à prendre une quelconque forme de médication.

[35]        Elle ajoute que le lendemain de son congédiement, soit le 16 mars 2012, l’intimé, en état de choc, est retourné la rencontrer. Elle déclare que ce dernier lui est alors apparu complètement désorganisé et dysfonctionnel.

[36]        Elle mentionne qu’il était alors sévèrement déprimé et qu’il lui aurait fait part que sa « superviseure au travail lui avait causé un stress extrême ». Il lui aurait déclaré que cette dernière avait été « condescendante » à son endroit, et ce, en présence d’autres employés ou de clients. (Ce que l’intimé a réaffirmé devant le comité lors de son témoignage.) Il lui aurait affirmé que l’atmosphère au travail était devenue invivable. Il lui aurait enfin ajouté qu’il reprochait à son employeur de ne pas lui avoir attribué le poste de directeur de succursale, un poste pour lequel il avait postulé et qu’il convoitait.

[37]        En conséquence de ce qui précède, la psychologue conclut dans la lettre produite sous la cote I-1 qu’elle est d’avis que l’intimé ne fonctionnait pas avec un esprit clair au moment des événements qui lui sont reprochés, qu’il était sévèrement en dépression ou qu’il avait besoin d’être médicamenté.

[38]        L’intimé a de plus versé au dossier, sous la cote I-4, un rapport d’expertise préparé par le Dr Serge Gauthier, psychiatre.

[39]        Le médecin y rapporte qu’en date du 2 mai 2013, à la demande de l’intimé, il a procédé à l’expertise psychiatrique de ce dernier.

[40]        Dans son rapport, il souligne que l’intimé lui a affirmé qu’à l’époque des événements qui lui sont reprochés il éprouvait des difficultés de fonctionnement.

[41]        Ce dernier lui aurait indiqué qu’il se sentait alors anxieux et déprimé, son état étant en lien avec le stress vécu à son travail. Il lui aurait déclaré avoir été injustement traité et même harcelé par sa directrice de succursale qui, selon ses affirmations, aurait constamment cherché à le contrôler et à le dénigrer. Elle l’aurait, à plusieurs reprises, humilié devant des collègues de travail ainsi que devant des clients.

[42]        L’intimé aurait déclaré au psychiatre qu’il était alors fort malheureux, que son jugement était perturbé et qu’il n’arrivait plus à prendre les décisions appropriées.

[43]        L’expert conclut, à la page 8 de son expertise :

« Au moment des gestes qui lui sont reprochés, à son travail, monsieur Bourbel présentait un état dépressif et anxieux important. Sa condition requérait un traitement pharmacologique que Monsieur n’a pas reçu, malgré la prescription de son médecin, car Monsieur ne prenait pas la médication, en raison de craintes qu’il avait, des effets secondaires.

Monsieur souffrait également d’une lésion cérébrale kystique, dans la région frontale corticale et sous corticale droite et Monsieur vivait également, des problèmes de stress important à son travail, avec un vécu de harcèlement.

Monsieur Bourbel présentait, au moment des faits qui lui sont reprochés, un état mental perturbé, ainsi que des symptômes altérant le contrôle cognitif, la planification des actions, l’attention perceptive et l’évocation mnésique, telles que mentionnées dans l’article du docteur François Richer et Claudien Boulet, publié dans la revue québécoise de psychologie le 23 février 2012. Bien que conscient des actes qu’il posait, monsieur Bourbel ne pouvait s’empêcher de poser ces gestes, en raison de son état mental perturbé.

Suite à mon évaluation psychiatrique, de la condition de monsieur Bourbel, je recommande un suivi psychothérapeutique et également une médication antidépressive et anxiolytique. Je recommande également une évaluation neuropsychologique pour documenter davantage les répercussions psychologique cérébrales dont Monsieur est porteur. »

[44]        Compte tenu des conclusions de la psychologue et du psychiatre relativement à son état de santé au moment des événements, l’intimé soutient qu’il devrait être acquitté des infractions qui lui sont reprochées.

[45]        Or, malgré toute l’empathie que le comité peut éprouver à l’endroit de ce dernier, qui a certes souffert et souffre vraisemblablement encore de sa condition, la preuve ne révèle pas qu’au moment des événements reprochés l’intimé aurait au sens propre, souffert d’aliénation mentale, ou qu’il ne possédait pas une intelligence suffisante pour distinguer le bien et le mal et/ou pour comprendre ce qu’il faisait.

[46]        Pour que le comité retienne la culpabilité de l’intimé, la plaignante n’avait pas à démontrer chez ce dernier une intention coupable (mens rea) au sens du droit criminel.

[47]        Par ailleurs, en regard des chefs d’accusation 1 à 5, il faut mentionner que dans l’optique du droit disciplinaire l’infraction d’appropriation ne doit pas être assimilée à du vol. Elle est essentiellement fondée sur l’absence d’autorisation du client et consiste en la simple détention de sommes appartenant à ce dernier, et ce, sans son consentement, même de façon temporaire ou avec l’intention de les lui remettre.

[48]        Dans l’affaire Claude F. Archambault c. Luc Lapierre et Nancy J. Trudel, le Tribunal des professions, le 12 mai 2011[3], alors que l’appelant soutenait que l’infraction d’appropriation portée contre lui imposait au poursuivant de faire la preuve de son intention coupable, confirmait la décision du Conseil de discipline du Barreau en ces termes :

« 43.    Le Conseil ne retient pas cette prétention. Il écrit :

[1084] Le Conseil de discipline, dans la récente décision du Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Robitaille 2008 QC C.D.B.Q. 089, a rappelé que telle conduite constitue l’appropriation, que l’absence d’intention n’avait pas à être appréciée à l’étape de la culpabilité et enfin, que l’appropriation peut être temporaire.

[39]      L’absence d’intention d’appropriation invoquée par l’intimé à l’encontre du deuxième chef d’infraction qui lui est reproché relève davantage de représentations sur sanction que d’excuses ou de défense à l’infraction reprochée.

[40]      À ce sujet, le Comité fait siens les propos du Tribunal des professions qui lui-même faisait siens les propos d’un Comité de discipline, dans l’affaire Tribunal – Avocats – 3 [1988] D.D.C.P. p. 309 à 317 :

« Le comité est d’avis que le terme « appropriation » doit être interprété dans un sens très large et que l’assimiler à du vol, comme l’a plaidé le procureur de l’intimé, est une définition trop stricte; le comité croit plutôt que l’appropriation au sens de l’article 114 de la loi du Barreau s’apparente à la possession d’un bien ou des sommes appartenant à un client, de façon temporaire, sans son autorisation et ce, même avec l’intention de lui remettre. Ce n’est donc pas nécessairement une dépossession définitive comme le vol mais une dépossession qui peut n’être temporaire (sic). »

[44]      En d’autres termes et malgré l’absence d’intention invoquée par l’intimé, une appropriation peut être de nature temporaire. »

[49]        Au paragraphe 45 de son jugement, le Tribunal des professions ajoutait : « L’emploi du terme appropriation ne doit pas nécessairement être vu dans l’optique du droit criminel ».

[50]        Enfin il indiquait au paragraphe 46 : « Dans les circonstances, il n’était pas requis pour l’intimé de prouver une intention coupable chez l’appelant ».

[51]        Également, dès 1988, dans l’affaire Tribunal Avocats 3 (une décision rendue le 27 avril 1988), le Tribunal des professions indiquait à la page 15 de sa décision :

« Ce qui constitue l’élément important de la décision c’est la notion d’autorisation du client ».

[52]        Le tribunal y mentionne que la détention sans l’autorisation du client fait que « l’avocat agit envers cette somme comme si elle était sa propriété peu importe ce qu’il en fait ».

[53]        En l’instance, le comité n’a pas à décider si l’intimé a violé une disposition du Code pénal mais simplement s’il a contrevenu aux règles déontologiques de sa profession. Et contrairement au fardeau imposé à la Couronne en droit criminel, le fardeau de la plaignante est celui de la prépondérance de la preuve. Elle n’a pas à faire une preuve hors de tout doute raisonnable.

[54]        De plus, à ce stade-ci, le comité n’a pas à se prononcer sur ce que l’on pourrait appeler la « culpabilité morale » de l’intimé, la preuve d’une telle culpabilité n’étant aucunement nécessaire à la constitution des infractions disciplinaires en cause.

[55]        Par ailleurs, même s’il fallait conclure que les chefs d’accusation portés contre l’intimé font état d’infractions de responsabilité stricte, ce dernier peut difficilement invoquer le moyen de la diligence raisonnable puisque de son propre aveu et de la preuve au dossier, alors qu’on lui recommandait une médication pour contrôler les difficultés au plan de l’angoisse et du stress qu’il vivait, il s’est refusé à suivre le conseil des professionnels qu’il a consultés.

[56]        Au soutien des chefs d’accusation 1 à 5, la plaignante invoque l’article 6 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines des valeurs mobilières qui se lit comme suit :

« 6. L’avoir du client doit demeurer sa propriété exclusive et le représentant ne doit s’en servir que pour les opérations autorisées par le client. »

[57]        Compte tenu de la preuve qui lui a été présentée, l’intimé sera déclaré coupable sous ces chefs pour avoir contrevenu à la disposition précitée du Règlement sur la déontologie dans les disciplines des valeurs mobilières.

[58]        Au soutien du chef d’accusation 6, la plaignante invoque l’article 2 du même règlement, qui se lit ainsi :

« 2. Le représentant doit faire preuve de loyauté; l’intérêt du client doit être au centre de ses préoccupations lorsqu’il effectue une opération pour le compte de celui-ci. »

[59]        Compte tenu de la preuve qui lui a été présentée, l’intimé sera déclaré coupable sous le chef 6 pour avoir contrevenu à l’article 2 du même règlement.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

Sous les chefs 1 à 5 inclusivement :

DÉCLARE l’intimé coupable pour avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines des valeurs mobilières;

Sous le chef 6 :

DÉCLARE l’intimé coupable pour avoir contrevenu à l’article 2 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines des valeurs mobilières;

CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

 

(s) François Folot____________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Dyan Chevrier  ___________________

Mme DYAN CHEVRIER, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Nacera Zergane___________________

Mme NACERA ZERGANE

Membre du comité de discipline

 

 

Me Suzie Cloutier

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente lui-même.

 

Dates d’audience :

30 janvier, 5 mars 2013 et 27 mai 2014

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ


Chambre de la sécurité financière c. Bourbel

2015 QCCDCSF 57

 

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0942

 

DATE :

13 août 2015

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

Mme Nacera Zergane

Membre

_____________________________________________________________________

 

Me CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière;

Partie plaignante

c.

 

M. ABDELLAH BOURBEL, représentant de courtage en épargne collective (numéro de certificat 167 874);

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]   À la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni le 9 avril 2015 aux locaux de la Commission des lésions professionnelles, 500, boulevard René-Lévesque Ouest, 18e étage, Montréal, et a procédé à l'audition sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[2]   Alors que la plaignante déclara n’avoir aucune preuve additionnelle à offrir, l’intimé choisit de brièvement témoigner.

[3]   Le témoignage de ce dernier se résuma essentiellement à déclarer et à expliquer, en réplique ou en réponse à ce que le comité mentionnait au paragraphe 55 de sa décision sur culpabilité, qu’à son avis, même s’il s’était astreint, au moment des événements qui lui sont reprochés, à « prendre » une médication afin de contrôler l’angoisse ou le stress qu’il éprouvait, ce qui lui avait été suggéré, cela n’aurait « rien changé ».

[4]   À la suite de son témoignage, les parties soumirent au comité leurs représentations sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[5]   La plaignante, par l’entremise de son procureur, débuta en rappelant les circonstances liées ou rattachées à chacune des infractions pour lesquelles l’intimé a été reconnu coupable, insistant sur la nature et le caractère de celles-ci.

[6]   Elle évoqua ensuite les facteurs, à son avis, aggravants et atténuants suivants :

Facteurs aggravants

-           la gravité objective des infractions commises par l’intimé, les cinq (5) premiers chefs d’accusation référant à des actes d’appropriation de fonds alors que le sixième fait état de gestes accessoires ayant permis à l’intimé de commettre l’infraction d’appropriation mentionnée au chef numéro 5. Elle mentionna qu’à plusieurs reprises le comité avait indiqué que l’appropriation de fonds était parmi les infractions les plus sérieuses qu’un représentant puisse commettre;

-           des infractions portant atteinte à l’image de l’institution financière concernée (qui s’est retrouvée dans l’obligation de renverser les transactions fautives et de rétablir la situation des consommateurs en cause) ainsi qu’à celle de la profession;

-           des infractions préméditées, multiples et répétées au seul bénéfice de l’intimé ou de sa famille;

-           les sommes importantes ayant fait l’objet de détournements, certains de ceux-ci visant à camoufler des appropriations antérieures et à éviter les soupçons;

-           l’absence de réponse appropriée de la part de l’intimé aux questions d’un des clients concernés (ce qui a conduit l’employeur à se rendre compte des appropriations);

-           au départ des « histoires inventées » par l’intimé pour se défendre des questionnements de l’employeur;

-           des actes fautifs planifiés, volontaires et voulus à l’endroit de quatre (4) clients différents;

Facteurs atténuants

-           l’absence d’antécédents disciplinaires de l’intimé qui œuvrait dans le domaine de la distribution de produits d’assurance et/ou financiers depuis 2006;

-           les aveux de l’intimé aux enquêteurs de la Chambre, ce dernier n’ayant en aucun moment tenté de nier les faits;

-           son absence de contestation de la requête en radiation provisoire et son admission des faits lors de l’audition au mérite.

[7]   Elle termina en indiquant que compte tenu des circonstances, de la nature et du caractère des infractions commises par l’intimé, elle se devait de recommander au comité de lui imposer une sanction de radiation permanente sous tous et chacun des six (6) chefs d’accusation mentionnés à la plainte, une sanction à son avis conforme aux précédents jurisprudentiels.

[8]   Elle ajouta réclamer la condamnation de ce dernier au paiement des déboursés ainsi que la publication de la décision.

[9]   Au soutien de ses recommandations, elle déposa un cahier d’autorités qu’elle commenta[4].

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[10]        L’intimé débuta ses représentations en rappelant qu’au moment des événements il vivait une situation difficile auprès de son employeur.

[11]        Il raconta qu’il cherchait en conséquence à obtenir un poste auprès d’une autre institution financière et qu’il avait utilisé une part des sommes détournées pour parfaire ses connaissances et sa formation, ainsi que pour diminuer son niveau d’endettement personnel (assez élevé notamment au plan des cartes de crédit) de façon à présenter à un potentiel employeur « un dossier intéressant ».

[12]        Il poursuivit en signalant qu’il était parvenu à rembourser les sommes détournées (de l’ordre de 50 000 $) et qu’il s’efforçait, avec le temps, de rendre aux membres de sa famille les montants qu’ils lui avaient avancés pour ce faire.

[13]        Il indiqua ensuite, que bien qu’il ne souscrivait pas à la demande de radiation permanente réclamée par la plaignante, le comité pouvait être assuré qu’il n’avait aucune intention de reprendre un emploi dans le domaine de la distribution de produits et services financiers non plus qu’auprès d’une quelconque institution financière. À cet égard, il affirma ne plus avoir « la capacité » pour ce genre de travail non plus qu’un quelconque intérêt pour celui-ci.

[14]        Exprimant ensuite une forme de repentir, il confia que « ce qu’il avait fait » (et qui lui était reproché) « avait été bien ridicule dans les circonstances ».

[15]        Il termina en déclarant être dorénavant engagé à temps partiel dans « un service de livraison », soit dans un domaine complètement étranger à celui pour lequel il a été employé de 2006 à 2012, au moment où il a été congédié par son employeur.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[16]        L’intimé est âgé de 41 ans. Il a débuté sa carrière dans le domaine de la distribution de produits et services financiers et/ou d’assurance en 2006.

[17]        Il n’a pas d’antécédents disciplinaires.

[18]        Le 13 août 2012, à la suite d’une requête présentée par la plaignante qu’il n’a pas contestée, il a fait l’objet d’une ordonnance de radiation provisoire de la part du comité.

[19]        Tel que mentionné au paragraphe 29 de la décision sur culpabilité, à la suite des événements qui lui sont reprochés, le ou vers le 15 mars 2012 il a été congédié par l’institution financière qui l’employait.

[20]        Lors de l’audition au mérite de la plainte, bien qu’il n’ait pas enregistré un plaidoyer de culpabilité, il n’a aucunement contesté les faits qui lui sont reprochés.

[21]        Auprès des enquêteurs de la Chambre, il n’a pas non plus tenté de nier ceux-ci.

[22]        Tel que plus amplement souligné à la décision sur culpabilité : « Au moment des événements il souffrait d’anxiété et éprouvait un « stress » considérable à son travail ».

[23]        Tel qu’également mentionné à ladite décision, il a certes souffert et souffre vraisemblablement encore aujourd’hui de la suite de ceux-ci.

[24]        Néanmoins la gravité objective des infractions pour lesquelles il a été reconnu coupable est indéniable.

[25]        Les fautes qui lui sont reprochées sous les chefs numéros 1 à 5 consistent en l’appropriation de fonds appartenant à des clients de l’institution bancaire qui l’employait.

[26]        Quant au chef d’accusation numéro 6, la faute qui lui est reprochée, bien qu’accessoire, a servi à lui permettre la commission de l’infraction mentionnée au chef numéro 5.

[27]        L’ensemble des cinq (5) détournements reprochés à l’intimé totalise une somme de l’ordre de plus de 131 000 $, mais comme certains d’entre eux ont servi à repayer des détournements antérieurs, la somme totale appropriée à des fins personnelles est de l’ordre de 50 000 $.

[28]        L’intimé a commis des infractions parmi les plus sérieuses qui puissent être reprochées à un représentant, et ce, au moyen d’actes fautifs multiples, prémédités, planifiés et réfléchis.

[29]        Les infractions qu’il a commises vont au cœur de l’exercice de la profession et sont de nature à discréditer celle-ci.

[30]        Aussi, en l’espèce, compte tenu des circonstances propres au présent dossier et malgré l’empathie qu’il éprouve à l’endroit de l’intimé, le comité, souscrivant généralement aux arguments évoqués par celle-ci est d’avis, après réflexion, de suivre les recommandations de la plaignante.

[31]        Il en arrive à la conclusion que, conformément aux décisions antérieures du comité, rendues dans des cas de nature relativement semblable, il y a lieu en l’espèce d’ordonner la radiation permanente de l’intimé sous chacun des chefs d’accusation contenus à la plainte.

[32]        Enfin, conformément à la règle habituelle voulant que la partie qui succombe soit appelée à acquitter les déboursés, il est d’avis de condamner ce dernier au paiement desdits déboursés.

[33]        Relativement à la publication de la décision, compte tenu du jugement rendu par la Cour supérieure dans l’affaire Côté c. Roberge (2003 RIQ p. 1793), et les conclusions qui s’y retrouvent à l’égard de l’article 180 du Code des professions, le comité, pour ce seul motif, s’abstiendra d’ordonner celle-ci, le secrétaire du comité de discipline étant tenu d’y procéder.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

ORDONNE la radiation permanente de l’intimé sous tous et chacun des six (6) chefs d’accusation contenus à la plainte;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ chapitre C-26.

 

 

 

_(s) François Folot___________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

_(s) Dyan Chevrier___________________

Mme DYAN CHEVRIER, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

_(s) Nacera Zergane__________________

Mme NACERA ZERGANE

Membre du comité de discipline

 

 

Me Vincent Grenier Fontaine

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente lui-même.

 

Date d’audience :

9 avril 2015

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 

 



[1]     L’institution financière a renversé la transaction et effectué l’achat de fonds convenus avec le client par l’entremise d’une autre conseillère à une date postérieure. (Chefs 5 et 6)

[2]     La lettre de congédiement (R-8) en fait état et jamais l’intimé n’a cherché à renier les faits qui y sont mentionnés.

 

[3]     Archambault c. Avocats, Ordre professionnel des, 2011 QCTP 130.

[4]     Champagne c. Trempe, CD00-0789, 20 juillet 2010 (C.D.C.S.F.); Champagne c. Cartier, CD00-0792, 28 janvier 2011 (C.D.C.S.F.); Lelièvre c. Morinville, CD00-0821, 25 octobre 2011 (C.D.C.S.F.); Lelièvre c. Lefebvre, CD00-0950, 14 juin 2013 (C.D.C.S.F.); Champagne c. Laurin, CD00-1047, 28 octobre 2014 (C.D.C.S.F.); Thibault c. Baril, CD00-0681, 5 janvier 2009 (C.D.C.S.F.).

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