Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

 

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N°:

CD00-0901

 

 

 

DATE :

28 octobre 2014

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

LE COMITÉ :

Me Jean-Marc Clément

Président

 

M. Yvon Fortin, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Gabriel Carrière, Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

 

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

 

c.

 

CLAUDIO SCURTI, représentant de courtier en épargne collective et planificateur financier, (numéro de certificat 130616 et numéro de BDNI 1633471)

 

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

______________________________________________________________________

 

[1]           Les 16 et 17 septembre 2013, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s’est réuni au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, pour entendre la plainte disciplinaire datée du 8 décembre 2011 libellée comme suit :

1.    Dans la région de Montréal, le ou vers le 3 juillet 2008, l’intimé a fait défaut de connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement de son client J.G.L. en n’établissant pas son profil d’investisseur avant de lui conseiller d’investir son capital de 125 000 $ dans le fonds « Solution de versement gérée RBC-Évoluée Plus » auprès du Fonds d’investissements Royal Inc., contrevenant ainsi  aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 3, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r. 1.1.2).

 

2.    Dans la région de Montréal, le ou vers le 3 juillet 2008, l’intimé a fait défaut de connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement de sa cliente D.L en n’établissant pas son profil d’investisseur avant de lui conseiller d’investir son capital de 125 000 $ dans le fonds « Solution de versement gérée RBC-Évoluée Plus » auprès du Fonds d’investissements Royal Inc., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), ainsi que 3, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1).

 

3.    Dans la région de Montréal, le ou vers le 3 juillet 2008, l’intimé n’a pas pris les mesures raisonnables afin d’assurer l’exactitude et l’intégralité des renseignements transmis à son client J.G.L. sur le fonds « Solution de versement gérée RBC-Évoluée Plus » émis par Fonds d’investissements Royal Inc., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), ainsi que 7, 14 et 19 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1).

 

4.    Dans la région de Montréal, le ou vers le 3 juillet 2008, l’intimé n’a pas pris les mesures raisonnables afin d’assurer l’exactitude et l’intégralité des renseignements transmis à sa cliente D.L. sur le fonds « Solution de versement gérée RBC-Évoluée Plus » émis par Fonds d’investissements Royal Inc., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), ainsi que 7, 14 et 19 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1).

DÉROULEMENT DE L’ENQUÊTE

[2]           Les parties étaient toutes deux représentées par avocats.

[3]           Dès le début de l’audience, la plaignante a avisé le comité qu’elle demandait le retrait des chefs 3 et 4 de la plainte en raison d’une insuffisance de preuve. Ce retrait a été autorisé.

[4]           La plaignante a fait entendre Monsieur Laurent Larivière, enquêteur au bureau de la syndique de la Chambre de la sécurité financière et elle a produit les pièces P-1 à P-19. La pièce P-12 a fait l’objet d’une objection à la production que le comité a accueillie. Les consommateurs n’ont pas témoigné.

[5]           Après que la plaignante eût déclaré sa preuve close, l’intimé a présenté une requête verbale en rejet de plainte pour insuffisance de preuve. Séance tenante, le comité a estimé que la preuve déjà déposée par la plaignante comportait suffisamment de fondement en rapport aux chefs d’infraction et a rejeté la requête.

[6]           L’intimé a par la suite témoigné et a fait entendre ses témoins soit Madame Danielle Brisebois (Mme Brisebois), Madame Linda Cavalieri (Mme Cavalieri), et Monsieur Jean Gosselin (M. Gosselin) expert en réglementation en valeurs mobilières et conformité. Il a produit les pièces I-1 à I‑29.

LES FAITS

[7]           L’intimé était un employé du Fonds d’investissements Royal Inc. (« Fonds d’investissement ») une filiale de de la Banque Royale du Canada (« RBC »), au sein de laquelle il exerçait sa profession de planificateur financier et de représentant en épargne collective.

[8]           Les consommateurs, un couple à la retraite, étaient des clients de la RBC et Mme Brisebois était leur directrice de compte.

[9]           Les consommateurs venaient de vendre leur résidence et ils voulaient investir le produit de la vente. Ils en ont fait part à Mme Brisebois qui leur a organisé une rencontre avec l’intimé.

[10]        La rencontre a eu lieu le 3 juillet 2008 à la succursale de la Résidence les Cascades et a duré quarante-cinq (45) minutes.

[11]        Suivant les recommandations de l’intimé, les consommateurs ont alors acheté des parts dans un fonds commun de placement appelé Solution de versement gérée RBC - Évoluée Plus, administré par le Fonds d’investissement, pour la somme de 125 000 $ chacun (pièces P-8, P-9, P-10 et I-11)[1]. À cette occasion, les consommateurs ont signé des formulaires d’ouverture de compte (pièces P-5 et P-6).

[12]        À peine deux mois plus tard, la crise financière a affecté à la baisse la valeur des parts, tel qu’on le constate des relevés de comptes (pièces I-25 et I‑27). Les consommateurs s’en sont plaints à la RBC et à l’Autorité des marchés financiers (pièces P-2 et P-3).

[13]        Une plainte disciplinaire reprochant à l’intimé d’avoir fait défaut de connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement des clients en n’établissant pas leur profil d’investisseur avant de leur conseiller d’investir a été déposée par la plaignante le 8 décembre 2011.

Version des faits de l’intimé et de ses témoins

[14]        L’intimé, au cours de son témoignage, a expliqué au comité les démarches qu’il avait entreprises pour connaître ses clients.

[15]        Préalablement à la rencontre, il s’était informé de la situation financière et personnelle des clients auprès de Mme Brisebois. Il avait également consulté le système informatique de la RBC, où il avait eu accès aux formulaires d’ouverture de comptes antérieurs (pièces I‑22, I-23 et I-24). Il avait constaté que les consommateurs étaient des clients de la RBC depuis plusieurs années. Madame D.L. détenait déjà un placement dans le Fonds Solution de versement gérée RBC - Évolué depuis environ un an (pièces P-5 et I-26).

[16]        Lors de la rencontre, l’intimé a appris que les clients avaient quelques petits investissements ailleurs qu’à la RBC. Il a confirmé auprès d’eux qu’ils cherchaient à s’assurer un revenu supplémentaire mensuel requis en raison du déménagement dans une résidence pour personnes âgées.

[17]        Selon Mme Brisebois, qui était présente à la rencontre, l’intimé avait pris le temps de bien connaître les clients et leurs intentions avant de faire sa recommandation.

[18]        Mme Cavalieri, chargée régionale de la conformité chez RBC, a ajouté que la procédure de la RBC avait été suivie.

Opinion de l’expert

[19]        M. Gosselin a expliqué au comité que l’intimé n’avait commis aucune faute professionnelle et, plus particulièrement, qu’il s’était déchargé de son obligation de bien connaître ses clients.

[20]        Il a affirmé que dans le présent cas le mandat était de faire un placement ponctuel, soit d’investir le produit de la vente de la résidence. Selon lui, l’intimé avait recueilli suffisamment d’informations sur la situation financière et personnelle des clients.

[21]        Il a soumis, de plus, que l’obligation de connaître la situation financière et personnelle du client varie en fonction de l’étendue du mandat. Lorsque le mandat est général, c’est-à-dire lorsqu’un client demande conseil pour l’ensemble de ses avoirs, la recherche d’informations doit être poussée et approfondie. Dans les cas d’un mandat restreint, soit un placement spécifique, la connaissance du client peut être plus limitée.

[22]        Selon lui, les formulaires P-5 et P-6 constituaient des profils d’investisseurs satisfaisants dans les circonstances.

[23]        Il a ajouté que les clients avaient des connaissances en placements puisqu’ils détenaient déjà des investissements auprès d’autres institutions.

[24]        Enfin, ils avaient démontré une certaine tolérance aux risques en faisant le choix du Fonds Évolué Plus dont les fiches techniques, qui leur avaient été présentées, indiquaient des fluctuations de rendements.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[25]        La procureure de la plaignante a procédé à un résumé des faits et elle a présenté les arguments suivants.

[26]        L’intimé n’a pas eu le temps, en seulement quarante-cinq (45) minutes, de bien connaître ses clients, de poser toutes les questions pertinentes, d’expliquer les produits qu’il proposait, d’obtenir l’accord des clients, de s’assurer qu’ils comprenaient bien les produits proposés et de leur faire signer les formulaires requis.

[27]        Il est donc invraisemblable, comme le prétend l’intimé, qu’il ait remis et expliqué les illustrateurs des versements de quatre (4) produits différents (pièces I-8 à I-11). Il aurait plutôt, tel que mentionné par les consommateurs à l’enquêteur, remis seulement l’illustrateur de trésorerie du produit qu’il avait l’intention de leur proposer (pièce P-7).

[28]        Le courriel du 21 janvier 2009 (pièce P-11), dans lequel l’intimé a écrit: « When I met the client there was no clear picture on what the client wanted » démontre que lorsqu’il a rencontré les consommateurs, il n’avait pas une connaissance complète de leur situation.

[29]        L’intimé ignorait le type d’investissements que les consommateurs détenaient ailleurs alors qu’il s’agit d’une information qui aurait été hautement importante à obtenir pour établir le profil d’investisseur des clients.

[30]        Les deux (2) formulaires d’ouverture de compte de juillet 2008 sont en tous points identiques aux formulaires antérieurs alors qu’il y a eu des changements majeurs dans leur situation depuis 2002, soit la vente de leur maison et un besoin de liquidité anticipé. Cela laisse supposer que l’intimé a fait du « copier-coller ».

[31]        Ce n’est pas parce qu’il exécutait un mandat précis ou restreint que le représentant était dispensé de bien connaître ses clients et de préparer des profils complets.

[32]        Les représentants doivent, dans un profil d’investisseur, consigner par écrit les besoins et objectifs de placement du client, sa situation financière, ses revenus, son bilan, sa tolérance au risque, sa connaissance en matière de placements et son horizon de placement. Ils ne peuvent faire leur travail de conseil correctement s’ils n’ont pas établi au préalable le profil d’investisseur du client.

[33]        Elle conclut en disant que la preuve démontre clairement qu’il n’y a pas eu de profils d’investisseur établi en bonne et due forme lors des investissements dans le présent dossier.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[34]        Le procureur de l’intimé a souligné au comité que la plaignante a pris trois ans et demi (3 ½) avant de déposer la présente plainte disciplinaire.

[35]        Il a rappelé que les consommateurs n’ont pas été entendus, donc que le témoignage de l’intimé est non-contredit.

[36]        Il a indiqué que peu importe le nom donné au formulaire - ouverture de compte, « KYC » ou profil d’investisseur - il s’agit de la même chose.

[37]        Il a soulevé une contradiction flagrante dans la position de la plaignante puisque d’une part, en retirant les chefs 3 et 4 de la plainte, elle reconnait que les investissements étaient appropriés et bien expliqués et d’autre part, elle prétend que l’intimé ne connaissait pas ses clients.

[38]        La détermination du risque qualifié de modéré a été faite lors de la rencontre avec les clients après discussions, ce qui explique l’absence d’écrit à ce sujet.

[39]        Il n’y avait aucune obligation légale de recueillir d’autres informations que celles prévues au document d’ouverture de compte.

[40]        L’obligation légale à ce sujet était prévue à l’article 57 de l’Instruction générale québécoise Q-9, Courtiers, conseillers en valeurs et représentants (« Instruction Q-9 ») et l’intimé s’y est conformé.

RÉPLIQUE DE LA PLAIGNANTE

[41]        La procureure de la plaignante a répliqué que le retrait des chefs 3 et 4, pour défaut de preuve, ne constituait en aucun cas admission concernant la convenance des produits.

[42]        L’intimé a vendu un produit pour répondre à une demande spécifique de rendement des consommateurs sans établir leurs profils d’investisseurs.

[43]        La Chambre de la sécurité financière exerce sa compétence sur les représentants en épargne collective et l’Instruction Q‑9 ne s’applique pas en l’instance.

[44]        Enfin, suite à une demande du comité, la procureure de la plaignante a indiqué qu’elle ne retenait que l’article 3 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (le Règlement) comme disposition de rattachement sous chacun des chefs 1 et 2, ajoutant qu’elle suggère un arrêt des procédures concernant les autres dispositions.

 

ANALYSE

[45]        La plainte disciplinaire reproche à l’intimé, pour chacun des consommateurs :

« [d’avoir] fait défaut de connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement de son client en n’établissant pas son profil d’investisseur avant de lui conseiller d’investir son capital de 125 000$ » (chefs 1 et 2)

[46]        La Cour d’appel dans l’arrêt Tremblay c. Dionne[2] nous enseigne que :

« […] les éléments essentiels d'un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions du code de déontologie ou du règlement qu'on lui reproche d'avoir violées (Fortin c. Tribunal des professions, [2003] R.J.Q. 1277, paragr. [136] (C.S.); Béliveau c. Comité de discipline du Barreau du Québec, précité; Béchard c. Roy, précité; Sylvie POIRIER, précitée, à la p. 25). »

[47]        Les chefs se fondent sur l’article 3 du Règlement qui se lit ainsi :

« Le représentant doit s'efforcer, de façon diligente et professionnelle, de connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement du client. Les renseignements qu'il obtient d'un client doivent décrire cette situation ainsi que l'évolution de celle-ci. »

[48]        À l’égard de la présente plainte disciplinaire, la preuve de la plaignante repose essentiellement sur les pièces produites car le seul témoin qu’elle a fait entendre, l’enquêteur, ne pouvait apporter qu’une preuve par ouï-dire sur ce que les clients lui avaient dit et cette preuve n’a pas été admise.

[49]        Cette preuve a toutefois été déclarée suffisante par le comité lorsque l’intimé a présenté une requête verbale en rejet de plainte pour insuffisance de preuve. Il est apparu au comité que la plaignante avait apporté une preuve qui pouvait mener à une déclaration de culpabilité. Plus précisément, le comité considérait que les pièces produites et plus particulièrement les formulaires d’ouverture de compte (pièces I-12 et I-13) pouvaient mener à la conclusion que l’intimé ne s’était pas conformé à ses obligations déontologiques de connaître la situation financière et personnelle des clients.

[50]        Puis, après avoir entendu la preuve dans son ensemble, le comité arrive à la conclusion que l’intimé ne s’est pas conformé à son obligation déontologique.

[51]        En effet, il ressort d’une façon prépondérante de la preuve :

         que préalablement à la seule rencontre qu’il a eue avec les clients, l’intimé s’est contenté uniquement de la vérification des données de la RBC à leur sujet et d’un échange d’information avec Mme Brisebois;

         qu’il n’avait aucune information écrite dans son dossier autre que les formulaires d’ouverture de compte;

         que l’intimé a « copié-collé » les informations figurant aux formulaires d’ouverture de compte déjà existant aux dossiers des clients sans prendre le temps de refaire l’exercice complet avec eux :

o   concernant Madame D.L., le comité constate qu’il a repris mots pour mots les informations apparaissant au formulaire d’ouverture de compte complété par sa collègue Madame Patricia Giancola le 19 juin 2007 (pièce I-24), y compris la réponse « non » à la question sur le droit d’effectuer des opérations pour le compte, par des tiers, alors qu’une procuration existait depuis le 6 juin 2002 (pièce I-1);

o   concernant Monsieur J.G.L, il a repris mots pour mots les informations figurant aux formulaires d’ouverture de compte datés du 18 juin 2002 et du 28 janvier 2005 complétés par sa collègue Madame Lise Roy (pièces I-21 et I-22) et le formulaire daté du 18 mars 2008 complété par sa collègue Mme Brisebois (pièce I-23), allant même jusqu’à reprendre, en juillet 2008, la réponse à une question au sujet d’un remboursement anticipé « incertain » qui est une variante apparue au formulaire de mars 2008 alors que pour Madame D.L. la réponse au remboursement anticipé était « probable »;

         qu’il a indiqué d’une façon approximative la valeur nette des clients et leur revenu annuel et qu’on ne sait pas comment il est arrivé à ces montants;

         qu’il s’est contenté d’obtenir des renseignements généraux sur leurs placements détenus ailleurs, autant avant que pendant la rencontre du 3 juillet 2008;

         qu’il a surtout axé sa rencontre sur la vente de produits;

         qu’il s’est fié uniquement sur leurs expériences passées de placements pour évaluer leur tolérance aux risques, qu’il a qualifié de risque modéré dans le cadre d’un rendement modéré. Or, écrite peu de mois après, la plainte des clients à la RBC (pièce P-2) démontre qu’ils avaient une faible tolérance aux risques.

[52]        L’argument principal de l’intimé est qu’il a bien conseillé les clients puisqu’il leur a fait souscrire un produit qu’il leur convenait. Or, selon le comité, la question ici n’est pas de savoir si le produit en question leur convenait mais bien de savoir si l’intimé a cherché, de façon diligente et professionnelle, à connaître leur situation financière et personnelle.

[53]        Un autre argument de l’intimé était qu’il exécutait un mandat restreint (investir la somme de 250 000 $ plutôt que tous les avoirs des clients) et qu’en conséquence son obligation de connaître son client était limitée. Or, de l’avis du comité, l’article 3 du Règlement ne fait pas une telle distinction.

[54]        Enfin, l’intimé a aussi argumenté qu’il s’était conformé à l’article 57 de l’Instruction Q‑9 et que ce faisant il avait rempli son obligation de connaître son client. De l’avis du comité, même si l’article 57 pouvait s’appliquer, il ne dispensait pas l’intimé de son obligation de se conformer à l’article 3 du Règlement.

[55]        Le comité constate d’ailleurs que l’intimé ne se serait pas conformé au paragraphe 7 de l’article 57 de l’Instruction Q-9 qui lui imposait de connaître l’avoir net du client et son revenu annuel.

[56]        Pour les raisons mentionnées plus haut, le comité en conclut que l’intimé a failli à son obligation de connaître, de façon diligente et professionnelle, la situation financière et personnelle des clients et il sera déclaré coupable sous les chefs 1 et 2.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

DÉCLARE l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 3 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières sous les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 2 de la plainte;

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, ainsi que 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières sous les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 2 de la plainte;

AUTORISE le retrait des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 3 et 4 de la plainte;

CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

 

 

(s) Jean-Marc Clément________________

Me Jean-Marc Clément

Président du comité de discipline

 

 

(s) Yvon Fortin_______________________

M. Yvon Fortin, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Gabriel Carrière___________________

M. Gabriel Carrière, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Valérie Déziel

 

Bélanger Longtin, s.e.n.c.r.l.

 

Procureurs de la partie plaignante

 

 

 

Me Robert J. Torralbo

 

Blake, Cassels & Graydon, s.e.n.c.r.l.

 

Procureurs de la partie intimée

 

 

 

Dates d’audience :

16 et 17 septembre 2013

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 


Chambre de la sécurité financière c. Scurti

2015 QCCDCSF 59

 

COMITÉ DE DISCIPLINE

 

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N°:

CD00-0901

 

 

 

DATE :

15 juillet 2015

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

LE COMITÉ :

Me Jean-Marc Clément

Président

 

M. Yvon Fortin, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Gabriel Carrière, Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

 

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière;

 

Partie plaignante

 

c.

 

CLAUDIO SCURTI, représentant de courtier en épargne collective et planificateur financier (numéro de certificat 130616 et numéro de BDNI 1633471);

 

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR SANCTION

 

______________________________________________________________________

 

[1]      Le 5 mai 2015, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s’est réuni aux bureaux de la Commission des lésions professionnelles au 500 boulevard René-Lévesque Ouest, 18e étage, Montréal, afin de procéder à l’audition sur sanction suite à la décision rendue le 28 octobre 2014 déclarant l’intimé coupable des chefs d’infraction suivants :

1.    Dans la région de Montréal, le ou vers le 3 juillet 2008, l’intimé a fait défaut de connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement de son client J.G.L. en n’établissant pas son profil d’investisseur avant de lui conseiller d’investir son capital de 125 000 $ dans le fonds « Solution de versement gérée RBC-Évoluée Plus » auprès du Fonds d’investissements Royal Inc., contrevenant ainsi  aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 3, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r. 1.1.2).

 

2.    Dans la région de Montréal, le ou vers le 3 juillet 2008, l’intimé a fait défaut de connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement de sa cliente D.L en n’établissant pas son profil d’investisseur avant de lui conseiller d’investir son capital de 125 000 $ dans le fonds « Solution de versement gérée RBC-Évoluée Plus » auprès du Fonds d’investissements Royal Inc., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), ainsi que 3, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1).

 

 

DÉROULEMENT DE L’AUDITION

[2]   Me Valérie Déziel et Me Robert Torralbo représentaient respectivement la plaignante et l’intimé.

[3]   L’intimé était absent.

[4]    Aucun témoin n’était présent ou n’a été entendu.

[5]   Seules des représentations sur sanction furent soumises.

REPRÉSENTATIONS SUR SANCTION

[6]   Me Déziel débuta en énonçant les suggestions communes de sanctions proposées soit une amende de 5 000 $ sous le chef 1 et une réprimande sous le chef 2.

[7]   Elle procéda ensuite à énumérer les facteurs atténuants et aggravants considérés par la plaignante.

[8]   Facteurs atténuants :

         Il s’agit d’un acte isolé;

         Cet acte ne vise qu’un seul compte;

         Aucune intention malicieuse n’a été constatée;

         L’intimé n’a aucun antécédent disciplinaire;

         L’intimé présente un risque de récidive faible.

[9]   Facteurs aggravants :

         L’intimé n’a jamais reconnu sa faute et il aurait dû plaider coupable;

         L’intimé a commis une infraction grave car elle va au cœur de l’exercice de la profession;

         Les clients étaient des gens vulnérables;

         L’intimé n’a manifesté aucun remords.

[10]     Pour appuyer les suggestions communes, la plaignante remit au comité deux décisions du Comité de discipline de la Chambre de la sécurité Financière, soit celle de Beaudoin et de Tremblay[3].

[11]     Me Torralbo énonça quant à lui les facteurs atténuants suivants :

         La plaignante n’a pas fait la preuve de préjudice subi par les clients;

        L’intimé n’a obtenu aucun avantage financier.

[12]    Il demanda ensuite à ce que le comité prononce une ordonnance de sursis d’exécution de 30 jours, soit pour la période de temps allouée au dépôt d’un avis d’appel s’appuyant sur les articles 156 et ss. du Code des professions, RLRQ, chapitre C-26.

[13]     Une semaine suivant l’audition, le 12 mai 2015, le comité reçut une lettre de
Me Déziel dans laquelle elle écrit que ces articles ne s’appliquaient pas et qu’il fallait plutôt appliquer les articles 115.16 et suivants de la Loi sur l'Autorité des marchés financiers (chapitre A-33.2), ci-après «  LAMF »  et ce, en vertu de l’article 379 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, RLRQ, chapitre. D-9.2.

[14]     Le 13 mai 2015, Me Torralbo répondit à Me Déziel.  Dans sa lettre, il se dit d’accord avec Me Déziel concernant l’application de l’article 115.21 de LAMF, toutefois il ajoute que les articles 156 et ss. du Code des professions s’appliquent également comme le prévoit l’article 376 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers. Il souligne que l’article 158 du Code des professions prévoit que la décision du conseil de discipline est exécutoire à l’expiration des délais d’appel à moins que, sur demande du plaignant, le conseil n’en ordonne l’exécution provisoire nonobstant appel. Plus spécifiquement, Me Torralbo écrit et nous le citons :

« Le professionnel devra toutefois demander la suspension de l’exécution provisoire (si non déjà accordée par le Comité de discipline) avant la fin du délai d’appel afin d’empêcher son exécution jusqu’au jugement sur l’appel ».  

[15]     En d’autres mots, ce que Me Torralbo nous dit c’est que dans le cas où l’exécution provisoire n’a pas été accordée, le professionnel peut faire une demande de sursis d’exécution. C’est d’ailleurs ce qu’il demande au comité.

MOTIFS ET DISPOSITIF

DEMANDE DE SURSIS D’EXÉCUTION

[16]     Avant de traiter de la teneur de la sanction, le comité traitera de cette demande de l’intimé, dont le but avoué est de faire en sorte qu’il n’ait pas à payer l’amende imposée par le comité advenant le dépôt d’un appel.

[17]     L’intimé détient un certificat dans les disciplines de planification financière et de courtage en épargne collective et est en conséquence assujetti aux dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, RLRQ, c. D-9.2.

1. Sont des représentants, le représentant en assurance, l'expert en sinistre et le planificateur financier.

[18]     L’article 376 de cette loi prévoit ce qui suit :

376. Les dispositions du Code des professions (chapitre C-26) relatives à l'introduction et à l'instruction d'une plainte ainsi qu'aux décisions et sanctions la concernant, à l'exclusion du paragraphe c du premier alinéa de l'article 156 de cette loi, s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux plaintes que reçoit le comité de discipline[4].

Le comité peut imposer une amende d'au moins 2 000 $ et d'au plus 50 000 $ pour chaque infraction. Dans la détermination de l'amende, le comité tient compte du préjudice causé aux clients et des avantages tirés de l'infraction.

 

1998, c. 37, a. 376; 2009, c. 58, a. 65.

 

[19]     L’article 158 du Code des professions prévoit ce qui suit :

158. La décision du conseil de discipline imposant une sanction prévue au premier alinéa de l’article 156 est exécutoire à l’expiration des délais d’appel ……à moins que, sur demande du plaignant, le conseil n’en ordonne l’exécution provisoire nonobstant appel, dès sa signification à l’intimé.

[20]     Par ailleurs, l’article 379 de la LDPSF prévoit :

 379. Il y a appel devant la Cour du Québec de toute décision rendue par le comité de discipline.

 

Toutefois, si une sanction doit être imposée, la décision ne peut faire l'objet d'un appel que lorsque cette sanction est imposée.

 

Les articles 115.16 à 115.22 de la Loi sur l'Autorité des marchés financiers (chapitre A-33.2) s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, à un tel appel.

 

[21]     Enfin l’article 115.21 de LAMF prévoit ce qui suit :

115.21. L'appel ne suspend pas l'exécution de la décision contestée, à moins que le Bureau ou un juge de la Cour du Québec n'en décide autrement.

 

2009, c. 58, a. 45.

[22]     Me Torralbo interprète a contrario l’article 158 du Code des professions en avançant que si la plaignante ne fait pas une demande d’exécution provisoire, la décision du comité de discipline ne sera pas exécutoire à l’expiration du délai d’appel si l’intimé loge un appel.

[23]     Me Torralbo a effectivement raison de dire que les dispositions du Code des professions s’appliquent en matière de sanction, car ce n’est que le montant des amendes qui a été exclu de l’application des dispositions du Code des professions selon l’article 376 de LDPSF.

[24]     Toutefois, le libellé de l’article 115.21 de la LAMF est clair et son application doit être favorisée à une interprétation a contrario de l’article 158 du Code des professions.

[25]     L’intimé devra  s’adresser à la Cour du Québec s’il veut suspendre l’exécution de la décision.

SUGGESTIONS COMMUNES

[26]     En présence de suggestions communes, le rôle du comité se limite à valider si celles-ci ne sont pas inappropriées, déraisonnables, contraires à l’intérêt public ou de nature à discréditer l’administration de la justice. C’est le test que la Cour d’appel dans l’arrêt R. c. Douglas[5] et le Tribunal des professions dans Malouin c. Notaires[6] nous disent d’appliquer.

[27]     Le comité est d’avis que les sanctions communes suggérées sont conformes aux précédents de la Chambre de la sécurité financière en général et aux décisions soumises par la procureure de la plaignante.

[28]     Dans l’affaire Beaudoin, l’intimé avait été reconnu coupable d’avoir fait défaut de mettre à jour un profil d’investisseur compte tenu des modifications apportées au portefeuille de son client et a été condamné au paiement d’une amende de 5 000 $.

[29]     Dans l’affaire Tremblay, l’intimé avait été reconnu coupable de ne pas avoir  préparé un profil investisseur au moment d’un placement qu’il avait effectué au nom de son client. Il l’avait préparé quatre mois plus tard. Le comité a donné suite aux suggestions communes et a imposé au représentant une amende de 5 000 $. Le comité imposa une réprimande sur le deuxième chef car il s’agissait de la même infraction commise mais en regard du conjoint du client visé par le premier chef.

[30]     De plus, des facteurs soumis, le comité retient qu’il s’agit d’un acte isolé d’un représentant d’expérience (16 ans, attestation de droit de pratique pièce P-1) et qu’il n’a aucun antécédent disciplinaire, mais ne retient pas qu’il n’a pas plaidé coupable à la première occasion et qu’il n’a pas eu de remords. La bonne foi de l’intimé n’est pas en cause ici. 

[31]     L’imposition d’une amende de 5 000 $ sous le chef 1 et d’une réprimande sous le chef 2 ne sont donc pas inappropriées, déraisonnables, contraire à l’intérêt public ou de nature à discréditer l’administration de la justice et en conséquence le comité donnera suite aux suggestions communes soumises.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

REJETTE pour défaut de juridiction, la demande de suspension d’exécution de la présente décision;

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $ sous le chef 1;

IMPOSE à l’intimé une réprimande sous le chef 2;

CONDAMNE l’intimé au paiement des débours conformément aux dispositions de  l’article 151 du Code des professions (RLRQ., chapitre C-26).

 

 

 

 

_(s) Jean-Marc Clément_______________

Me Jean-Marc Clément

Président du comité de discipline

 

 

_(s) Yvon Fortin______________________

M. Yvon Fortin, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

_(s) Gabriel Carrière__________________

M. Gabriel Carrière, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Valérie Déziel

 

Bélanger Longtin, s.e.n.c.r.l.

 

Procureurs de la partie plaignante

 

 

 

Me Robert J. Torralbo

 

Blake, Cassels & Graydon, s.e.n.c.r.l.

 

Procureurs de la partie intimée

 

 

Date d’audition 

5 mai 2015

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 

 



[1] Ce placement est composé d’encaisse à 2,5 %, de revenu fixe à 36,3 %, d’actions canadiennes à 43,7 %, d’actions américaines à 17,4 % et d’actions internationales à 0.2 % (pièce I-17).

[2] 2006 QCCA 1441.

[3] Thibault c. Beaudouin, CD00-0765, décision sur culpabilité datée du 18 mars 2011 et décision sur sanction datée du 3 février 2012, Champagne c. Tremblay, CD00-0945, décision sur culpabilité et sanction datée du 26 juin 2013.

 

[4] Le paragraphe c) concerne le montant de l’amende qui doit être d’au moins 1 000 $ et d’au plus 12 500 $ pour chaque infraction. Or, en vertu du deuxième paragraphe de l’article 376, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière doit imposer une amende plus élevée.

[5] R. c. Douglas, (2002) 162 C.c.c. (3rd) 37.

[6] Malouin c. Notaires, 2002 QCTP 15.

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