Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Trottier c. Rioux

2013 QCCQ 10953

COUR DU QUÉBEC

Division administrative et d'appel

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

« Chambre civile »

 

 

 

No: 500-80-016222-102

 

 

 

DATE: 10 septembre 2013

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE DAVID L. CAMERON, J.C.Q.

____________________________________________________________________

MARC-ANDRÉ TROTTIER

Appelant (Intimé)

c.

Me MICHELINE RIOUX

Intimée (Plaignant)

Et

LE COMITÉ DE DISCIPLINE DE LA

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

Mise en cause

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

I.            Introduction

[1]              Le Tribunal est saisi de l'appel de la décision sur sanction rendue le 22 mars 2010 par le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, présidée par Me François Folot (le « Comité »).

[2]               La décision sur sanction suivait la décision sur culpabilité du 14 juillet 2009 du même Comité, selon laquelle l’Appelant, monsieur Marc-André Trottier, conseiller en sécurité financière et conseiller en assurances et rentes collectives, a été déclaré coupable sur les deux chefs d'accusation de la plainte ainsi libellée:

1.    À Marieville, le ou vers le 25 juin 2005, l’Intimée MARC-ANDRÉ TROTTIER, alors qu’il faisait souscrire à sa cliente, Martine Aubut, une proposition d’assurance-vie auprès de la compagnie Transamerica, portant le numéro 080470068, a fait défaut de procéder à une analyse des besoins financiers de sa cliente au moment de la souscription et, ce faisant, a contrevenu aux articles 6 et 22 (1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants ainsi que l’article 27 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

2.    À Vaudreuil-Dorion, le ou vers le 26 juillet 2005, l’Intimée MARC-ANDRÉ TROTTIER, a contrefait ou incite un tiers à contrefaire la signature de sa cliente, Martine Aubut, sur un document de la compagnie Transamerica intitulé «Supplément à la proposition d’assurance Vie Universelle» et, ce faisant, l’Intimée a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière ».

[3]               L'appel de la décision sur culpabilité a été rejeté, comme tardif, par une décision de l'Honorable Jean F. Keable, JCQ, le 30 avril 2010, confirmée par la Cour d'appel le 4 octobre 2011[1].

[4]               Dans la décision sur sanction, le Comité a imposé, sur le chef numéro 1, une condamnation au paiement d'une amende de 3 000 $, et sur le chef numéro 2, l'ordonnance de radiation temporaire de l’Appelant pour une période de cinq mois, le tout avec publication de l'avis de la décision et condamnation de l’Appelant au paiement des déboursés.

[5]               L’Appelant demande au Tribunal d'infirmer la décision sur sanction de substituer aux sanctions imposées quant aux deux chefs des réprimandes, et de n'adjuger aucun déboursé.

 

II.           Motifs d'appel

[6]               Aux termes de son inscription en appel, l’Appelant soulève trois erreurs qu'il qualifie « d'erreurs de droit et de faits assimilables à des erreurs de droit et mixtes, de fait et de droit » que nous résumons en nos propres mots ainsi:

A.           La radiation de cinq mois constitue, par ses conséquences, une peine d'une cruauté telle qu'elle équivaut à une radiation permanente, ce qui est  sans aucune mesure avec les chefs d'infractions disciplinaires.

B.           Le Comité de discipline a erré en considérant l’Appelant en situation de récidive, mettant de côté la preuve voulant que le plaidoyer de culpabilité enregistré pour une situation similaire en 2009 n'était pas réellement une admission de faute. L’Appelant, un non-juriste, avait alors suivi les conseils juridiques de son avocat de plaider coupable pour éviter les frais et les risques d'un long procès.

C.           Le Comité de discipline a erré en ne respectant pas les délais pour rendre jugement.

[7]               Dans son mémoire, l’Appelant résume les questions en litige comme suit: 

[…]

1.    La décision sur sanction imposant une période de radiation constitue-t-elle une sanction juste et raisonnable?

2.    Les droits de l’Appelant à être jugé dans un délai raisonnable ont-ils été bafoués? Les règles de justice fondamentale, de justice naturelle et d’équité de l’instance disciplinaire ont-elles été irrémédiablement entachées?

3.    La décision sur sanction est-elle révisable par cette honorable Cour? […]

 

[8]               Les moyens invoqués quant à ces questions en litige se résument dans le mémoire en deux points:

[…]

L’Appelant allègue que le Comité a erré dans l’appréciation des faits et du droit, et invoque des erreurs de droit, de faits assimilables à des erreurs de droit et mixtes de faits et de droit, en ce que:

A) Le Comité a rendu une décision sur sanction disproportionnée, excessive, déraisonnable ou injuste eu égard aux circonstances et à la gravité des gestes reprochés;

B) Le Comité a rendu des décisions dans un contexte qui ne respecte pas
les règles de justice fondamentale, de justice naturelle et d’équité de l’instance disciplinaire; […]

 

 

 

 

III.          Normes de contrôle

[9]               Les parties conviennent que la jurisprudence ne laisse place à aucun doute, que la justesse de la sanction doit être analysée en fonction de la norme de la décision raisonnable.

[10]            Par contre, l’Appelant soutient que lorsqu'il fait appel au non respect des règles de justice naturelle ou de justice fondamentale, il n'y a pas lieu d'appliquer une norme de contrôle. En d'autres mots, une décision qui est formulée sans avoir respecté les règles de justice naturelle ou de justice fondamentale est révisable, selon la norme de contrôle de la décision correcte. Nous reviendrons sur cette question lors de l’analyse.

 

IV.          Arguments pour la décision raisonnable, partie A des motifs invoqués

[11]            Dans son argumentation, l’Appelant précise davantage les éléments dont le Comité de discipline n'aurait pas tenu compte suffisamment. Nous reprenons ces éléments en les regroupant, pour en simplifier la lecture, sous quatre thèmes de notre propre rédaction.

 

1. Facteurs de gravité objectifs intrinsèques aux infractions

[12]            L’Appelant invoque:

-       Qu'il avait effectivement procédé à se prêter à l'exercice de la situation financière de l'assuré, même si un nouveau document n'avait pas été adressé, utilisant de fait l'ancien document qui n'aurait comporté aucune modification;

-       Que les fautes alléguées n'avaient eu aucun impact ni causé aucun dommage à l'assuré.

 

2. Facteurs de valeur personnelle de bonne conduite et de réhabilitation.

[13]            L’Appelant soutient en outre :

-       Que l’Appelant avait perfectionné sa pratique en adoptant une politique de conformité après les gestes reprochés en 2005, tout en perfectionnant ses certifications;

-       Que l'homme devant le Comité n'était plus le même en 2010 que cinq ans plus tôt, lors de la commission de l'infraction, et que son évolution était positive cinq ans plus tard, alors qu'il était devant le Comité;

-       Qu'il avait suivi des formations supplémentaires aux formations exigées par conscience professionnelle, soucieux de bien servir ses clients;

-       Qu'il avait un taux de conservation de ses clients de plus de 90 %, indiquant un degré de satisfaction important de sa clientèle en lien avec les valeurs spécifiques de cette industrie;

-       Qu'il n'avait aucune autre plainte depuis 2005;

-       Qu'il avait beaucoup donné à la société en participant à de nombreuses émissions d'informations publiques sur les produits d'assurance;

-       Qu'il avait près de 25 années de pratique et qu'il bénéficiait d'une réputation enviable;

-       Que l'affaire intérieure de récidive alléguée avait été réglée par un plaidoyer de convenance sur l'avis du conseiller juridique de l'époque, et qu'en conséquence, l'impact de la récidive devait être amoindri.

 

3. L'impact de la décision sur sa vie et la viabilité de sa pratique

[14]                L’Appelant rappelle:

-       Qu'il avait à sa charge plusieurs employés et personnes rattachées, et qu'une période de radiation le conduirait à probablement terminer définitivement ses opérations;

-       Qu’il avait déjà beaucoup payé à cause de la publicité qui avait été faite par l'autorité des marchés financiers, suivant la décision sur culpabilité avant l'expiration des délais d'appel de ladite décision;

-       Qu'il était déjà sévèrement puni, du fait de l'intervention de l'autorité des marchés financiers, suivant la décision sur culpabilité;

-       Qu'il était déjà très sévèrement sanctionné à cause de la publicité de l'autorité des marchés financiers, ce qui a amené la compagnie d'assurances Empire-vie à résilier son contrat d'affaires avant l'expiration des délais légaux d'appel;

-       Qu'il était donc déjà jugé de façon parallèle par l'industrialisation, et de façon supplémentaire par l'autorité des marchés financiers;

-       Qu'il avait des personnes à charge financière (conjoint et enfants).

 

4. L’impact additionnel du délai

[15]            L’Appelant rappelle:

-       Que près de cinq années s'étaient déjà écoulées depuis la commission des infractions, et que le long délai écoulé depuis le dépôt des deux chefs d’infraction constituait une peine supplémentaire.

[16]            En soulevant ces éléments particuliers à son cas, l’Appelant prétend que le Comité aurait dû individualiser sa sanction, en reconnaissant un assouplissement majeur et significatif de la sanction dans le « rapport circonstances-gravité objective ».

[17]            L’Appelant prétend que le Comité a plutôt choisi une peine qui le punissait, sans considérer son droit d'exercer sa profession, et que les critères d'exemplarité et de dissuasion étaient assurés par le seul écoulement des délais procéduraux de rendre la décision sur culpabilité et sur sentence.

 

V.           Arguments pour les règles de justice naturelle, etc., partie B des motifs invoqués

[18]            Au chapitre des règles de justice fondamentale, de justice naturelle et d'équité de l'instance disciplinaire, l’Appelant soutient que le fait de rendre la décision sur sanction près de cinq années après la commission des infractions, près de quatre années suivant le début de l'enquête et deux années et demie suivant le dépôt de la plainte disciplinaire étaient des éléments dont le Comité devait tenir compte avant d'imposer une sanction substantielle. Ainsi, il prétend que le Tribunal serait justifié d'intervenir pour alléger les sanctions, puisque les délais supportés dans cette affaire sont de nature à porter atteinte au système de justice et au principe d'une justice de haute qualité.

[19]            Aussi, l’Appelant invoque le délai de rendre la décision sur sanction comme un facteur qui a fait qu’il institue son appel tardivement, tel qu’en fait foi le jugement de l'honorable Jean-F. Keable, J.C.Q.

[20]            Il prétend que « cette seule situation délicate constitue une situation d'exception qui autorise » le Tribunal à intervenir pour réduire la sanction.

[21]            En effet, il prétend qu'en agissant selon la pratique d'usage, il a formulé son appel sur culpabilité après la décision sur sanction, ce qui l'a placé dans une sorte de « trappe » où il n'a pas eu le bénéfice de l'appel de plano, un appel où le juge possède un pouvoir de « vérification » de la décision. Ainsi, l’Appelant n'aurait pas eu les bénéfices de la justice fondamentale.

[22]            Ayant porté la cause devant la Cour d'appel, l’Appelant prétend avoir joué un rôle dans l'évolution du droit pour le bénéfice de l'industrie, et que, pour cette raison, la Cour du Québec devrait intervenir au niveau des dépens.

 

V.           ANALYSE

Analyse de la démarche décisionnelle, partie A des motifs invoqués

[23]            Il ne s'agit pas, pour le Tribunal, de rendre sa propre décision sur sanction, mais plutôt de vérifier la démarche décisionnelle du Comité.

[24]            À la lecture de la décision, on remarque d'emblée que le Comité reproduit, sous le titre « Représentations de l’Intimée », aux paragraphes 20 à 35, un ensemble des points soulevés par l’Appelant. On y retrouve de façon substantielle les points qu’il a énumérés dans le mémoire que nous avons reproduit ci-haut.

[25]            Dans son chapitre « MOTIFS ET DISPOSITIF », le Comité fait un travail d'analyse, pour juxtaposer plusieurs de ces éléments favorables à l’Appelant aux facteurs justifiant une approche moins clémente.

[26]            La méthodologie ne semble pas, à première vue, manquer de rigueur. Le Comité devait chercher un équilibre entre, d’une part, le besoin de dissuasion et de protection du public, et d’autre part, les circonstances atténuantes, toujours en tenant compte de la gravité des fautes déontologiques et les éléments extrinsèques, tels les antécédents de l’Appelant et sa conduite subséquente.

[27]            Lorsqu'on s'attarde sur la substance de l'analyse du Comité, on constate que ce dernier tient compte aussi des buts recherchés par la législation pour chaque infraction et se laisse guider par des principes dont l’Appelant n'a pas réussi à démontrer l'application inappropriée.

[28]            Au sujet de l'amende de 3,000 $ imposée au premier chef, la référence que fait l’Intimée dans son mémoire aux affaires Haddaoui[2], Amar[3], Jean[4], Girard[5] et Berry[6], confirme que cette amende se trouve dans la « fourchette » des sanctions imposées selon les précédents.

[29]           En ce qui concerne le deuxième chef, tant les précédents invoqués par les intimés, Tedeschi[7], Jean[8], Biduk[9] et Paquin[10] que l'affaire Chacon[11] soulevée par l’Appelant démontrent qu'il n'y a rien d'anormal dans une sanction de cinq mois de radiation temporaire.

 

Le problème de l’impact de la décision sur la vie et la pratique de l’Appelant

[30]           L’Appelant insiste sur l'impact de la décision, surtout sur la viabilité de sa pratique comme courtier, au point de dire que la radiation aurait des effets catastrophiques sur la survie de son entreprise et les emplois qui en dépendent.

[31]           L’Intimée soutient dans son exposé, au paragraphe 58, page 16, qu'aucune preuve concrète n'a été soumise à cet effet.

[32]           La décision sur sanction ne traite pas spécifiquement et en détail de cet aspect de la présentation de l’Appelant, sauf les passages suivants:

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉE

[20] L’Intimée, par l’entremise de son procureur, déclara d’abord que si le comité devait donner suite aux suggestions de la plaignante et procéder à la radier temporairement, son cabinet (Infoligne) devrait cesser ses opérations.

[…]

[30] Il invoqua que la décision du Comité le déclarant coupable des infractions reprochées avait déjà eu beaucoup d’impact sur sa carrière. Il souligna que ladite décision avait été rapportée ou décrite sur le site Internet de l’AMF ou dans l’un de ses bulletins, ce qui avait notamment amené l’assureur Empire à mettre fin à sa relation d’affaires avec lui.

[31] Il réitéra que s’il devait être radié pour dix-huit (18) mois et être ainsi empêché d’exercer, son cabinet devrait cesser ses activités, ce qui aurait des conséquences majeures sur la vie de plusieurs personnes.

[32] Il mentionna que même s’il avait amplement « payé pour ses fautes », il n’était pas au bout de ses peines. Il mentionna la lettre que lui adressait (SI-1) l’AMF où il lui est demandé de se justifier suite à la décision rendue par le comité. Il déclara qu’il n’y avait donc pas lieu à s’acharner sur lui.

[…]

[37] Il termina en soulignant qu’il préférerait payer une amende plus élevée plutôt que de devoir débourser pour un remplaçant à son cabinet pendant une période de radiation, ajoutant que si le comité devait néanmoins conclure à l’imposition d’une sanction de radiation, celle-ci ne devrait certes pas dépasser trois (3) mois puisqu’il avait, à son avis, déjà été suffisamment « pénalisé » pour ses fautes.

 

[33]           Puisque le Comité ne donne pas plus de précisions sur la place de ses arguments dans son analyse, quoi qu’on comprend qu’on les a pesés dans la balance, il convient donc de considérer les arguments des parties à la lumière de la preuve présentée à l'audition sur sanction, et ce, dans le but de vérifier la qualité raisonnable de la décision qui n’a pas donné un poids déterminant à ce facteur.

[34]           Ayant lu les témoignages, le Tribunal constate, au chapitre des difficultés résultant dans les relations contractuelles avec les compagnies d'assurance, que la preuve ne peut établir concrètement en quoi différents types de sanctions auraient des effets différents en cas de décision sur culpabilité. La preuve consistait en le témoignage de monsieur Trottier, prétendant que ses contacts dans différentes compagnies d'assurances lui auraient dénoncé les difficultés contractuelles qui devaient arriver.

[35]           En plus d'être du ouï-dire, cette preuve ne permet pas de comprendre en quoi la réaction des compagnies d'assurance serait différente, en cas de réprimande, en cas d'amende ou en cas de radiation temporaire de différentes durées.

[36]           On ne peut donc prétendre que cette preuve avait une force probante pour établir des impacts précis des différentes options de sanctions qui se présentaient au Comité.

[37]           De plus, la preuve ne permettait pas de voir en quoi l’impact de la sanction sur l’Appelant serait différent de l'impact sur tout autre courtier faisant face à la même sanction. Il était donc difficile pour le Comité d'individualiser la sanction en fonction de la réaction des compagnies d'assurance.

[38]           Dans le cas, cependant, de l'assureur Empire-Vie, le Comité a entendu le témoignage de Sylvain Gagné[12], vice président des ventes. Ce témoignage établit que lorsque Empire-Vie est avisé par l'AMF d'une décision sur culpabilité comme celle dont l’Appelant est l'objet, une décision est prise à son bureau de Kingston. Le contexte indique que c'était une décision de résilier le contrat de représentation dont bénéficiait l’Appelant. En réponse à une question en contre-interrogatoire[13], le témoin n'était pas en mesure de dire si l'effet de cette décision serait permanent ou temporaire.  En réinterrogatoire, il a affirmé qu'il n'y a pas eu de discussion de réévaluation, mais chaque situation est différente, et si demande est faite, on va l'évaluer à ce moment-là.

[39]           Même ce témoignage, beaucoup plus spécifique du reste de la preuve sur la question, laisse ouverte la possibilité que la relation d'affaires pourrait être suspendue plutôt que terminée. Il ne permet pas de voir en quoi la situation de l’Appelant est pire ou meilleure que celle d'un autre courtier se trouvant dans les mêmes circonstances, et en quoi la sévérité de la sanction aura un effet sur le statut de l’Appelant auprès de l'Empire-Vie pendant et après une radiation temporaire.

[40]           L’Appelant a fait une preuve similaire au sujet des impacts réglementaires de ces entreprises face à l'autorité des marchés financiers (AMF).

[41]           En réponse à une question posée en contre-interrogatoire, il dit: 

Q.           O.K., vous êtes-vous informé auprès de l’AMF si advenant que vous seriez ra…, que vos permis seraient radiés là suite à la décision du Comité, est-ce que vous vous êtes informé des conséquences auprès de l’AMF pour vos compagnies, pour les deux (2) compagnies?

R.           Bien si je n’ai pas de permis, ça arrête les compagnies?

Q.           [180] Est-ce que vous pourriez vous trouver un remplaçant pour  les… être représentant de ces compagnies-là?

R.           Non. Un représentant? Si je n’ai pas de permis, je ne peux pas, je ne peux pas pratiquer, les compagnies ne peuvent plus continuer.

Q.           [181] O.K. Juste me dire, le SI-3, la politique de conformité,…

R.           Oui.

Q.           [182] En quelle année ça a été adoptée?

R.           Deux mille cinq (2005).

Q.           [183] Je n’ai pas d’autres questions.

 

[42]           Force est de constater que ce passage, même s'il semble confirmer la position proposée par l’Appelant, ne peut pas être considéré comme l'équivalent d'une véritable preuve d’opinion d’un expert sur les conséquences réglementaires de la décision sur culpabilité, et celles découlant de différents niveaux de sanction selon une gradation de sévérité.

[43]           Comme sur la question de la réaction des compagnies d'assurance,
il aurait été difficile pour le Comité de voir dans cette preuve une raison d'individualiser la sanction, pour tenir compte des différences de traitement de monsieur Trottier par rapport à un autre propriétaire d’entreprise de courtage qui se trouverait dans la même situation.

[44]           Finalement, les arguments quant aux charges sociales de l’Appelant au soutient de sa famille ainsi que les arguments concernant les conséquences qui pourraient arriver à ces employés étaient, de l'avis du Tribunal, quelque peu éloignés de l'exercice discrétionnaire dont le Comité devrait se charger. De plus, la preuve est démontrée que la plupart des personnes identifiées sur l'organigramme des entreprises étaient des travailleurs autonomes, qui ne seraient pas nécessairement affectés en cas d'une radiation temporaire de l’Appelant.

[45]           Encore une fois, la preuve ne permet pas d'établir en quoi ce genre de résultat indirect toucherait l’Appelant d'une manière plus sévère qu’un autre praticien qui se trouverait dans la même situation.

[46]           Alors, même si le Comité n'a pas expliqué de façon précise son analyse de cette preuve, le Tribunal est de l’avis que sa force probante était trop faible pour être considérée comme devant être déterminante dans les délibérations du Comité.

[47]           À ce chapitre, une analyse poussée ne permet pas de conclure que la décision est déraisonnable, dans le sens de ne plus être l’une des issues possible de l'ensemble des éléments que le Comité avait considérés.

La question de la récidive

[48]           Voici comment le Comité traite de la question de la récidive. Dans son résumé, le Comité reprend l’argument de l’Appelant:

[27] Par ailleurs, il mentionna que s’il avait été reconnu coupable en 2002 d’une infraction semblable à celle mentionnée au chef numéro 2 (relative à la contrefaçon de documents), c’est qu’il avait suivi alors les conseils de son avocat qui lui suggérait de mettre fin au dossier en enregistrant un plaidoyer de culpabilité de convenance.

 

[49]           Son analyse du poids de la récidive se dégage des paragraphes suivants:

[52] En l’espèce, les gestes de contrefaçon posés par l’Intimé ne comportaient aucune intention frauduleuse et ne semblent avoir eu aucune conséquence dommageable pour la cliente.

[53] Toutefois, ayant été préalablement reconnu coupable de contrefaçon et ayant eu à subir en conséquence une suspension de deux (2) mois de son droit d’exercice, l’Intimé ne pouvait, au moment où il a commis les gestes fautifs qui lui sont reprochés, ignorer l’importance de la règle interdisant tout geste de contrefaçon.

[54] Ainsi, considérant qu’il est confronté à une situation de récidive, le comité imposera à l’Intimé une radiation temporaire de cinq (5) mois sur ce chef.

[50]           Le Comité, selon ce raisonnement, ne considère pas les motifs du plaidoyer. Que le plaidoyer soit de convenance ou sincère, l’exercice d’avoir reçu des sanctions aurait dû sensibiliser l’Appelant à l’importance de la règle qu’il admettait avoir enfreint. C’est sûrement une issue possible de traiter la récidive de cette manière.

[51]           De toute façon, il nous semble que la simple affirmation de l’Appelant du caractère insincère de son plaidoyer est irrecevable en preuve. Le Comité est lié par le res judicata. Il ne saurait mettre de côté, de façon aussi sommaire, les effets du plaidoyer de culpabilité pour recevoir une preuve testimoniale voulant l’obscurcir.

[52]           En conclusion, donc, sur la partie A des motifs invoqués, le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’intervenir.

 

Les règles de justice naturelle, etc., partie B des motifs invoqués

[53]           L’Appelant regroupe plusieurs arguments sous ce chapitre. Les thèmes développés consistent en:

1)       Le délai causant préjudice;

2)       Le délai ayant l’impact de priver l’Appelant de son droit d’appel;

3)       La question des dépens.

Nous abordons maintenant ces trois thèmes.

 

1)           Le délai causant préjudice

[54]           L’Appelant présente l’argument sous forme d’erreur dans la démarche décisionnelle:

10. Le Comité n’aurait pas tenu compte, dans une mesure appropriée, du fait qu’il rendait sa décision sur sanction près de cinq (5) années après la commission des infractions, près de quatre (4) années suivant le début de l’enquête et de deux années et demie (2 ½) suivant le dépôt de la plainte disciplinaire.

[55]           D’emblée, la partie de cet argument qui touche à la période écoulée avant la clôture de l’audition sur sanction est irrecevable, n’ayant pas été soulevée au moment opportun lors de cette audition comme il a été démontré dans l’affaire Gamache c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des)[14] le Tribunal des professions a constaté l’absence de preuve de préjudice qui découle de l’omission de soulever la question.

[56]           De notre avis, en plus de démonter une absence de préjudice, cette omission a l’effet d’exclure la question du cadre des sujets que le Tribunal peut réviser, du point de vue de la démarche décisionnelle du Comité. Le Comité ne peut avoir erré dans l’omission de traiter un sujet que l’Appelant a lui-même omis de soulever.

[57]           Cependant, le délai entre la décision sur culpabilité (signifiée le 15 juillet 2009) et la décision sur sentence (signifiée le 23 mars 2010) est constitué de deux périodes distinctes: la période entre la décision sur culpabilité et l’audition sur sanction, et la deuxième période entre l’audition sur sanction et la décision sur sanction.

[58]           L’Intimée rappelle dans son mémoire (page 94) que lorsque la date a été convenue pour l’audition sur sanction, lors d’un appel conférence du 27 août 2009, le délai de 60 jours de l’article 150 du Code des professions expirait sous peu. L’Appelant a néanmoins accepté, sans protester, de fixer l’audition au 7 décembre 2009.

[59]           L’Appelant a donc accepté ce délai également.

[60]           Le Comité a pris la décision sur sanction en délibéré le 11 janvier 2010, et la décision du 22 mars a été signifiée le 23 mars 2010. 

[61]           Ce délai d’environ 70 jours n’est pas, en soi, très significatif par rapport au délai statutaire indicatif, surtout qu’il est court par rapport à tous les délais précédents que l’Appelant avait tolérés.

[62]           Pour le Comité, il aurait été normal de considérer que le délai à rendre la décision sur sanction n’était pas subjectivement préjudiciable à l’Appelant, s’il s’était posé la question.

[63]           Tout comme l’a écrit l’honorable Pierre Dalphond, alors juge à la Cour supérieure, dans l’affaire Shatner[15]:

42. Il faut donc retenir que cet arrêt insiste en matière disciplinaire, sur l’importance d’assujettir la sanction de la violation d’un droit en matière de délai à la constatation d’un préjudice, dont la preuve repose sur la personne objet de la plainte (Commissaire à la déontologie policière et al. C. Marc Bourdon et al. [2000] J.Q. n° 2963 C.A., paragr. 57 et 62).

43. Si ce principe s’applique entre le dépôt d’une plainte et la décision quant à la culpabilité, la période la plus critique pour un procès équitable et la plus chargée en termes de stress et d’incertitude pour le professionnel, sans parler de la publicité pouvant entourer la tenue de l’enquête par le comité de discipline, il ne saurait en être autrement une fois la déclaration de culpabilité prononcée, car au niveau de l’audience sur sentence et de son prononcé, la majorité des intérêts liés à un procès équitable ne sont plus en jeu et le stress et l’incertitude quant à l’avenir découlent bien plus de la déclaration de culpabilité que du délai entre cette dernière et le prononcé de la sanction. C’est donc à bon droit que le Tribunal des professions a retenu qu’un préjudice réel devait être démontré.

[64]           Force est de constater aussi dans la présente affaire que l’Appelant n’a pas fait une démonstration du préjudice découlant du délai distinctement du préjudice lié aux dénonciations comme telles[16].

 

2)           Le délai ayant l’impact de priver l’Appelant de son droit d’appel

[65]           L’Appelant s’est adressé à la Cour d’appel pour obtenir la rétractation de la décision du juge Keable rejettant l’appel. Il soutenait qu’une modification législative proposée pour « codifier » le principe que l’appel sur culpabilité soit logé avec l’appel sur sentence faisait en sorte que la Cour d’appel devait annuler son jugement et permettre l’appel sur la décision de culpabilité.

[66]           Cette rétractation a été refusée par la Cour d’appel.

[67]           Il est alors impossible, à notre avis, de remettre en question le rejet de l’appel comme motif pour modifier la sentence en invoquant la justice fondamentale.

 

3)           La question des dépens

[68]           Le rôle joué par l’Appelant dans l’évolution de la jurisprudence ne saurait être invoqué pour modifier la norme quant à l’imposition des dépens.

[69]           En conclusion, donc, sur la question de l’équité procédurale, nous sommes de l’avis que l’Appelant n’a pas établi un motif pour une intervention sur la base de la norme de la décision correcte, si cette norme s’applique, ou pour le motif d’une injustice fondamentale.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

REJETTE l’appel;

LE TOUT avec dépens.

 

 

__________________________________

David L. Cameron, J.C.Q.

Me Caroline Mathieu

Cabinet de Services juridiques

avocats & PROCUREURS INC.

Procureure du requérant

 

Me Julie Piché

THERRIEN, COUTURE

Procureure de l’Intimée

 

Date d’audience:

19 février 2013

 



[1] Dossier de la Cour d’appel 500-09-020725-107

[2] Chambre de sécurité financière c. Haddaoui, 2007 CanLII 51820

[3] Chambre de sécurité financière c. Amar, 2008 CanLii 53173

[4] Chambre de sécurité financière c. Jean, 2006 CanLII 59866 (QC CDCSF)

[5] Chambre de sécurité financière c. Girard, 2008 CanLII 16108 (QC CDCSF)

[6] Chambre de sécurité financière c. Berry, 2007 CanLII 50126 (QC CDCSF)

[7] Chambre de sécurité financière c. Tedeschi, 2009 CanLII 23646 (QC CDCSF)

[8] Supra note

[9] Chambre de sécurité financière c. Biduk, 2006 CanLII 59861 (QC CDCSF)

[10] Chambre De La Sécurité Financière c. Paquin, 2007 CanLII 52711 (QC CDCSF) - 2007-03-05, Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière - Québec

[11] Chambre de sécurité financière c. Chacon, 2008 CanLII 68307 (QC CDCSF)

[12] Audition du 7 décembre 2001, à la page 100, Questions 179 à 183.

[13]  Audition du 7 décembre 2001, aux pages 11 à 12, questions 24 à 31.

[14] 2011 QCTP 145, paragraphes 32 et 33.

[15] Shatner c. Généreux et Tribunal des professions, cause n° 500-05-056697-004, jugement en revision judiciaire du 27 septembre 2000.

[16] Voir  Ptack c. Comité de l'ordre des dentistes du Québec, 1992 CanLII 3303 (QC CA) - 1992-07-06

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