Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Champagne c. Marcoux

2014 QCCQ 8958

 

     JL-3223

 
 COUR DU QUÉBEC

« Division administrative et d'appel »

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

Chambre civile 

Nos :    500-80-025006-132

            500-80-025068-132

 

DATE :     25 août 2014

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE PIERRE LORTIE

 

 

No :      500-80-025006-132

            (CD00-0867)

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

APPELANTE – plaignante

c.

MICHEL MARCOUX

INTIMÉ - intimé

et

COMITÉ DE DISCIPLINE DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

MIS EN CAUSE

                                                                                                                                                           

 

No :     500-80-025068-132

            (CD00-0867)

MICHEL MARCOUX

APPELANT - intimé

c.

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

INTIMÉE – plaignante

et

COMITÉ DE DISCIPLINE DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

MIS EN CAUSE

 

JUGEMENT

                                                                                                                                                         

 

 

DÉSIGNATIONS

[1]           Pour alléger la lecture, le Tribunal utilisera les désignations suivantes (par ordre alphabétique) :

    Autorité des marchés financiers : l'AMF

    Avantages Services financiers inc. : Avantages

    Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière : le Comité

    Michel Marcoux : le défendeur

    Syndique de la Chambre de la sécurité financière : la plaignante

INTRODUCTION

[2]           Le présent jugement concerne deux appels réunis de décisions rendues par le Comité le 7 août 2012 (décision sur culpabilité) et le 11 décembre 2012 (sanction).

[3]           Premièrement, la plaignante interjette appel de la décision rejetant sept chefs de la plainte disciplinaire portée contre le défendeur[1].

[4]           Deuxièmement, le défendeur en appelle de la déclaration de culpabilité à l'égard de trois autres chefs[2]. Subsidiairement, il demande d'infirmer la sanction (radiation temporaire de deux mois).

[5]           Au début de l'audience devant le présent Tribunal, le défendeur soumet une requête pour présenter une nouvelle preuve selon l'article 509 (2) du Code de procédure civile [C.p.c.][3]. Après avoir entendu les représentations des parties sur la requête, le Tribunal réserve sa décision au moment du jugement final.

COMPÉTENCE DE LA COUR DU QUÉBEC

[6]           Selon l'article 379 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers [la LDP][4], il y a appel devant la Cour du Québec de toute décision rendue par le Comité.

[7]           Les articles 491 à 524 C.p.c. s'appliquent avec les adaptations nécessaires[5].

 

LE CONTEXTE

[8]           Le défendeur, 52 ans, est depuis plusieurs années conseiller financier. Exerçant à Montréal, il préside le cabinet Avantages.

[9]           Il est régi par la LDP et le Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières [le Règlement][6]. Avantages est inscrite auprès de l'AMF, ce qui lui permet d'agir à titre de conseiller en valeurs.

[10]        La plaignante soutient que, entre 2002 et 2006, Avantages a ouvert pour divers clients des comptes offshore auprès de Dominion, institution financière opérant aux Bahamas et dirigée par Martin Tremblay[7]. Cette ouverture de comptes a été faite en utilisant des pseudonymes, chacun correspondant au nom d'un client.

[11]        À une certaine époque, l'AMF mène une enquête sur Dominion et Martin Tremblay.

[12]        En 2004, l'AMF procède à une inspection auprès de Avantages. Interrogé, le défendeur déclare que :

    Le seul titulaire des comptes est Dominion.

    Il ignore le nom des individus derrière chacun des comptes ouverts sous des pseudonymes.

[13]        Le défendeur réitère cette position en 2006.

[14]        Le 26 janvier 2007, l'enquêteur Gaétan Paul de l'AMF demande par écrit au défendeur s'il peut « par affidavit nous confirmer certains faits entourant l'ouverture de comptes chez [Avantages] par [Dominion] et/ou Martin Tremblay. Nous avons besoin que vous confirmiez par affidavit qui a ouvert les comptes énumérés en annexe A. Qui donnait les ordres dans ces comptes et qui sont les détenteurs véritables de ces comptes. Il est évident que cet affidavit devra être assermenté ».[8] Le 26 janvier 2007, le défendeur répond dans une déclaration assermentée que les comptes ont été ouverts par un officier de Dominion. De plus :

Quant à votre demande de préciser qui sont les « détenteurs véritables » de ces comptes, je ne possède aucune information indiquant que leur « détenteur véritable » est autre que [Dominion] […][9] 

[15]        Le 4 mars 2008, un constat d'infraction est signifié au défendeur[10]. L'AMF lui reproche ce qui suit :

1.      À Montréal et ses environs, dans le district judiciaire de Montréal, le ou vers le 13 avril 2004, a entravé le travail d’un inspecteur de [l'AMF] lors d’une inspection du conseiller en valeurs [Avantages], en déclarant faussement à l’inspecteur ignorer l’identité des clients de la firme [Dominion] qui avaient des comptes de courtage chez Avantages, le tout en contravention à l’article 195(5) de la [LVM][11] et se rendant ainsi passible de la peine prévue à l’article 202 de la [LVM].

2.      À Montréal et ses environs, dans le district judiciaire de Montréal, le ou vers le 26 janvier [2007][12], a entravé le travail d’un enquêteur de [l'AMF] dans le cours d’une enquête portant sur la firme [Dominion], qui avaient des comptes de courtage chez le cabinet [Avantages], en déclarant faussement à l’enquêteur que les « détenteurs véritables » des comptes Dominion, qu’il gérait, était Dominion et/ou le liquidateur nommé aux Bahamas, le tout en contravention à l’article 195(5) de la [LVM] et se rendant ainsi passible de la peine prévue à l’article 202 de la [LVM].

3.      À Montréal et ses environs, dans le district judiciaire de Montréal, le ou vers le 23 février 2006, a entravé le travail d’un enquêteur de [l'AMF] dans le cours d’une enquête portant sur la firme [Dominion], qui avaient des comptes de courtage chez le cabinet [Avantages], en déclarant faussement à l’enquêteur que les « détenteurs véritables » des comptes Dominion, qu’il gérait, était Dominion, le tout en contravention à l’article 195(5) de la [LVM] et se rendant ainsi passible de la peine prévue à l’article 202 de la [LVM].

[16]        Le défendeur comparaît et plaide non coupable. Il est alors représenté par l'avocat Philippe Frère.

[17]        Le 6 mars 2009, le défendeur reconnaît sa culpabilité sur chacun des chefs et se fait condamner à une amende totale de 15 000 $ (5 000 $ par chef)[13].

[18]        Le 24 mars 2009, l'AMF rend une décision administrative concernant Avantages[14]. Essentiellement :

    L'organisme fait référence aux déclarations du défendeur en 2004, 2006 et 2007.

    En réalité, le défendeur connaissait la véritable identité des propriétaires des comptes ouverts sous des noms d’emprunt. Il a donc fourni à l'AMF des déclarations fausses ou trompeuses.

    L'employée d'Avantages, Marie-Josée Gagnon, a eu connaissance de cette situation et l'a tolérée.

    L'avocat d'Avantages a transmis des observations à l'AMF mentionnant que diverses mesures seraient adoptées. À noter que « [le] cabinet Avantages n’oppose à [l'AMF] aucun autre motif de contestation ».

    L'AMF ordonne à Avantages de lui transmettre le détail des mesures prises. À défaut, son inscription sera suspendue.

[19]        Le 28 avril 2011, la plaignante dépose une plainte disciplinaire qui repose sur les dispositions suivantes.

[20]        Premièrement, l'article 16 LDP :

Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme.

[21]        Deuxièmement, le Règlement :

10.    Les méthodes de sollicitation et de conduite des affaires du représentant doivent inspirer au public le respect et la confiance.

13.    Dans l'exercice de ses activités, le représentant doit tenir compte de l'intégrité financière et des responsabilités du cabinet pour le compte duquel il agit.

14.    Les activités professionnelles du représentant doivent être menées de manière responsable avec respect, intégrité et compétence.

16.    Le représentant doit veiller à ce que sa conduite soit conforme à la loi et respecte les exigences d'un organisme régissant le cabinet pour le compte duquel il agit.

20.    Le représentant doit collaborer et répondre sans délai à une personne chargée de l’application de la [LDP] et de ses règlements.

[22]        La plainte comporte dix chefs. Ils se regroupent en deux blocs.

[23]        D'une part, les chefs 1 à 7[15]. Le premier chef se lit ainsi :

À Montréal, entre 2002 et 2006, [le défendeur] n’a pas utilisé des méthodes de conduite des affaires qui inspirent au public le respect et la confiance et n’a pas agi avec intégrité, compétence et professionnalisme en permettant à son client E.L. d’investir des sommes d’argent par le biais du compte d’un tiers, soit un compte canadien ouvert au nom de « Dominion Investment – Gala », alors qu’il savait que le réel bénéficiaire de ce compte était E.L., et qu’il savait ou aurait dû savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice notamment d’un stratagème d’évitement fiscal, en contravention des articles 16 [LDP], 10, 13, 14 et 16 du [Règlement].

[24]        Les six autres chefs sont de même nature. En résumé, pour les sept chefs :

 

Chef

Date

Client

Pseudonyme

1

Entre 2002 et 2006

E.L.

Gala

2

Entre 2002 et 2006

N.D.

Midas

3

Entre 2003 et 2006

O.S.

Popoye

4

Entre 2003 et 2006

G.F.

Foug

5

Entre 2003 et 2006

J.P.N.

Snake

6

2004 - 2006

J.C.

Grey Old

7

En 2006

C.S.

Burton

 

[25]        D'autre part, les chefs 8, 9 et 10 se lisent ainsi :

8.      À Montréal, le ou vers le 13 avril 2004, [le défendeur] a fait défaut d’agir avec honnêteté et intégrité lors d’une inspection de [l'AMF] en déclarant faussement à un inspecteur ignorer l’identité des clients de la firme [Dominion] qui avait des comptes de courtage chez [Avantages], contrevenant ainsi aux articles 16 [LDP], 14, 16 et 20 du [Règlement];

9.      À Montréal, le ou vers le 23 février 2006, [le défendeur] a fait défaut d’agir avec honnêteté, loyauté et intégrité dans le cadre d’une enquête de [l'AMF] en déclarant faussement à un enquêteur que les détenteurs véritables des comptes [Dominion] qu’il gérait étaient [Dominion], contrevenant ainsi aux articles 16 [LDP], 14, 16 et 20 du [Règlement];

10.    À Montréal, le ou vers le 26 janvier 2007, [le défendeur] a fait défaut d’agir avec honnêteté et intégrité dans le cadre d’une enquête de [l'AMF] en déclarant faussement à un enquêteur que les détenteurs véritables des comptes [Dominion] qu’il gérait étaient [Dominion] et/ou le liquidateur nommé aux Bahamas, contrevenant ainsi aux articles 16 [LDP], 14, 16 et 20 du [Règlement].

[26]        L'audition devant le Comité se tient en décembre 2011 et mars 2012.

[27]        Le 7 août 2012, le Comité rejette les sept premiers chefs et déclare le défendeur coupable des chefs 8, 9 et 10.

[28]        L'audition sur la sanction se tient le 11 décembre 2012. Le 13 février 2013, le Comité ordonne la radiation temporaire pour une période de deux mois.

[29]        Le 11 mars 2013, la plaignante en appelle devant la Cour du Québec de l'acquittement des chefs 1 à 7.

[30]        Le 14 mars 2013, le défendeur en appelle de la déclaration de culpabilité à l'égard des chefs 8, 9 et 10. Subsidiairement, il demande d'infirmer la radiation et d'imposer une réprimande.

[31]        Le 27 mars 2013, un juge de la Cour du Québec réunit les deux dossiers d'appel. De plus, il ordonne la suspension de l'exécution de la sanction.

[32]        Le 5 septembre 2013, le juge Gilles Lareau, coordonnateur adjoint responsable de la Division administrative et d'appel à la Cour du Québec, établit un échéancier pour le dépôt des mémoires et fixe l'audition les 10 et 11 avril 2014 devant le présent Tribunal.

LES DÉCISIONS DU COMITÉ

[33]        Le Comité se compose de Me François Folot (président), Patrick Haussmann A.V.C. et Shirtaz Dhanji A.V.A. (membres)

[34]        Les décisions se résument ainsi.

CULPABILITÉ (7 août 2012)

[35]        Le Comité expose les dix chefs, résume les principaux faits puis énonce la position des parties[16]. Il divise son analyse en deux parties.

Première partie : chefs 1 à 7

[36]        La plaignante reproche au défendeur « de ne pas avoir utilisé des méthodes de conduite des affaires qui inspirent au public le respect et la confiance et de ne pas avoir agi avec intégrité, compétence et professionnalisme en permettant aux clients dont les initiales sont mentionnées d’investir des sommes d’argent par le biais d’un compte canadien ouvert au nom de Dominion et d’un pseudonyme alors qu’il savait que les réels bénéficiaires des comptes étaient lesdits clients et qu’il savait ou aurait dû savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice, notamment d’un stratagème d’évitement fiscal »[17].

[37]        Au soutien de sa thèse, la plaignante soutient que a) des comptes ont été ouverts par le défendeur auprès de Dominion en utilisant des pseudonymes; b) les pseudonymes désignaient des clients d’Avantages; c) des sommes d’argent ont été investies pour ces derniers dans les comptes ouverts au nom de Dominion et un pseudonyme; d) le défendeur connaissait la véritable identité des clients désignés par les pseudonymes et savait que les sommes investies à ces comptes provenaient de ces derniers. De plus, il savait ou devait savoir que « l’utilisation de comptes « off-shore » ouverts au nom d’un pseudonyme pouvait constituer l’indice d’un stratagème d’évitement fiscal »[18]. D'ailleurs, dans sa pratique, le défendeur a démontré un intérêt pour ce type de compte.

[38]        Le Comité détermine que « la preuve présentée […] n’a aucunement révélé l’implication ou une quelconque complicité de l’un ou l’autre des clients concernés à un stratagème d’évitement fiscal »[19]. Une seule version des consommateurs a été obtenue, celle du client concerné par le chef 1 qui nie toute stratégie d'évasion fiscale. En somme, il n'y a « aucune preuve tendant à démontrer qu’il y aurait eu une quelconque forme de violation ou de volonté d’enfreindre les lois fiscales par l’un ou l’autre des consommateurs […] »[20]. D'ailleurs, selon l'enquêteur de la plaignante, il n'existe aucune preuve de violation des lois fiscales[21]. En outre, aucun avertissement n'a été donné par l'AMF suite à ses inspections.

[39]        Le Comité établit ensuite que « la possession d’un compte « off-shore » et l’utilisation d’un pseudonyme n’est pas en soi contre la loi et que ce sont les circonstances et notamment l’objectif poursuivi qui permettront de déterminer s’il y a ou non contravention à la loi et/ou un dessein illégal »[22]. Ainsi, il peut être licite de garder secret l'existence d'actifs pour des motifs liés à la vie privée. De même, un individu qui travaille à l’étranger peut choisir de devenir « non-résident » au sens des règles fiscales canadiennes et « vouloir qu’on lui réfère une banque « off-shore » dans un paradis fiscal de façon à arranger ses affaires pour que, sans enfreindre les lois fiscales canadiennes ou de tout autre pays, il n’ait plus ou peu d’impôt à payer »[23].

[40]        Par ailleurs, il ne peut être exclu que le défendeur ait été un instrument des clients pour faciliter des objectifs illégaux :

[61]   Mais pour que puisse lui être imputée une responsabilité ou une faute déontologique, il aurait fallu faire la preuve d’une connaissance subjective de sa part, qu’une infraction serait probablement ou même vraisemblablement commise par les clients en cause.[24]

[62]   En l’espèce la preuve ne comporte aucun élément prépondérant ou déterminant qui permettrait au comité de conclure que l’intention des consommateurs concernés était d’agir illégalement, de contourner les lois fiscales qui s’appliquaient à eux, de réaliser un stratagème d’évitement fiscal, ou d’agir dans un quelconque dessein illicite.

[41]        Contrairement à ce que plaide la plaignante, le Comité ne peut tenir pour acquis la commission d'actes illégaux.

[42]        Après avoir établi des distinctions avec la jurisprudence citée par la plaignante, le Comité conclut au rejet des sept chefs :

[67]   […] la transparence financière a d’énormes mérites et est certes très utile, notamment dans le combat contre le crime organisé ou le terrorisme, mais si un consommateur ne souhaite pas révéler ses informations personnelles ou financières ou partie de celles-ci et qu’il prend des moyens à cet effet il n’agit pas nécessairement alors illégalement. Un tel comportement peut certes donner ouverture à des vérifications par l’autorité compétente mais il ne crée pas de présomption d’illégalité ou de malhonnêteté.

Deuxième partie : chefs 8, 9 et 10

[43]        Essentiellement, le défendeur aurait fait « de fausses déclarations relativement à sa connaissance de l’identité des clients de Dominion qui avaient des comptes chez Avantages et/ou en déclarant faussement que les détenteurs véritables des comptes Dominion dont il avait la gestion étaient Dominion »[25].

[44]        La plaignante s'appuie sur le plaidoyer de culpabilité du défendeur dans le dossier pénal concernant les mêmes faits.

[45]        Or, le défendeur soutient maintenant que son plaidoyer a été fait par erreur car les déclarations d'origine étaient exactes. De plus, il a plaidé coupable pour de nombreuses raisons : conseils de son ancien avocat, épuisement moral et financier, etc.

[46]        Après analyse, le Comité rejette ce moyen. D'une part, le plaidoyer de culpabilité est survenu après mûre réflexion et n'a jamais été rétracté. D'autre part, le défendeur est une personne expérimentée qui a agi en toute connaissance de cause. En somme, le plaidoyer de culpabilité constitue un aveu extrajudiciaire.

[47]        L'effet du plaidoyer est renforci par les sanctions administratives imposées par l'AMF pour les manquements fondés sur les mêmes faits.

[48]        Par surcroît, « […] l’étude et l’analyse des nombreux documents, échanges, courriels, correspondances… etc. mis en preuve par la plaignante laissent voir que dans les faits [le défendeur] n’a pas transmis aux enquêteurs qui l’interrogeaient toute l’information dont il disposait ou qu’il possédait à l’égard de l’identité des titulaires véritables des comptes en cause »[26]. Tous ces éléments « confirment en toute vraisemblance la justesse des plaidoyers de culpabilité de l’intimé »[27].

[49]        Pour toutes ces raisons, le Comité conclut que la plaignante rencontre son fardeau de preuve de sorte qu'il prononce une déclaration de culpabilité.

 

SANCTION (13 février 2013)

[50]        Le Comité expose en détail la position de chaque partie.

[51]        La plaignante recherche la radiation temporaire pour une période de trois mois, de façon concurrente sur chaque chef. Elle sollicite de plus la publication des présentes décisions et une condamnation aux déboursés dans une proportion 50-50. Elle souligne les circonstances aggravantes et appuie ses demandes sur la jurisprudence.

[52]        Le défendeur propose au Comité d'imposer une réprimande. Il s'oppose à la publication et au paiement des déboursés. Subsidiairement, en cas de condamnation aux frais, la proportion ne devrait pas excéder 3/10 puisque la culpabilité ne touche que trois chefs sur dix. Il souligne les circonstances atténuantes et invoque certaines décisions en la matière.

[53]        Dans son analyse, le Comité retient les éléments suivants :

a)       Les circonstances atténuantes :

1)        L'absence d'antécédents disciplinaires.

2)        Le défendeur a éduqué le public en matière financière et agi à titre d'enseignant.

3)        Il a versé 15 000 $ d'amende pour les mêmes faits.

4)        Il a subi diverses conséquences sur les plans personnel et professionnel.

5)        Les risques de récidive sont faibles.

b)       Les circonstances aggravantes :

1)        Les infractions comportent une gravité objective.

2)        En induisant les représentants de l'AMF en erreur, il risquait de compromettre la capacité de ces derniers d'enquêter, et ce, dans l'intérêt du public.

3)        Il s'agit de gestes répétés, dans un intervalle de temps. Le défendeur a donc persisté dans son comportement fautif.

[54]        Sans les facteurs atténuants, le Comité aurait imposé une radiation temporaire de trois mois concurrents sur chaque chef, tel que déterminé par la jurisprudence citée par la plaignante. Toutefois :

[66]   […] afin d’harmoniser [la sanction] aux circonstances particulières du dossier, considérant les éléments tant objectifs que subjectifs qui lui ont été présentés et conservant à l’esprit que [le défendeur] a déjà subi les effets des procédures de l’AMF pour les mêmes fautes, le comité est d’avis que l’imposition d’une radiation temporaire de deux (2) mois, sous chacun des trois (3) chefs, à être purgée de façon concurrente, serait en l’espèce une sanction juste, appropriée, adaptée aux infractions et respectueuse des principes de dissuasion et de protection du public dont il doit être tenu compte. Il imposera donc [au défendeur] une telle sanction.

[55]        En outre, le Comité ordonne la publication dans un journal aux frais du défendeur ainsi que la condamnation au 3/10 des frais.

LES APPELS

LA PLAIGNANTE (CHEFS 1 À 7)

[56]        La plaignante prétend que le Comité a identifié incorrectement et dénaturé l’infraction reprochée, imposant un fardeau de prouver des éléments qui vont au-delà de l’infraction déontologique alléguée. Elle identifie deux questions en litige :

1)        Le Comité a-t-il erré en droit en imposant à la plaignante le fardeau de prouver une « intention blâmable » alors que les infractions reprochées ne comportent pas cet élément?

2)        Le Comité a-t-il erré en droit en imposant à la plaignante le fardeau de prouver : a) que les clients du défendeur avaient commis ou avaient l’intention de commettre une infraction en matière d’évasion fiscale et b) que le défendeur avait une « connaissance subjective » de telle infraction?

Première question

[57]        Les infractions déontologiques sont de responsabilité stricte et ne requièrent pas la preuve d’une mens rea. Sauf exception, le fardeau de preuve pour ces infractions ne comporte pas l’exigence de prouver une intention blâmable ou coupable. Ainsi, il faut simplement déterminer si le défendeur a agi ou non en conformité avec la disposition sur laquelle repose l’infraction. Les éléments essentiels d’un chef d’infraction ne sont pas constitués par le libellé du chef mais par les dispositions légales invoquées.

[58]        En l’espèce, le Comité reproche à la plaignante de ne pas avoir établi l’intention blâmable. Il conclut qu'elle aurait dû démontrer la connaissance coupable quant à l’intention véritable des clients, à savoir celle de dissimuler leurs actifs par l’ouverture et l’utilisation de comptes ouverts sous des prête-noms. Or, aucune des dispositions constitutives des infractions ne prévoit l’exigence d’une connaissance coupable par un défendeur. En imposant à la plaignante ce fardeau de preuve, le Comité a ajouté un élément au texte des dispositions constitutives de l’infraction. Comme il s'agit d’infractions de responsabilité stricte, il n’appartenait donc pas à la plaignante d’établir une intention blâmable ou l’absence de diligence concernant l’acte reproché.

 

[59]        Le Comité a confondu, d'une part, les éléments essentiels de l’infraction et, d'autre part, la défense de diligence raisonnable. D'une façon ou d'une autre, une telle défense n'a pas été offerte en défense. 

[60]        Le Comité a donc commis une erreur en droit en acquittant le défendeur sous les chefs 1 à 7.

Deuxième question

[61]        L’acte reproché (actus reus) est celui d’avoir permis à des clients d’investir des sommes d’argent par le biais d’un compte ouvert au nom d’un tiers en utilisant un pseudonyme, sachant que les réels bénéficiaires des comptes étaient ses clients. Cette preuve a été établie devant le Comité.

[62]        La dernière partie du libellé du chef d’infraction (alors qu’il savait ou aurait dû savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice notamment d’un stratagème d’évitement fiscal) ne se rattache pas aux dispositions des infractions reprochées. Il s’agit plutôt d’un élément d’aggravation quant aux circonstances entourant la commission des infractions. Le Comité a donné une portée démesurée à cet élément circonstanciel. Ainsi, la mention d’un stratagème d’évitement fiscal n’est qu’un exemple de but possiblement visé par la dissimulation d’actifs que permet l’ouverture d’un tel compte. Il suffit de s’arrêter à la norme de conduite énoncée à la disposition sur laquelle repose l’infraction et déterminer si le défendeur, par sa conduite, a agi en conformité ou non avec cette norme.

[63]        Selon l'article 129 du Code des professions[28], la plainte doit indiquer sommairement les circonstances de temps et de lieu de l’infraction reprochée au professionnel. Tel que reconnu par la jurisprudence, les textes n’ont pas à être rédigés avec le formalisme du droit criminel. Une telle exigence se concilie mal avec la nature et les objectifs du droit disciplinaire. En l'espèce, le libellé des chefs permettait au défendeur de savoir exactement quelle conduite lui était reprochée.

[64]        Par surcroît, la question de la commission d'infractions fiscales ne pouvait être analysée par le Comité, cette matière relevant de la compétence exclusive de la Cour du Québec et de la Cour canadienne de l’impôt.

[65]        Compte tenu des règles de confidentialité auxquelles sont assujetties les autorités fiscales, il était impossible pour la plaignante de rencontrer le fardeau identifié par le Comité puisque cette preuve est inaccessible.

[66]        Par surcroît, le Comité reproche à la plaignante de n’avoir pas démontré la connaissance par le défendeur de la commission d'infractions par ses clients. Or, ce qui est reproché est l'ouverture de comptes au nom d’un tiers étranger pour permettre à ses clients d’y investir sous des pseudonymes. Le Comité a donc commis une erreur dans la détermination des éléments de l’infraction devant être prouvés en ajoutant au texte de loi.

[67]        Bien que cette preuve n’était pas requise, il fut clairement démontré que le défendeur savait que cette façon de camoufler des actifs pouvait servir un dessein illicite. Il a préféré fermer les yeux et ne pas poser de question. Pour être exonéré d'un manquement disciplinaire, il ne suffit pas de préférer ignorer pourquoi le client désire dissimuler son identité ou camoufler ses actifs. Le professionnel ne peut se soustraire à ses responsabilités en plaidant l’ignorance ou se contenter d’exécuter la commande aveuglément. Il a la responsabilité de s’assurer que sa conduite est conforme aux normes qui le régissent et de savoir reconnaître les situations où il y a suffisamment d’indices pour soulever un doute quant à la légitimité de la prestation demandée par le client.

[68]        Le Comité n'avait qu'à examiner si le défendeur a conduit ses affaires de façon à inspirer au public le respect et la confiance et s'il s'agit d'une conduite professionnelle respectueuse des exigences d’intégrité prescrites par les normes déontologiques.

[69]        La plaignante a clairement prouvé la faute déontologique. Conséquemment, il incombait au défendeur d’offrir une preuve de diligence raisonnable, ce qu’il n’a pas fait.

[70]        Au total, le Comité a commis une erreur de droit déterminante dans l'identification des éléments de l’infraction. Conséquemment, la Cour du Québec doit infirmer l'acquittement sur les chefs 1 à 7, déclarer le défendeur coupable et retourner le dossier au Comité afin d’imposer les sanctions.

[71]        Pour sa part, le défendeur soutient que les infractions reprochées devant le Comité comportaient deux volets :

1)        D’avoir permis à un client d’investir des sommes d’argent par le biais de Dominion en utilisant un pseudonyme.

2)        En sachant ou devant savoir que procéder ainsi pouvait constituer un indice d’un stratagème d’évitement fiscal.

[72]        En somme, la plaignante s’est elle-même imposé le fardeau de démontrer une intention blâmable (deuxième volet). D'une part, en rédigeant les chefs d’accusation comme elle l’a fait. D'autre part, en reconnaissant devant le Comité que les agissements reprochés, pour être considérés comme étant des infractions déontologiques, étaient constitués de deux volets. Le Comité a conclu que la plaignante n’a pas rencontré le degré de preuve requis.

[73]        En appel devant la Cour du Québec, la plaignante reformule son fardeau de preuve. Ce faisant, elle amende substantiellement la position prise devant le Comité et fait maintenant complètement abstraction du second volet constitutif des agissements reprochés à l’intimé. Cela représente une théorie de cause tout à fait nouvelle.

[74]        Cette nouvelle position a une seule explication : la plaignante n’a pas été en mesure de se décharger de son fardeau de preuve devant le Comité et elle essaie maintenant d’y remédier en l’allégeant. Une telle manœuvre constitue une tentative d’amender la plainte une fois la preuve close, ce qui est proscrit.

[75]        En première instance, le défendeur s'est défendu avec succès à l’encontre des allégations de la plaignante. Elle ne peut aujourd'hui changer cette orientation.

[76]        L'infraction telle que portée nécessitait la démonstration cumulative des deux volets. La plaignante est liée par le libellé de ses chefs et, suite à son échec, ne peut prétendre que la deuxième portion n'est plus essentielle.

[77]        Le Comité, expert en la matière, a conclu que le défendeur n'avait pas connaissance d'un dessein illicite.

LE DÉFENDEUR (CHEFS 8, 9, 10)

La culpabilité

[78]        Lors de l'audition devant le Comité, la plaignante a administré une seule preuve : le dépôt du plaidoyer de culpabilité dans le cadre de l’instance pénale.

[79]        Or, le Comité a erré en n'appréciant pas ce plaidoyer dans son contexte particulier. En effet, le défendeur a plaidé coupable, à contrecœur, pour les raisons suivantes :

1)        Lui et son cabinet faisaient l’objet de plusieurs chefs d’accusation portés par l’AMF.

2)        Il avait déjà dépensé plus de 150 000 $ en frais d’avocats.

3)        Il trouvait la situation très difficile sur les plans personnel, professionnel et financier.

4)        Il faisait face à la possibilité d’une condamnation totale de 235 000 $.

5)        L’AMF lui a offert de régler l’ensemble des procédures pénales s’il plaidait coupable aux trois chefs d’accusation.

6)        Il était en désaccord avec le principe de plaider coupable, mais il était physiquement et financièrement épuisé. Il voulait acheter la paix.

7)        Il s’était fait dire que, une fois son plaidoyer de culpabilité enregistré, tout serait clos et que la page serait tournée dans le dossier Dominion.

8)        Son entourage lui a conseillé de plaider coupable parce qu’il s’agissait d’un « bon deal » dans les circonstances.

[80]        Ainsi, le plaidoyer, remis dans con contexte, n'a aucune valeur probante. De plus, devant le Comité, le défendeur a toujours maintenu sa version que les déclarations à l'AMF étaient vraies. Par surcroît, la plaignante n'a administré aucune preuve.

[81]        Le Comité conclut que le défendeur cherche à renier son plaidoyer ou à désavouer son ex-avocat. Ce faisant, le Comité aborde la question sous le mauvais angle et ignore le contexte du plaidoyer.

[82]        Ces erreurs constituent des erreurs de droit donnant ouverture à une intervention de la Cour du Québec.

La sanction

[83]        Subsidiairement, les nombreuses circonstances atténuantes devaient conduire le Comité à imposer une sanction se situant au bas de la fourchette. Une réprimande constitue une peine appropriée.

[84]        Le défendeur demande donc à la Cour du Québec d'annuler la radiation temporaire de deux mois et d'imposer une réprimande.

[85]        La plaignante soutient que le défendeur donne une portée trop restrictive à son plaidoyer de culpabilité.

[86]        Les présents chefs 8, 9 et 10 portent sur les mêmes faits que ceux visés par les trois chefs du constat d'infraction pénale. Cela constitue un aveu judiciaire, tant de la commission de l’infraction reprochée que des faits sous-jacents constituant l’infraction. Une fois mis en preuve devant le Comité, cet aveu faisait preuve des faits allégués dans la présente plainte disciplinaire.

[87]        Le défendeur tente aujourd'hui de renier son plaidoyer et de désavouer son ex-avocat pour éviter les conséquences juridiques. Cette condamnation n'a pas été portée en appel. Le principe de la stabilité des jugements doit prévaloir.

[88]        Par ailleurs, il est faux de prétendre que le Comité s'appuie uniquement sur le plaidoyer. Bien au contraire, une abondante preuve documentaire a été prise en considération[29].

[89]        Concernant la sanction, le Comité a tenu compte des facteurs pertinents (jurisprudence, facteurs atténuants et aggravants). Dans ce contexte, il ne s'agit pas d'une décision déraisonnable. Elle appartient aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier en regard des faits et du droit.

ANALYSE ET DÉCISION

APPEL DE LA PLAIGNANTE (chefs 1 à 7)

[90]        Essentiellement, la plaignante reproche au Comité de lui avoir imposé un fardeau de preuve additionnel non prévu par la LDP ou le Règlement, soit la démonstration d'une intention blâmable. Elle prétend de plus que la preuve supporte la culpabilité du défendeur.

[91]        Le Tribunal énonce ainsi les questions en litige à l'égard de l'appel de la plaignante :

1)        Le Comité a-t-il commis une erreur dans la détermination du fardeau de preuve de la plaignante?

2)        Le Comité a-t-il commis une erreur en rejetant les chefs 1 à 7?

Observations générales sur la norme d'intervention

[92]        La Cour d'appel, dans le récent arrêt Frères Maristes (Iberville) c. Laval (Ville de)[30], rappelle que les concepts régissant la révision judiciaire reçoivent application dans le contexte d’un appel administratif devant la Cour du Québec[31]. Deux étapes doivent être distinguées. D'une part, l'identification de la norme d'intervention. D'autre part, son application.

[93]        Depuis l'arrêt de la Cour suprême Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[32] prononcé en 2008, deux normes peuvent être envisagées : celle de la décision raisonnable et celle de la décision correcte[33]. La démarche d'identification s'inscrit dans le cadre de l'analyse relative à la norme de contrôle[34].

[94]        La Cour suprême trace ainsi les contours de la norme de la décision raisonnable :

[47]   La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.[35]

[95]        Cette norme commande la déférence, soit « […] le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier »[36]. Toutefois, cela ne signifie pas que « les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations »[37].

[96]        Lorsque la cour de révision applique la norme de la décision correcte, elle « n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne ».

[97]        Le juge Fish, dans l'arrêt de la Cour suprême Smith c. Alliance Pipeline Ltd[38], qui concerne un appel d'une décision d'un comité d’arbitrage sur les pipelines, rappelle les catégories énumérées dans Dunsmuir. En résumé :

Décision correcte :

1)        Questions constitutionnelles.

2)        Question de droit générale à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise du décideur administratif.

3)        Questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents.

4)        Question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité.

Décision raisonnable :

1)        Question qui se rapporte à l'interprétation de la loi habilitante (ou constitutive) du tribunal administratif ou à une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie.

2)        Question qui soulève à son tour des questions touchant les faits, le pouvoir discrétionnaire ou des considérations d'intérêt général.

3)        Question qui soulève des questions de droit et de fait intimement liées.

[98]        La Cour d'appel, dans Vallée c. Thibault[39], détermine que la norme de la décision raisonnable s'applique au Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière lorsqu'il agit dans son domaine de compétence spécialisée.

[99]        Constitué par la LDP[40], le Comité est saisi de toute plainte formulée contre un représentant et statue sur cette dernière. Une telle plainte, qui découle de la LDP et du Règlement, est déposée par le syndic lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise[41].

[100]     Sous cet éclairage, le Tribunal abordera les deux questions présentement en litige.

Première question : la détermination du fardeau de preuve

a) Identification de la norme d'intervention

[101]     La plaignante identifie la norme de la décision correcte puisqu'il s'agit d'une question de droit. Le défendeur ne conteste pas cette position.

[102]     Le Tribunal ne retient pas une telle approche.

[103]     Ces dernières années, la Cour suprême a nettement élargi le concept de retenue judiciaire. Aujourd'hui, il ne suffit plus de brandir une question de droit pour conclure à l'application de la décision correcte. Comme l'énonce le juge LeBel dans Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79[42], la Cour suprême « s'est montrée prudente en signalant que toute décision sur une question de droit n'était pas assujettie à la norme de la décision correcte ».

[104]     Trois motifs conduisent le présent Tribunal à retenir la norme de la décision raisonnable.

[105]     Premièrement, le présent cas n'appartient pas à l'une des quatre catégories plus haut identifiées de la décision correcte.

[106]     Deuxièmement la question se rattache au mandat du Comité. Dans le cadre de ses fonctions, il a développé une expertise pour identifier le fardeau de preuve. Lorsqu'il se livre à cet exercice, il est au cœur de sa mission.

[107]     Troisièmement, la formulation du fardeau est liée aux faits qui sont mis en preuve et au contexte de l'audition. Dans cette perspective, le droit et les faits sont liés.

[108]     Pour toutes ces raisons, le Tribunal fera preuve de déférence à l'égard de la détermination du fardeau de preuve par le Comité.

b) Application de la norme

[109]     La plaignante reproche au Comité d'avoir alourdi son fardeau de preuve en ajoutant un deuxième élément, soit l'intention blâmable.

[110]     Or, la plaignante a reconnu deux éléments en organisant ainsi les sept premiers chefs :

1)        Avoir permis au client d’investir des sommes d’argent par le biais du compte d’un tiers, soit un compte canadien ouvert au nom de Dominion et d'un pseudonyme.

2)        Sachant ou devant savoir que procéder ainsi pouvait constituer un indice notamment d’un stratagème d’évitement fiscal.

[111]     Par surcroît, dans ses notes produites en plaidoirie[43], la plaignante persiste à identifier deux parties :

    Sur le premier volet de l'infraction :

avoir permis à un client d'investir des sommes d'argent par le biais du compte d'un tiers, soit un compte canadien ouvert au nom de « Dominion et un pseudonyme »[44].

    Sur le second volet de l'infraction :

[Le défendeur] savait ou devait savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice notamment d'un stratagème d'évitement fiscal.[45]

[112]     La plaignante a donc élaboré une théorie de cause reposant sur la démonstration cumulative de ces deux volets.

[113]     C'est sur cette base que la défense a été conduite[46] et que le Comité a énoncé le fardeau de preuve :

[46]   À ces chefs il est reproché [au défendeur], tel que précédemment mentionné, de ne pas avoir utilisé des méthodes de conduite des affaires qui inspirent au public le respect et la confiance et de ne pas avoir agi avec intégrité, compétence et professionnalisme en permettant aux clients dont les initiales sont mentionnées d’investir des sommes d’argent par le biais d’un compte canadien ouvert au nom de Dominion et d’un pseudonyme alors qu’il savait que les réels bénéficiaires des comptes étaient lesdits clients et qu’il savait ou aurait dû savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice, notamment d’un stratagème d’évitement fiscal.

[114]     La plaignante ne peut en appel revenir sur sa position initiale et redéfinir son fardeau de preuve en l'allégeant.

[115]     En droit disciplinaire, il est bien établi qu'un plaignant est lié par ses chefs d'accusation. Ce principe a été rappelé par le Tribunal des professions dans Cohen c. Optométristes (Ordre professionnel des)[47] :

La jurisprudence est constante sur ce sujet, à l'effet qu'un intimé qui fait face à une plainte précise ne peut être déclaré coupable d'autre chose que ce qui lui est reproché.

[116]     Au total, la détermination du fardeau de preuve par le Comité rencontre le critère de la décision raisonnable.

Deuxième question : la décision de rejeter les chefs 1 à 7

a) Identification de la norme d'intervention

[117]     Puisqu'il s'agit d'une question mixte de fait et de droit entrant dans la mission du Comité, le Tribunal appliquera la norme de la décision raisonnable.

b) Application de la norme

[118]     Le Comité conclut que :

    La possession d'un compte offshore ne constitue pas en soi une infraction.

    La preuve ne révèle pas de stratagème d'évitement fiscal.

[119]     La décision du Comité repose sur la preuve documentaire et les témoignages entendus. Par exemple : l'enquêteur de la plaignante témoigne qu'il n'y a pas de preuve de violation des lois fiscales; un seul consommateur a été entendu et il nie toute stratégie d'évitement. Concluant que la plaignante ne rencontre pas son fardeau de preuve, le Comité rejette les sept chefs.

[120]     Au sens de l'arrêt Dunsmuir, il s'agit d'une décision motivée, intelligible, appartenant « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Elle a été rendue par une formation de trois membres possédant une connaissance du milieu et une expertise. Cela conduit à la déférence en appel.

[121]     Pour toutes ces raisons, l'appel de la plaignante est rejeté.

APPEL DU DÉFENDEUR (chefs 8, 9 et 10)

Première question : la culpabilité sur les chefs 8, 9 et 10

[122]     Le défendeur soutient que la décision du Comité repose sur une seule preuve : le plaidoyer de culpabilité dans le cadre de l’instance pénale conduite par l'AMF. Or, ce plaidoyer, une fois remis dans son contexte, n’a aucune valeur probante. En l'absence d'autre preuve, le Comité ne pouvait conclure à la culpabilité.

[123]     La plaignante conteste cette approche qui est trop restrictive.

[124]     Le Tribunal, en accord avec la plaignante, considère approprié une formulation plus large de la question en litige :

    Le Comité a-t-il rendu une décision déraisonnable en concluant à la culpabilité à la lumière de la preuve offerte?

a) Identification de la norme d'intervention

[125]     Comme il s'agit d'une question mixte de fait et de droit, le Tribunal retient la norme de la décision raisonnable.

b) Application de la norme

[126]     Le défendeur fait face à trois chefs disciplinaires lui reprochant d'avoir faussement déclaré ignorer l'identité des clients. Devant le Comité, il persiste à dire que ses déclarations aux autorités correspondent à la vérité et qu'il ignorait qui étaient les véritables bénéficiaires[48].

[127]     Le Comité s'appuie sur le plaidoyer de culpabilité du défendeur dans le dossier pénal. À cet égard, il est utile de comparer le libellé des deux catégories de plaintes[49] :

 

 

Présente plainte disciplinaire

Plainte pénale de l'AMF

8. À Montréal, le ou vers le 13 avril 2004, [le défendeur] a fait défaut d’agir avec honnêteté et intégrité lors d’une inspection de [l'AMF] en déclarant faussement à un inspecteur ignorer l’identité des clients de la firme [Dominion] qui avait des comptes de courtage chez [Avantages], contrevenant ainsi aux articles 16 [LDP], 14, 16 et 20 du [Règlement].

1. À Montréal et ses environs, dans le district judiciaire de Montréal, le ou vers le 13 avril 2004, a entravé le travail d’un inspecteur de [l'AMF] lors d’une inspection du conseiller en valeurs [Avantages], en déclarant faussement à l’inspecteur ignorer l’identité des clients de la firme [Dominion] qui avaient des comptes de courtage chez Avantages, le tout en contravention à l’article 195(5) de la [LVM]  et se rendant ainsi passible de la peine prévue à l’article 202 de la [LVM].

9.  À Montréal, le ou vers le 23 février 2006, [le défendeur] a fait défaut d’agir avec honnêteté, loyauté et intégrité dans le cadre d’une enquête de [l'AMF] en déclarant faussement à un enquêteur que les détenteurs véritables des comptes [Dominion] qu’il gérait étaient [Dominion], contrevenant ainsi aux articles 16 [LDP], 14, 16 et 20 du [Règlement].

3. À Montréal et ses environs, dans le district judiciaire de Montréal, le ou vers le 23 février 2006, a entravé le travail d’un enquêteur de [l'AMF] dans le cours d’une enquête portant sur la firme [Dominion], qui avaient des comptes de courtage chez le cabinet [Avantages], en déclarant faussement à l’enquêteur que les « détenteurs véritables » des comptes Dominion, qu’il gérait, était Dominion, le tout en contravention à l’article 195(5) de la [LVM] et se rendant ainsi passible de la peine prévue à l’article 202 de la [LVM].

10. À Montréal, le ou vers le 26 janvier 2007, [le défendeur] a fait défaut d’agir avec honnêteté et intégrité dans le cadre d’une enquête de [l'AMF] en déclarant faussement à un enquêteur que les détenteurs véritables des comptes [Dominion] qu’il gérait étaient [Dominion]. et/ou le liquidateur nommé aux Bahamas, contrevenant ainsi aux articles 16 [LDP], 14, 16 et 20 du [Règlement].

2. À Montréal et ses environs, dans le district judiciaire de Montréal, le ou vers le 26 janvier 2007, a entravé le travail d’un enquêteur de [l'AMF] dans le cours d’une enquête portant sur la firme [Dominion], qui avaient des comptes de courtage chez le cabinet [Avantages], en déclarant faussement à l’enquêteur que les « détenteurs véritables » des comptes Dominion, qu’il gérait, était Dominion et/ou le liquidateur nommé aux Bahamas, le tout en contravention à l’article 195(5) de la [LVM] et se rendant ainsi passible de la peine prévue à l’article 202 de la [LVM].

 

[128]     Une analyse comparative des textes soutient la conclusion du Comité que les deux catégories d'infractions visent « les mêmes comportements »[50]. D'ailleurs, dans son mémoire au chapitre de la sanction, le défendeur reconnaît qu'il s'agit de « faits identiques »[51].

[129]     Comme il y a ici une interaction entre les processus pénal et disciplinaire, il convient d'analyser les règles réciproques du fardeau de preuve.

[130]     En droit pénal, la poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable la preuve des éléments matériels de l'infraction. À cet égard, le défendeur n'a qu'à soulever un doute raisonnable pour se disculper.[52] Par ailleurs, un plaidoyer de culpabilité présuppose l'admission des éléments essentiels de l'infraction[53]. À cet égard, la Cour suprême, dans l'arrêt Adgey c. R.[54], rappelle qu'un plaidoyer de culpabilité « comporte en soi l'aveu que l'accusé qui l'offre a commis le crime imputé, de même qu'un consentement à ce qu'une déclaration de culpabilité soit inscrite sans procès d'aucune sorte »[55].

[131]     Pour sa part, le droit disciplinaire obéit à des impératifs qui lui sont propres, mais avec une parenté avec le droit civil[56]. Ainsi, « contrairement au poursuivant en matière criminelle, le syndic n'est pas tenu de faire la preuve de l'infraction hors de tout doute raisonnable […] »[57]. Le fardeau applicable correspond à celui de la prépondérance de la preuve[58], critère moins exigeant que celui du doute raisonnable. Selon les auteurs Royer et Lavallée, pour remplir son obligation de convaincre, un plaideur civil doit faire une preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence[59].  

[132]     Les deux types de recours peuvent coexister. Comme le souligne le juge Sheehan dans Pigeon c. Bourdeau[60], le recours disciplinaire est autonome et peut être exercé concurremment avec les recours civils et criminels. De plus, « un seul acte peut servir de base à des infractions dans des domaines de droit différents comme par exemple, à une infraction disciplinaire et à une infraction criminelle. Il est possible qu'un acte unique comporte plus d'un aspect et entraîne plus d'une conséquence juridique ». Autre exemple. Dans Simard c. Migneault[61], le juge Crête de la Cour supérieure exprime son accord avec l'opinion du Comité de déontologie policière que « plusieurs recours différents peuvent originer d'une même conduite. Par exemple, un policier qui utiliserait une force plus grande que nécessaire lors de l'interception d'un individu pourrait se voir poursuivi au criminel, en discipline interne, en déontologie ainsi qu'au civil. Chaque recours est alors indépendant et n'exclut pas les autres »[62].

[133]     En l'espèce, le Comité retient que le plaidoyer de culpabilité constitue un aveu extrajudiciaire. Selon l'article 2850 du Code civil du Québec [C.c.Q.], l'aveu est la reconnaissance d'un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre son auteur. Selon les auteurs Royer et Lavallée, l'aveu extrajudiciaire est celui qui est notamment fait dans un autre procès[63]. À titre d'exemple, un aveu de culpabilité dans une cause pénale. L'article 2852 (2) C.c.Q. prévoit que la force probante est laissée à l'appréciation du tribunal. En appliquant ces principes, le Comité s'est correctement dirigé en droit.

[134]     Par ailleurs, la Cour d'appel, dans Ali c. Compagnie d’assurances Guardian du Canada[64], rappelle qu'une déclaration de culpabilité dans une instance criminelle ou pénale constitue un fait juridique important qu'un tribunal civil peut difficilement ignorer. Toutefois, la Cour reconnaît qu'il « existe certaines hypothèses où l'accusé, même innocent, peut plaider coupable, notamment pour s'éviter les frais d'un procès. Dans ce cas, le juge civil peut, bien évidemment, et sans contradiction, remettre ce plaidoyer de culpabilité dans son contexte et en tirer les conséquences qui s'imposent »[65].

[135]     Le Comité a décidé de donner une portée au plaidoyer compte tenu des facteurs suivants[66] :

1)       Les faits se recoupent devant les deux instances.

2)       Le défendeur a pris sa décision de plaider coupable dans le dossier pénal après mûre réflexion et consultation.

3)       Il était alors représenté par un avocat.

4)       La déclaration n'a pas été suivie d'un désaveu ou autre forme de retrait ou rétractation.

5)       Le défendeur est une personne d'expérience.

[136]     Cette détermination s'harmonise au principe de la stabilité des jugements. Pour paraphraser la Cour d'appel dans Ali[67], il serait curieux que le défendeur admette dans l'instance pénale avoir fait une fausse déclaration tout en niant, dans l'instance disciplinaire, avoir menti.

[137]     Le Comité était donc bien fondé de tirer les conséquences de cet aveu extrajudiciaire[68].

[138]     Mais il y a plus encore.

[139]     Le Comité n'a pas uniquement tenu compte du plaidoyer pénal pour conclure à la culpabilité disciplinaire :

    Il considère la sanction administrative imposée par l'AMF qui repose sur la même base factuelle[69].

    Il retient le témoignage du consommateur E.L. selon qui le défendeur connaissait le pseudonyme « Gala ».

    Il tire des inférences de la preuve documentaire[70].

[140]     La preuve soumise par la plaignante supporte cette détermination. Par exemple :

1)       Mme Gagnon, employée d'Avantages, demande au défendeur qui est le client sous le pseudonyme[71].

2)       Le défendeur, en tant que représentant d'Avantages, fait remplir au client des formulaires d'ouverture de compte. 

3)       Le défendeur obtient des pièces d'identité des clients (ex. : passeport).

4)       Après avoir reçu des montants, Avantages transmet les fonds à Dominion[72]. Certains mouvements de trésorerie peuvent être suivis[73].

5)       Un client demande au défendeur combien d'argent il a transmis à Martin Tremblay (Dominion)[74].

6)       Dans un mémo transmis le 6 novembre 2002, le défendeur mentionne à Mme Gagnon qu'il faut faire attention de ne pas mentionner le nom du client. Il faut plutôt utiliser le « code »[75].

[141]     À la lumière de ces quelques exemples, comment le défendeur peut-il déclarer sous serment le 26 janvier 2007 qu'il ne possède aucune information autre que Dominion? Poser la question c'est y répondre.

[142]     Au total, la déclaration de culpabilité possède les attributs de la décision motivée, intelligible, appartenant « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[143]     Tel que mentionné, le défendeur formule une requête pour présenter une nouvelle preuve. Essentiellement, il expose que :

    Une nouvelle plainte disciplinaire a été portée, lui reprochant la commission de 19 infractions (défaut d'avoir remis des sommes d'argent, détournement de fonds, entrave au travail du syndic, etc.)[76].

    Dans ce contexte, il a fait face à une requête en radiation provisoire[77].

    Lors de l'audition de cette requête le 4 octobre 2013, l'avocat du défendeur montre à l'enquêteur de la plaignante un document intitulé « Certificate of Foreing Status of Beneficial Owner for United States Tax Withholding » [le document][78]. Puis, l'échange suivant intervient[79] :

Q.     Maître [Brigitte] Poirier, est-ce qu'il y a, dans cette formule-là d'ouverture de compte de monsieur […], est-ce qu'il y a quoi que ce soit qui vous indique qu'il est le propriétaire de l'argent qu'il va investir dans ce compte, ou que ce ne serait pas plutôt celui de son enfant, de sa femme, de sa maîtresse, de son associé, de sa mère, et ceatera? Voyez-vous dans ce document-là, vous, dans le document d'ouverture de ce compte même, une démonstration qu'il est propriétaire des fonds qu'il investit?

R.     Non.

[144]     Le défendeur prétend que la réponse de l'enquêteur soutient sa version qu'il ne connaissait pas l'identité des détenteurs véritables. Cette preuve nouvelle est donc indispensable puisqu'elle supporte sa théorie de cause et conduit à un acquittement.

[145]     Après analyse, le Tribunal rejette la requête du défendeur :

1)       Cette preuve est connue depuis octobre 2013. Or, la présente requête a été complétée le 3 avril 2014, quelques jours seulement avant la présente audition du 10 avril. Compte tenu du caractère soi-disant capital de l'information, un tel délai étonne.

2)       On ne sait pas dans quel contexte le document a été complété. D'ailleurs, il ne porte pas de date.

3)       L'avocat ne fait que montrer le document au témoin. Dans un cadre aussi limité, que peut-on inférer de plus?

4)       D'une façon ou d'une autre, la question clef touche la connaissance du défendeur et non celle de l'enquêteur.

5)       Rien ne démontre que la décision du présent Comité aurait été différente avec cette nouvelle preuve.

[146]     Pour tous ces motifs, l'appel du défendeur est rejeté.

Deuxième question : la sanction

[147]     À titre subsidiaire, le défendeur attaque la décision du Comité d'imposer une radiation temporaire de deux mois.

[148]     Il plaide que cette sanction est inadéquate et disproportionnée en regard des circonstances atténuantes :

    L'absence d'antécédent disciplinaire.

    La sanction antérieure dans le cadre de l’instance pénale, pour des faits identiques.

    Les répercussions négatives sur sa pratique, sa carrière et sa réputation, équivalant à une punition supplémentaire déjà purgée pour des faits identiques.

    Aucun risque de récidive.

[149]     Toujours selon le défendeur, dans le contexte d'une première infraction disciplinaire, la sanction doit se situer au bas de la fourchette. Il propose une réprimande.

[150]     Pour sa part, la plaignante estime que le comité a judicieusement exercé sa discrétion judiciaire dans le choix de la sanction imposée, en tenant compte de tous les facteurs pertinents.

a) Identification de la norme d'intervention

[151]     La Cour d'appel, dans l'arrêt Chambre de la sécurité financière c. Murphy[80], détermine que le domaine des sanctions disciplinaires relève de la compétence spécialisée du Comité, ce qui milite en faveur de la déférence[81].

[152]     Le Tribunal appliquera donc la norme de la décision raisonnable.

b) Application de la norme

[153]     L'article 376 LDP prévoit que les dispositions du Code des professions relatives aux sanctions s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux plaintes que reçoit le comité de discipline. Selon l'article 156 de ce code, plusieurs types de sanctions peuvent être imposées : réprimande, radiation temporaire ou permanente, amende, etc.

[154]     Comme l'énonce la Cour d'appel dans Pigeon c. Daignault[82], la sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre plusieurs objectifs : la protection du public, la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession[83]. La Cour du Québec, en appel, « ne doit pas intervenir à moins que l'appelant ne démontre que cette décision est déraisonnable. La sanction infligée n'est pas déraisonnable du simple fait qu'elle est clémente ou sévère; elle le devient lorsqu'elle est si sévère, ou si clémente, qu'elle est injuste ou inadéquate eu égard à la gravité de l'infraction et à l'ensemble des circonstances, atténuantes et aggravantes, du dossier »[84]. De plus, les membres des comités de discipline connaissent intimement leur milieu en plus d'avoir le privilège d'entendre le défendeur viva voce[85].

[155]     En l'espèce, la plaignante recherchait une radiation provisoire de trois mois et le défendeur recommandait une réprimande. Le Comité impose une radiation de deux mois. Dans la détermination, il considère plusieurs facteurs : les circonstances atténuantes et aggravantes, la jurisprudence en la matière. Il individualise la peine en regard des éléments propres à l'affaire. Au chapitre de la jurisprudence, il s'appuie sur des décisions antérieures où des radiations plus sévères de trois mois sont imposées[86].

[156]     Au total, la présente décision est intelligible et transparente. Elle appartenant aux issues possibles acceptables.

[157]     L'appel sur sanction est donc rejeté.

CONCLUSION

[158]     PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[159]     REJETTE l'appel de la plaignante (dossier 500-80-025006-132).

[160]     REJETTE l'appel du défendeur (dossier 500-80-025068-132).

[161]     REJETTE la requête du défendeur pour preuve nouvelle.

[162]     CHAQUE PARTIE payant ses frais.

 

 

 

 

__________________________________

PIERRE LORTIE

Juge à la Cour du Québec

 

Me Sylvie Poirier

(Mes Bélanger Longtin)

Avocate de la syndique de la Chambre de la sécurité financière

 

Me Jacques Jeansonne

Me Tuan Khai Alain Nguyen

(Mes Jeansonne Avocats)

Avocats de Michel Marcoux

 

Me Éric Millette

Avocat du mis en cause

Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière

 

Dates d’audience :

10 et 11 avril 2014

 


ANNEXE

 

1.         À Montréal, entre 2002 et 2006, [le défendeur] n’a pas utilisé des méthodes de conduite des affaires qui inspirent au public le respect et la confiance et n’a pas agi avec intégrité, compétence et professionnalisme en permettant à son client E.L. d’investir des sommes d’argent par le biais du compte d’un tiers, soit un compte canadien ouvert au nom de «Dominion Investment – Gala», alors qu’il savait que le réel bénéficiaire de ce compte était E.L., et qu’il savait ou aurait dû savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice notamment d’un stratagème d’évitement fiscal, en contravention des articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 10, 13, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières  (L.R.Q., c. D-9.2, r. 1.1.2);

2.         À Montréal, entre 2002 et 2006, [le défendeur] n’a pas utilisé des méthodes de conduite des affaires qui inspirent au public le respect et la confiance et n’a pas agi avec intégrité, compétence et professionnalisme en permettant à son client N.D. d’investir des sommes d’argent par le biais du compte d’un tiers, soit un compte canadien ouvert au nom de «Dominion Investment – Midas», alors qu’il savait que le réel bénéficiaire de ce compte était N.D., et qu’il savait ou aurait dû savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice notamment d’un stratagème d’évitement fiscal, en contravention des articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 10, 13, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r. 1.1.2);

3.         À Montréal, entre 2003 et 2006, [le défendeur] n’a pas utilisé des méthodes de conduite des affaires qui inspirent au public le respect et la confiance et n’a pas agi avec intégrité, compétence et professionnalisme en permettant à sa cliente O.S. d’investir des sommes d’argent par le biais du compte d’un tiers, soit un compte canadien ouvert au nom de «Dominion Investment – Popoye», alors qu’il savait que le réel bénéficiaire de ce compte était O.S., et qu’il savait ou aurait dû savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice notamment d’un stratagème d’évitement fiscal, en contravention des articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 10, 13, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r. 1.1.2);

4.         À Montréal, entre 2003 et 2006, [le défendeur] n’a pas utilisé des méthodes de conduite des affaires qui inspirent au public le respect et la confiance et n’a pas agi avec intégrité, compétence et professionnalisme en permettant à son client G.F. d’investir des sommes d’argent par le biais du compte d’un tiers, soit un compte canadien ouvert au nom de «Dominion Investment – Foug», alors qu’il savait que le réel bénéficiaire de ce compte était G.F., et qu’il savait ou aurait dû savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice notamment d’un stratagème d’évitement fiscal, en contravention des articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 10, 13, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r. 1.1.2);

5.         À Montréal, entre 2003 et 2006, [le défendeur] n’a pas utilisé des méthodes de conduite des affaires qui inspirent au public le respect et la confiance et n’a pas agi avec intégrité, compétence et professionnalisme en permettant à son client J.P.N. d’investir des sommes d’argent par le biais du compte d’un tiers, soit un compte canadien ouvert au nom de «Dominion Investment – Snake», alors qu’il savait que le réel bénéficiaire de ce compte était J.P.N., et qu’il savait ou aurait dû savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice notamment d’un stratagème d’évitement fiscal, en contravention des articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 10, 13, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r. 1.1.2);

6.         À Montréal, au cours de la période de 2004 à 2006, [le défendeur] n’a pas utilisé des méthodes de conduite des affaires qui inspirent au public le respect et la confiance et n’a pas agi avec intégrité, compétence et professionnalisme en permettant à son client J.C. d’investir des sommes d’argent par le biais du compte d’un tiers, soit un compte canadien ouvert au nom de «Dominion Investment – Grey Old», alors qu’il savait que le réel bénéficiaire de ce compte était J.C., et qu’il savait ou aurait dû savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice notamment d’un stratagème d’évitement fiscal, en contravention des articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 10, 13, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r. 1.1.2);

7.         À Montréal, en 2006, [le défendeur] n’a pas utilisé des méthodes de conduite des affaires qui inspirent au public le respect et la confiance et n’a pas agi avec intégrité, compétence et professionnalisme en permettant à son client C.S. d’investir des sommes d’argent par le biais du compte d’un tiers, soit un compte canadien ouvert au nom de «Dominion Investment – Burton», alors qu’il savait que le réel bénéficiaire de ce compte était C.S., et qu’il savait ou aurait dû savoir que de procéder ainsi pouvait constituer un indice notamment d’un stratagème d’évitement fiscal, en contravention des articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 10, 13, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r. 1.1.2);



[1]       Dossier 500-80-025006-132.

[2]       Dossier 500-80-025068-132.

[3]       L.R.Q., c. C-25.

[4]       L.R.Q., c. D-9.2.

[5]       Article 379 LDP et article 115.19 de la Loi sur l'Autorité des marchés financiers, L.R.Q., c. A-33.2.

[6]       L.R.Q., c. D-9.2, r. 1.1.2.

[7]       En plaidoirie, l'avocat du défendeur mentionne que Martin Tremblay a fait l'objet d'accusations criminelles par les autorités américaines.

[8]       P-38, page 499 du mémoire de la plaignante.

[9]       P-38, page 503 du mémoire de la plaignante. Soulignement ajouté. Dans sa déclaration, le défendeur apporte une réserve sans lien avec la présente affaire.

[10]     Dossier 500-61-244605-086. Voir P-35.

[11]     Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., c. V-1.1.

[12]     Sur le constat, l'année 2006 figure. Les parties reconnaissent qu'il s'agit d'une erreur d'écriture, l'année 2007 devant paraître.

[13]     P-35 (plumitif).

[14]     P-40. Page 507 du mémoire de la plaignante. Décision nº 2009-PDG-0030.

[15]     Les chefs 1 à 7 sont reproduits en annexe.

[16]     Paragraphes 1 à 45.

[17]     Paragraphe 46.

[18]     Paragraphe 12.

[19]     Paragraphe 47.

[20]     Paragraphe 51.

[21]     Paragraphe 52.

[22]     Paragraphe 56. Soulignement ajouté.

[23]     Paragraphe 58.

[24]     Soulignement ajouté.

[25]     Paragraphe 31.

[26]     Paragraphe 87 de la décision.

[27]     Paragraphe 90 de la décision.

[28]     L.R.Q., c. C-26.

[29]     Paragraphes 87 à 90 de la décision.

[30]     2014 QCCA 1176.

[31]     Paragraphe 6.

[32]     [2008] 1 R.C.S. 190.

[33]     Paragraphe 45.

[34]     Paragraphe 63.

[35]     Soulignement ajouté.

[36]     Paragraphe 49.

[37]     Paragraphe 48.

[38]     [2011] 1 R.C.S. 160, paragraphe 26.

[39]     2013 QCCA 535.

[40]     Articles 352 et suivants.

[41]     Article 344 LDP.

[42]     [2003] 3 R.C.S. 77, paragraphe 71.

[43]     Pages 52 et suivantes du mémoire de la plaignante dans le dossier 500-80-025006-132.

[44]     Pages 54 et suivantes.

[45]     Pages 64 et suivantes.

[46]     Paragraphe 41 du mémoire du défendeur dans le dossier 500-80-025006-132.

[47]     [1995] D.D.O.P. 301. Onglet 7 du cahier des sources du défendeur, page 7.

[48]     Paragraphe 72 de la décision.

[49]     Caractère gras ajouté.

[50]     Paragraphe 69 de la décision.

[51]     Page 22 du mémoire du défendeur.

[52]     Alain MORAND, Les infractions relatives au bien-être public, dans Collection de droit 2012-2013, École du Barreau, volume 12, Droit pénal, infractions, moyens de défense et peine, Éditions Yvon Blais, 2012, page 47. Voir également : Québec (Procureur général) c. Ducharme Paysagiste inc., [1992] R.J.Q. 2122 (C.A.).

[53]     Analogie avec l'article 606 du Code criminel.

[54]     [1975] 2 RCS 426.

[55]     Page 440.

[56]     Psychologues (Ordre professionnel des) c. Fernandez De Sierra, 2005 QCTP 134, paragraphes 33 et 34.

[57]     Éric DOWNS et Magdalini VASSILIKOS, « La preuve en droit disciplinaire », dans Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2009), vol. 307, 2009, à la page 92.

[58]     Psychologues (Ordre professionnel des) c. Fernandez De Sierra, paragraphe 33; Éric DOWNS et Magdalini VASSILIKOS, page 92.

[59]     Jean-Claude ROYER et Sophie LAVALLÉE, La preuve civile, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, paragraphe 175, page 126.

[60]     2006 QCCQ 5743, paragraphe 17.

[61]     D.T.E. 2001T-615 (C.S.). Requête pour permission d'appeler rejetée (C.A., 2001-05-11), 500-09-010914-018.

[62]     Paragraphes 27 et 28.

[63]     Paragraphe 855, page 756.

[64]     [1999] R.J.Q. 427 (C.A.), page 431. Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2000-06-08), 27458.

[65]     Ali, page 433.

[66]     Paragraphes 76 et suivants.

[67]     Page 431, La Cour se réfère à l'auteur Jean-Louis Baudouin.

[68]     Paragraphe 84 de la décision.

[69]     Paragraphes 82 et 83 de la décision.

[70]     Paragraphes 87 et suivants de la décision.

[71]     P-20, page 307 du mémoire de la plaignante.

[72]     P-24, page 368 du mémoire de la plaignante.

[73]     P-24, page 371 du mémoire de la plaignante.

[74]     P-24, page 386 du mémoire de la plaignante.

[75]     P-32, pages 476 et 477 du mémoire de la plaignante.

[76]     Pièce R-1 de la requête.

[77]     Pièce R-2 de la requête.

[78]     Pièce R-4 au soutien de la requête.

[79]     Page 241 de la pièce R-3 au soutien de la requête.

[80]     2010 QCCA 1078. Voir également : Champagne c. Ledoux, 2012 QCCA 325.

[81]     Paragraphe 30.

[82]     2003 QCCA 32934.

[83]     Paragraphe 38.

[84]     Paragraphe 36.

[85]     Paragraphe 51.

[86]     Voir notamment : Champagne c. Haché, 2010 QCCDCSF 99862; Thibault c. Hentschel, 2009 QCCDCSF 57595.

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