Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0965

 

DATE :

14 septembre 2013

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Claude Trudel, A.V.A.

Membre

Mme Gisèle Balthazard, A.V.A.

Membre

_____________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

 

PAUL-ANDRÉ BÉLISLE, conseiller en sécurité financière et conseiller en assurance et rente collective (numéro de certificat 102214)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR REQUÊTE AFIN QUE SOIT ORDONNÉ

L’ARRÊT DES PROCÉDURES

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 8 mai 2013, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni aux locaux de la Commission des lésions professionnelles sis au 500, boulevard René-Lévesque Ouest, 18e étage, Montréal, et a procédé à l’audition d’une requête de l’intimé ainsi libellée :


LA REQUÊTE

 

REQUÊTE EN ARRÊT DES PROCÉDURES

___________________________________________

 

AUX MEMBRES SIÈGEANT AU CONSEIL DE DISCIPLINE DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE, L’INTIMÉ/REQUÉRANT EXPOSE RESPECTUEUSEMENT CE QUI SUIT :

 

 

1.            L’intimé/REQUÉRANT s’est vu signifier une plainte disciplinaire, par la plaignante/INTIMÉE, le ou vers le 11 décembre 2012, le tout tel qu’il appert de la copie de ladite plainte disciplinaire produite au soutien des présentes sous la cote R-1;

 

2.            La plainte signifiée par la plaignante/INTIMÉE comporte six chefs d’accusation :

 

« 1.      Dans la région de Montréal, au mois d’octobre 2003, l’intimé a fait souscrire à son client G.C. la police d’assurance vie universelle numéro L11091131 auprès de la Standard Life alors qu’elle ne correspondait pas à sa situation financière, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 12 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.3);

 

2.        Dans la région de Montréal, au mois d’octobre 2003, l’intimé n’a pas recueilli personnellement tous les renseignement et procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de son client G.C., alors qu’il lui faisait souscrire la police d’assurance vie universelle numéro L11091131 auprès de la Standard Life, contrevenant ainsi aux articles 16, 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (c. D-9.2, r.10);

 

3.        Dans la région de Montréal, entre octobre et décembre 2003, l’intimé a donné à son client G.C. des informations fausses, incomplètes, trompeuses ou susceptibles de l’induire en erreur quant à la police d’assurance vie universelle numéro L11091131 souscrite auprès de la Standard Life, contrevenant ainsi aux articles 16, 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 12, 13, 14, 16 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.3);

 

4.        Dans la région de Montréal, le ou vers le 2 avril 2004, l’intimé a donné à son client G.C. des informations fausses, trompeuses ou susceptibles de l’induire en erreur quant à la police d’assurance vie universelle numéro L11091131 souscrite auprès de la Standard Life, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 12, 13, 14, 16 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.3);

 

5.        Dans la région de Montréal, le ou vers le 28 septembre 2004, l’intimé a donné à son client G.C. des informations fausses, incomplètes, trompeuses ou susceptibles de l’induire en erreur quant à la police d’assurance vie universelle numéro L11091131 souscrite auprès de la Standard Life, contrevenant ainsi aux articles 16 de Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 12, 13, 14, 16 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D.-9.2, r.3);

 

6.        Dans la région de Montréal, le ou vers le 16 août 2007, l’intimé a donné à son client G.C. des informations fausses, incomplètes, trompeuses ou susceptibles de l’induire en erreur quant à la police d’assurance vie universelle numéro L11091131 souscrite auprès de la Standard Life, contrevenant ainsi aux articles 16 de Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 12, 13, 14, 16 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D.-9.2, r.3). »

 

le tout tel qu’il appert d’une copie de la plainte disciplinaire déjà produite sous la cote R‑1;

 

3.            L’intimé/REQUÉRANT a de bons et valables motifs pour demander l’arrêt des procédures en l’instance et ce, pour les motifs ci-après énoncés;

 

4.            En effet, la date des évènements auxquels faits référence la plainte disciplinaire remontent à 2003, 2004 et 2007 et les premiers faits reprochés remontent aussi loin qu’à octobre 2003, à savoir il y a maintenant presque 10 ans;

 

5.            Le long délai entre les faits reprochés et la date de signification de la plainte disciplinaire est un délai que l’on peut qualifier de déraisonnable et qui justifie l’arrêt immédiat des procédures en l’instance[1];

 

6.            Il appert du délai écoulé depuis les faits reprochés, l’enquête du syndic et du dépôt de la plainte disciplinaire, que la plaignante/INTIMÉE a été non seulement négligente dans la tenue de son enquête, mais également ce délai injustifié témoigne d’une incurie qui empêche l’intimé/REQUÉRANT de présenter une défense pleine et entière;

 

7.            En effet, le long délai écoulé aura pour conséquence que la mémoire des témoins éventuels, concernant les faits reprochés, est compromise et ce, étant donné qu’il s’est écoulé presque dix ans entre les faits reprochés et le dépôt de la plainte disciplinaire, ce qui est inacceptable afin d’assurer une défense pleine et entière à l’intimé/REQUÉRANT et dans le but qu’il puisse bénéficier d’un procès juste et équitable;

 

8.            Au surplus, ce long délai administratif, entre les faits reprochés, l’enquête et le dépôt de la plainte disciplinaire par la plaignante/INTIMÉE, a eu pour conséquence que des documents extrêmement importants ont été perdus au dossier par cette dernière, ce qui fait en sorte que l’intimé/REQUÉRANT n’est pas en mesure de se défendre adéquatement des faits qu’on lui reprochent, ce qui empêche une fois de plus l’intimé/REQUÉRANT d’avoir le droit à une défense pleine et entière et de bénéficier d’un procès juste et équitable;

 

9.            Il n’y a aucune raison qui justifie le long délai administratif entre les faits reprochés, la tenue de l’enquête et le dépôt de la plainte disciplinaire, mis à part l’incurie et la négligence de la plaignante/INTIMÉE, ce qui va à l’encontre des principes de justice naturelle et du devoir d’agir équitablement et qui justifie l’arrêt des procédures en l’instance[2];

 

10.          Les inconvénients occasionnés par cette situation sont d’autant plus dommageables pour l’intimé/REQUÉRANT, alors qu’il n’y a aucune incidence pour la plaignante/INTIMÉE;

 

11.          En effet, le long délai injustifié et déraisonnable, entre les faits reprochés, l’enquête et le dépôt de ladite plainte, cause un stress inutile et gratuit et des dommages irréparables à l’intimé/REQUÉRANT qui ne peut plus, par ce long délai écoulé, présenter une défense pleine et entière et bénéficier d’un procès juste et équitable, ce qui est un accro sérieux aux principes de la justice naturelle et au devoir d’agir équitablement[3];

 

12.          Ces inconvénients occasionnés par l’incurie et la négligence de la plaignante/INTIMÉE, de par sa conduite, créé une situation anxiogène pour l’intimé/REQUÉRANT, alors qu’au surplus l’enquêteur du bureau de la syndique plaignante/INTIMÉE a perdu l’original du dossier expédié par l’intimé/REQUÉRANT dont les documents essentiels et dont l’intimé/REQUÉRANT n’a pas de copie;

 

13.          Ainsi, l’intimé/REQUÉRANT subi un grave préjudice de ce long délai écoulé entre les faits reprochés, l’enquête et le dépôt de la plainte disciplinaire, notamment les effets que ce délai a occasionné sur la mémoire des témoins éventuels, les documents extrêmement importants qui ont été perdus et il est désormais impossible pour l’intimé/REQUÉRANT de présenter une défense pleine et entière et de bénéficier d’un procès juste et équitable et ce, en plus du tort, des inconvénients et des dommages occasionnés par la présente plainte disciplinaire;

 

14.          Or, l’arrêt des procédures est le seul remède utile, puisque les préjudices causés par l’incurie, la négligence et le long délai administratif injustifié et déraisonnable entre les faits reprochés, l’enquête et le dépôt de la plainte discipline et la perte du dossier de l’intimé/REQUÉRANT violent le droit de l’intimé/REQUÉRANT de bénéficier d’une défense pleine et entière et lesdits dommages seront révélés, perpétués et aggravés par le déroulement de la présente audition, alors qu’au surplus, presque dix ans se sont écoulés depuis la signification de ladite plainte disciplinaire depuis les premiers faits reprochés à l’intimé/REQUÉRANT, de telle sorte que l’intimé/REQUÉRANT subit des inconvénients et du stress inutile et des effets psychologiques néfastes depuis le début de l’enquête du syndic, alors qu’il lui est impossible de trouver des témoins qui se souviennent des faits reprochés et alors que des documents extrêmement importants ont été perdus par la plaignante/INTIMÉE;

 

15.          Il n’y a aucun autre remède approprié et efficace à la situation créée, engendrée, provoquée par l’incurie et la négligence de la plaignante/INTIMÉE, que l’arrêt des procédures en l’instance;

 

16.          L’arrêt des procédures en l’instance constitue donc le seul remède approprié afin de corriger la situation et ainsi dans l’intérêt de la justice, et dans l’intérêt de l’intimé/REQUÉRANT, d’assurer la protection de ses droits, privilèges et intérêts et surtout le respect des principes de justice naturelle et afin d’éviter que le tort, les inconvénients et les dommages causés à l’intimé/REQUÉRANT, par ce long délai administratif, l’incurie et la négligence de la plaignante/INTIMÉE, ne perdurent;

 

17.          Il est donc dans l’intérêt de la justice, d’une saine administration et dans le but de protéger le public de ces abus de droit que la présente requête en arrêt des procédures doit être accueillie, ne serait-ce qu’en raison de la minimisation des dommages causés à l’intimé/REQUÉRANT, le droit de ce dernier de bénéficier d’une défense pleine et entière et ainsi éviter qu’il ait à subir les inconvénients occasionnés par le long délai administratif injustifié et déraisonnable entre les faits reprochés, l’enquête et le dépôt de la plainte discipline et la perte du dossier de l’intimé/REQUÉRANT et pour que le public continue d’avoir confiance en la justice, en plus d’empêcher que les effets psychologiques négatifs ressentis par l’intimé/REQUÉRANT perdurent encore durant ce temps d’attente déraisonnable et injustifié et par la perte de son dossier et qui justifient la présente demande en arrêt des procédures[4];

 

18.          La présente requête en arrêt des procédures est donc bien fondée tant en faits qu’en droit;

 

PAR CES MOTIFS, PLAISE AUX MEMBRES DU CONSEIL DE DISCIPLINE DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE DE:

 

 

ACCEUILLIR la présente requête en arrêt des procédures et la DÉCLARER bien fondée tant en faits qu’en droit;

 

ORDONNER l’arrêt immédiat des procédures en l’instance, à toutes fins que de droit;

 

RENDRE toute autre ordonnance que le présent Conseil de discipline jugera nécessaire de rendre;

 

 

LE TOUT avec les entiers dépens;

 

                                                                              À Montréal, le 8 avril 2013

 

                                                                              (s) Brunet & Brunet

                                                                              _____________________________

BRUNET & BRUNET

Procureurs de l’intimé/REQUÉRANT

 

A F F I D A V I T

______________

Je, soussigné, Paul-André Bélisle, conseiller en sécurité financière et conseiller en assurance et rente collective, exerçant ma profession au 255 boulevard Des Prairies, appartement A, à Laval, province de Québec, H7N 2T8, affirme solennellement ce qui suit :

 

 

1.            Je suis l’intimé/REQUÉRANT en la présente instance;

 

2.            Je suis au courant de tous les faits mentionnés dans la présente requête en arrêt des procédures, lesquels sont vrais et exacts;

 

3.            J’ai pris connaissance du présent affidavit et tous les faits y mentionnés sont vrais et exacts et ce, à ma connaissance personnelle;

 

 

 

EN FOI DE QUOI J'AI SIGNÉ:                            À Montréal, ce 9ème jour du mois

                                                                              d’avril 2013

 

                                                                              (s) Paul-André Bélisle

                                                                              ______________________________

                                                                              Paul-André BÉLISLE

 

 

Affirmé solennellement devant moi

à Montréal, ce 9ème jour du mois d’avril

2013

 

(s) Doris Nsengiyumva

_________________________________

Commissaire à l'assermentation pour le

Québec

 

 


AVIS DE PRÉSENTATION

 

 

 

 

À :       Me Jean-François Noiseux

            BÉLANGER, LONGTIN

            1 Place Ville-Marie, bureau 2125

            MONTRÉAL (Québec) H3B 2C6

           

            Procureurs de la plaignante/INTIMÉE

 

            Télécopieur : (514) 866-7294

 

À :        Me Catherine Meinrath

Ès qualité de secrétaire du Conseil de discipline de la Chambre de la sécurité financière

            300 rue Léo-Pariseau, 26e étage

            MONTRÉAL (Québec) H2X 4B8

 

            Télécopieur : (514) 282-2225

 

 

PRENEZ AVIS que la présente requête en arrêt des procédures sera présentée devant le Conseil de discipline de la Chambre de la sécurité financière aussitôt que conseil pourra être entendu.

 

VEUILLEZ AGIR EN CONSÉQUENCE

 

 

                                                                                      À Montréal, le 8 avril 2013

 

                                                                                      (s) Brunet & Brunet

                                                                                      __________________________

                                                                                      BRUNET & BRUNET

Procureurs de l’intimé/REQUÉRANT


 

[2]           À sa requête, l’intimé allègue essentiellement que les délais écoulés entre le moment des faits qui lui sont reprochés et la date d’introduction de la plainte sont déraisonnables, vont à l’encontre de ses droits, notamment en vertu des règles de justice naturelle, et demande au comité d’ordonner l’arrêt des procédures.

[3]           Il allègue que lesdits délais témoignent de l’incurie de la plaignante qui aurait, selon lui, été « négligente dans la tenue de son enquête ».

[4]           Il affirme que ceux-ci ont comme résultat qu’« il lui est impossible de trouver des témoins qui se souviennent des faits reprochés » et « que la mémoire des témoins éventuels concernant les faits reprochés est compromise ».

[5]           Il ajoute qu’ils auraient aussi « pour conséquence que des documents extrêmement importants auraient été perdus au dossier par la plaignante ».

[6]           Il soutient en effet que l’enquêteur au bureau de la syndique, à qui celui-ci a été expédié, aurait « perdu l’original » de son dossier qui comprenait des « documents essentiels » dont il n’a pas copie.

[7]           Il invoque que le « long délai injustifié et déraisonnable » ainsi que la perte d’éléments du dossier lui ont causé et lui causent un « stress inutile et gratuit » ainsi que « des effets psychologiques néfastes alors qu’il lui est impossible de trouver des témoins qui se souviennent des faits reprochés et alors que des documents ont été perdus ».

[8]           Il déclare qu’il lui est désormais impossible de présenter une défense pleine et entière et de bénéficier d’un procès juste et équitable.

[9]           Il indique que l’arrêt des procédures est « le seul remède approprié » pouvant pallier « à la situation créée, engendrée, provoquée par l’incurie et la négligence » de la plaignante.

[10]        En conclusion, il soumet que, conformément aux règles de justice naturelle, dans l’intérêt d’une saine administration de celle-ci, « et dans le but de protéger le public de ces abus de droit », sa requête en arrêt des procédures doit être accueillie, « ne serait-ce qu’en raison de la minimisation des dommages causés à l’intimé ».

LA PREUVE

[11]        Au soutien de sa requête, l’intimé, en plus de faire entendre l’enquêteur, M. Donald Poulin, témoigna lui-même.

[12]        Lors de sa déposition, il fit valoir qu’il ne lui serait plus possible de présenter une défense pleine et entière, invoquant notamment que depuis les événements reprochés :

a)            la comptable agréée, Mme Danielle Dan, avec laquelle il a traité le dossier de son client, aurait été victime d’un incendie et les documents comptables relatifs à la situation financière de ce dernier auraient été perdus et ne lui seraient plus accessibles[5];

b)            un témoin avec lequel il a communiqué au sujet de certains documents en relation avec l’affaire, M. Assi, à l’emploi de Financière Manuel Smith Agency (MSA), son agent général de l’époque, ne se souviendrait plus du « contenu des rencontres » qu’il a eues relativement aux événements en cause et l’entreprise n’aurait plus de dossier concernant cette affaire;

c)            il ignorerait « où serait rendue » la secrétaire qui l’assistait à l’époque, une dame prénommée Jacinthe, dont il n’a toutefois pas, à la souvenance du comité, précisé le nom;

d)            jusqu’au jour de l’audition, il ignorait le nom du représentant qui a porté plainte contre lui, le bureau de la syndique ayant jusqu’alors refusé de lui divulguer celui-ci;

e)            il ne se souvient pas du nombre de rencontres qu’il a eues avec le consommateur en cause, M. C., non plus que du « contenu de toutes les conversations lors de toutes les rencontres »;

f)             il ne se souvient pas de la personne à l’emploi de la Standard Life, l’assureur concerné, qui aurait évalué la situation du consommateur, M. C., et le produit qui lui était offert, et il n’aurait aucun moyen de retracer cette dernière.

[13]        Il a de plus témoigné qu’à la demande de l’enquêteur au bureau de la syndique il a fait parvenir à cette dernière, après en avoir conservé une photocopie, l’original de son dossier. Il a ajouté toutefois ne pas avoir, avant l’envoi, entièrement recopié celui-ci, n’ayant pas pris copie notamment de petits addenda qui s’y retrouvaient.

[14]        Il a également raconté que quelques mois plus tard, ledit enquêteur lui aurait à nouveau demandé de lui faire parvenir celui-ci après lui avoir déclaré l’avoir perdu. Au moyen de la photocopie qu’il détenait, il se serait à nouveau exécuté.

[15]        Il a affirmé que compte tenu de cette situation, il pourrait être à craindre que certains éléments à son dossier original ne lui soient plus accessibles.

[16]        Enfin, il a indiqué qu’il n’avait aucunement contribué à l’existence des délais en cause signalant qu’après la réception d’un avis qu’une demande d’enquête à son endroit avait été déposée, au moyen d’une lettre émanant de son procureur, il avait réclamé de la plaignante, alléguant notamment le caractère anxiogène de la situation et les difficultés qu’il traversait, d’agir rapidement.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[17]        Dans l’arrêt Blencoe[6], la Cour suprême du Canada a décrété que les principes de justice naturelle, notamment celui ayant trait au droit d’être jugé dans un délai raisonnable, devaient recevoir application en matière de droit administratif.

[18]        Afin de déterminer s’il y a eu atteinte à ce principe, la Cour a suggéré d’étudier la nature et la cause du délai. Et pour permettre de conclure à un manquement à l’obligation d’agir équitablement, elle a indiqué que le délai invoqué devait être « manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important »[7].

[19]        Conservant ces enseignements à l’esprit, examinons la situation en l’espèce.

[20]        Alors que la plainte est datée du 10 décembre 2012, les faits reprochés à l’intimé remontent dans le cas des chefs 1, 2 et 3 au mois d’octobre 2003, dans le cas des chefs 4 et 5, aux mois d’avril et septembre 2004 et dans le cas du chef 6, au mois d’août 2007. Ainsi le délai entre les événements reprochés et le dépôt de la plainte disciplinaire est, pour les chefs 1 à 3, de plus de neuf (9) ans, pour les chefs 4 et 5, de plus de huit (8) ans, et pour le chef 6, de plus de cinq (5) ans.

[21]        L’étendue de ces délais est regrettable mais ils ne peuvent, en eux-mêmes, autoriser le comité à faire droit à la requête de l’intimé. La faute disciplinaire, compte tenu de l’objectif de protection du public, n’est soumise à aucune règle de prescription[8].

[22]        Par ailleurs, pour fins d’analyse, il est opportun de les partager en deux (2) blocs, soit : a) le délai entre les événements reprochés et le dépôt de la demande d’enquête et; b) le délai entre la réception de la demande d’enquête et la date d’introduction de la plainte.

a)        Le délai entre les événements reprochés et le dépôt de la demande d’enquête.

[23]        Selon la preuve présentée au comité, la demande d’enquête a été reçue par le bureau de la syndique le ou vers le 29 octobre 2009.

[24]        Ainsi, entre les événements reprochés et le dépôt de la demande d’enquête, il se serait écoulé un délai variant entre environ six (6) ans dans le cas des chefs 1, 2, 3 et d’environ vingt-six (26) mois dans le cas du chef 6.

[25]        Ces délais n’ayant pas été expliqués au comité, celui-ci ne peut à ce stade-ci tirer de conclusion à leur endroit.

[26]        Il mérite aussi d’être mentionné que, bien qu’il soit admis « qu’il pourrait y avoir des circonstances exceptionnelles [où] le délai puisse courir avant le dépôt de l’accusation »[9], une certaine jurisprudence reconnaît qu’il ne doit habituellement pas être tenu compte du délai qui s’écoule avant l’introduction de la plainte.

[27]        Terminons enfin en ajoutant qu’aucun élément de preuve ne permet de conclure qu’avant la réception de la demande d’enquête la syndique aurait été au courant des faits qui ont mené à l’introduction de la plainte.

b)         Le délai entre la réception de la demande d’enquête et la date d’introduction de la plainte.

[28]        Le délai entre la demande d’enquête (le ou vers le 29 octobre 2009) et l’introduction de la plainte par la syndique (le ou vers le 10 décembre 2012) a été d’environ trente-sept (37) mois.

[29]        Or très certainement cette dernière avait l’obligation de procéder avec diligence, et ce, d’autant plus qu’elle avait été avisée par le procureur de l’intimé des difficultés qu’éprouvait son client tant à la suite de la demande d’enquête que des doubles démarches de l’enquêteur lui réclamant son dossier et, généralement, de l’anxiété que lui causait la situation.

[30]        Son travail n’était toutefois pas au départ d’une simplicité évidente.

[31]        L’enquête, entreprise dans les jours qui ont suivi la demande d’investigation, nécessitait la cueillette d’informations à l’égard de plusieurs éléments factuels et l’obtention d’une bonne part de documentation. Elle exigeait de l’enquêteur qu’il contacte et/ou rencontre bon nombre d’intervenants. Quelques-uns ont pu prendre un certain temps à lui répondre. Le suivi chronologique des démarches ou interventions au dossier, si l’on en croit son témoignage, fait vingt-deux (22) pages!

[32]        Selon ce que ce dernier a déclaré, il aurait terminé sa collecte d’informations ou de renseignements au mois de juin 2011, aurait ensuite préparé et organisé son dossier puis l’aurait présenté à la syndique.

[33]        Cette dernière aurait alors eu à apprécier et évaluer celui-ci. Elle aurait ensuite choisi de retenir les services d’un expert et aurait dû entreprendre les démarches nécessaires pour y parvenir. Enfin, après qu’elle eut engagé celui-ci et obtenu son rapport, elle aurait confié le dossier pour analyse aux procureurs externes retenus pour mener le dossier à terme. La plainte aurait ainsi été déposée le ou vers le 10 décembre 2012, soit après un délai d’environ dix-huit (18) mois du moment où l’enquêteur lui a transmis le résultat de son enquête ou de sa cueillette de renseignements.

[34]        Si le délai entre la demande d’enquête et le dépôt de la plainte n’est pas ce qui aurait pu être souhaité, il ne faut pas perdre de vue que l’obligation pour la syndique de recueillir tous les éléments de preuve nécessaires au dépôt d’une plainte disciplinaire est un fardeau exigeant qui demande de cette dernière un travail méticuleux, serré, précis et rigoureux.

[35]        Par ailleurs, pour réussir sur sa requête, l’intimé avait le fardeau d’établir la preuve d’un préjudice sérieux, réel et irréparable.

[36]        Tel que précédemment mentionné, il a invoqué devant le comité que certains documents comptables, aux mains de la professionnelle avec laquelle il a traité des données financières du client, auraient disparu lors d’un incendie. Il a fait état de son inhabilité à retracer certains témoins ou à obtenir certains documents. Il a mentionné son incapacité et celle de ses témoins à se souvenir précisément des détails à l’égard de faits remontant à plusieurs années... etc. Or, malgré ses affirmations, la conclusion voulant qu’il soit ainsi privé de la possibilité de présenter une défense pleine et entière ne nous a pas été démontrée.

[37]        Certes les délais invoqués peuvent comporter des difficultés pour l’intimé (comme pour la plaignante d’ailleurs) mais cela n’est pas suffisant pour que nous puissions à ce stade-ci ordonner l’arrêt des procédures.

[38]        Pour réussir sur sa requête, l’intimé devait faire la démonstration d’un ou d’empêchements spécifiques portant significativement atteinte à sa capacité de présenter une défense pleine et entière aux chefs d’accusation portés contre lui. La simple preuve d’obstacles ou d’inconvénients ne pouvait suffire.

[39]        L’arrêt des procédures ne doit en effet être accordé qu’exceptionnellement et que dans les cas les plus manifestes.

[40]        L’honorable juge Charles D. Gonthier, alors à la Cour supérieure, écrivait à cet effet dans l’affaire Neiss c. Durand citée dans Psychologues (Corporation professionnelle des) c. Blanchette, 1994 DDCP 161, 165 :

« (…) l’arrêt définitif des procédures est une sanction ultime et de dernier ressort en ce qu’il empêche que le bien fondé des plaintes soit décidé et que le respect de la loi soit assuré. Or le maintien de la discipline professionnelle est de première importance dans la société (…). Un indice de cette importance est le fait qu’en matière de discipline professionnelle, il n’y a pas de prescription. »

[41]        Par ailleurs l’honorable juge Pierre J. Dalphond, alors à la Cour supérieure, déclarait dans l’affaire Parizeau c. Barreau du Québec et al., 1997 RJQ 1701, p. 1711 :

« L’intérêt public commande qu’une infraction déontologique soit punie, le seul fait que l’enquête prenne un certain temps ne saurait que conférer l’immunité à la hauteur de la faute. »

[42]        La preuve soumise n’a pas démontré que le délai invoqué par l’intimé portera irrémédiablement atteinte à l’intégrité de l’audition ou que le comité soit en présence d’un de ces cas manifestes qui le justifierait d’ordonner l’arrêt des procédures.

[43]        En l’espèce, compte tenu de la nature et des exigences de l’enquête (en lien avec la souscription d’une police d’assurance-vie universelle, un produit relativement complexe) ainsi que de l’ensemble des démarches nécessaires à la préparation d’un dossier devant mener au dépôt de six (6) chefs d’accusation, le délai en cause, (bien que relativement long, plus particulièrement après le travail de cueillette d’informations effectué par l’enquêteur), ne paraît pas, de l’avis du comité, excessif au point de justifier l’arrêt des procédures.

[44]        Le comité reconnait cependant que dans une situation telle celle à laquelle il est confronté, l’évaluation du préjudice subi peut être difficile à établir avant que l’ensemble de la preuve pertinente au dossier ne lui ait été présenté.

[45]        Aussi se réservera-t-il le droit, lorsque l’ensemble de la preuve en cette affaire lui aura été soumis, de vérifier, s’il le croit approprié, les prétentions de l’intimé.

[46]        Compte tenu de ce qui précède, et cela dit avec égards, la demande d’arrêt des procédures formulée par l’intimé doit être rejetée, la preuve offerte par ce dernier n’ayant pas démontré au comité qu’il serait en présence de l’un de ces cas manifestes où un tel moyen devrait au départ être accordé.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

REJETTE la requête pour ordonner l’arrêt des procédures présentée par l’intimé/requérant.

 

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Claude Trudel

M. CLAUDE TRUDEL, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

(s) Gisèle Balthazard

Mme GISÈLE BALTHAZARD, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Jean-François Noiseux

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Robert Brunet

BRUNET & BRUNET

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

8 mai 2013

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1] R. –c- O’Connor [1995] 4 RCS 411; Désormeaux –c- Côté, [1985] CS 522; Comité de discipline de l’Ordre professionnel des psychologues du Québec –c- Desbiens, 91D-91

[2] Ptack –c- Comité de discipline de l’Ordre des dentistes du Québec, 1992 CanLII 3303 (QC CA);

[3] Voir note 2, à la page 5

[4] Désormeaux –c- Côté [1985] CS 522, à la page 529, voir note 1

[5]     Il a soutenu qu’au moment des événements en cause le client n’acceptait pas de lui montrer ses bilans ou états financiers, qu’il devait s’adresser plutôt à la comptable, et que mis à part ce qu’il connaissait personnellement et ce que lui révélait ladite comptable, il n’avait pas d’autres sources d’information.

[6]     Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 2 R.C.S., p. 307.

[7]     Voir l’analyse de l’honorable juge Bastarache au paragraphe 115 de l’arrêt précité.

[8]     Voir Jean-Benoit Béchard c. Augustin Roy, 1975 C.A., p. 509.

[9]     Carter c. R., 1986 R.C.S. 981, p. 6.

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