Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1016

 

DATE :

Le 25 juin 2014

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. Michel Gendron

Membre

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Membre

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CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

FRÉDÉRIC BLIN (certificat numéro 172741)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                De non-publication et de non-diffusion des noms des consommateurs en cause, des informations qui permettraient de les identifier, et de non-divulgation des pièces C-1 et C-2.

[1]          Le 20 février 2014, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre, sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire suivante portée contre l'intimé le 18 octobre 2013.


LA PLAINTE

1.         À Victoriaville, le ou vers le 5 juillet 2012, l’intimé a contrefait les initiales de ses clients R.B. et D.B. sur deux formulaires «Demande d’ouverture et de mise à jour de compte» de leur compte conjoint numéro [...], contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, ch. D-9.2), 10, 14 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, ch. D-9.2, r.7.1).

[2]          Alors que la plaignante était représentée par procureur, l’intimé se représentait seul.

[3]          Après que le comité se soit assuré que l’intimé comprenait que, par un plaidoyer de culpabilité, il reconnaissait les gestes reprochés et que ceux-ci constituaient des infractions déontologiques, l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité sous l’unique chef d’accusation porté contre lui.

[4]          Le procureur de la plaignante a déposé pour seule preuve l’attestation de droit de pratique de l’intimé (P-1) ajoutant être d’avis que, dans le cas d’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité par l’intimé, la partie plaignante était déchargée de son fardeau de preuve et n’avait ainsi aucune obligation de déposer la preuve documentaire relative aux infractions commises.

[5]          Cette question ayant déjà été soulevée devant une autre formation du comité et, en attendant la décision de ce dernier sur celle-ci, le présent comité a requis le dépôt de la preuve documentaire supportant les gestes reprochés au chef d’accusation de cette plainte.

[6]          En conséquence, le procureur de la plaignante a déposé les formulaires d’ouverture de compte allégués et a ensuite relaté le contexte de la commission des infractions reprochées.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES SUR SANCTION

LA PLAIGNANTE

[7]          Le procureur de la plaignante a recommandé d’ordonner la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux mois, sa condamnation au paiement des déboursés ainsi que la publication de la décision.  

[8]          Il a, en sus de la gravité objective de l’infraction, invoqué les facteurs atténuants suivants :

a)     L’absence d’intention malveillante;

b)     La collaboration de l’intimé à l’enquête;

c)      L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité à la première occasion;

d)     L’absence d’antécédent disciplinaire;

e)     Les regrets exprimés par l’intimé.

[9]           À l’appui, il a soumis une série de décisions[1], en prenant soin de souligner les similitudes et les distinctions avec le cas en l’espèce.

[10]       À la suite de discussions avec le comité, il a convenu que la décision rendue dans l’affaire Côté était celle qui se rapprochait le plus du présent cas, les faits entourant les infractions de même nature dans les autres affaires démontrant un degré de gravité passablement plus important.

 

L’INTIMÉ

[11]       Avant de travailler dans le milieu financier, l’intimé a fait des études universitaires en administration des affaires. Il a par la suite suivi une formation en valeurs mobilières, en courtage hypothécaire et a entrepris des cours en planification financière.

[12]       Il a obtenu son certificat en épargne collective le 12 février 2007 et a exercé dans cette discipline auprès du Services d’investissement TD inc. jusqu’en avril 2007. Par la suite, il a été cinq ans sans pratiquer dans ce domaine, se consacrant plutôt à l’assurance de personnes. En mars 2012, il a complété les formations exigées, dont le cours «Fonds d’investissement au Canada», et a renouvelé son certificat en épargne collective, débutant alors auprès de Desjardins Cabinet de Services financiers inc. (Desjardins). 

[13]       Au moment des événements en cause, il ne pratiquait donc en épargne collective que depuis quelques mois. Son supérieur, n’ayant pas le temps de le superviser, mais afin de l’assister, lui a désigné une adjointe qui possédait de nombreuses années d’expérience auprès des représentants. Il a expliqué qu’il a apposé les initiales de ses clients plutôt que de les faire se déplacer de nouveau, suivant ainsi les conseils de cette dernière qui lui a dit que certains représentants le faisaient.

[14]       À la suite des événements, Desjardins l’a suspendu pour deux jours. Il a expliqué qu’après cet incident, ses moindres erreurs étaient traitées exagérément par Desjardins, contrairement à celles commises par d’autres représentants. Aussi, quelques mois plus tard en mars 2013, il a été congédié.

[15]       Il travaille maintenant comme directeur des ventes auprès d’un concessionnaire automobile.

ANALYSE ET MOTIFS

[16]       Au moment des événements, l’intimé ne pratiquait en épargne collective que depuis quelques mois, et ce, après avoir cessé pendant plus de cinq ans. Son supérieur l’a référé à une adjointe, car il n’avait pas le temps de le superviser. C’est suivant les conseils de cette dernière, qui possédait de nombreuses années d’expérience auprès des représentants, qu’il a apposé les initiales de ses clients plutôt que de les faire revenir pour le faire, celle-ci lui ayant dit que certains représentants procédaient de la sorte.

[17]       L’intimé n’a tiré aucun bénéfice de sa faute et les clients n’en ont subi aucun préjudice.

[18]       Il s’agit d’un geste isolé qui résulte d’une erreur de jugement, qui a toutefois eu des répercussions dramatiques tant sur sa vie personnelle que professionnelle. Il a déjà écopé pour ces gestes, d’une suspension de deux jours, suivie d’un congédiement moins d’un an plus tard, mettant ainsi fin à sa carrière de façon abrupte, après à peine six ans dans l’industrie. C’est ainsi qu’après avoir obtenu un baccalauréat en administration des affaires, suivi toutes les formations exigées et renouvelé son permis en épargne collective qu’il est exclu de l’industrie et gagne sa vie comme directeur des ventes chez un concessionnaire.

[19]       Il est reproché à l’intimé d’avoir contrefait les initiales de ses clients à la page 5 de chacun des formulaires (C-1 et C-2). Bien que l’intimé ait bel et bien reconnu avoir apposé les initiales de ses clients, certaines constatations méritent d’être signalées eu égard à ces formulaires :

a)    Il n’est pas usuel de voir un formulaire d’ouverture de compte « conjoint » ne contenir que le nom d’une seule personne (voir information sur le détenteur).  D’ailleurs, il n’y a aucune section permettant d’inscrire les informations sur un codétenteur ni d’endroit où ce dernier puisse signer le formulaire;

b)    Il y a deux demandes d’ouverture de compte, la première pour D.B. et la deuxième pour R.B. Les deux demandes concernent le compte conjoint #[...], tel qu’il est indiqué dans la section « Autres renseignements » dans le haut de la page 1 de 6;

c)    Il est habituel de retrouver une seule demande d’ouverture de compte lorsqu’il s’agit d’une demande conjointe ou de codétention, afin que les informations des deux détenteurs se trouvent sur la même demande signée par les deux. S’il y a un formulaire au nom de D.B. et un autre à celui de R.B. ainsi qu’un compte conjoint, il devrait y avoir trois formulaires de demande d’ouverture et non deux;

d)    L’examen du formulaire de Desjardins ne révèle d’aucune façon qu’il s’agit d’un compte conjoint, les informations sur un codétenteur ne figurant à aucun endroit. Les noms du conjoint ou de la conjointe se trouvent dans la section « Renseignements familiaux », mais cette section sert aux fins de réglementation et non pas pour indiquer qu’il s’agit d’un compte conjoint qui de toute façon n’est pas nécessairement un compte détenu par des conjoints (de faits ou mariés) car il est possible de détenir un compte conjoint avec un ami, un parent voire même un étranger;

e)    Il existe une certaine confusion dans la section « Référence bancaire ou autre institution financière » vu une mention voulant que ce compte soit conjoint. Toutefois, en raison de la section où celle-ci se trouve, celle-ci semble s’appliquer plutôt au compte bancaire qu’au compte conjoint en cause;

f)     Dans la section « Renseignements sur les comptes en codétention », au bas de la page 5, les initiales de deux codétenteurs y apparaissent. Or, bien que les initiales de deux codétenteurs s’y trouvent, il est impossible d’identifier ou valider de qui il s’agit puisqu’il n’y a aucune information au sujet d’un codétenteur. On peut certes reconnaitre les initiales du détenteur dont le nom et autres informations apparaissent au formulaire, mais comment un codétenteur dont on ne détient aucune information peut apposer ses initiales sur un document qui ne révèle pas son nom ou sa signature;

g)    Enfin, la section où sont apposées les initiales ne relève pas d’une obligation réglementaire, mais sert plutôt à protéger l’institution financière quant aux informations et aux opérations sur le compte. Il s’agit donc davantage d’un aspect administratif que d’un aspect réglementaire;

h)   De plus, à la page 2 (information relative au compte) il est mentionné type de compte (particulier), et aucun choix n’est offert pour un compte conjoint. De plus, à la même section plus bas, il y a deux questions (est-ce qu’une ou d’autres personnes ont une autorisation d’opération dans ce compte) et il y est coché « non ».

[20]       Par contre, ceci ne minimise pas la faute du représentant eu égard à la contrefaçon des initiales des clients. La contrefaçon de signature y compris celle d’initiales ne peut être tolérée.

[21]       Comme les clients avaient chacun apposé leur signature sur le formulaire d’ouverture de compte dont la section en cause faisait partie, ils ne pouvaient ignorer celle-ci.

[22]       L’exigence des paraphes des clients à cette section est celle de l’institution et a pour effet de limiter sa responsabilité à l’égard des détenteurs de compte conjoint notamment dans le cas d’instructions données par un seul codétenteur. Comme mentionné, il paraît inhabituel qu’un compte conjoint fasse l’objet de deux formulaires indépendants qui n’identifient pas le nom et les informations des deux détenteurs plutôt que d’un seul.

[23]       Dans l’affaire St-Gelais[2], la représentante a été déclarée coupable sous deux  infractions de contrefaçon, et le comité a ordonné sa radiation temporaire pour une période d’un mois sur le premier chef et l’a condamnée au paiement d’une amende de 1 500 $ sur le second chef.

[24]       Dans les affaires Milot[3], Girard[4] et Beaudet[5], pour des infractions de contrefaçon, les représentants fautifs ont été condamnés à des amendes variant entre 1 000 $ et 3 500 $.

[25]       Il est reconnu que la sanction disciplinaire ne doit pas viser à « punir » le représentant fautif, mais plutôt à corriger son comportement[6].

[26]       Le comité est confronté certes à une infraction dont la gravité objective ne fait aucun doute, mais dont le degré est moindre que celle exposée dans les décisions soumises par plaignante incluant celle de Côté. Bien que le comité retienne la suggestion de la plaignante d’imposer une radiation puisqu’il s’agit d’imitation par le représentant d’initiales de clients, en raison des circonstances propres à ce dossier ainsi que des nombreux facteurs atténuants, il estime qu’une radiation pour une période plus courte que celles imposées dans les décisions soumises constitue une sanction juste et raisonnable dans les circonstances.

[27]       Par conséquent, sous l’unique chef de la plainte, le comité ordonnera la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois, condamnera celui-ci au paiement des débours et ordonnera également la publication de la décision.

 

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous l’unique chef contenu à la plainte et l’en DÉCLARE coupable;

ET PROCÉDANT SUR SANCTION :

ORDONNE, sous l’unique chef de la plainte, la radiation temporaire de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière et ce, pour une période d’un mois, à partir de sa demande de renouvellement de certificat dans toutes les disciplines;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a eu son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26), et ce, à partir de la demande de remise en vigueur de son certificat;

CONDAMNE l’intimé au paiement des débours, conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

(s) Janine Kean_____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) Michel Gendron___________________

M. Michel Gendron

Membre du comité de discipline

 

(s) Bruno Therrien___________________

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT CARON PRÉVOST BÉLISLE GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

M. Frédéric Blin

Intimé, se représente seul.

 

Date d’audience :

Le 20 février 2014

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉE



[1] Brazeau c. Chambre de la sécurité financière, 2006 QCCQ 11715, décision de la Cour du Québec du 7 novembre 2006; Lelièvre c. Côté, CD00-0841, décision sur culpabilité et sanction du 7 avril 2011; Champagne c. Michaud, CD00-0990, décision sur culpabilité et sanction du 18 décembre 2013; Champagne c. Chouinard, CD00-0869, décision sur culpabilité et sanction du 11 avril 2012; Champagne c. Gras, CD00-0881, décision sur culpabilité et sanction du 3 janvier 2012.

[2]    Rioux c. St-Gelais, CD00-0282, AZ-50233034, décision sur culpabilité et sanction du 26 juillet 2000, corrigée le 2 août 2000.

[3]    Bureau c. Milot, CD00-0482, AZ-50233224, décision sur culpabilité et sanction du 17 juillet 2003.

[4]    Bureau c. Girard, CD00-0485, AZ-50233225, décision sur culpabilité et sanction du 1er août 2003.

[5]    Rioux c. Beaudet, CD00-0323, AZ-50233077, décision sur culpabilité et sanction du 10 mai 2001.

[6]    Rioux c. Lamontagne, CD00-0291, AZ-50233043, décision sur culpabilité du 6 septembre 2000 et décision sur sanction du 20 décembre 2000; Rioux c. St-Gelais, CD00-0282, AZ-50233034, décision sur culpabilité et sanction du 26 juillet 2000, corrigée le 2 août 2000; Rioux c. Hai Thach, CD00-0274, AZ-50233025 décision sur culpabilité et sanction du 29 juin 2000; Rioux c. Dorais, CD00-0306, AZ-50233058, décision sur culpabilité du 17 avril 2001 et décision sur sanction du 25 juillet 2001.

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