Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0993

 

DATE :

14 juillet 2014

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Philippe Bouchard

Membre

M. Denis Marcil

Membre

______________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

JEAN-MICHEL DIONNE (numéro de certificat: 188483)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et prénoms des clients concernés par le dossier et de renseignements pouvant permettre de les identifier ainsi que des documents produits sous les cotes SP-1 et SP-2.

[1]           Le 17 décembre 2013, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« 1.       À Saint-Augustin-de-Desmaures, le ou vers le 14 septembre 2012, l’intimé a contrefait la signature de M.-F.F. et de M.B. sur une demande d’assurance prêt, contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, chapitre V-1.1), 10, 14, 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, chapitre D-9.2, r. 7.1);

 

2.          À Saint-Augustin-de-Desmaures, le ou vers le 1er novembre 2012, l’intimé n’a pas agi avec intégrité, loyauté et professionnalisme en répondant aux questions d’assurabilité pour M.-F.F. et M.B., à leur insu, contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, chapitre V-1.1), 10, 14, 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, chapitre D-9.2, r. 7.1);

 

3.          À Saint-Augustin-de-Desmaures, les ou vers les 14 septembre et 1er novembre 2012, l’intimé a faussement signé à titre de représentant autorisé témoin de leur signature les demandes d’assurance de M.-F.F. et de M.B., contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, chapitre V-1.1), 10, 14, 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, chapitre D-9.2, r. 7.1). »

[2]           D’entrée de jeu l’intimé qui se représentait lui-même enregistra un plaidoyer de culpabilité à l’égard de tous et chacun des trois (3) chefs d’accusation contenus à la plainte.

[3]           Après l’enregistrement de son plaidoyer, les parties présentèrent au comité leurs preuve et représentations sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[4]           Alors que la plaignante produisit au soutien de sa plainte une preuve documentaire qui fut cotée P-1 ainsi que SP-1 et SP-2, elle ne fit entendre aucun témoin.

[5]           Quant à l’intimé, il ne déposa aucun document mais choisit de témoigner.

[6]           Ainsi, il débuta en affirmant qu’il reconnaissait les erreurs qu’il avait commises et s’excusait de celles-ci.

[7]           Il ajouta qu’il n’avait pas agi dans un dessein malhonnête mentionnant que les fautes avaient eu lieu dans un contexte particulier et en l’absence de préméditation.

[8]           Il déclara qu’il n’avait jamais été « à sa place » dans le domaine de la distribution de produits financiers ou d’assurance, que ce type d’emploi lui causait beaucoup de stress et que maintenant il travaillait dans un autre domaine à titre de représentant pour une compagnie de bière.

[9]           Il souligna qu’il n’était pas fier de ce qui s’était passé et qu’il y pensait à chaque jour. Il indiqua qu’il aimerait qu’on lui pardonne.

[10]        Il mentionna qu’à la suite des événements sa santé « en avait pris un coup ».

[11]        Il indiqua que son nouvel employeur était au courant de la situation, qu’il l’avait avisé par souci de transparence, mais pas ses proches. Il indiqua ne pas « bien vivre » avec ses fautes et que c’est la raison pour laquelle il n’en avait pas parlé à ces derniers alors qu’ils auraient pu l’aider.

[12]        Il indiqua que plusieurs de ses proches travaillaient dans des « caisses populaires » et qu’ils n’étaient pas au courant de sa situation.

[13]        Il indiqua vouloir ne pas tout perdre. Ayant été mis au courant des suggestions de sanction qu’allait présenter la plaignante, il affirma qu’il n’aurait pas les moyens de payer une amende de 5 000 $.

[14]        Il ajouta qu’il n’avait aucune intention de travailler à nouveau dans le domaine de la distribution de produits d’assurance et financiers, et ce, notamment parce qu’il lui serait difficile, à son avis, de gagner à nouveau la confiance d’une institution financière.

[15]        À la suite de son témoignage, les parties soumirent au comité leurs représentations respectives sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[16]        La plaignante, par l’entremise de son procureur, après avoir souligné qu’elle avait communiqué à l’intimé les recommandations qu’elle avait l’intention de présenter au comité, indiqua qu’elle suggérait l’imposition des sanctions suivantes : sous les chefs 1 et 2, une radiation temporaire de deux (2) mois à être purgée de façon concurrente; sous le chef 3 l’imposition d’une amende de 5 000 $.

[17]        Elle indiqua de plus réclamer la publication de la décision et la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[18]        Elle ajouta que dans le cas où l’intimé réclamerait un délai pour le paiement de l’amende et/ou des déboursés, « elle s’en remettait à la discrétion du comité ».

[19]        Elle souligna ensuite que l’intimé, en poste auprès de l’institution financière qui l’employait depuis 2003, avait débuté comme membre de la Chambre de la sécurité financière en 2010.

[20]        Après avoir rappelé les faits, elle déclara que certes l’intimé n’avait pas agi avec une intention de frauder ou dans le but de retirer un bénéfice personnel. Elle concéda qu’il n’avait pas agi dans le but de « causer des dommages » ajoutant que le comité était confronté à une « erreur de parcours ».

[21]        Elle mentionna qu’il n’avait aucun antécédent disciplinaire, avait collaboré à l’enquête du syndic, avait reconnu les faits reprochés, signalant de plus qu’il avait enregistré un plaidoyer de culpabilité à tous et chacun des chefs d’accusation contenus à la plainte.

[22]        Elle concéda que les événements avaient eu des conséquences personnelles et professionnelles importantes pour lui, auxquelles elle n’était pas insensible. Elle indiqua que les fautes de l’intimé avaient eu « des impacts collatéraux au-delà de ce qu’il aurait pu penser ». Elle reconnut qu’il vivait actuellement et avait certes vécu des moments difficiles.

[23]        Elle affirma toutefois que ses suggestions de sanction respectaient les paramètres jurisprudentiels applicables.

[24]        Relativement à ses recommandations sous les chefs 1 et 2, elle déposa le jugement de la Cour du Québec dans l’affaire Brazeau[1] et les décisions du comité dans les affaires Gras[2] et Chouinard[3].

[25]        Relativement à ses suggestions sous le chef 2, elle référa également aux décisions du comité dans les affaires Larochelle[4] et Laliberté[5].

[26]        Enfin à l’appui de sa recommandation sous le chef 3, elle évoqua les décisions du comité dans les affaires Demers[6] et Paquet[7].

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[27]        L’intimé débuta ses représentations en affirmant que même si un délai pour en effectuer le paiement lui était accordé, l’imposition d’une amende de 5 000 $ serait à son avis « beaucoup trop ».

[28]        Il indiqua que la radiation de deux (2) mois sous les chefs 1 et 2 suggérée par la plaignante lui apparaissait convenable.

[29]        Il déclara n’avoir aucune intention de retourner travailler dans le domaine de la distribution de produits et services financiers ou d’assurance, qu’il ne s’agissait pas d’un « domaine pour lui ».

[30]        Il mentionna avoir été congédié et avoir cherché par la suite un travail auprès de d’autres institutions financières mais sans succès.

[31]        Il affirma s’être posé des questions sur son avenir dans la profession et en être arrivé à la conclusion que « le monde financier ce n’était pas son monde ».

[32]        Il indiqua ne pas avoir mentionné à ses proches la situation de façon à éviter que « la vie ne s’écroule autour de lui ».

[33]        Il réclama du comité qu’il se dispense d’ordonner la publication de la décision à cause de « l’impact que causerait une telle publication dans sa famille ».

[34]        Il termina en indiquant qu’il voulait tourner la page et demandait qu’on lui pardonne.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[35]        L’intimé était à l’emploi de l’institution financière en cause en cette affaire depuis 2003.

[36]        Il a été inscrit à titre de représentant de courtier en épargne collective à compter de septembre 2010.

[37]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

[38]        Il a collaboré à l’enquête de la syndique et reconnu les faits qui lui sont reprochés.

[39]        À la première occasion il a enregistré un plaidoyer de culpabilité sous tous et chacun des trois (3) chefs d’accusation contenus à la plainte.

[40]        Ses manquements n’avaient pas pour objet, l’obtention pour lui-même, de bénéfices personnels.

[41]        À la suite des événements ayant mené au dépôt de la plainte, il a été congédié. Il déclare avoir renoncé à l’exercice de la profession et s’être trouvé un emploi dans un tout autre domaine, soit à titre de représentant pour une « compagnie de bière ».

[42]        Il affirma n’avoir jamais été « à sa place » dans le domaine de la distribution de produits financiers et d’assurance. Il semble regretter amèrement ses gestes et a indiqué au comité qu’il n’était « pas fier de ce qui s’était passé » spécifiant qu’il y pensait à chaque jour. Soulignant enfin que « ça n’allait pas très bien », il indiqua qu’il « cherchait de l’aide ».

[43]        Les fautes qu’il a commises l’ont été sans aucune intention malveillante ou frauduleuse de sa part.

[44]        Les clients n’ont subi aucun préjudice.

[45]        Néanmoins la gravité objective des infractions dont il s’est reconnu coupable ne fait aucun doute.

[46]        Le premier chef lui reproche d’avoir contrefait la signature de ses clients sur une demande d’assurance-prêt.

[47]        Dans l’affaire Maurice Brazeau c. La Chambre de la sécurité financière évoquée par la plaignante, la Cour du Québec a émis les principes devant guider le comité dans l’imposition des sanctions dans les cas de contrefaçons de signatures.

[48]        La Cour y a indiqué : « Le fait d’imiter des signatures et de les utiliser est en soi un geste grave qui justifie une période de radiation. Cette période de radiation sera plus ou moins longue toutefois selon que la personne concernée pose ce geste avec une intention frauduleuse ou non. »

[49]        La Cour a ensuite imposé au représentant reconnu coupable de contrefaçon mais qui avait agi sans intention malhonnête, une radiation temporaire de deux (2) mois à être purgée de façon concurrente sous chacun des deux (2) chefs d’accusation qui avaient été portés contre lui.

[50]        Dans les affaires Boucher[8] et Prévost[9] ainsi que dans les affaires Gras[10] et Chouinard[11], le comité a aussi condamné les représentants reconnus coupables d’infractions de contrefaçons à des radiations temporaires de deux (2) mois.

[51]        En l’espèce, l’ensemble des fautes reprochées à l’intimé sont ultimement liées. Le chef numéro 2 lui reproche de ne pas avoir agi avec intégrité, loyauté et professionnalisme en répondant à leur insu aux questions d’assurabilité pour les mêmes clients. Quant au chef numéro 3, il lui reproche d’avoir, aux dates mentionnées aux chefs précédents, faussement signé à titre de représentant autorisé, témoin de leur signature, les demandes d’assurance des deux (2) mêmes consommateurs. Ses fautes se rattachent à une seule transaction intervenue à l’égard d’un seul couple de clients.

[52]        Par ailleurs, à la suite de ses manquements, il a été congédié par son employeur et a dû se « recycler » dans un tout autre domaine.

[53]        Comme conséquence de ses fautes, il a vécu des moments très difficiles tant au plan professionnel que personnel. Il a souffert de celles-ci et vraisemblablement il en souffre encore aujourd’hui. Il a dû recourir aux soins de professionnels de la santé, ou autres, pour l’aider à surmonter ses difficultés.

[54]        Aussi, après révision du dossier et des circonstances propres à celui-ci, prenant en considération les éléments tant objectifs que subjectifs qui lui ont été présentés, le comité est d’avis que la condamnation de l’intimé à une radiation temporaire de deux (2) mois à être purgée de façon concurrente sous tous et chacun des trois (3) chefs d’accusation contenus à la plainte serait une sanction juste et appropriée, adaptée aux infractions ainsi que respectueuse des principes d’exemplarité et de dissuasion dont il ne peut faire abstraction. Il imposera donc à l’intimé une telle sanction.

[55]        Par ailleurs en l’absence de motifs importants qui le justifieraient de s’écarter des règles habituelles, le comité est d’avis d’ordonner la publication de la décision et de condamner l’intimé au paiement des déboursés.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous tous et chacun des trois (3) chefs d’accusation contenus à la plainte;

DÉCLARE l'intimé coupable de chacun des trois (3) chefs d'accusation contenus à la plainte;

ET PROCÉDANT SUR SANCTION :

Sous chacun des chefs 1, 2 et 3 contenus à la plainte :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux (2) mois, lesdites sanctions de radiation devant être purgées concurremment;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal où l’intimé a son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156(5) du Code des professions, RLRQ c. C‑26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, RLRQ c. C-26.

 

 

 

 

(s) François Folot____________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Philippe Bouchard_________________

M. PHILIPPE BOUCHARD

Membre du comité de discipline

 

(s) Denis Marcil______________________

M. DENIS MARCIL

Membre du comité de discipline

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT, CARON, PREVOST, BELISLE, GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

L'intimé se représente lui-même.

 

Date d’audience :

17 décembre 2013

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Brazeau c. Chambre de la sécurité financière, 2006 QCCQ 11715.

[2]     Caroline Champagne c. Madeleine Gras, CD00-0881, décision sur culpabilité et sanction en date du 3 janvier 2012.

[3]     Caroline Champagne c. Marc Chouinard, CD00-0869, décision sur culpabilité et sanction en date du 11 avril 2012.

[4]     Venise Lévesque c. Jean Larochelle, CD00-0728, décision sur sanction en date du 30 novembre 2010.

[5]     Caroline Champagne c. Anne Laliberté, CD00-0917, décision sur sanction en date du 6 novembre 2013.

[6]     Nathalie Lelièvre c. Louise Demers, CD00-0929, décision sur culpabilité et sanction en date du 16 janvier 2013.

[7]     Caroline Champagne c. Sylvain Paquet, CD00-0919, décision sur culpabilité et sanction en date du 24 janvier 2013.

[8]     Venise Lévesque c. Maude Boucher, CD00-0700, décision sur culpabilité et sanction en date du 1er mai 2008.

[9]     Micheline Rioux c. Yvan Prévost, CD00-0589, décision sur culpabilité et sanction en date du 11 mai 2011.

[10]    Caroline Champagne c. Madeleine Gras, CD00-0881, décision sur culpabilité et sanction en date du 3 janvier 2012 (déjà citée).

[11]    Caroline Champagne c. Marc Chouinard, CD00-0869, décision sur culpabilité et sanction en date du 11 avril 2012 (déjà citée).

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