Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0916

 

DATE :

29 octobre 2013

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LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Benoit Guilbault

Membre

M. Philippe Bouchard, Pl. Fin.

Membre

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CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

ELIZABETH TURCOTTE (numéro de certificat 146229)

Partie intimée

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DÉCISION INTERLOCUTOIRE RELATIVE À UNE OBJECTION DE LA PLAIGNANTE À LA DIVULGATION À L’INTIMÉE DU OU DES RAPPORTS DE L’ENQUÊTEUR ET, LE CAS ÉCHÉANT, DES DOCUMENTS ACCOMPAGNANT CEUX-CI

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[1]           La poursuite de l’audition en cette affaire est fixée au 18 décembre 2013.

[2]           Par ailleurs, lors de l’audience du 10 décembre 2012, M. Alain Roberge, enquêteur au bureau de la syndique, a témoigné.

[3]           Au cours du contre-interrogatoire du témoin, la procureure de l’intimée a demandé à obtenir le ou les rapports d’enquête que ce dernier a préparés à l’intention de la syndique et, le cas échéant, les pièces y rattachées.

[4]           Le procureur de la plaignante s’y est objecté et le comité, après avoir sommairement entendu les parties, a requis qu’elles lui soumettent des notes et autorités.

[5]           Celles-ci lui ont par la suite été transmises et le comité, afin que les parties en soient avisées avant la continuation de l’affaire, rend par les présentes sa décision sur l’objection.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[6]           Dans les notes qu’elle lui a communiquées, la plaignante soumet que le comité devrait s’abstenir d’ordonner la divulgation du ou des documents en cause et maintenir son objection.

[7]           Elle plaide que : « Selon les limites reconnues par la jurisprudence en cette matière », le rapport de l’enquêteur n’a pas, dans le cadre de la divulgation de la preuve, à être dévoilé à l’intimée et mentionne les limites à l’obligation de divulgation reconnues par la Cour suprême du Canada, en matière criminelle, dans les arrêts R. c. Chaplin[1] et R. c. Egger[2].

[8]           Elle réfère aussi notamment à l’affaire Audioprothésistes c. Côté[3] où le Tribunal des professions a clairement affirmé que le principe de la divulgation de la preuve en matière disciplinaire comportait ses limites.


[9]           Elle en souligne le passage suivant :

« L’obligation jurisprudentielle faite au poursuivant de divulguer la preuve doit rester rivée à ce qui est nécessaire pour débattre la plainte disciplinaire et à rien d’autre. Elle ne doit pas servir à détourner le débat vers un autre objectif, judiciaire ou non. Ainsi, cette obligation ne peut être utilisée pour alimenter éventuellement une poursuite non disciplinaire où la bonne foi du poursuivant pourrait être mise en cause.

Ce qui importe tout au long de l’exécution par le syndic de son obligation de divulguer est d’assurer au professionnel poursuivi la connaissance de tous les éléments pertinents à sa défense. »

[10]        Elle ajoute que le ou les rapports concernés sont des outils de travail, ne comportent aucune preuve additionnelle qui n’aurait pas été divulguée à l’intimée et plaide l’absence de pertinence de toute autre information qui s’y retrouverait.

[11]        Elle résume en quelque sorte sa position comme suit :

« Le rapport d’enquête ne constitue pas une preuve. Le document recherché a été confectionné par l’enquêteur et constitue des notes de travail. Ce rapport ne contient aucune preuve additionnelle ou pertinente à la défense de l’intimée. Il révèle simplement un sommaire des faits déjà divulgués. »

[12]        Relativement à l’absence de pertinence des informations qui ne seraient pas dévoilées, elle indique que la notion de pertinence de ce qui doit être divulgué a été définie comme suit par la Cour suprême dans l’arrêt Chaplin précité :

« Par pertinence, il faut entendre qu’il y a une possibilité raisonnable que ces renseignements aident l’accusé à présenter une défense pleine et entière. »[4]


[13]        Elle cite également à cet égard l’arrêt de la Cour suprême dans Dixon[5] où l’on retrouve l’affirmation suivante :

« Une façon de mesurer la pertinence d’un renseignement dont dispose le ministère public est de déterminer son utilité pour la défense : s’il y a une certaine utilité, il est pertinent et devrait être divulgué (…). Le juge qui effectue le contrôle doit déterminer si l’accusé peut raisonnablement utiliser la communication des renseignements pour réfuter la preuve et les arguments du ministère public, pour présenter un moyen de défense ou autrement pour parvenir à une décision susceptible d’avoir un effet sur le déroulement de la défense comme, par exemple, de présenter ou non une preuve. »[6]

[14]        Elle soutient que si son objection était maintenue, les informations non-dévoilées n’auraient aucun intérêt pour l’intimée lorsqu’il s’agit de la préparation de sa défense.

[15]        En plus de ce qui précède, elle invoque qu’à maintes reprises le Tribunal des professions a statué que les notes personnelles et le travail du syndic échappent à l’obligation de communication de la preuve.

[16]        Elle rappelle que dans l’affaire Groulx c. Barreau[7], le Tribunal des professions a refusé que soient communiquées au professionnel les notes personnelles du syndic en mentionnant :

« À moins que le professionnel ne fasse valoir clairement que certains renseignements utiles à sa défense lui ont été cachés, il ne peut exiger purement et simplement la communication de la totalité des éléments contenus au dossier du syndic. »[8]

[17]        Elle mentionne que dans l’affaire Gauthier c. Barreau[9], le Tribunal des professions a refusé que soient divulguées à la professionnelle les notes de travail contenant les informations recueillies par le syndic :

« 26. Dans le présent dossier, le syndic a clairement indiqué en quoi consistaient les notes personnelles qu’il prétend ne pas avoir l’obligation de divulguer. Il s’agit :

des informations recueillies par le syndic et qui ne sont pas pertinentes ou qui sont privilégiées.

Ce sont les documents de travail du syndic incluant les rapports et suivis, les analyses et commentaires, la liste des démarches à compléter, les stratégies, les calculs, les projets de procédures et tout autre document, sommaire, échangé entre les syndics. »

[18]        Elle allègue que la jurisprudence refuse la divulgation de notes de travail contenant les informations recueillies par le syndic et que les analyses susceptibles d’y être contenues constituent des opinions qui « ne sont pas des éléments de preuve ».

[19]        Elle termine en affirmant que l’intimée n’a pas démontré que la divulgation du rapport ou des rapports réclamés serait « pertinente » ou de nature à l’aider ou à l’assister dans la présentation d’une preuve à l’encontre des plaintes portées contre elle.

[20]        Elle soutient que cette dernière n’a aucunement établi en quoi la divulgation du ou desdits rapports d’enquête aurait un lien avec un quelconque potentiel moyen de défense susceptible d’attaquer ou de miner un élément de sa preuve.

[21]        Compte tenu de ce qui précède, elle demande au comité de refuser d’ordonner la divulgation du rapport de l’enquêteur et, le cas échéant, des rapports préliminaires préparés par ce dernier ainsi que des pièces y rattachées.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉE

[22]        L’intimée quant à elle débute ses représentations en mentionnant qu’il faut se garder de confondre l’obligation de divulguer, c’est-à-dire l’accessibilité à l’information, et son admissibilité en preuve, le cas échéant.

[23]        Elle soutient que « l’égalité des armes » requiert qu’elle puisse prendre connaissance des mêmes informations inculpatoires ou disculpatoires que la plaignante.

[24]        Elle rappelle son droit à une défense pleine et entière tel que consacré par l’article 54 du Code des professions et soumet que le professionnel n’a pas à faire la démonstration que l’information qui se retrouve au document dont il recherche la divulgation va constituer un moyen de preuve dont il entend se servir. Elle suggère qu’il n’a qu’à établir que l’information qui y serait contenue pourrait lui être utile.

[25]        Elle invoque qu’en matière de divulgation, le droit disciplinaire a retenu les paramètres généraux du devoir de divulguer établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stinchcombe[10] et plaide que le poursuivant a l’obligation de divulguer toute information inculpatoire ou disculpatoire, en son contrôle, sauf s’il s’agit d’une information clairement non-pertinente, ou privilégiée.

[26]        Elle réfère à son tour à l’arrêt Chaplin[11] de la Cour suprême où le juge Sopinka, référant à l’arrêt Egger[12], mentionne :

« On a review the Crown must justify its refusal to disclose. Inasmuch as disclosure of all relevant information is the general rule, the Crown must bring itself within an exception to that rule. »

[27]        Elle souligne que lorsqu’il est question de divulgation, la Cour suprême y parle en termes de toute « information » (all relevant information) plutôt qu’en termes de toute « preuve » (evidence) pertinente.

[28]        Elle relève que ladite Cour y fait référence à une décision de la Cour d’appel de l’Ontario en ces termes :

« An example of a case where the existence of the information was not in issue, but its relevance disputed was R. v. Hunter (1993), 86 C.C.C. (3d) 81 (Ont. C.A.) Dubin C.J. writing for the court, held that the Crown was required to disclose information in its possession concerning the accused’s bad character, even though that evidence could only be used in rebuttal by the Crown:

The information in the hands of the Crown with respect to the character of the appellant could “reasonably be used by the accused in advancing a defence in making a decision which could affect the conduct of the defence such as, for example, whether to call evidence. »[13]

[29]        Elle soumet que la plaignante ne peut se contenter d’affirmer que les rapports sont non pertinents, elle doit le démontrer. La plaignante ne s’étant pas déchargée de ce fardeau, la divulgation devrait à son avis être ordonnée.

[30]        Elle affirme enfin que pour que l’information soit « pertinente », il suffit qu’elle puisse être d’une quelconque utilité à la défense et invoque la décision du Tribunal des professions dans l’affaire Gauthier[14], citée par la plaignante.

[31]        Elle réitère que l’objectif qu’elle recherche est simplement de pouvoir présenter une défense pleine et entière après avoir obtenu toute l’information et tous les éléments en possession de la plaignante qui pourraient lui être de quelque utilité dans la préparation de celle-ci. Elle soutient que le comité devrait donc ordonner à la plaignante de produire une copie des rapports en cause ainsi que des documents à l’appui de ceux-ci.

[32]        Elle déclare qu’une telle divulgation ne causerait aucun préjudice aux parties alors qu’une décision refusant sa demande risquerait de porter atteinte à son droit d’avoir accès à toute l’information pouvant lui être utile pour sa défense.

[33]        Elle ajoute qu’à son avis la plaignante a renoncé de façon implicite à son droit d’invoquer toute forme de privilège en regard des rapports en cause lorsqu’elle a procédé, avant l’audition, dans le cadre de la divulgation de la preuve, au dévoilement de certains des éléments contenus à ceux-ci.

[34]        Elle termine en mentionnant ou suggérant que la qualification des informations apparaissant aux rapports recherchés, à savoir s’il s’agit d’informations pertinentes ou non, privilégiées ou non, devrait peut-être requérir la vérification des documents par le comité et possiblement une preuve viva voce devant celui-ci.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[35]        Dans l’exercice de son devoir de divulgation de la preuve, la plaignante a le pouvoir discrétionnaire de retenir certains renseignements qu’elle détient, soit ceux qui ne seraient pas pertinents ou qui, en vertu des règles du secret professionnel ou du privilège relatif au litige, n’ont pas à être communiqués ou divulgués.

[36]        Cette discrétion doit s’exercer judiciairement et peut faire l’objet de révision de la part du comité de discipline[15].

[37]        Et celui-ci peut recourir à un « voir-dire » aux fins d’examiner ce qui n’aurait pas été dévoilé et vérifier l’existence ou non d’éléments pertinents à la défense qui n’auraient pas été divulgués et qui ne seraient pas privilégiés.

[38]        Tel que le déclarait le Tribunal des professions dans l’affaire Audioprothésistes c. Côté & al., 1999 QCTP 110, p. 19 citée par la plaignante :

« Le comité doit à cet effet ne pas hésiter à recourir au voir-dire pour déterminer si l’obligation du syndic est concrètement satisfaite, c’est-à-dire dans le respect du droit à une défense pleine et entière du professionnel poursuivi.

Ce moyen de vérification sert à trouver dans chaque situation le juste équilibre entre le droit fondamental du professionnel et celui tout aussi important du syndic de conduire librement ses enquêtes au nom de la protection du public. »

[39]        Aussi, le comité entend-il, dès la reprise de l’audition, procéder de la sorte afin de déterminer si l’obligation de divulguer de la plaignante a été concrètement satisfaite en refusant à l’intimée de prendre connaissance du ou des rapports de l’enquêteur et, le cas échéant, des pièces y rattachées.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE que dès la reprise de l’audition, il entend mener un « voir-dire » afin de déterminer si l’obligation de divulgation de la plaignante a été concrètement satisfaite en refusant à l’intimée de prendre connaissance du et/ou des rapports de l’enquêteur, notamment parce que ceux-ci ne contiendraient que des informations déjà transmises à l’intimée et/ou des renseignements non pertinents et/ou faisant l’objet d’un privilège de non-divulgation.

 

 

(s) François Folot____________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Benoit Guilbault___________________

M. BENOIT GUILBAULT

Membre du comité de discipline

 

(s) Philippe Bouchard_________________

M. PHILIPPE BOUCHARD, PL. FIN.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT, CARON, PRÉVOST, BÉLISLE, GALARNEAU, s.e.n.c.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Allison Turner

SAVONITTO & ASS. INC.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

 10 décembre 2012

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     R. c. Chaplin, 1995 1 R.C.S. 727.

[2]     R. c. Egger, 1993 2 R.C.S. 451, p. 466 et 467.

[3]     Audioprothésistes c. Côté, 1999 QCTP 110 (CanLII).

[4]     Chaplin, précité, par. 30.

[5]     R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244, par. 21 et s.

[6]     Id., par. 20.

[7]     Groulx c. Barreau, 1999 QCTP 114 (CanLII).

[8]     Id., p. 7.

[9]     Gauthier c. Barreau, 2002 QCTP 102 (CanLII).

[10]    R. c. Stinchcombe, [1991] 3 S.C.R. 326, p. 339.

[11]    R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727, p. 740.

[12]    R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451.

[13]    R. c. Chaplin, [1995] 1 S.C.R. 727, p. 741 et 742.

[14]    Gauthier c. Barreau, 2002 QCTP 102 (CanLII).

[15]    Voir Leblanc c. R., (CanLII) 12528 C.A., par. 70 et 71.

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