Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1008

 

DATE :

13 novembre 2013

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Robert Chamberland, A.V.A.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

MICHEL MARCOUX, représentant de courtier en épargne collective (numéro
de certificat 122786, BDNI 1755241)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR REQUÊTE EN RADIATION PROVISOIRE

______________________________________________________________________

 

[1]          Le 10 septembre 2013, une plainte comportant 19 chefs d’accusation à laquelle est jointe une requête en radiation provisoire (la requête) contenant 264 paragraphes et alléguant 161 pièces, présentable le 13 septembre 2013 ont été signifiées à l’intimé.  Copies de cette plainte et de la requête, toutes deux datées du 9 septembre 2013, sont annexées à la présente.

[2]          Le comité a procédé à l’instruction de la requête en radiation provisoire les 19 et 20 septembre ainsi que les 4, 7 et 8 octobre 2013 à la suite d’une remise accordée au procureur de l’intimé, Me Jacques Jeansonne, le 12 septembre 2013, lui permettant de prendre connaissance de l’imposante documentation liée à la requête.

[3]          La plaignante était représentée par Me Mathieu Cardinal. Quant à l’intimé, il était absent lors de l’instruction de la requête, mais représenté par Me Jeansonne. 

[4]          Alors que Me Cardinal a annoncé avoir besoin d’au moins quatre jours pour présenter la preuve de la plaignante sur la requête, Me Jeansonne a répliqué notamment que ce délai était abusif, une telle requête en radiation provisoire devant être instruite et décidée d’urgence. Il a déposé au soutien de ses représentations deux documents RI-1 et RI-2.

[5]          S’appuyant sur la décision rendue par le Tribunal des professions dans l’affaire Bohémier[1], il a fait valoir, qu’à ce stade le professionnel ne doit pas s’évertuer à démontrer qu’il n’est pas coupable des actes reprochés, mais plutôt à établir que la protection du public n’est pas compromise s’il continue à exercer la profession.  Ainsi, il a indiqué que sa contestation ne porterait que sur ce dernier critère et a demandé, en conséquence, que la preuve de la plaignante soit limitée à ce qui était nécessaire pour démontrer l’urgence de limiter le droit de l’intimé d’exercer. À cette fin, il s’est déclaré prêt à :

a)   consentir au dépôt des pièces alléguées dans la requête pour valoir selon leur valeur probante;

b)   admettre que si les consommateurs E.L. et P.N. témoignaient, ils réitéreraient chacun des faits allégués dans la requête les concernant ainsi que ceux invoqués dans les procédures intentées contre l’intimé en Cour supérieure du Québec, dans la ou les plaintes portées auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et au bureau de la syndique de la Chambre de la sécurité financière (CSF), le cas échéant;

c)    admettre que la plaignante s’était déchargée de son fardeau de démontrer
qu’« à première vue » (prima facie) les gestes reprochés paraissent avoir été posés. 

[6]          Me Cardinal a soutenu essentiellement qu’il lui était difficile de renoncer à faire entendre les deux consommateurs par crainte que l’intimé témoigne en défense et contredise les faits sur lesquels ces derniers auraient autrement témoigné.

[7]          Pour pallier cette crainte, Me Jeansonne a indiqué que dans le cas où il obtiendrait  lors du contre-interrogatoire de Me Brigitte Poirier, Directrice des enquêtes ayant agi en l’espèce pour la CSF, les réponses souhaitées, le témoignage de l’intimé se révélerait inutile et, qu’au surplus, celui-ci était en congé de maladie jusqu’au 8 octobre 2013.

[8]          Après avoir entendu les arguments des parties et considéré les admissions de la partie intimée consignées au procès-verbal, le comité a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’entendre les consommateurs, en précisant toutefois qu’il donnerait droit à une réouverture de débat en faveur de la plaignante, advenant la nécessité de faire entendre les deux consommateurs pour contredire le témoignage de l’intimé.  À la suite de cette décision, Me Cardinal a indiqué devoir consulter sa cliente afin d’obtenir ses instructions. La poursuite de l’audience a été reportée au lendemain.

[9]          Le 20 septembre 2013, Me Cardinal a déposé de consentement les six volumes de pièces alléguées au soutien de la requête (R-1 à R-161) et considérant les admissions de la partie intimée, a déclaré sa preuve close, sous réserve d’une réouverture de débat, au besoin.

[10]       Pour sa part, Me Jeansonne, étant donné l’absence de transcription des échanges téléphoniques enregistrés entre Me Poirier et différents intervenants, a déclaré avoir besoin d’en faire l’écoute avant de contre-interroger celle-ci et produire ceux-ci.

[11]        Au cours du réinterrogatoire de Me Poirier, Me Jeansonne a soulevé une objection à une question posée par Me Cardinal. Les parties en ont débattu et il a été convenu que le comité rendrait sa décision sur celle-ci en même temps que la décision sur la requête en radiation provisoire.

[12]       Après le témoignage de Me Poirier, les parties ont plaidé.

[13]       Il y a lieu de trancher maintenant cette objection.

OBJECTION

[14]       Me Jeansonne a fait valoir, au soutien de son objection à la question visant les activités « actuelles » d’Avantages services financiers Inc. (Avantages) posée par Me Cardinal à Me Poirier au cours du réinterrogatoire de celle-ci :

a)   qu’aucun allégué de la requête ne faisait mention d’une crainte que la protection du public ne soit compromise en raison des activités actuelles d’Avantages ou de celles de l’intimé par le biais d’Avantages;  

b)   que la combinaison des paragraphes 5 et 263 indiquait qu’il y avait urgence d’agir pour la protection du public seulement en fonction des faits reprochés à l’intimé;

c)   que le paragraphe 2 indiquait que l’intimé était rattaché depuis le 5 novembre 2010 au cabinet Mérici Services Financiers inc. (Mérici);

d)   que les paragraphes 198 et 199.2 indiquaient, au surplus, qu’Avantages avait vers le 29 juillet 2011 transféré chez Mérici le solde de son compte en fidéicommis;  

e)   que dans le cas où cette preuve de la plaignante serait acceptée, il demandait de produire en défense les extraits pertinents de l’échange intervenu le 17 mai 2013 entre Me Poirier et M. Michel Boutin, président de Mérici, ce dernier y indiquant qu’Avantages a transféré l’entièreté de son compte chez Mérici (RI-8).

[15]        Me Cardinal a fait valoir que cette question visant les activités « actuelles » d’Avantages était posée dans le contexte de son association à Mérici :

a)    en raison du témoignage de Me Poirier, qui contre-interrogée a reconnu que des mesures de surveillance avaient été mises en place par Mérici à l’égard de l’intimé, de son fils et d’un autre représentant « domiciliés » chez Avantages;

b)    que même en l’absence d’allégation concernant les activités « actuelles » d’Avantages, particulièrement dans le contexte d’une requête en radiation provisoire, cette question pouvait être posée;

c)    que plusieurs allégués de la requête y donnait cependant ouverture notamment ceux alléguant :

i)             que l’intimé était président et actionnaire majoritaire d’Avantages[2];

ii)            les transactions intervenues dans le compte d’Avantages jusqu’au transfert à Mérici le 29 juillet 2011[3];

iii)           les fausses représentations faites par l’intimé à P.N. du 2 juillet 2010 au 29 mai 2012 (par. 189) voulant que la somme de 269 956,01 $ soit toujours détenue dans le compte d’Avantages; celles entre les mois d’août et septembre 2012 voulant que des problèmes informatiques l’empêchaient de connaître le solde du compte d’Avantages et enfin celles faites le 25 octobre 2012 expliquant pourquoi il ne pouvait remettre ladite somme à P.N.[4]

[16]        Le comité estime que le contre-interrogatoire de Me Poirier ayant eu pour résultat de mettre en preuve l’existence de mesures de surveillance par Mérici à l’égard de toutes les transactions faites par l’intimé depuis qu’il était rattaché audit cabinet en novembre 2010 et l’échange intervenu entre Me Poirier et M. Boutin, voulant que l’entièreté du compte en fidéicommis d’Avantages ait été transférée chez Mérici depuis le 28 juillet 2011, donnait ouverture à la question.

[17]        Par conséquent, l’objection est rejetée.

La preuve

[18]       En plus des pièces R-1 à R-161, la partie plaignante a produit les pièces R-162 et R-163 représentant l’entièreté des enregistrements sur CD de l’échange entre Me Poirier et un consommateur non impliqué dans la présente plainte ainsi que celui du 14 juin 2013 avec Me Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici.

[19]       Pour sa part, la partie intimée a déposé, en plus des pièces RI-1 et RI-2 mentionnées plus haut, les pièces RI-3 à RI-9, incluant les extraits d’enregistrements sur CD des échanges intervenus entre Me Poirier et M. Boutin ainsi que celui avec Me Gauthier.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[20]       D’entrée de jeu, le procureur de la plaignante a déposé une série de décisions[5] sur lesquelles il s’est appuyé pour requérir la radiation provisoire immédiate de l’intimé.

[21]       Ainsi, il a rappelé que depuis la modification en 1994 de l’article 130 du Code des professions, la nouvelle version « …ne parle plus de continuation et de répétition des faits reprochés ni non plus de compromission grave de la protection du public. […] Dorénavant, c’est la nature de l’infraction reprochée qui pourra mener à la compromission de la protection du public au cas de continuation d’exercice. » [6]

[22]        La plainte en l’espèce reproche à l’intimé d’avoir utilisé des sommes d’argent et autres valeurs à des fins autres que celles pour lesquelles elles lui avaient été remises dans l’exercice de ses fonctions de sorte que la requête en radiation provisoire s’appuyait sur les deuxième et quatrième alinéas de l’article 130 du Code des professions, ce dernier alinéa ayant trait à l’entrave au travail notamment de l’enquêteur.

[23]       Le procureur de la plaignante a signalé que l’article 156, 2e paragraphe du Code des professions oblige le comité à imposer au moins la radiation temporaire quand il est reproché au professionnel d’avoir utilisé des sommes d’argent et autres valeurs à des fins autres que celles pour lesquelles elles lui avaient été remises dans l’exercice de ses fonctions ce qui démontre l’importance que le législateur accorde à ce type d’infractions qui fait également l’objet du 2e alinéa de l’article 130. 

[24]       Il a poursuivi en soulignant qu’en l’espèce, la plainte impliquait deux consommateurs à l’égard desquels les infractions paraissent avoir été commises sur plusieurs années et de façon répétée. De plus, le 13 juin 2013, l’intimé a fait de fausses déclarations à l’enquêteur de la CSF, entravant ainsi son travail d’enquête. 

[25]       Ensuite, malgré l’admission consignée par la partie intimée quant à la preuve prima facie que les gestes paraissaient avoir été posés, il a expliqué le compte Dominion et les sous comptes dotés de pseudonymes dont l’initiative devait, selon la plaignante, être attribuée à l’intimé. Il a aussi passé, pour chacun des consommateurs, à travers les faits allégués dans la requête ainsi qu’à travers une grande partie de la preuve documentaire, dont les relevés bancaires, pour appuyer notamment les allégations de détournements et avancer que la comptabilité appliquée au compte en fidéicommis d’Avantages allait à l’encontre de la raison d’être d’un tel compte. En résumé, il a avancé que l’intimé a utilisé entre 2009 et 2011 le compte en fidéicommis d’Avantages comme un « guichet automatique » transférant des fonds d’un compte à un autre ou même parfois pour acquitter des réclamations, dont celle d’E.L.

[26]       Les nombreux reproches faits à l’intimé démontrent l’exploitation par ce dernier du lien de confiance qui doit exister entre le représentant et son client. Il a soutenu que ces éléments conjugués démontraient un risque sérieux de récidive.

[27]       Quant au paragraphe 19 reprochant à l’intimé d’avoir faussement déclaré, le 13 juin 2013, ne pas être ni savoir qui était le propriétaire véritable du sous compte Dominion portant le pseudonyme « Fremiol », il démontre que l’intimé continue de mentir aux autorités compétentes.

[28]       Enfin, le procureur de la plaignante a soutenu que considérer le fait pour l’intimé de ne pas avoir accès au compte en fidéicommis de Mérici et la mise en place de mesures de surveillance par ce cabinet pour répondre aux craintes concernant la protection du public, serait sous-estimer l’intimé.  Ce dernier peut quand même léser des clients et le chef de la conformité de Mérici ne peut être investi du rôle de protéger le public en l’espèce d’autant plus que l’on ignore combien de temps Me Gauthier assumera cette fonction.

[29]       Il demande donc l’émission d’une ordonnance de radiation immédiate contre l’intimé.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[30]       Le procureur de l’intimé a, pour sa part, déposé un cahier de notes et autorités[7] au comité à l’appui de ses prétentions.

[31]       Il a signalé que la preuve de la plaignante se devait d’être convaincante et devait aller au-delà de l’apparence de compromission de la protection du public.

[32]       Il a allégué que le litige en l’espèce découlait de la situation de Dominion Investments Ltd (Dominion) et non de l’intimé.  Il a rappelé que celui-ci n’avait jamais eu de plainte portée contre lui pendant 25 ans de carrière à l’égard d’un autre compte que celui de Dominion.   

[33]       Il a souligné que même si la question du délai écoulé entre le début de l’enquête et la demande de radiation provisoire ne constituait pas, en elle-même, un motif d’irrecevabilité, cette question avait certainement une incidence sur la démonstration que l’intimé ne représente pas un risque pour la protection du public et que par conséquent sa radiation provisoire immédiate n’est pas requise.  

[34]       Il a rappelé que l’enquête du bureau de la syndique de la CSF eu égard à l’implication de l’intimé dans les comptes Dominion est en cours depuis 2008, alors que celle de l’AMF a débuté en 2006. En avril 2011, tous les documents étaient déjà en possession du bureau de la syndique de la CSF.

[35]       Il a allégué que le litige a commencé à la suite de l’enregistrement par l’intimé, sous les conseils de son avocat et ce pour acheter la paix, d’un plaidoyer de culpabilité aux chefs d’entrave portés contre lui par l’AMF à l’égard de son enquête. Depuis, il est taxé de mensonges à l’égard de toutes questions relatives à l’identité des propriétaires véritables des comptes Dominion. Or, suivant l’intimé, il a toujours reçu ses instructions de la firme Dominion.

[36]       Le 7 août 2012, le comité, dans le dossier CD00-0867, rejetait sept des dix chefs portés contre l’intimé dans la plainte disciplinaire datée du 28 avril 2011, au sujet du compte Dominion et le déclarait coupable sous trois chefs d’entrave (chefs 8 à 10). Ces derniers reprochaient à l’intimé les mêmes faits que ceux déjà reprochés par l’AMF à l’intimé.  Le paragraphe 19 de la présente plainte allègue une situation identique.

[37]        L’intimé, qui a interjeté appel tant de la décision sur culpabilité que de celle sur sanction, a demandé et obtenu, le 27 mars 2013, la suspension de l’exécution de la sanction de radiation de deux mois prononcée sur chacun des trois chefs, le 13 février 2013 et ce, sans contestation de la part de la plaignante. Il soutient que cette absence de contestation permet de conclure que la plaignante estimait qu’il n’était pas urgent d’obtenir la radiation provisoire immédiate de l’intimé pour la protection du public.

[38]        Aussi, il a signalé la décision rendue le 10 avril 2008 par la Cour du Québec,[8] de qui a rejeté la demande de l’AMF de maintenir l’ordonnance de blocage à l’égard d’Avantages.

[39]       La théorie de la plaignante reposerait sur la prémisse que les clients de Dominion sont les clients d’Avantages de sorte que l’argent reçu de Dominion, placé dans le compte en fidéicommis d’Avantages, était en réalité l’argent de ces derniers alors que l’intimé prétend que son client était Dominion, n’ayant qu’un seul compte. Dans CD00-0867, la plaignante a adopté une position différente et a attaqué la validité de cette façon d’agir, mais en reconnaissant qu’il s’agissait des comptes Dominion.

[40]       La preuve documentaire démontre que les comptes sont ouverts par Dominion et non par P.N. et E.L.  Dans son affidavit du 20 août 2008, R-85, P.N. déclare être un client de Dominion et ne dit jamais donner d’instructions à l’intimé. Le 24 juillet 2006 lors de la liquidation, P.N. déclare que Dominion est en dette envers lui.  Il ne peut réclamer à deux personnes en l’occurrence Avantages et Dominion. 

[41]        Il a avancé qu’il n’existait pas de preuve de relation contractuelle entre P.N., E.L. et l’intimé ni aucun état de compte dévoilant des commissions payées par P.N. et E.L. à l’intimé, ni aucune preuve de contrat de courtage. La seule preuve offerte est une ouverture de compte, une lettre à l’AMF indiquant que la véritable relation se trouve entre l’intimé, E.L. et P.N. plutôt qu’entre Dominion, E.L. et P.N.

[42]       Il a ajouté que la plaignante s’est contentée de dire que ces clients ne sont pas ceux de Dominion, mais d’Avantages et qu’il est question seulement de détournement des argents d’un client à un autre.  Il a fait remarquer que la plaignante n’avait administré, hormis de laisser entendre que l’intimé était le propriétaire véritable du compte « Frémiol », aucune preuve que l’intimé avait pris de l’argent d’autrui pour en bénéficier personnellement[9].

[43]       Au surplus, il a avancé que le signataire d’un formulaire d’ouverture d’un compte Dominion n’était pas nécessairement le propriétaire véritable dudit compte, mais pourrait en être un simple gestionnaire

[44]       Il a ainsi fait valoir que la plaignante devait faire une preuve juricomptable, le comité, ni les procureurs, ni les enquêteurs étant en mesure de se prononcer sur le système Axis utilisé par l’intimé pour la comptabilité du compte en fidéicommis d’Avantages aux périodes mentionnées.

[45]        La preuve a démontré que l’Agence de revenu Canada avait sous saisie chez Mérici un million de dollars du compte sous gestion de Dominion ainsi qu’une autre saisie du compte aux Bahamas.

[46]       En ce qui concerne les pertes pécuniaires alléguées avoir été subies par E.L., il a soutenu qu’il était impossible de conclure à ce stade-ci qu’il avait perdu de l’argent, Me Poirier n’ayant pu contredire que E.L. avait reconnu avoir versé environ 400 000 $ aux autorités fiscales, 250 000 $ en frais de liquidateur et 100 000 $ en honoraires d’avocats pour un total d’environ 700 000 $. Par conséquent, aucune preuve satisfaisante n’a été faite de perte réelle de la part d’E.L.

[47]       Les éléments suivants supportent l’absence d’urgence de radier provisoirement l’intimé :

a)    l’enquête de la syndique perdure depuis près de 5 ans sans qu’aucune demande de radiation provisoire n’ait été présentée;

b)    l’absence de contestation par la plaignante, le 27 mars 2013, de la demande de sursis des sanctions de radiation prononcées dans le dossier CD00-0867;

c)    le transfert du solde du compte en fidéicommis d’Avantages chez Mérici, en juillet 2011;

d)    l’intimé ne gère plus de compte en fidéicommis;

e)    l’intimé a cessé toute activité dans les comptes Dominion;

f)     la mise en place d’un mécanisme de surveillance par Mérici[10] de sorte que toutes les opérations effectuées par l’intimé et Avantages sont contrôlées a priori et requièrent une approbation au préalable;

g)    le fait que les deux consommateurs se sont tous deux contredits.  Me Poirier a notamment reconnu que E.L. avait probablement menti sur une des deux déclarations et que P.N. n’avait pas fourni la preuve qu’il était « Snake » même s’il avait la lettre en sa possession;

h)   la plaignante n’a jamais vu le formulaire d’ouverture de compte « Frémiol ».

[48]        Ainsi, le procureur de l’intimé a conclu que la plaignante ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer qu’il existe un risque de compromission de la protection du public et demande le rejet de la requête.


ANALYSE ET MOTIFS

[49]       À l’appui de la demande de radiation provisoire, la plaignante allègue aux paragraphes suivants de sa requête :

5.         Pour les motifs exposés ci-dessous, les faits reprochés à l’intimé sont graves et sérieux, portent atteinte à la raison d’être de la profession et sont de nature telle que la protection du public risque d’être compromise s’il continue d’exercer sa profession;

259.     Les faits portés à la connaissance de la syndique de la Chambre de la sécurité financière sont extrêmement troublants et requièrent l’intervention immédiate du Comité de discipline;

260.     Il apparait de façon prima facie que l’intimé a à plusieurs reprises détourné ou a fait défaut de remettre des sommes d’argent considérables, et qu’il a menti à répétition à ses clients quant à la disponibilité desdites sommes;

261.     Il apparait également de façon prima facie que l’intimé a entravé la conduite de l’enquête de la Plaignante en mentant sous serment à ses enquêteurs;

262.     Les gestes reprochés à l’intimé sont graves, répétitifs et déconsidèrent l’essence même de la profession;

263.     Il y a urgence d’agir pour la protection du public;

264.     La présente requête est bien fondée en faits et en droit;

[50]        Dans le cadre d’une procédure disciplinaire, « une justice de haute qualité est exigée » puisqu’une « suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière »[11]. C’est pourquoi la preuve doit être convaincante et aller au-delà de l’apparence de compromission de la protection du public[12].

[51]        Aussi, il a été établi[13] que pour donner suite à une demande de radiation provisoire, les quatre critères suivants doivent être satisfaits :

a)     la plainte doit faire état de reproches graves et sérieux;

b)     ces reproches doivent porter atteinte à la raison d’être de la profession;

c)      la preuve « à première vue » (prima facie) doit révéler que les gestes reprochés paraissent avoir été posés;

d)     la protection du public risque d’être compromise si l’intimé continue à exercer sa profession.

[52]        Résumons la plainte pour permettre une meilleure compréhension.

[53]       Les infractions alléguées aux paragraphes 1 à 10 de la plainte auraient été commises entre le 10 novembre 2005 et le 20 avril 2010, et reprochent à l’intimé d’avoir fait défaut de remettre avec diligence à un consommateur E.L. directement ou par l’entremise de Dominion des sommes d’argent provenant de la vente de fonds totalisant environ 160 805,35 $, de parts de fonds totalisant environ 40 805,35 $, et des valeurs totalisant environ 261 838,19 $, et de lui donner des informations fausses, trompeuses ou mensongères pour justifier son omission de lui remettre cette dernière somme et  valeurs, le tout détenu dans le compte de « Dominion Investment [...] (Gala) » auprès d’Avantages.

[54]       Celles alléguées aux paragraphes 11 à 16 auraient été commises d’une part, entre le 28 juillet 2009 et mars 2011, eu égard au défaut de l’intimé de transférer environ 269 956,01 $ au compte de P.N., d’en avoir fait ou permis de faire le détournement et, d’autre part, d’avoir donné des informations ou explications fausses, trompeuses ou mensongères pour justifier son omission de remettre ces sommes d’argent et ce jusqu’en octobre 2012.

[55]       Les infractions alléguées au paragraphe 17 auraient été commises le ou vers le 20 avril 2010 à l’égard des clients Dominion, en détournant ou permis que soit détourné plus de 1 000 000 $ à partir des comptes Dominion au profit d’autres comptes Dominion détenus auprès d’Avantages.

[56]       Celles alléguées au paragraphe 18 auraient été commises entre les mois de juillet 2005 et août 2010, en faisant défaut de s’assurer que tout solde débiteur en fidéicommis de chacun de ses clients soit comblé sans délai.

[57]       Enfin, les infractions alléguées au paragraphe 19 auraient été commises le ou vers le 13 juin 2013 en faisant des déclarations fausses aux enquêteurs de la CSF au sujet de l’identité du véritable propriétaire d’un compte Dominion sous le pseudonyme de « Fremiol ».

[58]        Le caractère sérieux et grave des reproches allégués ne fait pas de doute, ceux-ci vont au cœur du travail du représentant et portent atteinte à la raison d’être de la profession.  Par conséquent, le comité considère satisfaits les deux premiers critères. 

[59]       De plus, considérant l’admission de la partie intimée voulant que la plaignante se soit déchargée de son fardeau de démontrer qu’à première vue les gestes reprochés paraissent avoir été posés, le comité estime que ce troisième critère est également satisfait. 

[60]        Ainsi, il reste à déterminer si la protection du public risque d’être compromise si l’intimé continue à exercer sa profession, lequel constitue le quatrième critère à considérer pour décider s’il y a lieu d’accueillir la demande de radiation provisoire.

[61]        Les infractions alléguées aux paragraphes 1 à 18 de la plainte auraient été commises entre le 10 novembre 2005 et le 16 mars 2011, et celles envers la profession alléguées au paragraphe 19 auraient été commises le 13 juin 2013.

[62]        Notons que les infractions alléguées concernent uniquement le compte Dominion tout comme c’était le cas dans le dossier CD00-0867.  En outre, elles n’impliquent que deux consommateurs sur près d’une trentaine[14] ayant ouvert par l’entremise de l’intimé des sous comptes dotés d’un pseudonyme auprès de Dominion.

[63]        L’enquête de l’AMF à l’égard du compte Dominion a débuté en 2006 alors que celle de la plaignante a débuté en 2008. Au 28 avril 2011, date de la première plainte au sujet du compte Dominion, les enquêteurs de la CSF avaient en leur possession tout le dossier à l’exception des documents postérieurs et n’ont présenté aucune demande de radiation provisoire à l’égard de l’intimé.

[64]        Bien qu’il soit vrai que ni les dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) relatives à l’enquête de la syndique, ni celles du Code des professions applicables en l’espèce, n’imposent de délai précis entre le début de son enquête ou sa connaissance des gestes reprochés et la présentation de la requête en radiation provisoire immédiate, le comité peut néanmoins en apprécier les effets pour l’établissement du risque que constitue l’intimé s’il continue à exercer sa profession.

[65]        Comme l’indiquait le comité de la Chambre de l’assurance des dommages [15]
« Le délai écoulé entre la dénonciation par le public d’une situation alarmante et le dépôt de la requête en radiation provisoire est également un élément que le Comité se doit de considérer avant d’accorder une demande de radiation provisoire, suivant l’affaire Bell[16] ».

[66]        Ainsi, depuis le 13 février 2013, la plaignante est saisie de la déclaration déposée auprès de l’AMF par E.L. dans laquelle il allègue notamment que l’intimé a fait défaut notamment de lui remettre les valeurs lui appartenant dans le compte Dominion. De même, le 3 mai 2013, elle est saisie d’une demande d’enquête signée le même jour de la part de P.N. alléguant les faits rapportés dans la requête.

[67]        Pourtant, la plaignante ne dépose une nouvelle plainte contre l’intimé que le
10 septembre 2013, entre cinq et sept mois plus tard, à laquelle elle joint la présente requête en radiation provisoire.

[68]        En outre, le 27 mars 2013, la plaignante choisit de ne pas contester la demande de sursis à l’égard des trois sanctions de radiation temporaire de 2 mois à être purgée de façon concurrente auxquelles l’intimé a été condamné dans le dossier CD00-0867 pour des faits similaires à ceux allégués au paragraphe 19 de la plainte en l’espèce.  Force est de constater qu’elle estimait que l’intimé ne représentait pas un risque pour la protection du public.

[69]        Depuis novembre 2010, l’intimé est rattaché au cabinet Mérici;

[70]        Selon les allégués de la requête[17] et la preuve documentaire, Avantages a transféré le contenu de son compte en fidéicommis chez Mérici vers le
29 juillet 2011.

[71]        D’autre part, Me Poirier a témoigné que le compte en fidéicommis d’Avantages indiquait toujours en avril 2013 un solde de 6 000 $ sans élaborer davantage.

[72]        Il ressort des échanges du 17 mai 2013, entre Me Poirier et M. Boutin, président de Mérici, que l’entièreté du compte en fidéicommis d’Avantages a été transférée à Mérici de sorte que l’intimé ne gérait plus de compte en fidéicommis. Il restait quatre sous comptes au nom de Dominion qui étaient toujours non réclamés par le liquidateur de Dominion et environ 1 200 000 $ faisait toujours l’objet d’une saisie par l’Agence de revenu Canada.

[73]        Aussi, la preuve a révélé qu’un mécanisme de surveillance a été mis en place à l’égard de toutes les opérations effectuées par l’intimé et Avantages de sorte qu’elles sont contrôlées a priori et doivent être approuvées par le chef de la conformité chez Mérici avant d’être acheminées aux gestionnaires de fonds ou aux assureurs.  Ces mesures encadrent sérieusement les activités de l’intimé de sorte qu’il n’a pas accès directement aux gestionnaires de fonds et par conséquent ne peut agir comme il paraît l’avoir fait avec les comptes Dominion.

[74]        Au surplus, la plaignante n’a ni allégué, ni démontré ni même plaidé que les activités « actuelles » de l’intimé ou d’Avantages mettait à risque la protection du public.

[75]        Avec respect pour l’opinion contraire, le comité estime que les faits dans l’affaire Morin[18] citée par la plaignante diffèrent du présent cas. L’intimé Morin était absent lors de l’instruction de la plainte et non représenté. Le fait qu’il avait des problèmes de jeu et qu’il avait indiqué vouloir quitter le Québec pour le Costa Rica sont des éléments que le comité a retenu pour conclure à sa radiation provisoire.

[76]        Enfin, quant au paragraphe 19 de plainte reprochant à l’intimé d’avoir faussement déclaré aux enquêteurs de la CSF qu’il ne savait pas qui était le propriétaire véritable du compte Dominion ouvert sous le pseudonyme de « Fremiol », il paraît similaire à celui soulevé au paragraphe 8 de la plainte CD00-0867, soit « (1) ignorer l’identité des clients de la firme Dominion qui avaient des comptes de courtage chez Avantages »[19], à la différence qu’il s’agit d’un compte en particulier. Or, comme soulevé par le procureur de l’intimé, l’absence de contestation par la plaignante, en mars 2013, de la demande de sursoir à l’exécution de la décision sur sanction rendue par le comité ordonnant la radiation de l’intimé pour une période de deux mois, permet de conclure qu’elle considérait qu’il n’y avait pas de risque de compromission de la protection du public justifiant d’exiger sa radiation immédiate sur la base de cette infraction. Le comité estime que le contexte actuel ne paraît pas davantage justifier la radiation provisoire immédiate de l’intimé sur la base de ces infractions.

[77]        Par conséquent en l’espèce, malgré la gravité des gestes reprochés, le comité estime que la preuve prépondérante ne lui permet pas de conclure raisonnablement qu’il y a risque de compromission de la protection du public si l’intimé continue à exercer sa profession[20].

[78]        S’il y avait un changement de circonstances, il est entendu que la syndique pourra envisager une nouvelle demande de radiation provisoire.

PAR CES MOTIFS, le comité :

REJETTE la requête en radiation provisoire présentée par la plaignante;

CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une conférence téléphonique dans le but de déterminer une ou des dates pour l’audition de la plainte;

LE TOUT frais à suivre.

 

 

(s) Janine Kean

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Benoit Bergeron

Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Robert Chamberland

M. Robert Chamberland, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

Me Mathieu Cardinal

Me Caroline Isabelle

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Jacques Jeansonne

Me Alain Nguyen

JEANSONNE AVOCATS INC.

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

Les 19 et 20 septembre, 4, 7 et 8 octobre 2013

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

[NDLE : SOQUIJ a retiré les annexes (requête et plainte) du présent jugement.]



[1] Bohémier c. Avocats, 2005 QCTP 140 (T.P.), p. 4.

[2] Paragraphes 2, 3 et 4 et R-4, un état de renseignements du Registraire des entreprises du Québec daté du 15 avril 2013 qui indique que la dernière déclaration de mise à jour annuelle a été faite le 15 janvier 2013.

[3] Paragraphes 218 et 236 à 240.

[4] Paragraphes 170 et 171, 173 à 176, 179 et 180, 186 à 190, 197, 198, 202 et 207.

[5] Nadeau c. Brunet, [1995] D.D.O.P. 117 (C.D. Not.), décision du 11 janvier 1995; Ordre professionnel des Chimistes c. Bell, [2001] D.D.O.P. 323 (T.P.), décision du 17 mai 2001 ; Dupont c. Dentistes, 2003 QCTP 77 (T.P.), décision du 11 juin 2003; Landry c. Tribunal des professions, 2007 QCCS 4498 (C.S.), décision du 1er octobre 2007; Mailloux c. Ordre professionnel des médecins, 2009 QCTP 80 (T.P.), décision du 10 juillet 2009; Castiglia c. Ahmed, 2009 QCCQ 14865 (C.Q.), décision du 3 décembre 2009; Champagne c. Morin, CD00-0793, décision du 23 décembre 2009.

[6] Précité, note 5, Nadeau c. Brunet, p. 4-5.

[7] Patrick de Niverville, «L’ordonnance de radiation provisoire» dans Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, 2002 ; Collège des médecins du Québec c. Bissonnette, 24-05-00604, décision du 23 mars 2005 ; Mailloux c. Ordre professionnel des médecins, 2008 QCTP 9 (T.P.), décision du 18 janvier 2008 ; Ordre des comptables agréés du Québec, [1986] D.D.C.P. 18, décision du 30 mai 1985 ; Maheu c. Bell, 2001 QCTP 44A (T.P.), décision du 7 juin 2001; Dr. Huan Do c. Dr. Morin, AZ-97041086 (T.P.), décision du 21 août 1997 ; St-Pierre c. Ordre professionnel des notaires, 2010 QCTP 79 (T.P.), décision du 2 juillet 2010 ; Landry c. Ordre professionnel des avocats, 2012 QCTP 90 (T.P.), décision du 3 juillet 2012 ; Blanchet c. Ordre professionnel des avocats, 2005 QCTP 60 (T.P.), décision du 11 juillet 2005 ; Chauvin c. Hallé, 2011-05-01(C), décision du 16 juin 2011.

[8] Culmar c. Autorité des marchés financiers, 2008 QCCQ 2804.

[9] Précité, note 7, Blanchet c. avocats, p. 18 et 19.

[10] L’intimé ayant fait un parallèle avec la décision du T.P. rendue dans Do c. Dentistes, précitée note 3.

[11] Kane c. Conseil d’administration de l’U.C.-B., [1980] 1 R.C.S. 1105, p. 1113.

[12] Précité notes 3 et 7, Mailloux c. Médecins, p.18.

[13] Précité notes 3 et 7, Mailloux c. Médecins, p. 18.

[14] Précité note 8, Culmer c. Autorités des marchés financiers.

[15] Précité note 3, Chauvin c. Hallé, p. 8.

[16] Maheu c. Bell (Chimistes), [2001] Q.C.T.P. 44 A.

[17] Paragraphes 198 et 199.2.

[18] Précitée, note 3.

[19] Tel que rapporté au paragraphe 7.2 de la requête en radiation provisoire ainsi qu’à R-5 et R-6.

[20] Précitées, notes 3 et 7, Mailloux c. Médecins et Chimistes c. Bell.

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