Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0976

 

DATE :

23 décembre 2013

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Louis Rouleau, A.V.A., PL. FIN.

Membre

M. Felice Torre, A.V.A., PL. FIN.

Membre

_____________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

 

CARY WARD (certificat numéro 134505)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des pièces P-3 à P-60 et des informations y contenues qui permettraient d’identifier le nom des consommateurs en cause.

[1]           Le 1er octobre 2013, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni aux locaux de la Commission des lésions professionnelles, 500, boulevard René-Lévesque Ouest, 18e étage, salle 18.111, Montréal, et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« M.D.S., N.D.S. et S.D.S.

1.             À Montréal, le ou vers le 15 septembre 2000, l’intimé a fait souscrire à M.D.S., N.D.S. et S.D.S. un investissement d’environ 28 000 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme de trois ans, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 9, 12, 13, 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1);

J.M. ou E.M.

2.             À Montréal, le ou vers le 29 septembre 2001, l’intimé a fait souscrire à J.M. ou E.M. un investissement d’environ 81 000 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme de cinq ans, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 9, 12, 13, 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 12 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r. 7.1);

J.D.

3.             À Sainte-Geneviève, le ou vers le 8 mars 2002, l’intimé a fait souscrire à J.D. un investissement d’environ 20 000 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme de cinq ans, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 9, 12, 13, 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 12 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r. 7.1);

M.H.

4.             À Québec, le ou vers le 1er juillet 2005, l’intimé a fait souscrire ou renouveler à M.H. un investissement d’environ 24 595,55 $ auprès de Focus Management inc., sous la forme d’un prêt à terme de trois ans, alors qu’il n’y était pas autorisé en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 9, 12, 13, 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 148, 149 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 12 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r. 7.1) »

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[2]           D’entrée de jeu, l’intimé, accompagné de son avocat, enregistra un plaidoyer de culpabilité à l’égard de tous et chacun des quatre (4) chefs d’accusation contenus à la plainte.

[3]           Après l’enregistrement dudit plaidoyer, les parties présentèrent au comité leurs preuve et représentations respectives sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[4]           Alors que la plaignante versa au dossier une imposante preuve documentaire cotée P-1 à P-60 consistant essentiellement d’éléments recueillis lors de son enquête, elle ne fit entendre aucun témoin.

[5]           Quant à l’intimé, il ne déposa aucun document mais choisit de témoigner.

[6]           Ce dernier débuta son témoignage en exposant son parcours professionnel, mentionnant notamment qu’il avait débuté dans la distribution de produits d’assurance et/ou financiers en 1971 et qu’il « n’avait pendant plusieurs années éprouvé aucun problème au plan déontologique ».

[7]           Il raconta ensuite que s’étant rattaché en janvier 2000 au cabinet de Gestion de capital Tri-Global (Tri-Global), il avait alors fait confiance aux dirigeants du cabinet, ces derniers lui suggérant ou l’incitant à offrir à la clientèle les produits financiers émis par Focus Management inc. (Focus).

[8]           Il aurait accordé foi à leurs assurances relatives à la qualité desdits produits et à preuve de sa bonne foi, il aurait lui-même investi pour son propre compte, dans ceux-ci.

[9]           Au bout de quelques années d’association, il aurait fini par « perdre confiance » mais, selon ses dires, « il était alors trop tard ».

[10]        Il termina son témoignage en soulignant son absence d’antécédents disciplinaires ainsi qu’en mentionnant qu’il avait résolu, il y a trois (3) ans, de prendre sa retraite et s’était alors retiré de la pratique après avoir « vendu son cabinet ».

[11]        Les parties soumirent ensuite au comité leurs représentations sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[12]        Par l’entremise de son procureur, la plaignante débuta ses représentations en informant le comité que relativement aux sanctions à être imposées les parties étaient parvenues à s’entendre pour lui soumettre des « recommandations communes ».

[13]        Ainsi elle affirma qu’elles s’étaient accordées pour lui proposer de condamner l’intimé à une radiation temporaire de deux (2) ans à être purgée de façon concurrente sous tous et chacun des quatre (4) chefs d’accusation contenus à la plainte, ajoutant qu’elles avaient de plus convenu de suggérer la condamnation de ce dernier au paiement des déboursés et la publication de la décision.


[14]        À l’appui de ses recommandations, elle cita les décisions rendues par le comité dans les affaires Tessier[1], Dracontaidis[2] et Jekkel[3] qu’elle commenta.

[15]        Au plan des facteurs aggravants, elle souligna :

-               la gravité objective des infractions commises par l’intimé, qu’elle qualifia « d’exercice illégal »;

-               les fautes au cœur de l’exercice de la profession;

-               la remise ou la présentation à ses clients de documents émis par « Focus » laissant entendre que « leur capital était assuré »;

-               quatre (4) consommateurs ou groupe de consommateurs distincts, « victimes » de ses agissements ou représentations;

-               le préjudice financier important causé à certains d’entre eux;

-               le « caractère intéressé » de la distribution des produits en cause, l’intimé profitant au moment de la vente de commissions non sans importance;

-               la longue expérience de ce dernier au moment des actes reprochés, si bien que ne peut être invoquée en sa faveur « l’excuse du professionnel débutant ».

[16]        Au plan des facteurs atténuants, elle mentionna les éléments suivants :

-               l’absence d’intention malveillante ou malhonnête, l’intimé ayant malheureusement mais indûment fait confiance aux dirigeants de son cabinet;

-               son absence de « mauvaise foi » ayant lui-même investi une somme substantielle dans les produits financiers qu’il recommandait à ses clients et, tout comme certains d’entre eux, y ayant « perdu » les montants engagés;

-               la décision qu’il a prise au mois de décembre 2009 de cesser ses activités de représentant et, dans de telles circonstances, le faible risque de récidive qu’il représente;

-               le remboursement personnel qu’il a effectué, à la hauteur de 21 000 $, auprès d’une des clientes concernées;

-               son absence d’antécédents disciplinaires;

-               sa collaboration « exemplaire » à l’enquête de la syndique;

-               l’enregistrement, à la première occasion, d’un plaidoyer de culpabilité à l’endroit de tous et chacun des quatre (4) chefs d’accusation contenus à la plainte.

[17]        Elle termina ses représentations en indiquant que la « suggestion commune » des parties était fidèle à la jurisprudence du comité, ajoutant que compte tenu de l’ensemble des circonstances propres à cette affaire, une radiation temporaire de deux (2) ans sous chacun des quatre (4) chefs d’accusation, à être purgée de façon concurrente, lui apparaissait une sanction raisonnable et appropriée.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[18]        Quant à l’intimé, par l’entremise de son procureur, il déclara s’en remettre aux représentations du procureur de la plaignante, déclarant n’avoir vraiment que peu à ajouter et se contentant de référer alors le comité à l’affaire Champagne c. Ledoux, CD00-0779.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[19]        L’intimé a débuté dans le domaine de la distribution de produits d’assurance et/ou financiers en 1971.

[20]        Après plusieurs années d’exercice, le ou vers le 21 janvier 2000, il s’est joint au cabinet Tri-Global.

[21]        Il a alors fait confiance aux deux (2) dirigeants du cabinet. Ces derniers lui suggéraient de distribuer les produits financiers émis par Focus.

[22]        C’est ainsi qu’il a fautivement, et de façon reprochable, mais en l’absence d’intentions malveillantes, vendu et distribué ceux-ci à ses clients. À preuve de son absence de mauvaise foi, signalons qu’il en a achetés pour lui-même à la hauteur de 140 000 $ et qu’il y a perdu les sommes investies.

[23]        Il a également, dans un cas particulier, afin de compenser les pertes de cette dernière, de sa poche, remboursé une de ses clientes à la hauteur de 21 000 $.

[24]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire en près de quarante (40) ans d’exercice de la profession.

[25]        Il a offert une collaboration « exemplaire » à l’enquête de la syndique et a, à la première occasion, enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’endroit de chacun des quatre (4) chefs d’accusation contenus à la plainte.

[26]        À la suite des événements en cause, il a, il y a trois (3) ans environ, disposé de sa clientèle et s’est volontairement retiré de la profession.

[27]        La gravité objective des infractions multiples et répétitives qui lui sont reprochées est toutefois indiscutable.

[28]        Elles vont au cœur de l’exercice de la profession et sont de nature à déconsidérer celle-ci.

[29]        Au moment des faits reprochés, l’intimé possédait plusieurs années d’expérience dans le domaine de la distribution de produits d’assurance et/ou financiers et savait donc, ou aurait dû savoir, qu’il n’était pas autorisé en vertu de ses certifications à offrir les produits d’investissement en cause.

[30]        La commission par ce dernier des infractions reprochées s’est échelonnée sur une période de temps importante, soit de l’an 2000 à l’an 2005.

[31]        En agissant tel qu’il lui a été reproché, l’intimé a fait défaut de se comporter en conseiller probe, sérieux et consciencieux.

[32]        En conseillant ses clients, certains fort vulnérables, dans une matière hors de son champ de compétence et en leur recommandant des produits qu’il n’était pas autorisé à distribuer, il a fait fi des règles édictées par le législateur dans le but de les protéger.

[33]        Ces derniers n’avaient aucun moyen de se prévenir contre ses agissements et certains ont perdu la totalité des sommes investies à la suite de ses conseils.

[34]        L’intimé ayant alors agi en dehors du cadre de ses certifications, ils ne pourront vraisemblablement pas bénéficier des ressources du Fonds d’indemnisation des services financiers pour récupérer leurs pertes.

[35]        Au plan des sanctions qui doivent lui être imposées, les parties ont proposé au comité « des suggestions communes ».

[36]        Or dans l’arrêt Douglas[4] la Cour d’appel du Québec a clairement indiqué que lorsque les parties en arrivent à s’entendre pour proposer des « recommandations conjointes », celles-ci ne devraient être écartées que si le tribunal les juge inappropriées, déraisonnables, contraires à l’intérêt public ou est d’avis qu’elles sont de nature à discréditer l’administration de la justice.

[37]        L’applicabilité de ce principe au droit disciplinaire a à quelques reprises été confirmée par le Tribunal des professions[5].

[38]        Aussi, après avoir mûrement considéré les sanctions qui lui ont été proposées conjointement par les parties et révisé les décisions qui lui ont été soumises à l’appui de celles-ci, le comité est d’avis qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de leurs suggestions.

[39]        En effet, après examen de l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée et des éléments tant objectifs que subjectifs propres au dossier, les sanctions recommandées par les parties ne lui apparaissent ni injustes, ni déraisonnables, ni inappropriées ou contraires à l’intérêt public.

[40]        Le comité se conformera donc aux recommandations conjointes des parties et condamnera l’intimé sous chacun des quatre (4) chefs d’accusation contenus à la plainte à une radiation temporaire de deux (2) ans à être purgée de façon concurrente. De plus, le comité ordonnera la publication de la décision et condamnera ce dernier au paiement des déboursés.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND acte du plaidoyer de culpabilité enregistré par l’intimé à l’endroit de tous et chacun des quatre (4) chefs d’accusation contenus à la plainte;

DÉCLARE l’intimé coupable sous chacun des quatre (4) chefs d’accusation contenus à la plainte;


ET STATUANT SUR LA SANCTION :

Sous chacun des chefs 1 à 4 inclusivement :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux (2) ans à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal où ce dernier a son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156(5) du Code des professions, L.R.Q. chap. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, L.R.Q. chap. C-26.

 

 

 

(s) François Folot____________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Louis Rouleau____________________

M. LOUIS ROULEAU, A.V.A., PL. FIN.

Membre du comité de discipline

 

(s) Felice Torre______________________

M. FELICE TORRE, A.V.A., PL. FIN.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Mathieu Cardinal

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Julien Lussier

IRVING MICHELL KALICHMAN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

1er octobre 2013

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Thibault c. Tessier, CD00-0762, décision sur culpabilité en date du 19 janvier 2010 et décision sur sanction en date du 24 août 2010.

[2]     Champagne c. Dracontaidis, CD00-0814, décision sur culpabilité et sanction en date du 29 avril 2011.

[3]     Champagne c. Jekkel, CD00-0771 et CD00-0804, décision sur culpabilité en date du 16 avril 2012 et décision sur sanction en date du 23 avril 2013.

[4]     R. c. Douglas, 2002, 162 CCC 3rd, 37.

[5]     Voir Maurice Malouin c. Maryse Laliberté, 2002 QCTP 15 Can LII.

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