Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0860

 

DATE :

15 octobre 2013

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

M. Robert Archambault, A.V.A.

Membre

M. Marcel Cabana

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

plaignante

c.

JACQUES-ANDRÉ THIBAULT, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 132407)

intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

I - LA PLAINTE ET LE DÉROULEMENT DE L’AUDIENCE

[1]          La plaignante a logé contre l’intimé une plainte portant la date du 14 mars 2011. En cours d’instruction, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) a permis à la plaignante d’amender la plainte. Les chefs d’infraction de cette plainte amendée se lisent comme suit :

 

 

J.D. inc.

 

1.            À St-Bruno, le ou vers le 17 février 2006, l’intimé, alors qu’il faisait souscrire J.D. inc. à la police d’assurance vie no [...] auprès d’AIG Vie, n’a pas recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme de ses besoins financiers, contrevenant ainsi aux articles 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (R.R.Q., c. D-9.2, r.10);

 

2.            À St-Bruno, le ou vers le 17 février 2006, l’intimé n’a pas subordonné son intérêt personnel à celui de son client J.D. inc. en lui faisant souscrire auprès d’AIG Vie la police d’assurance vie no [...] d’un capital assuré de 3 000 000 $, augmenté le ou vers le 7 mai 2006 à 4 500 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (R.R.Q., c. D-9.2, r.3);

 

3.            À St-Bruno, le ou vers le 19 juin 2006, l’intimé s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts en procédant au transfert de la propriété de la police d’assurance vie no [...] souscrite auprès d’AIG Vie par son client J.D. inc., et ce, en faveur de la Fiducie Claudette Hallée dont il était lui-même fiduciaire et dont ses deux filles étaient bénéficiaires, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (R.R.Q., c. D-9.2, r.3);

 

4.            À St-Bruno, le ou vers le 19 juin 2006, l’intimé a versé 261 000 $ à son client J.D. inc. et 20 000 $ à J.D. à la suite du transfert de propriété de la police d’assurance vie no [...] souscrite auprès d’AIG Vie, et ce, en faveur de la Fiducie Claudette Hallée, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 22, 36 et 41 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (R.R.Q., c. D-9.2, r.3);

 

5.            À St-Bruno, le ou vers le 1er août 2006, l’intimé, alors qu’il faisait souscrire J.D. inc. à la police d’assurance vie no [...] auprès d’AIG Vie, n’a pas recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme de ses besoins financiers, contrevenant ainsi aux articles 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (R.R.Q., c. D-9.2, r.10);

 

6.            À St-Bruno, le ou vers le 1er août 2006, l’intimé n’a pas subordonné son intérêt personnel à celui de son client J.D. inc. en lui faisant souscrire auprès d’AIG Vie la police d’assurance vie no [...] d’un capital assuré de 2 000 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (R.R.Q., c. D-9.2, r.3);

 

Y.G.

 

7.            À Sainte-Catherine-de-Hatley, le ou vers le 4 janvier 2007, l’intimé, alors qu’il faisait souscrire Y.G. à la police d’assurance vie no [...] auprès d’AIG Vie, n’a pas recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme de ses besoins financiers, contrevenant ainsi aux articles 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (R.R.Q., c. D-9.2, r.10);

 

8.            À Sainte-Catherine-de-Hatley, le ou vers le 4 janvier 2007, l’intimé a fourni des renseignements faux ou inexacts à l’assureur AIG Vie sur la proposition d’assurance qu’il a complétée au sujet de son client Y.G., contrevenant ainsi aux articles 16 et 23 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (R.R.Q., c. D-9.2, r.3);

 

9.            À Sainte-Catherine-de-Hatley, le ou vers le 4 janvier 2007, l’intimé n’a pas subordonné son intérêt personnel à celui de son client, Y.G, en lui faisant souscrire auprès d’AIG Vie la police d’assurance vie no [...] d’un capital assuré de 10 000 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (R.R.Q., c. D-9.2, r.3);

 

 
 


10.          […] ;

 

 
 


11.          […] ;

 

12.          À Sainte-Catherine-de-Hatley, le ou vers le 5 février 2007, l’intimé a fait souscrire à son client Y.G. des actions de Phasoptx inc., alors qu’il n’était pas autorisé à offrir un tel placement en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 3, 12, 13 et 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2);

 

A.L.

 

13.          À Sainte-Catherine-de-Hatley, le ou vers le 5 février 2007, l’intimé a fait souscrire à A.L. des actions de Phasoptx inc., alors qu’il n’était pas autorisé à offrir un tel placement en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 3, 12, 13 et 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D‑9.2).

 

[2]          Dans les semaines qui ont précédé le début de l’audience, le comité a été informé de l’intention de l’intimé de soulever l’inconstitutionnalité de certains articles de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF).

[3]          Le comité a siégé les 17, 18 et 20 octobre 2011 de même que le 6 février 2012.

[4]          En début d’audience, Me Priscilla Bernier, en l’absence de l’intimé, a produit un plaidoyer de culpabilité conditionnel à ce que certains chefs d’infraction soient retirés; dans ce plaidoyer il n’était pas indiqué si l’intimé admettait les faits qui lui étaient reprochés.

[5]          Le comité a refusé de déclarer l’intimé coupable des infractions reprochées sur la base du document alors produit en se fondant, en particulier, sur l’extrait suivant de l’arrêt rendu par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Duquette[1] :

« Un comité de discipline doit refuser un plaidoyer de culpabilité s’il appert que l’intimé n’admet pas les faits qui lui sont reprochés ».

[6]          La procureure de l’intimé a alors quitté la salle d’audience et la plaignante a procédé par défaut.

[7]          Lors de la deuxième journée d’audience, l’intimé s’est présenté avec ses procureurs pour enregistrer un plaidoyer de culpabilité. En réponse aux questions du comité, il n’a pas admis les éléments essentiels des manquements qui lui étaient reprochés dans la plainte. Le comité a donc de nouveau refusé de déclarer l’intimé coupable des infractions qui lui étaient reprochées dans la plainte amendée. L’intimé et ses procureurs ont quitté la salle d’audience et la plaignante a poursuivi la présentation de sa preuve. Le comité a ensuite été informé que l’intimé réitérait sa volonté de soulever l’inconstitutionnalité de certains articles de la LDPSF.

[8]          Après la présentation de la preuve sur le mérite de la plainte, les parties ont été convoquées pour une dernière journée d’audience au cours de laquelle la preuve et les plaidoiries sur les questions de nature constitutionnelle ont été présentées.

[9]          Me François Montfils a représenté la plaignante tout au long des audiences. Me Priscilla Bernier a agi pour l’intimé et Mes Diane Bouchard et Benoît Belleau ont représenté le Procureur général du Québec (PGQ) lors du débat sur les motifs d’inconstitutionnalité.

[10]        Puisque le comité conclura à la culpabilité de l’intimé en regard de la majorité des chefs d’infraction contenus à la plainte amendée, il est nécessaire de trancher les questions de nature constitutionnelle soulevées. L’analyse du comité portera donc premièrement sur ces questions.

II - LA CONTESTATION DE NATURE CONSTITUTIONNELLE

1º         La teneur du débat

[11]        Le 14 septembre 2011, l’intimé a fait signifier un avis selon l’article 95 du Code de procédure civile visant à faire déclarer inopérants, invalides ou inapplicables constitutionnellement les articles 352, 353, 354, 355, 356, 359, 363, 365, 371, 372 et 377 de la LDPSF.

[12]        Les motifs invoqués par l’intimé sont les suivants :

Les membres du comité n’ont pas été nommés dans des conditions garantissant le respect des droits fondamentaux à l’indépendance et à l’impartialité prévus à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (la Charte québécoise) en ce que :

a)             la durée du mandat du président et des membres est insuffisante;

b)             le président peut être destitué par le ministre des Finances en cours de mandat et les autres membres peuvent l’être par le conseil d’administration de la Chambre de la sécurité financière (CSF);

c)             les membres sont en conflit d’intérêts continuel (par rapport à l’intimé) de par leurs activités de courtiers.

2º         La preuve soumise

[13]        Les parties ont produit de consentement les pièces suivantes :

        l’acte de nomination par le ministre des Finances du gouvernement du Québec de Me François Folot à titre de président du comité en date du 22 octobre 2009 (R-1);

        le procès-verbal de la séance du conseil d’administration de la CSF tenue le 5 décembre 2008 concernant la nomination des membres du comité pour la période de 2008 à 2011 (R-2);

        la politique relative aux indemnités payables aux membres du comité; résolution CA-20100916-25 (R-3);

        la liste des membres du comité : mandat 2008-2011 (R-4);

        les actes de nomination par Me François Folot de Me Janine Kean et Me Sylvain Généreux à titre de président suppléant du comité en date du 1er septembre 2009 (R-5);

        l’acte de nomination par le ministre des Finances du gouvernement du Québec de Me Jean-Marc Clément à titre de vice-président du comité en date du 22 octobre 2009 (R-6);

        l’extrait du procès-verbal du conseil d’administration de la CSF aux termes duquel a été adoptée la résolution relative à la liste des membres du comité pour la période de 2011 à 2014 (R-7).

[14]        Aucune autre preuve n’a été présentée.

3º         Les articles de la LDPSF visés par l’avis d’intention de l’intimé

[15]        Les articles que l’intimé demande au comité de déclarer inopérants, invalides ou inapplicables constitutionnellement se lisent comme suit :

« 352. Un comité de discipline est constitué au sein de chaque chambre.

353. Un comité de discipline est saisi de toute plainte formulée contre un représentant pour une infraction aux dispositions de la présente loi, de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1) ou de l'un de leurs règlements.

354.   Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière statue sur les plaintes portées contre un représentant en assurance de personnes, un représentant en assurance collective et un planificateur financier.

Ce comité statue également sur les plaintes portées contre un représentant de courtier en épargne collective ou un représentant de courtier en plans de bourses d'études inscrits conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1).

Le comité de discipline de la Chambre de l'assurance de dommages statue sur les plaintes portées contre un agent en assurance de dommages, un courtier en assurance de dommages et un expert en sinistres.

Est irrecevable une plainte formulée contre une personne visée aux premier ou deuxième alinéas qui exerce une fonction prévue à la présente loi, dont un syndic, un adjoint à un syndic, un enquêteur du syndic ou un membre d'un comité de discipline, en raison d'actes accomplis dans l'exercice de cette fonction.

355.   Un comité de discipline est composé d’avocats et de représentants.

356.   Les affaires d’un comité de discipline sont dirigées par un président nommé par le ministre, après consultation du Barreau, parmi les avocats ayant au moins dix ans de pratique.

Le ministre fixe sa rémunération, ses avantages sociaux et ses autres conditions de travail qui sont à la charge de la chambre.

359.  Une chambre nomme, pour chaque discipline dans laquelle pratiquent ses membres de même que pour les représentants de courtier en épargne collective et les représentants de courtier en plans de bourses d'études inscrits conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1), et selon trois secteurs de commercialisation, un nombre suffisant de membres du comité de discipline qui doivent être choisis parmi les représentants.

363.  Une chambre fait parvenir au président du comité de discipline la liste des membres qu’elle a nommés pour chaque secteur de commercialisation.

365.   Le mandat du président est d’au plus cinq ans et celui des autres membres est d’au plus trois ans.

À l’expiration de leur mandat, les membres d’un comité de discipline demeurent en fonction jusqu’à ce qu’ils soient nommés de nouveau ou remplacés.

371.   Une plainte est entendue par trois membres du comité de discipline désignés par le président, dont un avocat qui préside l’audition.

Toutefois, lorsqu’un membre du comité de discipline, autre que celui qui le préside, devient empêché d’agir, l’instruction peut être validement poursuivie et une décision peut être validement rendue par les deux autres membres.

372.   Le président, lorsqu’il estime que le nombre de membres inscrit sur la liste d’un secteur de commercialisation pour une discipline donnée ne permet pas d’effectuer un choix de membres assurant l’impartialité d’une audition, peut y suppléer en désignant tout autre membre du comité de discipline pour entendre une plainte.

377.   Le président, ou un avocat membre du comité de discipline qu’il désigne, peut entendre seul et décider tout moyen préliminaire. »


4º        L’indépendance judiciaire : certains principes établis par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel du Québec

[16]        Eu égard aux deux premiers motifs invoqués, le comité est appelé à déterminer si la durée fixe des mandats du président (cinq ans) et des membres (trois ans) et si le mode de destitution de ceux-ci satisfont aux exigences découlant de l’article 23 de la Charte québécoise.

[17]        Le premier alinéa de cet article se lit comme suit :

« Article 23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle. »

[18]        Il est également utile de reproduire le premier alinéa de l’article 56 de la Charte québécoise :

« Article 56. Dans les articles 9, 23, 30, 31, 34 et 38, dans le chapitre III de la partie II ainsi que dans la partie IV, le mot « tribunal » inclut un coroner, un commissaire-enquêteur sur les incendies, une commission d’enquête et une personne ou un organisme exerçant des fonctions quasi judiciaires. »

[19]        L’intimé a plaidé que le comité exerce des fonctions quasi judiciaires et qu’il constitue, par conséquent, un tribunal au sens de l’article 23 de la Charte québécoise. Cet argument n’a pas été contesté par le PGQ.

[20]        Le comité conclut également de cette façon.  Une analyse des dispositions qui lui sont applicables permet de conclure que les décisions qu’il rend sont soumises à un processus judiciaire ou quasi judiciaire[2]. En effet, le comité doit tenir une audience (dans le cadre d’une procédure contradictoire) avant de rendre une décision (sur culpabilité ou sanction) ayant une incidence sur les droits et obligations d’un représentant. Il s’agit là d’éléments distinctifs de l’acte judiciaire ou quasi judiciaire.

[21]        Le comité est donc un tribunal au sens de l’article 23 de la Charte québécoise et l’intimé a droit à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant qui ne soit pas préjugé.

[22]        Tel qu’indiqué précédemment, l’intimé a plaidé que le comité n’est pas indépendant et impartial. En regard des deux premiers motifs invoqués, il a mis de l’avant des arguments relatifs à l’indépendance.

[23]        À quoi correspond le critère relatif à l’indépendance pour un tribunal administratif? Dans l’affaire de la Régie des permis d’alcool[3], la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Gonthier, écrivait :

« L’indépendance des tribunaux administratifs, qu’en sus de l’impartialité l’art. 23 de la Charte protège, tient notamment aux relations que les décideurs entretiennent avec autrui et aux conditions objectives encadrant ces relations. Le juge en chef Dickson, dans l’arrêt Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, à la p. 69, a ainsi défini l’indépendance :

Historiquement, ce qui a généralement été accepté comme l’essentiel du principe de l’indépendance judiciaire a été la liberté complète des juges pris individuellement d’instruire et de juger les affaires qui leur sont soumises : personne de l’extérieur – que ce soit un gouvernement, un groupe de pression, un particulier ou même un autre juge – ne doit intervenir en fait, ou tenter d’intervenir, dans la façon dont un juge mène l’affaire et rend sa décision.

Les trois principales composantes de l’indépendance judiciaire, soit l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance institutionnelle, furent dégagées par l’arrêt Valente, précité. Ces éléments objectifs visent en fait à assurer que le juge puisse raisonnablement être perçu comme indépendant, et qu’ainsi les craintes de partialité soient écartées. L’indépendance constitue donc en définitive une garantie de l’impartialité.

Les principes développés par notre Cour en matière d’indépendance judiciaire doivent trouver application en vertu de l’art. 23 de la Charte. Là n’est pas dire, bien entendu, que les tribunaux administratifs auxquels cette disposition s’applique doivent se comparer en tout point aux cours de justice. Comme en matière d’impartialité, une certaine dose de flexibilité est de mise à l’endroit des organismes administratifs. Les motifs du juge Le Dain dans l’arrêt Valente laissent d’ailleurs place à la souplesse, d’une façon qui tienne compte de la nature du tribunal et de l’ensemble des circonstances. Le juge en chef Lamer le rappelait récemment dans l’affaire Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, au par. 83 :

Par conséquent, bien que les tribunaux administratifs soient assujettis aux principes énoncés dans l’arrêt Valente, le critère relatif à l’indépendance institutionnelle doit être appliqué à la lumière des fonctions que remplit le tribunal particulier dont il s’agit. Le niveau requis d’indépendance institutionnelle (c.-à-d. l’inamovibilité, la sécurité financière et le contrôle administratif) dépendra de la nature du tribunal, des intérêts en jeu et des autres signes indicatifs de l’indépendance, tels les serments professionnels.

Voir également les motifs du juge Sopinka, au par. 113.

Les tribunaux québécois ayant interprété l’art. 23 ont de la même façon considéré dans leur analyse les fonctions et caractéristiques propres aux organismes administratifs en cause (voir par exemple Coffin c. Bolduc, [1988] R.J.Q. 1307 (C.S.); Nantais c. Bolduc, [1988] R.J.Q. 2465 (C.S.); Services Asbestos Canadien (Québec) Ltée c. Commission de la construction du Québec, [1989] R.J.Q. 1564 (C.S.); Taverne Le Relais, précité; G.E. Hamel Ltée c. Cournoyer, [1989] R.J.Q. 2767 (C.S.); Société de vin internationale Ltée c. Régie des permis d’alcool du Québec, J.E. 91-853 (C.S.)). Il ne fait en effet pas de doute que les tribunaux administratifs n’auront pas nécessairement à présenter les mêmes garanties objectives relatives à l’indépendance que les cours supérieures. Je rappelle toutefois que l’art. 23 ne tolère pas l’existence d’organismes à propos desquels un observateur bien renseigné, à l’issue de l’analyse de tous les éléments pertinents, éprouverait des craintes raisonnables de partialité. » (nous avons souligné)

[24]        Il ressort de cet arrêt (et de celui rendu par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Barreau de Montréal[4] notamment) que l’on ne peut moduler à la baisse les caractéristiques essentielles de l’indépendance judiciaire lorsqu’il s’agit d’un tribunal judiciaire mais que l’on doit « faire preuve d’une plus grande souplesse » à l’égard d’un tribunal administratif soumis à l’exigence d’indépendance de l’article 23 de la Charte québécoise[5].

[25]        Appliquées aux tribunaux administratifs, ces règles ont donc un contenu variable et elles peuvent être modulées à la baisse.

[26]        Dans l’affaire Barreau de Montréal[6], la Cour d’appel du Québec a d’abord précisé que le tribunal administratif du Québec (TAQ) n’était pas un tribunal judiciaire (mais bien un tribunal administratif) compte tenu notamment qu’il n’a pas le pouvoir d’ordonner de sa seule autorité, l’exécution forcée de ses décisions et que ses membres n’ont pas le pouvoir de sanctionner l’outrage ex facie.

[27]        La Cour d’appel a ensuite procédé à l’analyse du régime juridique prévu et de la preuve présentée afin de déterminer le niveau d’indépendance judiciaire requis pour que le TAQ satisfasse aux exigences de l’article 23 de la Charte québécoise.

[28]        Dans son analyse, la Cour d’appel a notamment pris en compte que le TAQ n’exerçait que des fonctions juridictionnelles; qu’il appliquait des règles de procédure s’apparentant à celles des cours de justice; et qu’il était appelé régulièrement à trancher des litiges auxquels l’État est une partie et qui mettent en jeu ses intérêts financiers ou politiques.

[29]        L’ensemble des éléments considérés paraît justifier, selon la Cour d’appel, « qu’on situe le TAQ, sur le spectre des tribunaux administratifs, à un niveau supérieur en ce qui concerne l’indépendance judiciaire de ses membres ».[7]

[30]        La Cour d’appel s’est ensuite demandé si « une personne raisonnable, ayant une connaissance approfondie de la nature réelle du TAQ, pourrait […] craindre que les membres du TAQ ne soient pas indépendants, tant sur le plan de l’inamovibilité que de la sécurité financière? »[8]

[31]        La Cour d’appel a ensuite écrit ce qui suit au paragraphe 164 :

« 164. L’indépendance judiciaire des membres du TAQ se mesure d’abord par le degré d’inamovibilité qui leur est accordé. Je rappelle que cet aspect de l’indépendance commande essentiellement que les charges soient « à l’abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l’exécutif ou de l’autorité responsable des nominations » (Valente, à la page 698). Je rappelle également qu’en l’espèce ce principe doit, à mon avis, recevoir une application plus stricte que celle généralement retenue pour les tribunaux administratifs vu la véritable nature du TAQ. »

[32]        La Cour d’appel a conclu que la durée de cinq ans des mandats ne porte pas, en soi, atteinte à l’exigence d’inamovibilité des membres du TAQ[9]. Elle a rappelé à cet égard que la Cour suprême avait conclu dans Régie des permis d’alcool que les mandats à durée déterminée étaient acceptables et que la Cour d’appel dans Montambeault[10] avait reconnu, au sujet de l’indépendance des commissaires de la Commission des accidents et lésions professionnelles (CALP) (maintenant la Commission des lésions professionnelles (CLP)) que la « charge » peut être ad hoc ou pour une durée déterminée.

[33]        La Cour d’appel a ensuite conclu sur cette question[11] :

« 170. …Que celle-ci soit de cinq, sept ou dix ans ou même plus court, comme le prévoit l’article 47 LJA, l’essentiel, rappelons-le, est qu’une personne raisonnable et bien informée ne puisse craindre que l’exécutif ou l’autorité responsable des nominations s’immisce dans la charge des membres pendant la durée de leur mandat. Or, en l’espèce, rien dans la preuve documentaire ne fait voir de motifs qui puissent justifier une telle personne d’entretenir une telle crainte.

171. Pour tous ces motifs, je suis d’avis que le premier juge a erré en concluant que l’article 46 LJA n’offre pas aux membres du TAQ le niveau de garantie requis par l’article 23 de la Charte québécoise et en le déclarant, par conséquent, nul, inopérant et sans effet. » (nous avons souligné)

[34]        En regard des exigences relatives à l’indépendance judiciaire, qu’en est-il des principes établis par les tribunaux supérieurs en ce qui a trait au mode de destitution des membres d’un tribunal administratif?

[35]        Dans Régie des permis d’alcool, la Cour suprême, sous la plume du juge Gonthier, a écrit ce qui suit[12] :

« … Les décrets de nomination mis en preuve font état de mandats de deux, trois et cinq ans. Une fois nommés, du moins si l’on s’en fie aux décrets de nomination mis en preuve, les régisseurs ne peuvent être démis que pour des motifs précis. Tous les contrats contiennent en effet la clause suivante, tirée ici de l’accord liant au gouvernement le président de la Régie :

5.2 Destitution

Monsieur Laflamme consent également à ce que le gouvernement révoque en tout temps le présent engagement, sans préavis ni indemnité, pour raisons de malversation, maladministration, faute lourde ou motif de même gravité, la preuve étant à la charge du gouvernement.

[...]

Les conditions d’emploi des régisseurs se conforment à mon avis aux exigences minimales d’indépendance. Celles-ci ne requièrent pas que tous les juges administratifs occupent, à l’instar des juges des tribunaux judiciaires, leur fonction à titre inamovible. Les mandats à durée déterminée, fréquents, sont acceptables. Il importe toutefois que la destitution des juges administratifs ne soit pas laissée au bon plaisir de l’exécutif. Le juge Le Dain résumait ainsi les exigences d’inamovibilité dans l’affaire Valente, à la p. 698 :

… que le juge ne puisse être révoqué que pour un motif déterminé, et que ce motif fasse l’objet d’un examen indépendant et d’une décision selon une procédure qui offre au juge visé toute possibilité de se faire entendre. L’essence de l’inamovibilité pour les fins de l’al. 11d), que ce soit jusqu’à l’âge de la retraite, pour une durée fixe, ou pour une charge ad hoc, est que la charge soit à l’abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l’exécutif ou de l’autorité responsable des nominations.

En l’espèce, les décrets de nomination prévoient expressément que la destitution des régisseurs ne peut avoir lieu que pour certains motifs précis. De plus, les régisseurs conservent la possibilité de s’adresser aux tribunaux de droit commun afin de s’opposer à une destitution illégale. En ces circonstances, je considère que les régisseurs jouissent d’une inamovibilité suffisante, au sens de l’arrêt Valente, puisque toute intervention arbitraire de l’exécutif en cours de mandat pourra être sanctionnée. » (nous avons souligné)

5º         Pouvoirs, attributs et mode de fonctionnement du comité

[36]        À la lumière des enseignements de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel du Québec dont nous avons fait état précédemment, le comité doit maintenant analyser la preuve présentée et les dispositions législatives qui le régissent aux fins d’établir s’il satisfait au niveau de garantie requis pour assurer le respect du droit à un tribunal indépendant aux termes de l’article 23 de la Charte québécoise.

[37]        Le comité est composé d’avocats et de représentants (article 355 de la LDPSF).

[38]        L’article 356 de la LDPSF prévoit que les affaires du comité sont dirigées par le président lequel est nommé par le ministre des Finances, après consultation du Barreau du Québec, parmi les avocats ayant au moins dix ans de pratique.

[39]        Le ministre des Finances, après consultation du Barreau du Québec, nomme également un vice-président parmi les avocats ayant au moins dix ans de pratique; en cas d’absence ou d’empêchement du président, le vice-président exerce les fonctions de celui-ci (article 357 de la LDPSF).

[40]        Aux termes de l’article 358 de la LDPSF, le président du comité, après consultation du Barreau du Québec, nomme les membres autres que le vice-président, qui doivent être choisis parmi les avocats ayant au moins dix ans de pratique.

[41]        La CSF nomme, pour chaque discipline dans laquelle pratique ses membres de même que pour les représentants de courtier en épargne collective et les représentants de courtier en plans de bourses d’études inscrits conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières et selon trois secteurs de commercialisation, un nombre suffisant de membres du comité qui doivent être choisis parmi les représentants (article 359 de la LDPSF).

[42]        Le ministre des Finances n’est pas une partie au débat portant sur la plainte disciplinaire logée par le syndic contre un représentant; il n’a aucun intérêt dans un tel litige.

[43]        N’ont pas non plus d’intérêt dans les plaintes portées : le président du comité qui nomme les présidents suppléants (et le Barreau du Québec qu’il consulte) et le conseil d’administration de la CSF qui nomme parmi les représentants les membres (non-avocats) du comité. De plus, ces nominations n’ont pas un caractère de permanence; il s’agit de charges ponctuelles.

[44]        Le comité est un tribunal disciplinaire composé notamment de pairs provenant du milieu; ils ont l’expertise, l’expérience et les connaissances leur permettant de déterminer si un intimé a commis les infractions déontologiques qui lui sont reprochées.

[45]        À plusieurs égards, le comité est différent du TAQ lequel, rappelons-le, est situé, « sur le spectre des tribunaux administratifs, à un niveau supérieur en ce qui concerne l’indépendance judiciaire de ses membres[13]. Soulignons-en deux : contrairement au comité, le TAQ a compétence sur plusieurs matières; plus important encore, le TAQ est appelé à trancher des recours mettant en jeu les intérêts financiers ou politiques de l’État en tant que partie au litige.

[46]        Rappelons que la Cour d’appel avait conclu que l’octroi de mandats à durée fixe offrait aux membres du TAQ le niveau de garantie requis par l’article 23 de la Charte québécoise[14].

[47]        Cela dit, le comité a demandé aux parties leur point de vue sur la portée, dans le cadre du présent débat, du jugement rendu par le juge Jean Lemelin de la Cour supérieure dans le dossier Association des juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles c. Québec (Procureur général)[15].

[48]        Dans ce jugement, le juge Lemelin a expliqué que le législateur québécois avait décidé, quatre ans après le prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel dans Barreau de Montréal, de nommer les membres du TAQ durant bonne conduite. Le juge Lemelin a souligné que c’est d’ailleurs ce qu’avait proposé le juge Rochon en première instance dans Barreau de Montréal.

[49]        Son analyse comparative de la CLP et du TAQ l’a amené à conclure qu’il n’existait qu’une très faible distance entre ces deux tribunaux administratifs sur le « spectre de l’indépendance » de telle sorte qu’une différence importante entre les deux organismes quant à la durée des mandats de leurs membres n’était pas justifiée. Par conséquent, il a déclaré nuls, inopérants et sans effet certains articles de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

[50]        Le juge Lemelin a écrit ce qui suit :

« 184. C’est évidemment avec égard et respect que le Tribunal s’éloigne de la conclusion de la Cour d’appel dans Barreau de Montréal. Mais le Tribunal est convaincu que le temps est venu de suivre le sentier tracé par le législateur pour des tribunaux administratifs qui se ressemblent beaucoup dans leurs pouvoirs et fonctionnement. Il y a lieu d’harmoniser la garantie d’inamovibilité des membres de la CLP avec celle des membres du TAQ.

185. En principe, le Tribunal est lié par les décisions de la Cour d’appel. Par ailleurs, le Tribunal est d’avis qu’une nomination durant bonne conduite est ici souhaitable et cadre bien avec l’évolution constante de ces questions d’indépendance des membres des tribunaux administratifs.

186. Faut-il rappeler que lorsque Barreau de Montréal a été rendu, seuls les juges des tribunaux judiciaires étaient nommés durant bonne conduite. Le législateur n’avait pas encore étendu cette garantie aux membres des tribunaux administratifs.

187. La situation aujourd’hui est donc différente. Le Tribunal ne s’écarte donc pas de façon formelle de la règle du « stare decisis ».

188. Monsieur le juge Baudoin écrivait d’ailleurs au sujet de l’application de cette règle, dans Lefebvre c. Commission des affaires sociales du Québec :

« …La règle du stare decisis ne doit pas avoir la même rigidité qu’auparavant. Premièrement, une erreur mainte fois répétée ne suffit jamais à créer la vérité. Le droit doit évoluer avec la pensée, avec les mentalités et avec le contexte social, tout en conservant un degré de certitude et de prévisibilité raisonnable… »

189. Le Tribunal ne dit pas qu’il y a eu erreur dans Montambault et Barreau de Montréal. Il met l’emphase sur la notion que le droit doit évoluer avec les mentalités, le contexte social et dans le cas du TAQ, avec un changement législatif. »

[51]        Ce jugement de la Cour supérieure a fait l’objet d’un appel lequel est toujours pendant[16].

[52]        L’intimé a invité le comité à retenir les conclusions du juge Lemelin et à conclure que la durée des mandats du président et des membres du comité est insuffisante en regard de la garantie d’indépendance prévue à l’article 23 de la Charte québécoise.

[53]        Le PGQ a soumis qu’il existait des différences entre le TAQ et la CLP et que le fait que le législateur ait décidé de nommer les membres du TAQ durant bonne conduite ne faisait pas en sorte que les dispositions prévoyant des mandats à durée fixe pour les membres de la CLP devaient être déclarées nulles et inopérantes.

[54]        Après avoir de nouveau souligné les différences existant entre la CLP, la CALP et le comité, le PGQ a réitéré que les principes élaborés par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel du Québec ne peuvent amener le comité à déclarer nulles et inopérantes les dispositions de la LDPSF relatives à la durée des mandats du président et des membres.

[55]        Compte tenu de l’appel logé à l’encontre du jugement du juge Lemelin, le comité est d’avis qu’il n’a pas l’autorité que voudrait lui conférer l’intimé. Le comité suivra plutôt les enseignements fournis par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel du Québec et dont il a été fait état précédemment. Le comité procède ainsi de la façon dont la Cour du Québec[17] et le comité de discipline de la Chambre de l’assurance des dommages[18] l’ont fait à l’égard du jugement du juge Lemelin dans des affaires qui leur ont été soumises et dans lesquelles des professionnels requéraient que certaines dispositions analogues soient déclarées nulles et inopérantes.

[56]        Cela dit, à ce stade-ci de son analyse, le comité est d’avis qu’en regard du critère de l’indépendance judiciaire, les exigences qui s’appliquent à lui sont moins élevées que celles qui s’appliquent au TAQ.

6º        La durée des mandats du président et des membres et la procédure de destitution

[57]        L’article 365 de la LDPSF prévoit que le mandat du président du comité est d’au plus cinq ans et celui des autres membres est d’au plus trois ans. À l’expiration de leur mandat, les membres du comité demeurent en fonction jusqu’à ce qu’ils soient nommés de nouveau ou remplacés.

[58]        Tel que le prévoit l’article 356 de la LDPSF et l’acte de nomination du président Me François Folot (R-1), le ministre des Finances a fixé sa rémunération, ses avantages sociaux et ses autres conditions de travail.

[59]        L’article 4.2 du document prévoyant les conditions d’emploi de Me François Folot (R-1) se lit comme suit :

« 4.2 Maître Folot consent également à ce que le ministre responsable révoque en tout temps le présent engagement, sans préavis et sans indemnité, pour raisons de malversation, maladministration, faute lourde ou motif de même gravité, la preuve étant à la charge du ministre responsable. »

[60]        Rappelons que dans l’affaire Régie des permis d’alcool[19], la Cour suprême du Canada a analysé une clause analogue et a conclu que les régisseurs jouissaient d’une inamovibilité suffisante.

[61]        L’article 4.3 du document établissant les conditions d’emploi de Me François Folot (R-1) prévoit qu’à la fin de son mandat, il demeure en fonction jusqu’à ce qu’il soit nommé de nouveau ou remplacé.

[62]        Tel que le prévoit l’article 5 de ce même document (R-1), dans les cas où le ministre responsable a l’intention de ne pas renouveler le mandat de Me Folot, il doit l’en aviser au plus tard six mois avant son échéance.

[63]        Le Règlement sur le traitement, les honoraires et les autres rémunérations des membres du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (adopté aux termes de l’article 364 de la LDPSF) prévoit notamment que le vice-président, lorsqu’il remplace le président, a droit à la rémunération, aux avantages sociaux et aux conditions de travail accordés à celui-ci.

[64]        Ce règlement prévoit également la rémunération à laquelle ont droit les présidents suppléants (« président d’audition ») et les membres qui ne sont pas avocats.

[65]        Les membres du comité qui ne sont pas avocats sont également assujettis au Règlement sur le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le Règlement sur le comité). Ce règlement prévoit les exigences auxquelles un représentant doit satisfaire (en regard notamment de l’expérience et de l’intégrité) pour soumettre sa candidature à titre de membre du comité (article 3 du Règlement sur le comité). S’il devient membre, le représentant doit satisfaire à ces exigences en tout temps pendant son mandat (article 5 du Règlement sur le comité).

[66]        Le Règlement sur le comité prévoit également les devoirs et obligations (fondés notamment sur la dignité, l’intégrité, l’impartialité et l’indépendance) que doit respecter le représentant qui agit comme membre du comité.

[67]        Les membres du comité doivent prêter le serment de discrétion prévu au Code des professions (article 366.1 de la LDPSF).

[68]        Aux termes de l’article 7 du Règlement sur le comité, la durée du mandat des membres du comité est de trois ans, à moins que le conseil d’administration de la CSF n’indique une durée moindre (la preuve présentée fait état de mandat de trois ans; pièces R-4 et R-7). À l’expiration de leur mandat, les membres du comité demeurent en fonction jusqu’à ce qu’ils soient nommés de nouveau ou remplacés (soulignons que l’article 365 de la LDPSF est au même effet).

[69]        Le conseil d’administration de la CSF peut mettre fin au mandat d’un membre qui fait défaut de respecter l’article 21 du Règlement sur le comité. Il ne peut donc être mis fin au mandat d’un membre du comité de façon arbitraire.

[70]        En regard des principes établis par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel du Québec, de la preuve soumise et du cadre législatif applicable, le comité est d’avis qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que la durée des mandats des membres du comité et les modalités de leur destitution ne satisfont pas aux exigences relatives à l’indépendance judiciaire de l’article 23 de la Charte québécoise.

7º        Les membres sont-ils en conflit d’intérêts continuel (par rapport à l’intimé) de par leurs activités de courtiers?

[71]        L’intimé plaide que les représentants qui sont membres du comité sont ses concurrents, vu les disciplines dans lesquelles ils travaillent. Par conséquent, selon lui, les exigences prévues à l’article 23 de la Charte québécoise en matière d’impartialité ne sont pas respectées.

[72]        Dans l’affaire Pearlman[20], un avocat était soumis à des procédures disciplinaires par la Société du Barreau du Manitoba.

[73]        Il soutenait que le fait qu’un avocat reconnu coupable d’une faute pouvait se voir ordonner le paiement des frais occasionnés par l’enquête créait une crainte intrinsèque de partialité étant donné que les personnes appelées à siéger auraient, ou seraient perçues comme ayant, un intérêt pécuniaire dans l’issue du litige.


[74]        La Cour suprême du Canada n’a pas retenu les prétentions de cet avocat pour plusieurs motifs dont les suivants :

        l’intérêt que les membres du comité peuvent avoir est trop minime et trop éloigné pour donner lieu à une crainte raisonnable de partialité;

        les frais recouvrés ne seront pas remis aux membres du comité mais à la Société du Barreau; les membres n’ont donc aucun intérêt personnel et distinct.

[75]        La Cour suprême a écrit ce qui suit à la page 892 :

« Autant on se lance dans le domaine des conjectures lorsqu’on laisse entendre qu’un comité de discipline décidant qu’un avocat devrait être radié, est corrompu parce qu’il réduit ainsi légèrement la concurrence pour les membres du comité, autant on reste dans ce même domaine lorsqu’on affirme que la Société du Barreau utiliserait les frais ainsi recouvrés de manière à réduire d’une somme aussi minime le montant des droits d’exercice ou de non-exercice de ses membres. »

[76]        Il ne saurait en être autrement dans notre dossier; l’intimé n’a d’ailleurs présenté aucune preuve au soutien de ses prétentions.

[77]        Au surplus, le cadre juridique mis en place permet à tout intimé d’être entendu par des représentants qui ne sont pas en conflit d’intérêts.

[78]        Aux termes de l’article 373 de la LDPSF, un membre du comité qui est dans une situation de conflit d’intérêts doit, sous peine de déchéance de sa charge, dénoncer cette situation au président et il ne peut entendre la plainte.

[79]        De plus, par l’effet des articles 376 de la LDPSF et 140 du Code des professions, les articles 234 à 242 du Code de procédure civile s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, à la récusation.

[80]        Ainsi, un membre du comité peut être récusé dans les cas prévus à l’article 234 du Code de procédure civile (notamment s’il est en conflit d’intérêts); l’appartenance à une association est toutefois exclue des motifs de récusation. Cette exclusion est justifiée par la décision du législateur d’établir un système de justice par les pairs.

[81]        Il a été reconnu par les tribunaux qu’un tel système ne portait pas atteinte à l’impartialité et à l’indépendance des comités de discipline[21].

[82]        Dans l’affaire Nantais, le professionnel alléguait que l’Ordre des opticiens d’ordonnances avait un intérêt direct dans la perception des amendes et que les deux membres opticiens du comité de discipline étaient en conflit d’intérêts au motif qu’ils étaient ses compétiteurs.

[83]        La Cour supérieure n’a pas retenu cet argument et a écrit ce qui suit :

« Le requérant remet en cause le fait d’être jugé par ses pairs. Disons que la charte n’a rien changé sur ce point et que le jugement par les pairs est voulu spécifiquement par le législateur, en édictant l’article 117 du Code des professions.

Les pairs ont l’expertise, les connaissances et la pratique professionnelle qui leur permettent de bien évaluer et apprécier les faits qui leur sont soumis.

De plus, le Code des professions permet au requérant de récuser un membre du comité de discipline en vertu de l’article 140 du Code des professions, qui se lit ainsi :

Un membre du Comité de discipline peut être récusé dans les cas prévus à l’article 234 du Code de procédure civile, sauf le paragraphe 7 dudit article.

Or, le paragraphe 7 de l’article 234 du Code de procédure civile se lit ainsi :

S’il est membre de quelque groupement ou corporation, ou s’il est syndic ou protecteur de quelque ordre ou communauté, partie au litige;

Les autres motifs de récusation restent disponibles au professionnel qui comparaît devant le comité de discipline.

Mais c’est précisément parce que le législateur a voulu un système de justice par ses pairs qu’il a interdit les motifs de récusation du paragraphe 7 de l’article 234 du Code de procédure civile. »

[84]        Le comité est d’avis qu’une personne bien renseignée qui analyserait en profondeur, de façon réaliste et pratique, le cadre juridique aux termes duquel deux représentants sont appelés à siéger et à statuer sur la culpabilité d’un autre représentant et, le cas échéant, à lui imposer une sanction n’éprouverait pas de crainte raisonnable que ces deux représentants ne puissent faire preuve d’impartialité et d’indépendance.


8º         La conclusion sur la contestation de nature constitutionnelle

[85]        En conclusion, le comité est d’avis qu’il offre des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité au sens de l’article 23 de la Charte québécoise.

[86]        Les prétentions de l’intimé ne seront donc pas retenues.

III – LES MANQUEMENTS DE NATURE DÉONTOLOGIQUE

1º         Le témoignage de Laurent Larivière

[87]        Enquêteur au bureau de la syndique de la CSF, il a produit plusieurs pièces recueillies dans le cadre de son enquête.

[88]        Il a notamment produit l’attestation de droit de pratique de l’intimé (P-1) dans laquelle il est indiqué que celui-ci détenait, aux époques mentionnées à la plainte, un certificat dans la discipline de l’assurance de personnes et qu’il n’a jamais été inscrit à quelque titre que ce soit en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières.

[89]        Il a également produit un document faisant état des commissions au montant de 191 455,47 $ touchées par l’intimé en regard du dossier du client YG (P-7, p. 3) et de 706 032,95 $ dans le cadre du dossier JD inc. (P-12, p. 3). L’intimé a cependant remboursé 481 947,95 $ (P-14).

[90]        L’enquêteur Larivière a également produit une lettre de l’intimé dans laquelle on retrouve certaines admissions (P-16).


2º         Les chefs d’infraction relatifs à JD inc.

a)             La preuve

         le témoignage de JD

[91]        JD a fait la connaissance de l’intimé au milieu des années 2000; ils habitaient le même immeuble. Ils sont devenus de bons amis.

[92]        Tenter d’épargner de l’impôt était, à cette époque, le principal objectif de JD; faire fructifier son patrimoine était un objectif secondaire.

[93]        Il était salarié de son entreprise JD inc.

[94]        Au début de l’année 2006, il n’avait pas de besoins en matière d’assurance vie. Il avait 73 ans, il était père de trois enfants (dont le plus jeune avait 47 ans) parfaitement autonomes; sa conjointe l’était également.

[95]        Appelé à l’audience à examiner le document coiffé du titre : « Questionnaire pour fin d’analyse de besoins financiers » portant la date du 27 décembre 2005 (P-11, p. 61 et 62), il a témoigné que la signature qui y apparaît n’est pas la sienne.

[96]        La mention « Revenu personnel : 200 000 $ » inscrite à ce questionnaire est inexacte. Son revenu annuel était plutôt de l’ordre de 50 000 $ à 60 000 $.

[97]        Son « coût de vie annuel » était d’environ 150 000 $.

[98]        Afin de combler l’écart entre son revenu et ses dépenses, la firme de courtage avec laquelle il faisait affaire lui faisait parvenir un montant d’argent à même ses revenus de placements et d’intérêts.

[99]        À la même époque, ses actifs totaux consolidés (les siens et ceux de JD inc.) étaient d’environ 5 000 000 $; son entreprise et lui n’avaient pas de dettes.

[100]     Ayant été informé par ses voisins que l’intimé était un « génie de la finance », il l’a approché afin de s’enquérir des méthodes pour épargner de l’impôt. L’intimé lui a expliqué les avantages « d’investir dans l’assurance ».

[101]     Le 17 février 2006, il a souscrit à une première police d’assurance vie universelle (dont le numéro est [...], pièce P-11, p. 55); il y est fait mention d’un capital assuré de 3 000 000 $ et d’une « police complémentaire ou facultative demandée » de 4 000 000 $.

[102]     JD a témoigné ignorer comment ces montants avaient été établis.

[103]     L’intimé n’a pas procédé avec lui à une analyse de ses besoins en matière d’assurance vie; il n’a pas non plus effectué avec lui d’exercice budgétaire ni n’a fait de calculs quant aux impôts payables de son vivant et à son décès; l’intimé n’a pas calculé les économies qui pourraient être faites à partir de la police d’assurance vie universelle.

[104]     JD a témoigné que l’intimé lui répétait souvent qu’il pourrait, dans trois ou quatre ans, emprunter sur la police d’assurance « et faire un train de vie extraordinaire aux frais de la princesse » et qu’il lui était loisible, de toute façon, de s’en défaire en tout temps car elle était annulable.

[105]     JD a reconnu sa signature sur un document du 7 mai 2006 (P-11, p. 78) sur lequel il est indiqué que le capital assuré prévu à la police d’assurance vie universelle est augmenté à 4 500 000 $. Il n’a pu cependant expliquer la provenance de ce montant; il a indiqué au comité (comme il l’a fait à quelques reprises au cours de son témoignage) que l’intimé était son ami, qu’il lui faisait des propositions en matière de placements et qu’il était réticent à les refuser ne voulant pas le « perdre » comme ami.

[106]     JD a témoigné qu’il n’avait pas la capacité financière d’effectuer pendant quinze ans les dépôts annuels de 260 000 $ mentionnés, en regard de cette police d’assurance vie universelle (P-11, p. 82), sur un document (« l’illustration ») faisant état d’une projection des données financières découlant de diverses hypothèses avancées par l’intimé.

[107]     En ce qui a trait au coût annuel d’assurance mentionné à cette « illustration » (128 906,78 $ la première année), JD a témoigné qu’il n’avait pas réussi à obtenir de l’intimé de réponse claire quant au montant annuel de la prime d’assurance.

[108]     JD a payé à l’assureur le dépôt de 260 000 $ pour la première année, par chèque du 1er juin 2006 tiré sur le compte de JD inc. (P-11, p. 90).

[109]     Il n’a pas été informé du véhicule financier dans lequel l’investissement serait fait et l’intimé ne lui a pas fait compléter de profil d’investisseur afin d’établir sa tolérance au risque.

[110]     JD a ensuite indiqué à l’intimé qu’il ne voulait plus de cette police d’assurance vie universelle vu l’importance des sommes d’argent impliquées.

[111]     JD a témoigné que l’intimé lui avait alors répondu : « bien, pas de problème, on va la vendre et puis il y a beaucoup de demandes pour ce genre de polices, alors je n’aurai pas de problème, je vais la vendre à un « hedge fund » et puis on va même avoir une surprime, puis on va te donner un cadeau de probablement 20 000 $ »[22].

[112]     JD a demandé à l’intimé de vendre la police d’assurance vie rapidement.

[113]     Le 19 juin 2006, JD a signé un document manuscrit (P-11, p. 109) aux termes duquel il acceptait de transférer la police d’assurance vie universelle (dont le numéro est [...]) à une fiducie en contrepartie d’une « somme de 20 000 $ plus 1 000 $ ». JD a expliqué que le montant de 1 000 $ couvrait les intérêts sur l’emprunt qu’il avait contracté auprès d’une institution financière pour payer la somme de 260 000 $ et que le 20 000 $ était un « cadeau ».

[114]     JD a signé en date du 19 juin 2006 un formulaire sur lequel il est indiqué que la fiducie Claudette Hallée devenait « propriétaire » et « bénéficiaire primaire » de la police d’assurance vie (P-11, p. 92).

[115]     JD n’a obtenu de l’intimé aucune information quant à l’identité des fiduciaires, des administrateurs et des bénéficiaires de cette fiducie.

[116]     Au début du mois d’août 2006, l’intimé a fait souscrire à JD inc. une nouvelle police d’assurance vie (dont le numéro est [...], P-11, p. 36) pour un montant de capital assuré de 2 000 000 $.

[117]     JD a témoigné que l’intimé n’avait pas procédé à une analyse de ses besoins d’assurance ni à aucune étude particulière pour déterminer ce montant de capital assuré.

[118]     « L’illustration » (P-11, p. 38) que l’intimé a présentée à JD faisait état d’un dépôt annuel de 200 000 $ pendant quinze ans. JD a indiqué au comité qu’il n’avait pas lu ce document. Il a ajouté qu’il n’avait pas les moyens financiers de payer de telles sommes mais qu’on lui avait fait miroiter qu’il pourrait emprunter ces montants et que cette opération ne lui coûterait rien.

[119]     L’intimé ne l’a pas informé des coûts d’assurance[23].

[120]     Le 2 août 2006, JD a tiré, sur le compte de JD inc., un chèque de 200 000 $ (P‑11, p. 74) à l’ordre de AIG, somme correspondant au dépôt sur la police d’assurance vie universelle pour la première année.

[121]     L’intimé ne lui a pas indiqué dans quel véhicule financier l’investissement serait fait; il ne lui a pas fait compléter de profil d’investisseur afin d’établir sa tolérance au risque.

[122]     Aux termes d’un acte signé le 7 août 2007 (P-19), l’intimé a donné en garantie du remboursement des sommes prêtées par la Banque de Montréal, la police d’assurance vie d’août 2006. En ce qui a trait aux sommes empruntées, JD a signé le 7 août 2007 un engagement à payer sur demande à la Banque de Montréal la somme de 444 000 $ et de payer, à tous les mois, les intérêts (P-20).

[123]     À la suite des plaintes que JD a formulées, AIG a accepté de résilier la police d’assurance vie universelle d’août 2006 et de rembourser une partie du prêt de 440 000 $ qu’il avait contracté.

         le témoignage de Denis Tremblay

[124]     Détenteur d’une maîtrise en administration des affaires, il a exercé divers emplois dans le secteur des services financiers et a agi, à titre d’expert, dans plusieurs dossiers.

[125]     À la demande de la plaignante, il a été reconnu par le comité comme expert en produits et services financiers.

[126]     Il a produit un rapport d’expert (P-17).

[127]     Afin d’effectuer son analyse, il a examiné les documents que la plaignante lui a remis et s’est entretenu avec JD et YG[24], deux des consommateurs mentionnés à la plainte amendée.

[128]     À titre d’expert, il a expliqué les règles de l’art de l’industrie eu égard à l’analyse des besoins financiers en matière d’assurance vie.

[129]     Citons d’abord un extrait de son rapport :

« À la base, l’assurance-vie doit répondre à un besoin réel. Pour déterminer le besoin d’assurance d’un individu, il est essentiel de procéder à une cueillette complète des renseignements pertinents afin de bien cerner le besoin d’assurance du client. À partir de ces renseignements, il est possible de calculer le montant nécessaire de protection et, dans le cas où il manque de protection, de recommander le type de produit qui convient le mieux au besoin du client selon ses objectifs, son budget et sa capacité de payer des primes sur un horizon plus ou moins long.

La première étape est de cueillir les renseignements pertinents à propos du client afin d’établir si ce dernier a un ou des besoins non comblés.

Dans un deuxième temps, il s’agit d’analyser et d’effectuer certains calculs afin de quantifier l’écart, s’il existe, entre ce que le client souhaite avoir advenant la réalisation de certains événements et ce qu’il a. La différence entre ce qu’il veut et ce qu’il a quantifie le besoin.

La prochaine étape consiste à recommander des produits adaptés aux besoins du client selon la nature du besoin, l’horizon de temps à considérer, l’état de santé du client, l’évolution dans le temps du besoin et d’autres éléments tels que les régimes publics, la fiscalité, les connaissances du client et sa tolérance aux risques.

Qu’il s’agisse d’une analyse spécifique du besoin en cas de décès, d’invalidité, de maladie grave, de soins de longue durée ou de besoin financier pour la retraite, d’une combinaison de besoins ou de l’ensemble de ceux-ci, le processus demeure le même, soit :

         La cueillette des renseignements

         L’analyse et le calcul pour déterminer et quantifier le besoin

         La recommandation de produit adapté au besoin du client »[25] (nous avons souligné)

[130]     Selon lui, le représentant doit notamment obtenir les informations suivantes :

        les renseignements personnels du client et de son conjoint;

        les préoccupations et objectifs du client;

        ses revenus et dépenses;

        ses actifs et passifs;

        ses relevés de placement.

[131]     Après avoir obtenu ces renseignements, le représentant doit faire certains calculs et analyses eu égard notamment aux éléments suivants :

        le budget; ce qui permet d’établir le surplus annuel dont dispose le client;

        le bilan; ce qui permet d’obtenir l’avoir net du client;

        les impôts;

        les besoins financiers en cas de décès, d’invalidité ou de retraite;

        le profil d’investisseur; ce qui permet d’établir les proportions et types de placements correspondant au profil du client afin de pouvoir proposer une stratégie d’investissement.

[132]     Le représentant doit ensuite fournir au client le fruit de ses calculs et analyses ainsi que ses recommandations.

[133]     En ce qui a trait au dossier du client JD inc., l’expert a examiné le « Questionnaire pour fin d’analyse de besoins financiers » (P-11, p. 61).

[134]     Selon lui, ce document ne contient pas suffisamment de détails et ne présente qu’une partie des renseignements nécessaires pour réaliser une analyse de besoins financiers (P-17, p. 12).

[135]     Dans la cueillette d’informations colligées par l’intimé sur ce « Questionnaire », il manque des informations importantes eu égard aux préoccupations et objectifs du client.

[136]     Les éléments cochés à la section « Objectifs » ne correspondent pas au témoignage de JD à l’audience (son seul objectif était de réduire ses impôts).

[137]     L’opinion de M. Tremblay est également à l’effet que la section du « Questionnaire » qui traite du bilan est incomplète. On y retrouve aucun détail concernant les actifs, leurs coûts d’acquisition et leur amortissement.

[138]     Les passifs tels que les impôts courants et les pertes en capital n’y apparaissent pas non plus clairement.

[139]     Selon l’expert, il manque de plus les documents suivants : un budget, les calculs de l’impôt au décès et du vivant du client, les calculs du capital requis notamment au décès et à la retraite, le profil d’investisseur et les calculs et les résultats de l’analyse.

[140]     L’expert Tremblay termine cette portion de son analyse en écrivant ce qui suit dans son rapport :

« Il manque suffisamment de renseignements qu’il est impossible de définir le besoin ou les besoins du client[26] et de recommander une stratégie adaptée à celui-ci. Aussi, les renseignements tels que présentés dans le dossier du représentant ne peuvent servir à confirmer le besoin de souscrire une assurance-vie universelle pour un capital assuré de 4 500 000 $ . [27] »

[141]     L’importance des renseignements manquants et l’absence de calculs l’amènent à conclure que la cueillette et l’analyse ne respectent pas les règles de l’art.

[142]     M. Tremblay a également fourni son opinion eu égard aux polices d’assurance vie universelle souscrites par JD inc.

[143]     Il a expliqué que les polices d’assurance vie universelle comportent deux composantes : une partie assurance et une partie épargne.

[144]     Selon lui, compte tenu de la portion épargne, d’aucuns peuvent considérer qu’il s’agit d’un véhicule de placement intéressant comportant un espace fiscal exonéré d’impôt. Cependant, il est d’avis que le contrat demeure un contrat d’assurance vie comportant des frais d’assurance importants et des risques liés au rendement des fonds qui y sont accumulés.

[145]     Le représentant doit donc d’abord déterminer si le client a des besoins en matière d’assurance vie et ensuite évaluer l’importance de ceux-ci.

[146]     Référant à un extrait de son rapport (P-17), l’expert Tremblay a témoigné de ce qui suit :

«        « Pour arriver à maximiser l’espace fiscal du contrat et réduire le coût total, il est essentiel d’établir préalablement le montant de protection nécessaire aux besoins d’assurance du client avant d’établir le montant des dépôts nécessaires au paiement des coûts d’assurance futurs. »

Ce paragraphe-là, ce que je dis c’est que, habituellement, et la règle de l’art est comme suit, c’est qu’on établit le besoin d’un client, le besoin d’assurance, on lui recommande le contrat d’assurance et, après ça, on peut considérer, dire on va maximiser l’espace fiscal qu’il y a à l’intérieur. Pourquoi? Parce qu’on achète une police d’assurance-vie, qui va répondre à un besoin d’assurance-vie et, après ça, on va dire il y a un espace fiscal qui peut être attaché à l’intérieur du contrat et là on peut utiliser cet espace-là pour capitaliser de l’argent là. Mais non pas l’inverse, soit de dire on a tant d’argent à déposer, on va essayer de trouver un contenant qui va être assez gros ou un véhicule qui est assez gros pour pouvoir mettre cet argent-là, sans tenir compte que le client ait besoin ou non de besoins d’assurance[28]» (nous avons souligné)

[147]     Il a ajouté que les coûts d’assurance importants sont prélevés à tous les mois et l’avantage fiscal conféré par l’espace exonéré du contrat est ainsi diminué de ceux-ci.

[148]     D’autre part, les sommes accumulées dans le contrat d’assurance vie universelle sont tributaires des rendements générés par le type de placement effectué.

[149]     De plus, si le client désirait retirer, au cours des huit premières années, des sommes des fonds accumulés dans son contrat de vie universelle, il devait payer d’importants frais de rachat.

[150]     L’expert a de plus écrit ce qui suit dans son rapport :

« Si les retraits s’effectuent après la période de frais de rachat, le client s’expose à l’impôt sur la disposition partielle ou totale du contrat. En effet, l’espace fiscal exonéré d’impôt pendant la période de capitalisation est accompagné de sa contrepartie lors du retrait des sommes qui étaient exonérées. Il est impératif que le client soit informé de cet état de fait.

Certains diront qu’il est possible d’éviter ce désavantage en utilisant une stratégie de prêt avec garantie collatérale. Il est encore impératif que le client soit informé qu’une telle stratégie comporte des risques considérables quant à la disponibilité des institutions prêteuses, des taux afférents à ce genre de prêt ainsi qu’aux conditions s’y rattachant et finalement, à l’absence de corrélation entre le rendement sur la partie épargne du contrat et le coût du prêt. [29]»

[151]     Quant aux hypothèses retenues par l’intimé pour démontrer à son client le bien-fondé de ses recommandations de souscrire à la police d’assurance vie universelle portant le numéro [...], M. Tremblay a écrit ce qui suit dans son rapport :

« Nous avons remarqué que l’illustration de vente du 7 mai 2006 qui accompagne le contrat présente les éléments suivants :

1.    Le scénario de rendement de la partie épargne du contrat projette un taux de 11.75%. Nous considérons ce taux particulièrement élevé si l’on tient compte des frais journaliers qu’il faut retrancher. À titre d’information, il faut un rendement de l’indice de plus de 14% pour réaliser le taux illustré dans ce document. Un tel taux de rendement sur de longues périodes est impossible à garantir et nous le jugeons comme très optimiste.

2.    La comparaison entre les scénarios de rendement présente que si le taux de rendement est inférieur de 2% au taux projeté, le contrat se termine prématurément dans 20 ans. Ce qui entraînerait des conséquences négatives importantes pour le client.

3.    Il s’agit d’une illustration utilisant un taux de rendement fixe pendant une période de temps très longue. Dans la réalité, un tel taux ne sera jamais fixe et les résultats seront différents de ceux illustrés. [30]»

[152]     Il a formulé des commentaires analogues en regard de la police d’assurance vie du mois d’août 2006 portant le numéro [...].

[153]     L’expert a ajouté qu’il était contre-indiqué pour le client de placer l’essentiel de ses actifs dans l’une ou l’autre de ses polices d’assurance vie universelle.

[154]     En fin d’analyse, il a formulé les mêmes conclusions à l’égard des deux polices d’assurances vie souscrites par JD inc. :

« Il demeure inexplicable que le représentant ait fait souscrire 4 500 000 $ (et 2 000 000 $ dans l’autre cas) de protection d’assurance vie lorsque les avoirs du client ne démontrent pas le besoin d’une telle couverture, ni le souhait du client. Il est contraire aux intérêts du client de faire souscrire une protection qui n’est pas nécessaire.

Le client a acheté une assurance vie d’un capital bien trop élevé pour ses besoins.

Aussi, il est déconseillé à un client de souscrire une police vie universelle qui exige un montant élevé de dépôt de prime total comparé à l’actif net du client. Une telle situation concentre trop d’actifs du client dans un seul véhicule financier et l’expose à des risques exagérés advenant un échec de la stratégie. [31]»

[155]     À la page 18 de son rapport (P-17), il a conclu ainsi :

« Les informations colligées ne permettent pas de recommander un produit d’assurance quel qu’il soit convenant au besoin du client, ni de justifier la vente d’une police d’assurance-vie universelle d’un capital de 4 500 000 $ et comportant un dépôt de 260 000 $ pendant 15 ans et/ou de justifier la vente d’une police d’assurance-vie universelle d’un capital de 2 000 000 $ et comportant un dépôt de 200 000 $ pendant 15 ans, car le besoin est inconnu.

Les informations présentes au dossier ne supportent pas que les produits vendus soient conformes au besoin et dans l’intérêt du client. »

b)             L’analyse

         les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 5 de la plainte amendée : alors qu’il a fait souscrire JD inc. à deux polices d’assurances vie (en février 2006 et en août 2006) l’intimé n’a pas recueilli tous les renseignements ni procédé à une analyse complète et conforme de ses besoins financiers.

[156]     Le témoignage de JD est formel : l’intimé ne s’est pas enquis de ses besoins en matière d’assurance vie; il n’a pas fait avec lui d’analyse budgétaire ni n’a fait de calculs quant aux impôts payables de son vivant et à son décès; il ne lui a pas fait compléter de profil d’investisseur.

[157]     Selon l’expert Tremblay, certains éléments apparaissent sur le « Questionnaire pour fin d’analyse de besoins financiers » (P-11, p. 61) rédigé par l’intimé; cependant, ces éléments sont insuffisants et certains d’entre eux sont inexacts.

[158]     Le travail fait par l’intimé est nettement insatisfaisant et paraît avoir été bâclé. L’intimé n’a pas respecté les règles de l’art au sujet desquelles l’expert Tremblay a témoigné.

[159]     Le comité est d’avis que l’intimé s’est écarté de façon significative des obligations imposées à un représentant en pareilles matières.

[160]     Il n’a pas recueilli les renseignements lui permettant d’identifier les besoins de son client en matière d’assurance vie afin de lui proposer le produit qui lui convenait le mieux ni n’a analysé avec lui ses besoins et les autres éléments nécessaires dont ses revenus et son bilan financier.

[161]     Dans l’affaire Borgia[32], le comité a écrit ce qui suit :

« Or, même si la police d’assurance-vie universelle comporte un volet « placement », le représentant n’est pas pour autant affranchi, lors de la souscription de celle-ci, tel que le comité l’a mentionné déjà à  quelques reprises, de son devoir de procéder à l’analyse des besoins de son client.

En l’espèce, une analyse appropriée et conforme aurait possiblement conclu à une absence de besoins d’assurance-vie des clients mais l’exercice réalisé en bonne et due forme aurait, entre autres, clairement indiqué et rappelé à ceux-ci que, dans le but de profiter d’un « placement » comportant possiblement certains avantages fiscaux, ils contractaient une police d’assurance-vie (universelle) alors qu’ils n’avaient aucun véritable besoin d’assurance-vie. »

[162]     L’intimé sera donc reconnu coupable des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 5 de la plainte amendée.

         les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2 et 6 de la plainte amendée : l’intimé n’a pas subordonné son intérêt personnel à celui de son client JD inc. en lui faisant souscrire en février 2006 auprès d’AIG une police d’assurance vie d’un capital assuré de 3 000 000 $ augmenté en mai 2006 à 4 500 000 $ et une autre police d’assurance vie en août 2006 d’un capital assuré de 2 000 000 $.

[163]     JD a témoigné de façon catégorique : il n’avait aucun besoin en matière d’assurance vie. Il était à l’époque âgé de 73 ans, ses enfants et sa conjointe étaient autonomes; il n’avait pas de dettes (sa compagnie JD inc. non plus).

[164]     Rappelons que l’intimé n’a pas vérifié si son client avait des besoins en matière d’assurance vie.

[165]     Pour l’expert Tremblay, rien ne justifiait l’intimé de faire souscrire à son client de telles polices d’assurance vie universelle lesquelles comportaient, de plus, des conditions financières fort onéreuses. Ajoutons que les hypothèses soumises par l’intimé au soutien de ses propositions ne reflétaient pas, à long terme, les réalités économiques prévisibles.

[166]     Pour JD (et sa compagnie JD inc.) l’opération s’est avérée périlleuse et coûteuse.

[167]     Selon la preuve présentée, les commissions touchées par l’intimé ont été de plus de 480 000 $ eu égard à la police d’assurance vie [...] et de plus de 220 000 $ pour celle portant le numéro [...].

[168]     Contrairement à ce qu’il en a été pour son client, l’intimé a manifestement trouvé son intérêt à lui faire souscrire ces polices d’assurance vie universelle.

[169]     L’intimé n’a pas agi avec honnêteté, intégrité et loyauté envers son client. Il n’a pas formulé ses recommandations de façon objective et indépendante et sans égard à son gain personnel; il n’a pas subordonné son intérêt personnel à celui de son client.

[170]     L’intimé sera donc reconnu coupable des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2 et 6 de la plainte amendée.

         les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 3 et 4 de la plainte amendée : l’intimé s’est placé en conflit d’intérêts en procédant au transfert, en juin 2006, de la propriété de la police d’assurance vie [...] souscrite auprès d’AIG par son client JD inc. en faveur de la Fiducie Claudette Hallée dont il était lui-même fiduciaire et dont ses deux filles étaient bénéficiaires; et il a versé 261 000 $ à JD inc. et 20 000 $ à JD à la suite de ce transfert.

[171]     JD ne voulait plus de cette police d’assurance vie et il en a informé l’intimé. Ce dernier lui a expliqué que ce genre de police d’assurance était très en demande et qu’elle pourrait être vendue, à profit, à un « hedge fund ».

[172]     Le 19 juin 2006, l’intimé a complété et fait signer à JD des documents pour que le transfert de la police à la Fiducie Claudette Hallée se réalise (P-11, p. 92 et 109).

[173]     L’intimé a tiré sur son compte des chèques aux montants de 261 000 $ à l’ordre de JD inc. et de 20 000 $ à l’ordre de JD; la somme de 20 000 $ étant payée à JD à titre de « cadeau » (P-13).

[174]     L’intimé a admis à l’enquêteur Larivière que Claudette Hallée était sa secrétaire; qu’il était le fiduciaire de la Fiducie Claudette Hallée et que ses deux filles en étaient les bénéficiaires (P-16). JD n’en avait pas été informé.

[175]     Si JD était décédé, les filles de l’intimé auraient encaissé le capital assuré de cette police d’assurance vie.

[176]     Le comité est d’avis que l’intimé ne pouvait ainsi spéculer sur la vie de son propre client (en le tenant en plus dans l’ignorance); il ne pouvait non plus procéder de la sorte en lui donnant un « cadeau » de 20 000 $.

[177]     L’intimé sera donc reconnu coupable des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 3 de la plainte amendée en ce qu’il n’a pas agi avec honnêteté, intégrité et loyauté envers son client et qu’il n’a pas subordonné son intérêt personnel aux intérêts de celui-ci.

[178]     En ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 4 de la plainte amendée, l’intimé sera reconnu coupable d’avoir contrevenu aux articles 16 de la LDPSF et 22 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière en ce qu’il n’a pas agi avec honnêteté et loyauté envers son client et qu’il lui a versé un avantage que la loi ne lui permettait pas de verser.

[179]     Par contre, le comité acquittera l’intimé des chefs d’infraction relatifs aux articles 36 et 41 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière; les prohibitions qui y sont indiquées n’ont pas de lien avec l’inconduite de l’intimé.


3º         Les chefs d’infraction relatifs à YG et AL

a)    La toile de fond

[180]     YG avait 49 ans lorsqu’il a rencontré l’intimé, une première fois, en novembre 2006. YG a fait son cours de médecine sur le tard; il est anesthésiste depuis 2002. Sa conjointe est également anesthésiste. La fille de YG est dentiste.

[181]     YG avait mis de côté 200 000 $ aux fins de placement. Comme on le verra dans les pages qui suivent, l’intimé lui a fait souscrire des actions de la compagnie Phasoptx inc. pour un montant de 400 000 $ et une police d’assurance vie universelle.

b)    les chefs d’infraction énoncés au paragraphe 7 de la plainte amendée : en janvier 2007, l’intimé, alors qu’il faisait souscrire Y.G. à la police d’assurance vie numéro [...] auprès d’AIG, n’a pas recueilli tous les renseignements et procédé à une analyse complète et conforme de ses besoins financiers.

[182]     Tel qu’indiqué lors de l’analyse de la preuve en regard des paragraphes 1 et 5 de la plainte, l’expert Denis Tremblay a témoigné qu’un représentant, avant de faire souscrire un client à une police d’assurance vie, doit procéder à une cueillette complète des renseignements pertinents ; analyser ceux-ci et faire certains calculs afin de déterminer et de quantifier le besoin ; et, si un besoin existe, recommander au client un produit adapté.

[183]     Ont été produites au dossier du comité les pièces suivantes :

        « Questionnaire pour fin d’analyse de besoins financiers » (P-6, p. 69);

        « Bilan personnel au… 2005 » (document obtenu de l’intimé par M. Larivière en cours d’enquête et que l’expert a annexé à son rapport, P-17).

[184]     Selon l’expert Tremblay :  « … ceux-ci constituent des documents de cueillette de renseignements partiels dans lesquels on peut y lire des renseignements très sommaires ne comportant aucun détail et ne présentent qu’une partie des renseignements nécessaires pour réaliser une analyse de besoins financiers » (P-17, p. 6).

[185]     Soulignons notamment que le document « Bilan personnel » est incomplet en ce que les éléments relatifs au passif (dont le montant des impôts) n’y sont pas mentionnés.

[186]     Sur la souscription d’assurance vie signée par YG le 4 janvier 2007 (P-6, p. 36), il est indiqué un avoir net de 1 400 000 $ alors que sur le « Bilan personnel » le total de l’actif mentionné est de 1 060 000 $.

[187]     Quant au « Questionnaire », l’intimé a coché « oui » en regard des occupations suivantes : « propriétaire d’entreprise », « retraité » et « salarié » alors que la preuve a révélé que YG n’occupe aucune de celles-ci; il travaille à titre de médecin.

[188]     L’intimé y a de plus indiqué que le « revenu personnel » de YG était de 450 000 $ alors que ce dernier a témoigné qu’il était plutôt de l’ordre de 350 000 $ à 400 000 $.

[189]     Soulignons également qu’à la rubrique « Objectifs » du « Questionnaire »  l’intimé n’a rien coché.

[190]     YG a également témoigné que le « Questionnaire » n’avait pas été signé par lui.

[191]     Sur le document « Bilan », l’intimé a écrit que la valeur de la résidence principale de son client était de 650 000 $ alors que YG a témoigné d’une valeur de 400 000 $. Le témoignage de YG est corroboré par le fait qu’une institution financière a fait évaluer son immeuble et lui a octroyé un prêt hypothécaire de 375 000 $.

[192]     À la page 7 de son rapport (P-17), l’expert Tremblay a de plus mentionné que les éléments suivants doivent se retrouver au dossier alors qu’ils n’y sont pas :

«  -    Un budget

        Les calculs de l’impôt au décès et du vivant du client

        Les calculs du capital requis au décès et à la retraite (au minimum)

        Les calculs et les résultats de l’analyse

        Profil d’investisseur »

[193]     Au cours de son témoignage, YG a mentionné que l’intimé n’avait pas procédé à une analyse de ses besoins ou procédé à des calculs et qu’il ne lui avait pas fait compléter de profil d’investisseur ni de budget.

[194]     L’ensemble de ces éléments a amené l’expert Tremblay à conclure qu’il était impossible à partir de données aussi incomplètes et, à certains égards, inexactes de définir les besoins du client et de lui recommander une stratégie adaptée à ceux-ci.

[195]     Pour des motifs correspondant à ceux mentionnés en regard des paragraphes 1 et 5 de la plainte (paragraphes 156 à 162 de la présente décision), l’intimé sera donc reconnu coupable des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 7 de la plainte amendée.

c)    les chefs d’infraction énoncés au paragraphe 8 de la plainte amendé : en janvier 2007, l’intimé a fourni des renseignements faux ou inexacts à l’assureur AIG sur la proposition d’assurance qu’il a complétée au sujet de son client YG.

[196]     La proposition d’assurance a été complétée par l’intimé (P-6, p. 36).

[197]     YG a témoigné de ce qui suit :

        en ce qui a trait à la section « Assurance vie et assurance contre la maladie grave en vigueur » de cette proposition, il avait mentionné à l’intimé avoir récemment présenté une demande d’assurance invalidité laquelle lui avait été refusée; en dépit de cela, l’intimé a indiqué l’inverse sur la proposition (P-6, p. 37);

        l’intimé ne lui a posé aucune question afin de compléter la section « Renseignements personnels » (P-6, p. 38);

        l’intimé a coché par un « non » les questions auxquelles l’intimé aurait répondu « oui » si celles-ci lui avaient été posées;

        ainsi, l’intimé a faussement indiqué que YG n’avait pas piloté au cours des cinq dernières années; qu’il n’avait pas commis plus de deux infractions au Code de la route au cours des trois dernières années; et qu’il n’avait pas fait de plongée en apnée au cours des cinq dernières années.

[198]     L’intimé a également faussement indiqué à cette proposition d’assurance qu’il connaissait bien YG alors qu’ils ne se connaissaient que depuis environ un mois (P-6, p. 38).

[199]     AL, la conjointe de YG, a corroboré le témoignage de celui-ci.

[200]     Le comité conclut que l’intimé a fourni des renseignements faux ou inexacts à l’assureur AIG sur la proposition d’assurance (P-6) visant à obtenir au nom de YG une assurance vie universelle pour un montant de 10 000 000 $.

[201]     En agissant ainsi, l’intimé n’a pas fourni les renseignements qu’il est d’usage de fournir à un assureur et il a manqué de loyauté et d’honnêteté. Il sera donc reconnu coupable des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 8 de la plainte amendée.

d)    les chefs d’infraction énoncés au paragraphe 9 de la plainte amendée : en janvier 2007, l’intimé n’a pas subordonné son intérêt personnel à celui de son client, YG, en lui faisant souscrire auprès d’AIG la police d’assurance vie numéro [...] d’un capital assuré de 10 000 000 $.

[202]     Dès ses premiers contacts avec l’intimé, YG lui a dit qu’il n’était pas « intéressé à avoir de l’assurance vie ».

[203]     Le comité reproduit une partie de l’interrogatoire de YG :

« R. Bien, c’est parce que je n’en avais pas de besoin. En fait, de l’assurance-vie c’est clair pour moi que c’est pour payer tes dettes, pour t’enterrer, pour subvenir aux besoins de tes enfants jusqu’à tant qu’ils soient autonomes, puis pour ton épouse si elle est dépendante. Dans mon cas, je suis divorcé, ma fille est dentiste, donc, elle n’avait pas besoin d’argent, puis ma conjointe est anesthésiste, puis j’avais déjà un deux cent mille (200 000) pour m’enterrer, je trouvais que c’était en masse.

Q. Et, face à cette position-là, comment a réagi monsieur Thibault?

R. Bien, qu’il ne fallait pas voir ça comme une police d’assurance. Ça, je me souviens encore de ses mots, il dit : « C’est un véhicule extraordinaire que le gouvernement a permis, puis on ne sait pas combien de temps que le gouvernement va encore permettre que ce produit-là puisse être vendu tellement que c’est extraordinaire. Parce que, un, l’argent que tu mets là-dedans s’accumule à l’abri de l’impôt », puis l’idée c’était de faire accumuler le capital à l’abri de l’impôt. Puis là, après ça, et puis qu’il pouvait, surtout, placer les argents dans ce qu’il voulait, ou à peu près. Puis là, et bien dans la discussion, et bien là il m’a sorti qu’il plaçait beaucoup de fonds avec Sprott, pour lui le gestionnaire de ce fonds-là c’était un dieu, puis qu’il obtenait des rendements extraordinaires. Ça fait que là il m’a montré des papiers de Sprott, des fonds qui avaient eu des rendements jusqu’à soixante-sept pour cent (67%) l’année précédente. Puis discussions, discussions, il dit : « Écoute, il dit, moi, mes clients là m’adorent, il dit, je sais comment faire de l’argent. » Puis là, il m’a sorti, il dit, je ne te montrerai pas le nom de mes clients, je n’ai pas le droit, mais regarde les rendements qu’ils ont eus. » Puis, dans les deux (2), trois (3) documents qu’il m’a montrés, ça variait entre vingt-cinq pour cent (25%) et puis cinquante pour cent (50%) de rendement. Ça fait que c’était vraiment, vraiment alléchant là, c’était… c’était comme si lui avait accès à une façon de placer l’argent et puis qu’il avait un don pour faire ça, puis qu’il faisait faire bien de l’argent au monde, puis que si je le laissais faire, j’honorerais son nom jusqu’à ma mort et puis, quand lui serait mort, j’irais même porter des fleurs sur sa tombe, tellement que c’est extraordinaire. Ça fait que c’était dans cette façon-là, cette espèce d’atmosphère-là que ça m’a été présenté, sauf que là, moi je lui avais expliqué que, regarde, les polices d’assurance, je n’en veux pas, bon. Non non non, ce n’est pas, ne voit pas ça comme une police d’assurance, c’est un placement, ça va se payer tout seul, tu n’as pas à t’inquiéter et puis, après ça, tu vas retirer de l’argent de ça à l’abri de l’impôt et puis, je te dis, c’est extraordinaire. Puis… de toute façon, ça te prend un véhicule pour mettre tout l’argent qui va arriver de Phasoptx. [33]»

[204]     YG ne connaissait pas les polices d’assurance vie universelle avant d’en souscrire une à la suite de la recommandation de l’intimé le 4 janvier 2007.

[205]     YG a témoigné que l’intimé a déterminé que le capital assuré requis était de 10 000 000 $. Il a expliqué à YG que pour « placer 200 000 $ dans la police, ça prenait un montant de 10 000 000 $ ».

[206]     Le comité reproduit de nouveau des extraits de l’interrogatoire de YG :

« Q. Est-ce qu’il y a eu des explications ou des représentations quant aux coûts d’assurance, quant aux primes d’assurance de ce produit-là qu’on retrouve…

R. Non. En fait, je n’ai jamais réalisé avant un (1) an plus tard les montants que ça représentait comme… comme primes.

Q. Mais à l’époque…

R. Parce que…

Q. … est-ce que vous aviez posé des questions, est-ce que vous vous étiez renseigné?

R. Bien, ce n’était pas un problème, parce que la police était pour se payer toute seule.

Q. Qui vous disait ça?

R. Bien, monsieur Thibault. Il dit : « Avec les rendements, il dit, écoute, il dit, ton deux cent mille (200 000) là, c’est un rendement entre vingt-cinq (25) et cinquante pour cent (50%). Puis il dit, au pire, pire, pire, pire là, au pire des cas, ça va être dix pour cent (10%), ça fait que, il dit, inquiète-toi pas avec ça, il dit, les primes vont se payer, la police va se payer, tu ne t’inquiètes pas avec ça, l’argent va rentrer de Phasoptx, tu vas en mettre là-dedans, tu n’auras pas à arriver et puis à payer, envoyer des chèques ou payer des primes. [34]»

[207]     YG a témoigné qu’il n’avait pas la capacité financière de verser des primes de 125 000 $ pendant douze années consécutives. Son salaire oscillant entre 350 000 $ et 400 000 $, une fois l’impôt et la prime payés, il ne lui serait plus resté suffisamment d’argent pour assumer ses dépenses régulières.

[208]     Se fondant sur les représentations qui lui avaient été faites par l’intimé, YG comptait sur les excellents rendements générés par les placements et sur la vente à (très haut) profit des actions de Phasoptx inc.

[209]     L’intimé ne lui a pas expliqué ni ne lui a fait part des coûts d’assurance (dont le montant était de 35 030,97 $ pour la première année, P-6, p. 49).

[210]     En date du 30 janvier 2007, il a tiré sur son compte des chèques de 150 000 $ et 50 000 $ faits à l’ordre de AIG (P-6, p.58); cette somme de 200 000 $ correspondait au dépôt pour l’année 2007 requis aux termes de sa police d’assurance vie universelle.

[211]     L’année suivante, il a payé deux mois de prime (à raison d’environ 4 000 $ par mois) mais outre ces montants, il n’a pas payé d’autres sommes en regard du dépôt de 125 000 $.

[212]     Par lettre du 19 septembre 2011 (P-9), il a été avisé que sa police d’assurance vie avait été résiliée.

[213]     Il a indiqué au comité avoir perdu 208 000 $ en regard de cette police d’assurance vie universelle.

[214]     Pour l’essentiel, l’opinion qu’a fournie l’expert Tremblay au sujet de la police d’assurance vie universelle de YG est similaire à celle communiquée au comité eu égard au dossier JD inc. Les paragraphes 142 à 155 de la présente décision où est résumé le témoignage de l’expert sont donc pertinents à la présente section.

[215]     Le comité cite ici certains extraits additionnels du rapport d’expert de M. Tremblay (P-17) lesquels correspondent de façon plus particulière au dossier YG :

« La prime qui a été projetée, en d’autres mots, le montant qui a été convenu d’être payé par l’assuré était de 200 000 $ à l’an 1 et 125 000 $ pour les 12 prochaines années. Tel que projeté dans l’illustration de vente du 4 janvier 2007, les primes des années 1 à 12 étaient nettement en dessous des maximums annuels du contrat. Le contrat n’est pas maximisé pour tirer profit de l’espace fiscal disponible. [35]

[…]

Toutefois, il demeure inexplicable que le représentant ait fait souscrire 10 000 000 $ de protection d’assurance vie lorsque les avoirs du client ne démontrent pas le besoin d’une telle couverture, ni le souhait du client. Il est contraire aux intérêts du client de faire souscrire une protection qui n’est pas nécessaire.

Le client a acheté une assurance-vie d’un capital bien trop élevé pour ses besoins.

Aussi, il est déconseillé à un client de souscrire une police vie universelle qui exige un montant élevé de dépôt de prime total comparé à l’actif net du client. Une telle situation concentre trop d’actifs du client dans un seul véhicule financier et l’expose à des risques exagérés advenant un échec de la stratégie.[36]

[…]

Les informations colligées ne permettent pas de recommander un produit d’assurance quel qu’il soit convenant au besoin du client ni de justifier la vente d’une police d’assurance-vie universelle d’un capital de 10 000 000 $ et comportant un dépôt de 200 000 $ la première année et de 125 000 $ pour les 12 années suivantes, car le besoin est inconnu.

Les informations présentes au dossier ne supportent pas que le produit vendu soit conforme au besoin et dans l’intérêt du client.

Lorsque l’on compare le pourcentage des actifs détenus par le client qui sera immobilisé à la suite de la souscription du contrat vie universelle, celui-ci est exagérément élevé et expose inutilement le client à des risques qui ne sont pas dans son intérêt.

Pour toutes ces raisons, cette transaction n’était pas dans l’intérêt du client. [37]»

[216]     La preuve présentée est claire : YG n’avait pas de besoin réel en matière d’assurance vie. Sa fille et sa conjointe étaient autonomes. YG n’avait pas de dettes. L’intimé n’a pas vérifié auprès de lui s’il avait des besoins en matière d’assurance vie.

[217]     L’expert Tremblay en est arrivé aux mêmes conclusions que dans le cas du dossier JD inc. :

        les conditions financières de cette police d’assurance vie universelle étaient fort onéreuses pour YG;

        les hypothèses soumises par l’intimé au soutien de ses propositions ne correspondaient pas, à long terme, aux réalités économiques prévisibles;

        bref, rien ne justifiait l’intimé de faire souscrire à son client une telle police d’assurance vie universelle.

[218]     L’intimé a touché des commissions de plus de 190 000 $ en regard de cette police d’assurance vie (P-7, p. 3).

[219]     Alors que pour son client YG l’aventure s’est avérée fort onéreuse, l’intimé a manifestement trouvé un intérêt à lui faire souscrire cette police d’assurance vie universelle.

[220]     L’intimé n’a pas agi avec honnêteté, intégrité et loyauté envers son client. Il n’a pas formulé ses recommandations de façon objective et indépendante et sans égard à son gain personnel; il n’a pas subordonné son intérêt personnel à celui de son client.

[221]     L’intimé sera donc reconnu coupable des chefs d’infraction contenus au paragraphe 9 de la plainte amendée.

e)    les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 12 et 13 de la plainte amendée : en février 2007, l’intimé a fait souscrire à ses clients YG et AL des actions de Phasoptx inc. alors qu’il n’était pas autorisé à offrir de tels placements en vertu de sa certification.

 

[222]     Selon le témoignage de YG, il a rencontré l’intimé, au sujet de Phasopx inc., une première fois seul, à la fin du mois de novembre 2006 et en trois occasions, avec sa conjointe AL, à la fin décembre 2006 et au début de l’année 2007.

[223]     L’intimé (lui-même actionnaire de Phasopx inc.) leur a représenté qu’il avait eu mandat de vendre la compagnie Phasopx inc., que la vente aurait lieu d’ici un mois et qu’il y avait beaucoup d’argent à faire dans cette transaction (les actions dont la valeur était de 1,50 $ pourraient se vendre à 10 $).

[224]     L’intimé leur a présenté le produit qu’avait lancé cette compagnie (un « connecteur de fibre optique »). Il a organisé une entrevue avec l’inventeur et président de la compagnie. Selon les témoignages de YG et AL, il a été question avec le président de son invention et non des questions relatives à l’achat d’actions.

[225]     L’intimé leur a ensuite indiqué que le président de la compagnie consentait à ce qu’ils deviennent actionnaires de la compagnie.

[226]     YG avait indiqué à l’intimé disposer de 200 000 $ aux fins de placement. L’intimé lui a recommandé d’hypothéquer plutôt sa résidence (laquelle était alors libre de toute charge) et d’acheter des actions pour un montant plus important.

[227]     YG a obtenu un prêt hypothécaire de 375 000 $ et il a retiré 25 000 $ de sa marge de crédit personnelle pour souscrire 400 000 $ d’actions de Phasopx inc.

[228]     AL, sa conjointe, a souscrit 50 000 $ d’actions de cette compagnie.

[229]     L’intimé a rédigé et signé un document du 4 janvier 2007 (P-3) aux termes duquel il a été convenu que YG souscrirait 400 000 $ d’actions (à 1,50 $ l’action) de Phasopx inc. et AL, 50 000 $.

[230]     YG a témoigné que c’est l’intimé qui a déterminé le prix des actions.

[231]     Le 5 février 2007, YG et AL ont remis à l’intimé, pour l’achat des actions, des chèques de 375 000 $, 25 000 $ et 50 000 $ faits à l’ordre de Phasopx inc. (P-3).

[232]     Plus tard, l’intimé leur a remis des certificats d’actions.

[233]     La preuve documentaire et les témoignages de YG et de AL sont probants; l’intimé est intervenu seul à chaque étape des souscriptions de YG et AL : conseils, rédaction du document qui a tenu lieu de souscription, réception des chèques et remise des certificats d’actions.

[234]     Pourtant sa certification n’autorisait pas l’intimé à agir ainsi; il ne détenait qu’un certificat en assurance de personnes (P-1).

[235]     La jurisprudence soumise par le procureur de la plaignante est claire : les représentants ne peuvent faire fi du mécanisme mis en place par le législateur pour protéger le public lequel a droit aux conseils d’un professionnel compétent et autorisé à agir[38].

[236]     L’intimé n’a pas agi avec honnêteté, loyauté, compétence et professionnalisme; il sera donc reconnu coupable des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 12 et 13 de la plainte amendée.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ :

REJETTE les moyens constitutionnels plaidés par l’intimé;

DÉCLARE valides les articles 352, 353, 354, 355, 356, 359, 363, 365, 371, 372 et 377 de la LDPSF;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 12 et 13 de la plainte amendée;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 4 de la plainte amendée eu égard aux articles 16 de la LDPSF et 22 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

ACQUITTE l’intimé des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 4 de la plainte amendée eu égard aux articles 36 et 41 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

CONVOQUE les parties à l’audience sur sanction et demande à la secrétaire du comité de faire le nécessaire à cet égard.

 

 

 

 

(s) Sylvain Généreux_________________

Me Sylvain Généreux

Président du comité de discipline

 

 

(s) Robert Archambault________________

M. Robert Archambault, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Marcel Cabana___________________

M. Marcel Cabana

Membre du comité de discipline

 


 

 

Me François Montfils

Therrien Couture Avocats S.E.N.C.R.L.

Procureurs de la plaignante

 

Me Priscilla Bernier

Miller Thomson Avocats S.E.N.C.R.L.

Procureurs de l’intimé

 

Mes Diane Bouchard et Benoît Belleau

Procureurs du Procureur général du Québec

 

Dates d’audience :

17, 18 et 20 octobre 2011 et 6 février 2012.

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 


 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0860

 

DATE :

2 juillet 2014

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

M. Robert Archambault, A.V.A.

Membre

M. Marcel Cabana

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Plaignante

c.

JACQUES-ANDRÉ THIBAULT, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 132407)

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

I – LES PROCÉDURES ET LE DÉROULEMENT DE L’AUDIENCE

[1]       Par décision du 15 octobre 2013, l’intimé a été déclaré coupable des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 12 et 13 de la plainte amendée. Il a également été déclaré coupable des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 4 de la plainte amendée eu égard aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 22 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière. Il a été acquitté des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 4 de la plainte amendée en ce qui a trait aux articles 36 et 41 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[2]       Lors d’une conférence téléphonique tenue le 22 octobre 2013 à laquelle l’intimé et le procureur de la plaignante ont participé, il a été convenu de tenir l’audience sur sanction le 26 février 2014.

[3]       Par la suite, un avis d’audience sur sanction a été signifié personnellement à l’intimé.

[4]       Le 26 février 2014, l’intimé ne s’est cependant pas présenté à l’audience sur sanction. Le comité de discipline (le comité) a procédé en son absence.

[5]       La plaignante était représentée par Me François Montfils.

[6]       La plaignante n’a pas fait entendre de témoin mais a produit l’attestation du droit de pratique de l’intimé (SP-1), un courriel du 25 février 2014 de YG (SP-2) (un consommateur dont le nom apparaît à la plainte amendée) et, en liasse, les décisions du comité de discipline, le jugement de la Cour du Québec et celui de la Cour d’appel du Québec rendus dans un autre dossier disciplinaire concernant l’intimé (SP-3).

[7]       Il a également été indiqué au comité que l’intimé ne détenait plus de certificat depuis le 17 décembre 2012.

[8]       La plaignante a ensuite soumis ses recommandations quant aux sanctions à imposer à l’intimé.

[9]       Le comité a posé une question au procureur de la plaignante quant à sa recommandation d’imposer à l’intimé des périodes de radiation temporaire à être purgées de façon consécutive. Le comité a reçu des représentations écrites de Me Montfils le 27 février 2014 et a alors pris l’affaire en délibéré.

[10]    Les 12 et 13 mars 2014, l’intimé a fait parvenir au secrétariat du comité des représentations écrites.

[11]    Appelé à faire valoir son point de vue, le procureur de la plaignante a demandé au comité de ne pas tenir compte de celles-ci.

[12]    Le 18 mars 2014, l’intimé a été informé que le comité rendrait sa décision en prenant en compte la preuve présentée et les représentations faites lors des audiences sur culpabilité et sur sanction. Il lui a alors été indiqué que s’il désirait être entendu, il devrait d’abord présenter une requête pour faire rayer le délibéré; et que si le comité faisait droit à une telle requête, il serait convoqué devant lui afin de présenter sa preuve et ses représentations quant aux sanctions qui devraient lui être imposées.

[13]    Le 20 mars 2014, l’intimé a communiqué de nouveau des représentations au secrétariat du comité; il n’a cependant jamais transmis de requête pour faire rayer le délibéré.

[14]    Le comité ne tiendra donc pas compte des représentations que l’intimé a voulu soumettre en mars 2014 et il rendra la décision sur sanction en se fondant sur les éléments qui lui ont été soumis selon la procédure prévue.

 

II – LES REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[15]    La plaignante a notamment invoqué les éléments suivants :

        la gravité objective des infractions dont l’intimé a été reconnu coupable;

        l’ampleur des transactions qu’il a proposées aux consommateurs dont les noms sont mentionnés à la plainte et l’importance du préjudice que ceux-ci ont subi;

        l’analyse incomplète des besoins financiers de ces clients à laquelle l’intimé s’est livré alors que les produits proposés étaient sophistiqués et fort dispendieux;

        la rémunération importante que l’intimé a tirée des souscriptions de polices d’assurance vie universelle;

        le grand nombre d’années d’expérience de l’intimé;

        le degré de préméditation élevé;

        l’absence de repentir et de remords;

        les sanctions disciplinaires prononcées contre l’intimé dans un autre dossier (SP-3);

        le risque de récidive élevé.

[16]    Le procureur de la plaignante a référé le comité aux décisions rendues dans les affaires Borgia, Charbonneau, Tremblay, Petit, Faribault, Dracontaidis, Lussier, Derome, Exilus, Marston, Hanahem, Morinville et Provost[39].

[17]    Il a recommandé l’imposition des sanctions et mesures suivantes :

        en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1, 5 et 7 de la plainte amendée : des amendes de 6 000 $; pour un total de 18 000 $;

        pour ceux énoncés aux paragraphes 2, 6 et 9 de la plainte amendée : des périodes de radiation temporaire d’un an;

        pour ceux énoncés au paragraphe 3 de la plainte amendée : une période de radiation temporaire de cinq ans;

        en ce qui a trait à ceux énoncés aux paragraphes 4 et 8 de la plainte amendée : des périodes de radiation temporaire de deux ans;

        en ce qui a trait à ceux énoncés aux paragraphes 12 et 13 de la plainte amendée : des périodes de radiation temporaire de six ans.

[18]    Il a plaidé que les périodes de radiation recommandées quant aux chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 3, 4, 6, 8 et 9 (lesquelles totalisent cinq ans) soient purgées de façon concurrente; que les périodes de radiation temporaire de six ans proposées pour les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 12 et 13 soient purgées de façon concurrente mais que cette période de radiation temporaire de six ans soit purgée de façon consécutive à la période de radiation temporaire de cinq ans mentionnée précédemment. Bref, il a recommandé que l’intimé soit radié au total pour une période de onze ans.

[19]    Il a également recommandé au comité de condamner l’intimé au paiement des déboursés (incluant les frais d’expert).

[20]    Il a aussi suggéré au comité d’ordonner à la secrétaire du comité de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la décision suivant les modalités prévues à l’article 156 du Code des professions.

[21]    Il a recommandé au comité d’ordonner que les périodes de radiation temporaire ne prennent effet qu’au moment de la reprise par l’intimé de son droit de pratique et de l’émission en son nom d’un certificat par l’Autorité des marchés financiers (AMF).

III – L’ANALYSE

a)    les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1, 5 et 7 de la plainte amendée : ne pas avoir recueilli tous les renseignements et ne pas avoir procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de JD inc. et de YG avant de leur faire souscrire à des polices d’assurance vie

[22]    La jurisprudence est claire : avant de formuler une recommandation, le représentant doit procéder à l’analyse des besoins financiers du client; il s’agit là d’un exercice préalable indispensable.

[23]    L’intimé a fait du travail bâclé; il n’a obtenu que des informations partielles ou il a considéré des éléments qu’il n’a cependant pas vérifiés de façon adéquate.

[24]    Il n’a procédé à aucun calcul relatif à l’économie d’impôt alors qu’il s’agissait de l’élément principal pour lequel il a suggéré à ses deux clients de souscrire à des polices d’assurance vie universelle dont le capital assuré était extrêmement élevé.

[25]    Compte tenu de l’importance des sommes en jeu, l’intimé devait nécessairement obtenir tous les renseignements pertinents et procéder à une analyse sérieuse des besoins financiers de ses clients. Ajoutons à cela que l’intimé était alors un représentant expérimenté.

[26]    En regard d’infractions de cette nature, le comité, dans les affaires Borgia, Charbonneau et Tremblay[40], a condamné les représentants au paiement d’amendes de 5 000 $.

[27]    Dans l’affaire Borgia[41], l’intimé avait peu d’expérience; dans le dossier Charbonneau[42], le représentant a remboursé tous les montants que la cliente avait versés sur la police d’assurance vie universelle; dans l’affaire Tremblay[43], bien que l’intimé ait un antécédent disciplinaire, le comité a pris en compte ses efforts pour modifier sa pratique, ses regrets et l’absence de préjudice pécuniaire. On ne retrouve pas de facteurs atténuants de cette nature dans le présent dossier.

[28]    De plus, au moment où l’intimé a commis les infractions reprochées aux paragraphes 1, 5 et 7 de la plainte amendée, le comité l’avait déjà reconnu coupable et sanctionné (par décisions des 18 décembre 2003 et 26 juillet 2004)[44] pour une infraction analogue. Il se devait donc d’être d’autant plus vigilant dans l’exécution des opérations de cueillette et d’analyse de renseignements auprès de ses clients et cela, en dépit du fait qu’il en avait appelé de ces décisions.

[29]    En ce qui a trait à ce manquement, il est à noter que la Cour du Québec a maintenu le verdict de culpabilité prononcé contre l’intimé mais a réduit la sanction de radiation temporaire imposée de douze à six mois. La Cour d’appel a rejeté la requête pour permission d’appeler. 

[30]    Dans son jugement, la Cour du Québec a écrit ce qui suit au paragraphe 130 :

« En résumé, le comité a trouvé l’appelant coupable sous ce chef parce que ce dernier n’a fait aucune analyse des besoins de sa cliente qui désirait avant tout cesser de travailler, rester à la maison et élever ses enfants. Elle n’avait certes pas besoin de souscrire des polices d’assurance pour une couverture de 17 000 000 $. La structure financière que l’intimé a échafaudée ne correspondait pas au profil d’investisseur ni aux besoins de madame Audet. La seule personne qui a retiré des avantages pécuniaires de cette aventure c’est l’intimé, sa cliente ayant perdu plus de la moitié de son capital en l’espace de 4 ans. »

[31]    Ces énoncés s’appliquent au présent dossier.

[32]    D’ailleurs, la preuve (SP-2) a révélé que YG a perdu 208 000 $ comme résultat de la souscription à la police d’assurance vie universelle mentionnée au paragraphe 7 de la plainte amendée.

[33]    La cueillette et l’analyse des informations relatives aux besoins financiers d’un consommateur constituent la pierre d’assise du travail du représentant. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’il propose à ses clients des produits sophistiqués pour lesquels il reçoit une rémunération importante.

[34]    Pour ces raisons, le comité donnera suite à la recommandation de la plaignante et condamnera l’intimé à payer des amendes de 6 000 $ pour les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1, 5 et 7 de la plainte amendée.

b)   les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 6 et 9 de la plainte amendée : ne pas avoir subordonné son intérêt personnel à celui de ses clients JD inc. et YG en leur faisant souscrire à des polices d’assurance vie dont le montant de capital assuré était élevé

[35]    Alors que JD inc. et YG n’avaient pas de besoins en matière d’assurance vie, l’intimé leur a fait souscrire à des polices d’assurance vie universelle pour des montants oscillant entre 2 000 000 $ et 10 000 000 $. L’intimé a reçu des commissions de 481 947,95 $ (somme qu’il a cependant remboursée) et de 224 085,21 $ dans le cas de JD inc. et de 191 455,47 $ dans le cas de YG (P-7, p. 3; P-12, p. 3 et P-14).

[36]    Tel qu’indiqué précédemment, YG a perdu 208 000 $ comme conséquence de sa souscription à cette police d’assurance vie universelle (SP-2).

[37]    La preuve relative à la perte qu’aurait subie JD inc. à cet égard est moins claire. Il semble en effet que AIG Vie et l’institution financière auprès de laquelle JD inc. avait contracté un emprunt ont épongé une partie importante de ses pertes.

[38]    Dans Faribault[45], le comité a imposé une radiation temporaire de six mois et dans Petit[46] une radiation temporaire de 18 mois à des représentants qui avaient commis des infractions analogues à celles commises par l’intimé.

[39]    M. Faribault a plaidé coupable; il a fait preuve, lors de l’audience, d’une certaine contrition; il n’avait pas d’antécédent disciplinaire et avait décidé de ne pas renouveler sa certification.

[40]    M. Petit a également enregistré un plaidoyer de culpabilité; au moment de l’audience, il avait quitté la profession depuis trois ans; dans les chefs d’infraction portés contre lui, il lui était reproché d’avoir fait défaut de subordonner son intérêt à celui de deux clientes et d’avoir usé d’informations trompeuses afin de favoriser la vente.

[41]    En tenant compte de l’ensemble des facteurs pertinents, le comité croit opportun de donner suite à la recommandation de la plaignante; il imposera donc à l’intimé des périodes de radiation d’un an pour chacun de ces chefs d’infraction.

c)    les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 3 et 4 de la plainte amendée : s’être placé dans une situation de conflit d’intérêts en procédant au transfert de la propriété de la police d’assurance vie souscrite par son client JD inc. en faveur de la fiducie Claudette Hallé dont l’intimé était lui-même fiduciaire et ses deux filles bénéficiaires (paragraphe 3); avoir versé 261 000 $ à JD inc. et 20 000 $ à JD à la suite de ce transfert (paragraphe 4)

[42]    La preuve a révélé (P-11, pages 92, 108, 109 et 115)  que JD n’a jamais été informé du fait que la police d’assurance vie universelle à laquelle il avait souscrit était transférée à une fiducie dont l’intimé était lui-même fiduciaire et ses deux filles bénéficiaires.

[43]    Tel qu’indiqué dans la décision sur culpabilité, l’intimé se trouvait à spéculer sur la vie de l’un de ses clients à l’insu de celui-ci.

[44]    Il s’agit d’une infraction objectivement grave; l’intimé a clairement agi à l’encontre des devoirs d’honnêteté, de loyauté, d’intégrité et d’indépendance qui sont au cœur de l’exercice de sa profession.

[45]    Pour pouvoir réaliser ce transfert, l’intimé a versé 261 000 $ à JD inc. et 20 000 $ à JD. Offrir ainsi un « cadeau » de 20 000 $ à son client pour réaliser une transaction déontologiquement répréhensible est également un manquement grave.

[46]    Aux yeux des membres du comité, des sanctions sévères s’imposent. L’intimé doit se voir imposer des sanctions dissuasives. Au chapitre de l’exemplarité, les représentants doivent être informés du fait que l’on ne saurait tolérer une telle façon de faire.

[47]    Tel que l’a indiqué le procureur de la plaignante, les décisions rendues dans les affaires Dracontaidis et Lussier[47] comprennent plus ou moins de similitudes avec le présent dossier; elles font cependant voir la sévérité avec laquelle sont sanctionnés des représentants qui privilégient leurs intérêts au détriment de ceux de leurs clients.

[48]    Le comité est d’avis que la sanction de radiation temporaire de cinq ans (en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 3 de la plainte amendée) et celle de deux ans (pour ceux énoncés au paragraphe 4) proposées par la plaignante satisfont aux impératifs de dissuasion et d’exemplarité et qu’elles sauront assurer la protection du public.

d)   les chefs d’infraction énoncés au paragraphe 8 de la plainte amendée : avoir fourni des renseignements faux ou inexacts à l’assureur AIG Vie sur la proposition d’assurance qu’il a complétée au sujet de son client YG

[49]    Tel que relaté aux paragraphes 196 à 201 de la décision sur culpabilité, l’intimé a inscrit des informations inexactes sur la proposition visant à obtenir pour YG une police d’assurance vie universelle dont le capital assuré serait de 10 000 000 $. La preuve a révélé qu’à plusieurs endroits sur le questionnaire, l’intimé a inscrit l’inverse de ce que YG lui avait fourni comme information. Soulignons en particulier que l’intimé a faussement indiqué sur la proposition que YG ne s’était pas vu refuser une proposition en matière d’assurance invalidité.

[50]    Fournir ainsi des renseignements faux ou inexacts à un assureur peut avoir un impact important sur la question de l’assurabilité du client, sur la détermination des primes à payer et peut entraîner une contestation lors du décès.

[51]    L’intimé doit faire preuve d’honnêteté et de loyauté envers l’assureur. Il ne s’agit manifestement pas ici d’erreurs d’inattention de la part de l’intimé. Le comité est d’avis qu’une telle conduite doit être sévèrement punie. Il donnera donc suite à la recommandation de la plaignante et imposera à l’intimé une radiation temporaire de deux ans.

e)    les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 12 et 13 de la plainte amendée : avoir fait souscrire à ses clients YG et AL des actions de Phasoptx inc. alors qu’il n’était pas autorisé à offrir un tel placement en vertu de sa certification

[52]    Tel qu’il appert de SP-1, l’intimé détenait un certificat dans la discipline de l’assurance de personnes au moment où il a commis les infractions dont il a été reconnu coupable. L’intimé n’a jamais été inscrit, à quelque titre que ce soit, en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières. Il ne pouvait donc faire souscrire des actions à ses clients.

[53]    Il a ainsi clairement exercé des activités dans une discipline pour laquelle il n’avait ni certification, ni compétence reconnue pour le faire. Il s’agit d’infractions dont la gravité objective est grande et qui appellent l’imposition de sanctions sévères. L’analyse des facteurs subjectifs n’amène pas le comité à faire preuve de clémence, bien au contraire.

[54]    L’intimé a fait miroiter à ses deux clients qu’il avait mandat de vendre la compagnie Phasoptx inc. et que cette transaction rapporterait beaucoup d’argent aux détenteurs d’actions. Il a ajouté que les profits générés par cette lucrative transaction permettraient à YG d’investir dans sa police d’assurance vie universelle.

[55]    Résultat pour YG et AL, ils ont perdu les sommes de 400 000 $ et de 50 000 $ qu’ils ont déboursées pour l’achat des actions de cette compagnie et rien ne démontre qu’ils pourront récupérer ces sommes de Phasoptx inc. (SP-2) ni du Fonds d’indemnisation des services financiers, l’intimé ayant agi en dehors du cadre de sa certification.

[56]    La radiation temporaire de six ans proposée par le procureur de la plaignante est conforme aux sanctions imposées dans les affaires Marston, Hanahem et Provost[48] en regard d’infractions de même nature et à la suite de la commission desquelles les consommateurs ont perdu des sommes d’argent importantes.

[57]    Le comité imposera donc à l’intimé les sanctions proposées.

f)     l’imposition de périodes de radiation temporaire à être purgées de façon consécutive

[58]    La plaignante a recommandé au comité d’imposer à l’intimé des périodes de radiation temporaire en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 3, 4, 6, 8, 9, 12 et 13 de la plainte amendée.

[59]    Elle a suggéré que les périodes de radiation temporaire imposées en regard des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 3, 4, 6, 8 et 9 soient purgées concurremment (pour un total de cinq ans) et que celles recommandées en regard des paragraphes 12 et 13 (six ans) le soient également. Elle a ensuite recommandé que ces périodes de radiation temporaire de cinq et de six ans soient purgées de façon consécutive de façon à ce que l’intimé soit radié pendant onze ans.

[60]    Aux termes du 4e alinéa de l’article 156 du Code des professions, la décision peut prévoir que les sanctions sont consécutives.

[61]    Le comité devrait-il donner suite à cette recommandation de la plaignante?

[62]    En ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 3, 4, 6, 8 et 9 de la plainte amendée, l’intimé a commis, à l’égard de JD inc. et de YG, des manquements à des obligations déontologiques présentant des liens et des similitudes. En effet, dans le cadre de la souscription et du transfert de police d’assurance universelle, l’intimé n’a pas subordonné son intérêt personnel à celui de ses clients (paragraphes 2, 6 et 9 de la plainte amendée), il s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts (paragraphe 3), il a versé une somme d’argent illégalement (paragraphe 4) et il a fourni des renseignements faux et inexacts (paragraphe 8).

[63]    Bien qu’il ait agi ainsi à des époques distinctes et à l’égard de clients différents, le comité croit approprié, dans les circonstances de ce dossier et afin de respecter la règle de la globalité des sanctions, de donner suite aux recommandations de la plaignante et d’ordonner que toutes ces sanctions de radiation temporaire soient purgées de façon concurrente.

[64]    D’autre part, les infractions énoncées aux paragraphes 12 et 13 de la plainte amendée sont de nature distincte de celles mentionnées au paragraphe 62 de la présence décision; il s’agit de manquements qui relèvent d’obligations déontologiques différentes[49].

[65]    En effet, l’intimé a fait souscrire à YG et à AL des actions alors qu’il n’était pas autorisé à offrir de tels placements (paragraphes 12 et 13 de la plainte amendée). Ces infractions (paragraphes 12 et 13) n’ont pas de lien (quant à la nature des manquements et des faits mis en preuve) avec les autres infractions (paragraphes 2, 3, 4, 6, 8 et 9). On ne retrouve pas entre ces deux « blocs » d’infractions de dénominateur commun.

[66]    Par conséquent, le comité est d’avis que l’imposition de périodes de radiation temporaire à être purgées de façon consécutive ne contrevient pas ici au principe de la globalité des sanctions mais au contraire y satisfait.

[67]    Le comité est en effet convaincu que la gravité objective des infractions commises, l’ensemble des facteurs subjectifs mis en preuve et, les impératifs de dissuasion et d’exemplarité nécessaires à la protection du public justifient pleinement l’imposition de sanctions de radiation temporaire dont le total sera de onze ans.

g)   la publication d’un avis dans un journal

[68]    Puisque le comité imposera à l’intimé des périodes de radiation temporaire à titre de sanctions, il doit décider, aux termes du 5e alinéa de l’article 156 du Code des professions, si un avis de cette décision doit être publié dans un journal.

[69]    Compte tenu de la gravité des fautes dont l’intimé a été reconnu coupable et de l’importance des sanctions qui lui seront imposées, il s’agit clairement d’un cas où il est nécessaire qu’une telle publication soit ordonnée afin d’en informer le public pour ainsi assurer sa protection.

h)   le moment où les sanctions de radiation temporaire seront exécutoires et celui où l’avis dans un journal sera publié

[70]    La plaignante a invité le comité à ordonner que les sanctions de radiation temporaire ne soient exécutoires qu’au moment de la reprise par l’intimé de son droit de pratique et de l’émission en son nom d’un certificat par l’AMF.

[71]    Voici comment s’exprimait le Tribunal des professions dans l’affaire Brady c. Labelle[50] en regard d’une question analogue :

« [30] L’appelant affirme à tort que le Comité n’a pas fixé de date d’exécution de la sanction. En effet celle-ci deviendra exécutoire lorsque l’intimée sera dûment inscrite au Tableau de l’Ordre. Elle ne l’est plus depuis le 1er avril 2004 et a clairement exprimé au Comité lors des représentations sur sanction, sa volonté de ne plus pratiquer comme infirmière auxiliaire. Si elle changeait d’avis, la radiation deviendrait exécutoire. La protection du public est donc assurée. Pour reprendre les mots du Comité dans l’affaire Perreton, il va de soi que :

« Une radiation pour être efficace et utile, suppose nécessairement que celui qui en fait l’objet soit membre en règle de son ordre professionnel. ».

[31] Si l’intimée ne se réinscrit jamais, la protection du public demeure assurée par la force des choses, puisque l’intimée ne pratique plus comme infirmière auxiliaire. Que pourrait envisager de plus le Comité comme mesure de protection, que le retrait définitif de l’intimée du Tableau de l’Ordre et l’assurance qu’en cas de réinscription, l’intimée purgera sa sanction? Rien. En conséquence, la décision du Comité est tout à fait raisonnable car elle s’appuie sur les pouvoirs qui lui sont conférés au Code et tient compte de toutes les circonstances.

[32] Quant à la publication de l’avis de la décision, il y a lieu de conclure dans le même sens. La décision du Comité est raisonnable et conforme aux dispositions du Code. Le moment de la publication est précisé selon les modalités retenues soit au moment où les périodes de radiation imposées seront exécutoires. »

[72]    En 2012, dans l’affaire Lambert c. Agronomes[51], le Tribunal a écrit ce qui suit :

« [33] Si l’exécution de la décision de radiation est retardée au moment où le professionnel se réinscrit au tableau de l’ordre qui le sanctionne, il apparaît nécessaire que la publication de l’avis de la décision le soit aussi. C’est en effet la concomitance de l’exécution de la décision et la publicité de celle-ci qui, de l’avis du Tribunal, satisfait l’objectif d’information et de protection du public. »

[73]    Le comité fera droit à cette demande de la plaignante.


i)     les déboursés

[74]    L’intimé sera également condamné au paiement des déboursés. En effet, il a été reconnu coupable de la très grande majorité des chefs d’infraction qui lui étaient reprochés.

VI - LES CONCLUSIONS

En ce qui a trait aux chefs d’infraction dont l’intimé a été reconnu coupable, le comité impose les sanctions et mesures suivantes :

CONDAMNE l’intimé au paiement d’amendes de 6 000 $ en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1, 5 et 7 de la plainte amendée (pour un total de 18 000 $);

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un an en regard de chacun des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 6 et 9 de la plainte amendée;

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de cinq ans en regard de chacun des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 3 de la plainte amendée;

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux ans en regard de chacun des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 4 et 8 de la plainte amendée;

ORDONNE que ces périodes de radiation d’un an, deux ans et cinq ans soient purgées de façon concurrente;

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de six ans en regard de chacun des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 12 et 13 de la plainte amendée;

ORDONNE que ces périodes de radiation temporaire de six ans soient purgées de façon concurrente;

ORDONNE que ces périodes de radiation temporaire totalisant cinq ans et six ans soient purgées de façon consécutive de façon à ce que la période de radiation temporaire totale imposée à l’intimé soit de onze ans;

ORDONNE que les périodes de radiation temporaire imposées à l’intimé et totalisant onze ans ne soient exécutoires qu’au moment où l’intimé reprendra son droit de pratique et que l’AMF émettra un certificat en son nom;

ORDONNE à la secrétaire du comité de faire publier, conformément à ce qui est prévu à l’article 156 du Code des professions, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession;

ORDONNE à la secrétaire du comité de procéder à cette publication qu’au moment où l’intimé reprendra son droit de pratique et que l’AMF émettra un certificat en son nom;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés (y compris les frais d’expert) conformément à ce qui est prévu à l’article 151 du Code des professions.

 

 

(s) Sylvain Généreux_________________

Me Sylvain Généreux

Président du comité de discipline

 

(s) Robert Archambault________________

M. Robert Archambault, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

(s) Marcel Cabana___________________

M. Marcel Cabana

Membre du comité de discipline

 

 

Me François Montfils

Therrien Couture Avocats s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la plaignante

 

 

M. Jacques-André Thibault

Intimé absent et non représenté

 

 

 

 

Date d’audience :

26 février 2014

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 



[1] Duquette c. Gauthier, 2007 QCCA 863.

[2] 2747-3174 Québec inc. c. R.P.A.Q.(Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, 941.

[3] 2747-3174 Québec inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, 961.

[4] Québec (Procureur général) c. Barreau de Montréal, [2001] no AZ-50099903 (C.A.).

[5] Régie des permis d’alcool, p. 952.

[6] Barreau de Montréal, paragraphes 104 à 107.

[7] Barreau de Montréal, paragraphe 156.

[8]  Barreau de Montréal, paragraphe 163. Rappelons que l’intimé ne soulève pas la question de la sécurité financière.

[9]  La Cour d’appel conclura cependant que le processus de renouvellement des mandats n’offre pas aux membres du TAQ le niveau de garantie requis par l’article 23 de la Charte québécoise. L’intimé dans notre dossier n’a pas soulevé ce moyen.

[10] Montambeault c. Brazeau, [1996] C.A.L.P. 1795 (C.A.).

[11] Barreau de Montréal, paragraphes 170, 171.

[12] Régie des permis d’alcool, p. 963.

[13] Barreau de Montréal, paragraphe 156.

[14] Barreau de Montréal, paragraphes 170, 171.

[15] 2011 QCCS 1614.

[16] 200-09-007388-116.

[17] Di Zazzo c. Morand, CQ, juge Yves Hamel, 500-80-016255-102, 22 juin 2012; jugement porté en appel : 500-09-022874-127.

[18] Chauvin c. Lareau, comité de discipline de la Chambre de l’assurance des dommages, 2010-09-01C et 2010-09-02C, 20 septembre 2012; décision portée en appel : 500-80-024881-139.

[19] 2747-3174 Québec inc. c. R.P.A.Q. (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919.

[20] Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869.

[21] Citons à ce sujet Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869 et Nantais c. Bolduc, [1988] R.J.Q. 2465, 2469.

[22] Témoignage de JD, notes sténographiques du 18 octobre 2011, pages 49 et 50.

[23] La preuve révèle qu’ils étaient de 81 209,31 $ pour la première année (P-11, p. 40).

[24] Le comité traite des chefs d’infraction relatifs à YG aux paragraphes 180 et suivants.

[25] P-17, p. 4.

[26] Dans son rapport d’expert (P-17) et dans son témoignage, M. Tremblay réfère à JD inc. en indiquant qu’il s’agit du client (et non de la cliente) de l’intimé; la plaignante a fait de même dans la plainte amendée. Le comité procédera de la même façon.

[27] P-17, p. 13.

[28] Témoignage de M. Denis Tremblay, notes sténographiques du 18 octobre 2011, pages 131 et 132.

[29] P-17, p. 15.

[30] P-17, p. 16.

[31] P-17, pages 16 et 18.

[32] Thibault c. Borgia, CD00-0637, décision du 2 février 2009.

[33] Témoignage de YG, notes sténographiques du 17 octobre 2011, pages 118 à 121.

[34] Notes sténographiques, témoignage de YG le 17 octobre 2011, pages 124 et 125.

[35] P-17, page 8.

[36] P-17, page 11.

[37] P-17, page 11.

[38] Thibault c. Joubert, CDCSF, CD00-0743, décision du 16 juillet 2010 et Champagne c. Hanahem, CDCSF, CD00-0811, décision du 30 novembre 2010.

[39] Thibault c. Borgia, CD00-0637, décision sur culpabilité du 2 février 2009 et décision sur sanction du 28 juillet 2011; Champagne c. Charbonneau, CD00-0858, décision sur culpabilité du 30 juillet 2012 et décision sur sanction du 22 janvier 2013; Champagne c. Tremblay, CD00-0945, décision sur culpabilité et sanction du 26 juin 2013; Thibault c. Petit, CD00-0692, décision sur culpabilité et sanction du 30 juillet 2008; Champagne c. Faribault, CD00-0721, décision sur culpabilité et sanction du 2 février 2009; Champagne c. Dracontaidis, CD00-0814, décision sur culpabilité et sanction du 29 avril 2011; Champagne c. Lussier, CD00-0820, décision sur culpabilité et sanction du 8 juillet 2011; Champagne c. Derome, CD00-0980, décision sur culpabilité et sanction du 3 octobre 2013; Champagne c. Exilus, CD00-0899, décision sur culpabilité du 9 mai 2012 et décision sur sanction du 3 janvier 2013; Thibault c. Marston, CD00-0730, décision sur culpabilité du 23 octobre 2009 et décision sur sanction du 21 mai 2010; Champagne c. Hanahem, CD00-0811, décision sur culpabilité du 30 novembre 2010 et décision sur sanction du 26 mai 2011; Lelièvre c. Morinville, CD00-0821, décision sur culpabilité du 25 octobre 2011 et décision sur sanction du 12 juin 2012; Thibault et Champagne c. Provost, CD00-0709 et CD00-0805, décision sur culpabilité du 2 novembre 2011 et décision sur sanction du 22 mai 2012.

[40] Précité note 1.

[41] Précité note 1.

[42] Précité note 1.

[43] Précité note 1.

[44] Rioux c. Thibault, CD00-0493 décision sur culpabilité du 18 décembre 2003; décision sur sanction du 26 juillet 2004; Thibault c. Rioux 2007 QCCQ 14514 (jugement du 21 décembre 2007); Thibault c. Rioux 2008 QCCA (rejet de la requête pour permission d’appeler de M. Thibault).

[45] Précité note 1.

[46] Précité note 1.

[47] Précité note 1.

[48] Précité note 1.

[49] Tan c. Lebel 2010 QCCA 667; Boudreau c. Avocats 2006 QCTP 41.

[50] 2005 CanLII 31276 (QCTP).

[51] 2012 QCTP 39.

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