Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

Chambre de l’assurance de dommages

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2014-05-01 (E)

 

DATE :

24 septembre 2014

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

Mme Danielle Renaud, expert en sinistre

Membre

Mme Louise Beauregard, expert en sinistre

Membre

 

 

SYLVIE POIRIER, ès qualités de syndic ad hoc de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

RICHARD CUENDE, expert en sinistre (5A)

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

 

[1]       Le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages s’est réuni le 15 juillet 2014 pour procéder à l’audition d’une plainte portée contre l’intimé portant le no. 2014-05-01 (E);

 

 

I.          La plainte

 

[2]       La plainte reproche à l’intimé les infractions suivantes :

 

N.V.

 

1.   À Montréal, au cours de la période de mai à novembre 2008, alors qu’il était le directeur responsable de la succursale de Montréal du cabinet CGI experts en sinistres inc., a permis que N.V. puisse exercer l’activité d’expert en sinistres et agir dans environ 85 dossiers de règlements de sinistres pour lesquels aucune exemption n’était applicable,  alors qu’il savait ou aurait dû savoir que N.V. ne détenait aucune certification l’autorisant à exercer comme expert en sinistres, le tout en contravention avec les articles 14 et 85 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 2 et 59(12) [devenu 58(14)] du Code de déontologie des experts en sinistres (RLRQ, chapitre D-9.2, r. 1.02, r.4);

 

 

 

M.M.

 

2.   À Montréal, au cours de la période de juillet 2006 à novembre 2008, alors qu’il était le directeur responsable de la succursale de Montréal du cabinet CGI experts en sinistres inc. [devenu Indemnipro inc.], a permis que M.M. puisse agir comme expert en sinistres dans environ 90 dossiers de règlements de sinistres en assurance de  dommages des entreprises, alors qu’il savait ou aurait dû savoir que M.M. ne détenait pas la certification requise pour exercer dans cette catégorie de discipline, le tout en contravention avec les articles 12, 13 et 85 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers, l’article 9 alinéa 2 [devenu l’art.10 al.1] du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant (Décision 99.07.08, 99-07-06, RLRQ, chapitre D-9.2, r. 7) et les articles 2 et 59(12) [devenu 58(14)] du Code de déontologie des experts en sinistres (RLRQ, chapitre D‑9.2, r. 1.02, r.4];

 

C.F.

 

3.   À Montréal, au cours de la période de mai 2006 à septembre 2008, alors qu’il était le directeur responsable de la succursale de Montréal du cabinet CGI experts en sinistres inc. (devenu Indemnipro inc.), a permis que C.F., puisse agir comme expert en sinistres dans environ 20 dossiers de règlements de sinistres en assurance de dommages des entreprises, alors qu’il savait ou aurait dû savoir que C.F. ne détenait pas la certification requise pour exercer dans cette catégorie de discipline, le tout en contravention avec les articles 12, 13 et 85 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers, l’article 9 alinéa 2 [devenu l’art.10 al.1] du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant (Décision 99.07.08, 99-07-06, RLRQ, chapitre D-9.2, r. 7) et les articles 2 et 59(12) [devenu 58(14)] du Code de déontologie des experts en sinistres (RLRQ, chapitre D‑9.2, r. 1.02, r.4];

 

 

L’intimé s'étant ainsi rendu passible pour les infractions ci-haut mentionnées des

 

 

[3]       La syndic ad hoc, Me Sylvie Poirier agissait personnellement et l’intimé était représenté par Me Patrick Henry, lequel agissait à titre pro bono;

 

[4]       D’entrée de jeu, Me Henry a enregistré au nom de son client un plaidoyer de culpabilité à l’encontre des infractions reprochées;

 

[5]       En conséquence, l’intimé fut déclaré coupable, séance tenante des chefs nos. 1, 2 et 3 de ladite plainte;

 

 

II.         Preuve sur sanction

 

[6]       La preuve documentaire à l’appui de la plainte fut déposée de consentement (P-1 à P-43);

 

[7]       Brièvement résumé, les faits à l’origine du présent dossier sont relativement simples;

 

[8]       Alors que l’intimé était le directeur responsable de la succursale de Montréal du cabinet CGI experts en sinistres inc., il a permis que deux de ses employés puissent agir comme experts en sinistre dans des dossiers d’entreprise, sans que ceux-ci ne détiennent la certification requise (chefs nos. 2 et 3);

 

[9]       Il a, de plus, permis à un autre de ses employés d’agir comme expert en sinistre, alors que ce dernier ne détenait absolument aucune autorisation pour exercer cette profession (chef no.1);

 

 

III.        Argumentation

 

A)   Par la syndic

 

[10]    La partie plaignante recommande de façon conjointe avec l’intimé, d’imposer à celui-ci les sanctions suivantes :

 

          Chef no. 1 :       Une amende de 8 000 $;

 

          Chef no. 2 :       Une amende de 8 000 $;

 

          Chef no. 3 :       Une amende de 5 000 $;

 

[11]    Elle recommande également d’imposer à l’intimé de suivre une formation intitulée :

 

UFC-07196 : « À l’avant-plan : ma responsabilité d’expert »

 

[12]    À l’appui de cette recommandation, la procureure fait état des divers facteurs aggravants dont le Comité devra tenir compte, soit :

 

      Le rôle de superviseur de l’intimé;

 

      Ses années d’expérience;

 

      La gravité objective des infractions;

 

      Le caractère répétitif des infractions et leur durée;

 

      La mise en péril de la protection du public;

 

 

 

[13]    Parmi les facteurs atténuants, Me Poirier insiste sur les suivants :

 

      L’absence de préjudice pour les clients;

 

      L’absence de gain ou de bénéfice pour l’intimé;

 

      La collaboration de l’intimé à l’enquête du syndic;

 

      L’absence d’antécédents disciplinaires;

 

      Son plaidoyer de culpabilité enregistré dès la première occasion;

 

      L’absence de mauvaise foi ou d’intention malicieuse;

 

      Le faible risque de récidive;

 

[14]    À cela s’ajoute le fait que la culture d’entreprise favorisait cette dérogation, puisque l’on ne refusait aucun dossier;

 

[15]    Finalement, elle conclut au caractère juste et raisonnable de la sanction et demande par conséquent au Comité de l’entériner;

 

[16]    Par contre, de façon très exceptionnelle, la syndic recommande que le montant des amendes soit réduit à une simple réprimande;

 

[17]    Cette demande est motivée par le fait que l’intimé traverse actuellement une période très difficile de sa vie;

 

[18]    Sa femme est gravement malade et son état de santé se détériore rapidement, ce qui l’oblige à lui consacrer beaucoup de temps;

 

[19]    À cela s’ajoute le fait que l’intimé doit également s’occuper de son père vieillissant et donc, en perte d’autonomie;

 

[20]    Ces deux situations ont eu pour effet de gravement hypothéquer sa santé financière, au point qu’il est au bord du gouffre financier;

 

[21]    D’ailleurs, Me Henry a consenti à le représenter de manière pro bono, vu ses faibles moyens financiers;

 

[22]    Évidemment, cette situation affecte également sa propre santé et lui cause énormément de stress, à un point tel que l’imposition d’une sanction monétaire aurait des effets catastrophiques pour lui et sa famille;

 

[23]    Dans les circonstances, la syndic demande au Comité de réduire le montant des amendes de façon globale à une simple réprimande, pour des motifs humanitaires;

 

 

 

B)   Par l’intimé

 

[24]    Me Henry, au nom de l’intimé, confirme le caractère commun des sanctions;

 

[25]    Il précise qu’il s’agit d’une situation très exceptionnelle et demande en conséquence au Comité de faire preuve d’humanisme et de clémence;

 

 

IV.       Analyse et décision

 

A)   La recommandation commune

 

[26]    Suivant la jurisprudence[1], les recommandations communes doivent être entérinées par le Comité, sauf circonstances exceptionnelles :

 

[41] Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps l'à-propos de ce que la Cour d'appel qualifie récemment de « politique judiciaire » cette pratique de la négociation des plaidoyers de culpabilité qu'il convient d'encourager parce qu'elle joue un rôle capital au sein de l'institution pénale (Dumont c. R., 2013 QCCA 576, au para 13).

 

[42] La suggestion commune issue d'une négociation rigoureuse, dispose d'une « force persuasive certaine » de nature à assurer qu'elle sera respectée en échange du plaidoyer de culpabilité (Dumont c. R., 2013 QCCA 576, au para 13; Gagné c. R., 2011 QCCA 2387), à moins qu'elle soit déraisonnable, contraire à l'intérêt public, inadéquate ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice (R. c. Douglas (2002) 162 C.C.C. 37 (C.A.Q.); R. c. Bazinet, 2008 QCCA 165; R. c. Sideris, 2006 QCCA 1351).

 

[43] Ce sont ces paramètres qui peuvent induire le tribunal à écarter la suggestion commune (Poulin c. R., 2010 QCCA 1854; Paradis c. R., 2009 QCCA 1312; Leclaire c. R., 2006 QCCA 504)En somme, cette « politique judiciaire » maintenant avalisée par un imposant corpus jurisprudentiel postule qu'une suggestion commune ne doit pas être écartée « afin de ne pas discréditer un important outil contribuant à l'efficacité du système de justice tant criminelle que disciplinaire (Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52).

 

[44] Rien ne s'oppose à ce que les mêmes principe et démarche s'appliquent en droit disciplinaire comme l'affirme encore récemment la jurisprudence de notre tribunal [23].

 

(Nos soulignements)

 

[27]    Pour les motifs ci-après exprimés, le Comité considère que la suggestion commune des parties reflète adéquatement la gravité objective des infractions et les circonstances particulières du présent dossier;

 

[28]    D’autre part, elle tient compte de plusieurs facteurs atténuants dont l’intimé doit bénéficier, soit :

 

      L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité à la première occasion;

 

      Son absence d’intention malicieuse;

 

      Sa collaboration au processus disciplinaire;

 

      Son absence d’antécédents disciplinaires;

 

[29]    Par contre, pour des motifs humanitaires, vu l’état de santé précaire de son épouse et la perte d’autonomie de son père âgé, et la situation financière particulièrement difficile que cela entraîne pour l’intimé, le montant des amendes sera réduit, tel que suggéré par les parties, à une simple réprimande;

 

[30]    À cela s’ajoute le fait que «chaque cas est un cas d’espèce»[2], et dans les circonstances, la sentence est ajustée au cas très exceptionnel de l’intimé;

 

[31]    Pour l’ensemble de ces motifs, la recommandation commune des parties sera entérinée sans réserve par le Comité;

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’accusation nos. 1, 2 et 3 de la plainte et plus particulièrement comme suit :

Chef no. 1 : Pour avoir contrevenu à l’art. 58(14) du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q. c. D-9.2, r.4);

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures sur toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef no. 1;

Chefs nos. 2 et 3 : Pour avoir contrevenu à l’art. 59(12, devenu l’art. 58(14) du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q. c. D-9.2, r.4);

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures sur toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs nos. 2 et 3;

 

IMPOSE à l’intimé, les sanctions suivantes :

Chef no. 1 :       Une amende de 8 000 $;

Chef no. 2 :       Une amende de 8 000 $;

Chef no. 3 :       Une amende de 5 000 $;

 

RÉDUIT, pour des motifs humanitaires et de façon très exceptionnelle, le montant des amendes est réduit à une simple réprimande, le tout suivant le principe de la globalité des sanctions;

RECOMMANDE au Conseil d’administration de la Chambre de l’assurance de dommages d’imposer à l’intimé l’obligation de suivre et de réussir, dans un délai de 6 mois, le cours suivant :

UFC-07196 : « À l’avant-plan : ma responsabilité d’expert »

LE TOUT sans frais;

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

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Me Patrick de Niverville, avocat

Président du Comité de discipline

 

____________________________________

Mme Danielle Renaud, expert en sinistre

Membre du Comité de discipline

 

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Mme Louise Beauregard, expert en sinistre

Membre du Comité de discipline

Me Sylvie Poirier

Partie plaignante

 

Me Patrick Henry

Procureur de la partie intimée

 

Date de l’audience : 15 juillet 2014

 



[1]        Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5 (CanLII)

[2]     Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA), au para 37;

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