Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

Chambre de l’assurance de dommages

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2013-12-07 (C)

 

DATE :

26 juin 2014

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Marc-Henri Germain, C.d’A.A., A.V.A., courtier en

assurance de dommages

Membre

M. Brian Brochet, C.d’A. Ass., courtier en assurance de

Dommages

Membre

 

 

NICOLAS SEMENOFF

Partie plaignante

c.

GINETTE JODOIN, courtier en assurance de dommages

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

 

[1]       Le 27 mai 2014, le Comité de discipline se réunissait afin de procéder à l’audition de la plainte privée déposée par M. Nicolas Semenoff contre l’intimée Ginette Jodoin;

 

[2]       Cette plainte privée fut corrigée et amendée par le Comité de discipline et comporte maintenant 10 chefs d’accusation[1];

 

 

I.          La plainte

 

[3]       Pour les fins de la présente décision, il n’est pas utile de reproduire la teneur de la plainte privée vu les conclusions auxquelles arrive le Comité;

 

 

II.         Les parties

 

[4]        Lors de l’audition sur culpabilité, l’intimée était représentée par Me Annie-Claude Ménard;

 

[5]       De son côté, le plaignant privé, M. Semenoff, était absent et non représenté;

 

 

III.        Absence du plaignant privé

 

[6]       Malgré l’envoi d’un avis de convocation et de plusieurs courriels lui rappelant l’importance et la nécessité d’être présent, le plaignant privé a fait défaut de se présenter à l’audition du 27 mai 2014;

 

[7]       À cet égard, il convient de faire état des nombreux écrits qui ont été acheminés au plaignant privé et exigeant sa présence pour l’audition du 27 mai 2014 :

 

8 avril 2014 :   Signification de la décision[2] fixant l’audition sur culpabilité au 27 mai 2014

 

15 avril 2014 : Avis de convocation pour l’audition du 27 mai 2014

 

17 avril 2014 : Premier rappel par courriel

 

21 mai 2014 :  Deuxième rappel par courriel

 

 

[8]       Malgré ces nombreux rappels, M. Semenoff a fait défaut de se présenter à l’audition;

 

[9]       Mais il y a plus, la décision[3] du 7 avril 2014 comportait plusieurs paragraphes lui soulignant l’importance et la nécessité d’être présent à l’audition, tel qu’en font foi les extraits suivants :

 

[61]     Le Comité tient à rappeler au plaignant privé qu’il lui appartient de faire la preuve des infractions reprochées par le dépôt des documents pertinents et par le témoignage des personnes qu’il estime nécessaires pour établir le bien-fondé des accusations;

 

[62]     À cet égard, le Comité de discipline n’est pas habilité à agir au lieu et place du poursuivant, tel que le soulignait le Tribunal des professions dans l’affaire Tassé[4] :

[32] De plus, le Comité s'immisce dans l'appréciation de la preuve faite par le syndic et paraît vouloir jouer le rôle d'une partie.  En effet, puisque le syndic a conclu qu'il n'y a pas lieu d'assigner le professionnel, le Comité devrait soit le lui ordonner, soit l'assigner lui-même, encore une fois sans savoir si son témoignage est pertinent ou pourrait supporter la plainte, à moins qu'il ne le présume.  L'impartialité du Comité serait en cause dans de telles circonstances.

[33] Le Comité deviendrait alors juge et partie.  Même si l'article 143 du Code des professions lui permet de «recourir à tous les moyens légaux pour s'instruire des faits allégués», cela ne lui permet pas d'agir en lieu et place du poursuivant :

«Ce que l'appelant recherche par ses procédures disciplinaires et ce qu'il en attend, c'est que le Comité agisse comme s'il était une commission d'enquête pour trouver dans la multitude des documents, des éléments qui auraient pu constituer une preuve de la perpétration d'infractions.

Ce n'est pas ainsi que fonctionne le système.  C'est au plaignant qu'incombe le fardeau de prouver sa plainte par la production de témoins et d'exhibits qui soutiennent ses prétentions après qu'il se soit déchargé de son obligation de divulgation[11]

[34] Enfin, il pourrait être contraire aux droits de professionnel que de le forcer à témoigner lorsqu'aucune autre preuve n'est disponible.

 

[63]     Ainsi, la présence du plaignant lors de l’audition de la plainte est indispensable, à défaut de quoi, il pourra se voir débouté purement et simplement[5];

 

[64]     De plus, le droit de l’intimée à une défense pleine et entière comprend le droit inaliénable d’être confrontée à son accusateur et de le contre-interroger;

 

[65]     À cet égard, il est de mise de se référer aux enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Lyttle[6] :

 

1. Bien que le contre‑interrogatoire puisse souvent s’avérer futile et parfois se révéler fatal, il demeure néanmoins un ami fidèle dans la poursuite de la justice ainsi qu’un allié indispensable dans la recherche de la vérité.  Dans certains cas, il n’existe en effet aucun autre moyen de mettre au jour des faussetés, de rectifier une erreur, de corriger une distorsion ou de découvrir un renseignement essentiel qui, autrement, resterait dissimulé à jamais.

2. Voilà pourquoi le droit de l’accusé de contre‑interroger les témoins à charge — sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées — est un élément essentiel du droit à une défense pleine et entière.

 

(…)

 


41. Comme il a été mentionné au départ, le droit d’un accusé de contre‑interroger les témoins à charge, sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées, est un élément essentiel du droit à une défense pleine et entière.  Voir l’arrêt R. c. Seaboyer, 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577, p. 608, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) :

 

Le droit de l’innocent de ne pas être déclaré coupable est lié à son droit de présenter une défense pleine et entière.  Il doit donc pouvoir présenter les éléments de preuve qui lui permettront d’établir sa défense ou de contester la preuve présentée par la poursuite. [. . .] Bref, la dénégation du droit de présenter ou de contester une preuve équivaut à la dénégation du droit d’invoquer un moyen de défense autorisé par la loi.  [Nous soulignons.]

 

42. Dans l’arrêt R. c. Osolin, 1993 CanLII 54 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 595, le juge Cory a examiné la jurisprudence pertinente et, à la p. 663, il a expliqué pourquoi le contre‑interrogatoire joue un rôle aussi important dans le processus de débat contradictoire, particulièrement — mais évidemment pas seulement — dans les procès criminels :

 

Le contre‑interrogatoire a une importance incontestable.  Il remplit un rôle essentiel dans le processus qui permet de déterminer si un témoin est digne de foi.  Même lorsqu’il vise le témoin le plus honnête qui soit, il peut permettre de jauger la fragilité des témoignages.  Il peut servir, par exemple, à montrer le handicap visuel ou auditif d’un témoin.  Il peut permettre d’établir que les conditions météorologiques pertinentes ont pu limiter la capacité d’observation d’un témoin, ou que des médicaments pris par le témoin ont pu avoir un effet sur sa vision ou son ouïe.  Son importance ne peut être mise en doute.  C’est le moyen par excellence d’établir la vérité et de tester la véracité.  Il faut autoriser le contre‑interrogatoire pour que l’accusé puisse présenter une défense pleine et entière.  La possibilité de contre‑interroger les témoins constitue un élément fondamental du procès équitable auquel l’accusé a droit.  Il s’agit d’un principe ancien et bien établi qui est lié de près à la présomption d’innocence.  Voir les arrêts R. c. Anderson (1938), 70 C.C.C. 275 (C.A. Man.); R. c. Rewniak (1949), 93 C.C.C. 142 (C.A. Man.); Abel c. La Reine (1955), 23 C.R. 163 (B.R. Qué.); et R. c. Lindlau(1978), 40 C.C.C. (2d) 47 (C.A. Ont.).

 

43. Vu son importance, le droit de contre‑interroger est maintenant reconnu comme un droit protégé par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.  Voir l’arrêt Osolin, précité, p. 665.

 

[66]     Ainsi, en l’absence du plaignant, le Comité ne pourra pas accorder aucune foi à ses prétentions et celles-ci ne pourront être mises en preuve en violation du droit de l’intimée de contre-interroger le plaignant, de même que les auteurs des différents documents qu’il entend déposer;

[67]     Cela étant dit, le Comité tient à souligner que seuls les chefs d’accusation qui auront fait l’objet d’une preuve claire, nette et convaincante pourront être retenus contre l’intimée;

 

[68]     D’autre part, l’intimée a droit à une défense pleine et entière et pourra donc demander le rejet des chefs par tous les moyens de faits et de droit applicables en semblable matière et plus particulièrement, en raison de l’absence du plaignant, si ce dernier choisit de ne pas se présenter pour l’audition de la plainte;

 

 

[10]    Finalement, le 24 mai 2014, le plaignant faisait parvenir un courriel au greffe de la CHAD informant le Comité qu’il n’avait pas l’intention de se présenter à l’audition sur culpabilité vu sa situation financière précaire;

 

[11]    M. Semenoff ajoutait qu’il s’en remettait au témoignage qu’il avait déjà fait dans un autre dossier;

 

 

IV.       Analyse et décision

 

[12]    Le présent Comité ne peut que reprendre, vu leur pertinence, les propos d’un autre comité[7] ayant rejeté une plainte antérieure de M. Semenoff pour les mêmes motifs :

 

 

[ 40 ]  Étant donné que M. Semenoff ne souhaite pas venir à Montréal, il propose que sa preuve soit déposée au dossier du Comité et que l’intimé, une fois la preuve déposée, vienne en quelque sorte s’expliquer devant le Comité.

 

[ 41 ]  Comme le Comité mentionnait dans une lettre transmise à M. Semenoff le 17 décembre 2013, le Comité ne peut procéder de cette manière.  

 

[ 42 ]  Le droit à une défense pleine et entière de M. Marcoux exige que le plaignant soit présent dans la salle d’audience pour y être contre-interrogé. Le plaignant doit aussi témoigner devant le Comité afin que ce dernier puisse évaluer sa crédibilité.

 

[ 43 ] Au surplus, l’article 2803 du Code civil du Québec prévoit ce qui suit :

« Art. 2803Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »

(nos soulignements)

 

[ 44 ]   Ce principe fondamental veut que le fardeau de la preuve appartienne à celui qui invoque un droit.

 

[ 45 ]   Sauf exception, ce fardeau est déchargé lorsque la preuve produite rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence[6].

[ 46 ]  Pour ce faire, une preuve doit être présentée au Comité.

 

[ 47 ]  Cela étant, les pièces que M. Semenoff a communiquées à l’intimé, et particulièrement son interrogatoire statutaire tenu par le procureur de la Compagnie d’assurance Lloyd’s en date du 15 septembre 2011, ne peuvent faire preuve de leur contenu devant le Comité puisque l’intimé serait alors privé de son droit strict de contre-interroger le déposant, soit M. Semenoff.

 

[ 48 ]  Il en va de même pour les autres pièces documentaires que le plaignant voudrait introduire en preuve sans autre formalité.

 

[ 49 ]  Le Comité ne peut faire droit à cette demande du plaignant. Elle sera donc

rejetée.

 

          (Nos soulignements)

 

 

[13]    En conséquence, vu l’absence du plaignant privé, aucune preuve testimoniale ou documentaire ne fut présentée au soutien de la plainte;

 

[14]    Dans les circonstances, le Comité n’a d’autre choix que d’acquitter, purement et simplement, l’intimée de tous les chefs d’accusation qui lui sont reprochés;

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

REJETTE la plainte privée;

ACQUITTE l’intimée de tous les chefs d’accusation;

CONDAMNE le plaignant privé, M. Nicolas Semenoff, au paiement de tous les déboursés.

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du Comité de discipline

 

____________________________________

M. Marc-Henri Germain, C.d’A.A., A.V.A., courtier en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

 

____________________________________

M. Brian Brochet, C. d’A. Ass., courtier en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

M. Nicolas Semenoff (absent)

Partie plaignante

 

Me Annie-Claude Ménard

Procureure de la partie intimée

 

Date de l’audience : 27 mai 2014

 



[1]        Semenoff c. Jodoin, 2014 CanLII 22643 (QC CDCHAD);

[2]        Op. cit., note 1, voir les conclusions de la décision;

[3]    Ibid.;

[4]    Tassé c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des), 2001 QCTP 74 (CanLII);

[5] Osman c. Médecins [1994] D.D.C.P. 257 (T.P.), à la p. 263;

[6] R. c. Lyttle, 2004 CSC 5 (CanLII);

[7]    Semenoff c. Marcoux, 2014 CanLII 22649 (QC CDCHAD);

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