Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

Chambre de l’assurance de dommages

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2013-12-07 (C)

 

DATE :

7 avril 2014

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Marc-Henri Germain, C.d’A.A., A.V.A., courtier en

assurance de dommages

Membre

M. Brian Brochet, C.d’A. Ass., courtier en assurance de

dommages

Membre

 

 

NICOLAS SEMENOFF

Partie plaignante

c.

GINETTE JODOIN, courtier en assurance de dommages

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR LA REQUÊTE EN REJET D’UNE PLAINTE PRIVÉE

 

 

 

[1]       Le 28 mars 2014, le Comité de discipline se réunissait afin de procéder à l’audition d’une requête en rejet présentée par l’intimée à l’encontre de la plainte privée déposée par M. Nicolas Semenoff;

 

[2]       Cette plainte, qui comporte seize (16) pages, décrit les événements qui ont fait suite à une réclamation d’assurance présentée par M. Semenoff à son assureur Lloyd’s relativement à un sinistre qui serait survenu le 27 avril 2011;

 

[3]       La partie intimée représentée par Me Annie-Claude Ménard demande le rejet de cette plainte privée pour divers motifs, mais principalement en raison de la rédaction défectueuse de ladite plainte;

 

[4]       Le plaignant privé conteste par écrit cette requête en s’appuyant notamment sur une décision rendue par une autre division du Comité de discipline, alors présidée par Me Daniel M. Fabien[1];

 

[5]       Avant d’aborder ces questions juridiques, il convient de faire état de l’absence du plaignant privé lors de l’audition du 28 mars 2014;

 

 

 

 

 

 

I.          L’absence du plaignant

 

[6]       Le 6 février 2014, le Comité de discipline tenait une conférence de gestion en prévision de l’audition de la présente requête en rejet;

 

[7]       Au cours de cette conférence de gestion tenue par voie téléphonique, il fut convenu :

 

                        que l’intimée devait produire sa requête en rejet dans un délai de 30 jours;

 

                        que le plaignant bénéficiait d’un délai de 15 jours pour répondre à ladite requête;

 

                        que l’audition de la requête serait fixée au 28 mars 2014;

 

 

[8]       Il convient de souligner que cette date d’audition fut fixée de concert avec le plaignant privé, lequel a mentionné n’envisager aucun problème pour être présent à Montréal à cette date, puisqu’il avait déjà prévu y être le 26 mars 2014 pour un autre dossier;

 

[9]       Pour plus de prudence, une lettre fut acheminée au plaignant privé le 21 mars 2014 lui rappelant son engagement d’être présent à Montréal pour l’audition prévue pour le 28 mars 2014;

 

[10]    À la même date, celui-ci répondit au Président soussigné pour l’informer qu’il serait absent en raison d’un problème de renouvellement de son passeport;

 

[11]    Par la même occasion, il invitait le Comité soit à remettre l’audition, soit à trancher la requête en rejet en se fondant uniquement sur les pièces produites et sur sa réponse écrite;

 

[12]    Dans les circonstances, la demande de remise fut rejetée séance tenante, et il fut alors décidé de procéder « sur pièces seulement » tel que suggéré par le plaigant privé;

 

 

 

 

 

 

II.         Argumentation

 

A)   Par l’intimée-requérante

 

[13]    Me Ménard, pour et au nom de l’intimée, plaide l’irrecevabilité de la plainte privée pour les motifs suivants :

 

                        Ladite plainte est abusive, frivole et manifestement mal fondée;

 

                        Le texte de la plainte est incompréhensible, inintelligible et incohérent;

 

[14]    À son avis, l’imprécision de la plainte porte atteinte au droit à une défense pleine et entière de l’intimée, d’où la nullité de celle-ci;

 

[15]    À cela s’ajoute le fait que le plaignant a déjà été déclaré plaideur quérulent par la Cour supérieure[2];

 

[16]    Enfin, elle plaide le caractère totalement irrecevable des dommages-intérêts réclamés, lesquels ne relèvent pas de la compétence du Comité de discipline;

 

[17]    À l’appui de ses prétentions, Me Ménard dépose les autorités suivantes :

 

                        Richer c. Tribunal des professions, 2014 QCCS 254;

 

                        Cloutier c. Sauvageau, 2004 QCTP 005;

 

                        Langlois c. Geary, 1998 QCTP 1694;

 

                        Crevier c. Racicot, 2011 QCCBQ 36;

 

 

[18]    L’intimée demande donc le rejet pur et simple de ladite plainte privée;

 

 

B)   Par le plaignant-intimé

 

[19]    Dans sa réponse produite à l’encontre de la requête en rejet, le plaignant privé prend appui sur la décision rendue dans l’affaire Semenoff c. Marcoux[3] et plus particulièrement sur les passages suivants :

 

[ 19 ] Le Comité considère que le contexte de la présente plainte diffère totalement de la situation qui prévalait en Cour supérieure lorsque le juge Auclair a rendu sa décision déclarant le plaignant plaideur quérulent.

[ 20 ] En effet, au Québec, les professionnels œuvrant dans le domaine de l’assurance sont encadrés par la Loi sur la distribution de produits et services financiers. Cette loi et les règlements adoptés en vertu de celle-ci, dont le Code de déontologie des experts en sinistre, ont pour unique raison d'être la protection du public.

[ 21 ] Cet encadrement législatif et règlementaire vise notamment à prévenir tout préjudice qui pourrait être causé à un assuré. Dans le contexte d’une instance disciplinaire et plus particulièrement en l’espèce, le Comité a le devoir de s’assurer que le public est protégé et que l’intimé a droit à une défense pleine et entière.  

[ 22 ] La Comité fonde son raisonnement sur le jugement rendu par le Tribunal des professions dans Landry c. Rondeau[4]. Dans cette affaire, devant le Conseil de discipline du Barreau, l’avocat Landry a vu sa plainte privée rejetée sommairement par le président suppléant en vertu de l’article 143.1 du Code des professions.

[ 23 ] Voici ce que le Tribunal des professions écrit sur la question principale soulevée par le pourvoi, soit le caractère bien fondé ou non du rejet sommaire de la plainte en vertu de l’article 143.1 du Code des professions :

« [22] L'article 143.1 permet à une partie de demander au président du Conseil, à titre préliminaire, de qualifier une plainte de manifestement mal fondée, frivole ou abusive et d'en obtenir le rejet ou de l'assujettir à des conditions.

[23] Ce mécanisme représente l'un des filtres prévus par le législateur pour limiter les poursuites déontologiques qui ne reposent sur aucun fondement et qui nuisent, tant au professionnel, qu'à l'administration de la justice, si elles ne sont pas interrompues de façon précoce dans le processus judiciaire. La témérité de certains plaignants peut également être réfrénée par la possibilité d'une condamnation aux déboursés, en cas de rejet de la plainte d'un plaignant privé, si le professionnel est acquitté de tous les chefs de la plainte et que le Conseil juge la plainte abusive, frivole ou manifestement mal fondée, suivant l'article 151, alinéa 2 du Code.

[24] L'article 143.1 est ainsi libellé :

143.1. Le président du conseil ou le président suppléant peut, sur requête, rejeter une plainte qu'il juge abusive, frivole ou manifestement mal fondée ou l'assujettir à certaines conditions.

[25] Ce pouvoir dévolu au président du Conseil est analogue à celui exercé par les tribunaux de droit commun qui permet de sanctionner les abus de procédure, en vertu de l'article 54.1 du Code de procédure civile (C.p.c.). Cette disposition vise à prévenir l'utilisation abusive des tribunaux et favorise le respect de la liberté d'expression en proscrivant, entre autres, les poursuites – bâillons.

[26] Certes, l'article 54.1 C.p.c. confère des pouvoirs plus larges d'intervention que l'article 143.1 du Code, mais les critères jurisprudentiels développés, concernant l'interprétation de la notion d'abus et de procédure manifestement mal fondée, sont pertinents. Il en est de même de la jurisprudence développée sous l'ancien article 75.1 C.p.c. qui utilisait la même terminologie que l'article 143.1 du Code.

[27] Cette jurisprudence permet de dégager certains paramètres pour l'application de la sanction de rejet dans le cadre d'une procédure sommaire. Dans Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation, la Cour d'appel rappelle la nécessité d'agir avec une grande prudence à l'égard d'une demande de rejet à une étape préliminaire des procédures. Ce n'est qu'en présence d'une situation manifeste d'abus que ce pouvoir peut être utilisé. Plusieurs décisions de la Cour d'appel du Québec ont réitéré ce principe. Dès qu'une preuve contradictoire est possible, l'affaire doit être tranchée après avoir entendu l'ensemble de la preuve.

[28] La preuve soumise devant le président suppléant, notamment l'extrait des notes sténographiques d'une audition tenue devant le juge Michel Richard, J.C.S. le 1er juin 2005, démontre que des témoins affirment que les propos ont été prononcés par l'intimé.

[29] À cet égard, le président suppléant considère ces témoignages au paragraphe [89] de la décision :

« L'examen des témoignages des clients et témoins de l'incident présumé est loin de répondre à ces exigences de sérieux, de clarté et de forte probabilité. »

[30] Avec égard, le rôle du président suppléant à cette étape des procédures n'était pas d'évaluer la preuve et de se prononcer sur l'absence de forte probabilité. La tâche de trancher la plainte et de déterminer si le plaignant parviendra à atteindre le degré de preuve pour conclure à une faute déontologique appartient au conseil de discipline qui entendra l'ensemble de la preuve. »

(Nos soulignements)

[ 24 ] Plus loin dans ce jugement du Tribunal des professions, la Cour nous réfère à l’arrêt Guimont c. RNC Média inc. (CHOI-FM)[5] dans lequel la Cour d’appel du Québec se prononce sur l’incidence de recours multiples initiés par un justiciable qui ont été rejetés dans le cadre d’une requête pour rejet fondée sur l’article 54.1 C.p.c.

[ 25 ] Ci-après l’extrait pertinent :

« [17] Il est vrai que l'appelant a intenté de nombreux recours depuis 2001 et qu'aucun n'a été accueilli. Il faut toutefois préciser qu’une première poursuite contre la Ville de Québec l’a été en raison de la courte prescription qui s’applique aux municipalités, alors que celle contre la personne qui a porté plainte contre lui pour agression sexuelle, en 2001, a simplement été abandonnée puisqu’elle a fait cession de ses biens. De toute façon, le fait que des recours aient préalablement échoué n'a pas pour effet que celui qui est l'objet du présent appel est automatiquement manifestement mal fondé. »

(Nos soulignements)

[ 26 ] Le Comité est d’avis que le principe émis par la Cour d’appel dans l’arrêt susdit s’applique intégralement à la présente affaire et que la prudence exige que la plainte de M. Semenoff ne soit pas rejetée sommairement au motif que des recours fondés sur les mêmes faits ont préalablement été rejetés par la Cour supérieure.

[…]

 

[ 43 ] Bref, le Comité conserve juridiction pour se prononcer sur la question à savoir si des manquements déontologiques ont été commis, même si certaines demandes de M. Semenoff excèdent sa compétence.

[ 44 ] En conséquence, le Comité considère qu’il a compétence pour entendre la plainte telle que ci-dessus divisée.

[20]    Fort de cette décision, le plaignant privé demande le rejet de la requête présentée par l’intimée;

 

 

III.   Analyse et décision

 

A)   Les principes généraux

 

[21]    Tel que le rappelait la Cour d’appel dans l’affaire Tremblay c. Dionne[4], le droit disciplinaire est un droit sui generis et, en conséquence, la faute déontologique s’analyse comme la violation de principes de moralité et d’éthique propres à un milieu et issus de l’usage et des traditions;

 

[22]    Essentiellement, la Cour d’appel définit la faute déontologique comme suit :

 

42. D’abord, le droit disciplinaire est un droit sui generis qui obéit à ses propres règles, empruntées parfois au droit pénal, parfois au droit civil. En droit disciplinaire, la faute s’analyse comme la violation de principes de moralité et d’éthique propre (sic) à un milieu et issue (sic) de l’usage et des traditions. Ensuite, les lois d’organisation des ordres professionnels sont des lois d’ordre public, politique et moral ou de direction qui doivent s’interpréter en faisant primer les intérêts du public sur les intérêts privés. Ainsi, pour analyser le comportement de l’intimé sur le plan déontologique, il faut se reporter non seulement à la Loi sur les ingénieurs précitée, mais aussi aux normes contenues au C.D.I. adoptées conformément à l’article 87 du Code des professions. Ces normes s’inscrivent dans l’objectif de protection du public prévu à l’article 23 de ce Code et visent à maintenir un standard professionnel de haute qualité. Conformément à cet objectif, ces textes législatifs et réglementaires ont préséance sur les termes d’un contrat ou d’une règle ou pratique administrative et doivent recevoir une interprétation large. Les normes déontologiques ne visent pas à protéger l’ingénieur, mais bien le public.

(nos soulignements)

 

[23]    D’ailleurs, dès 1992, la Cour d’appel tenait le même discours dans l’affaire Béliveau[5], et ce, dans les termes suivants :

 

(…), le droit disciplinaire est un droit sui generis et c’est un tort que de vouloir à tout prix y introduire la méthodologie, la rationalisation et l’ensemble des principes du droit pénal. Une plainte devant un comité de discipline n’est pas une procédure criminelle ou quasi criminelle. La faute professionnelle pour sa part n’est pas non plus la faute criminelle et il n’est donc pas nécessaire, à mon avis, que les textes d’infractions disciplinaires soient rédigés avec la précision formaliste et rigoriste des textes de nature pénale. L’article 107 est bel et bien constitutif d’une infraction disciplinaire qui est de poser un acte contraire à l’honneur et à la dignité de la profession. Il a été rédigé, par le législateur, de façon à introduire une nécessaire souplesse dans l’appréciation que pourra faire le comité de discipline (qui, est-il besoin de le rappeler, est un comité de pairs) de la conduite des membres du Barreau. Cette souplesse est d’ailleurs indispensable à un contrôle efficace d’une profession qui fait de tous ses membres des auxiliaires de la justice. Les règles de déontologie, et donc les textes qui indiquent les conduites considérées comme contraires à l’éthique, n’ont pas besoin d’énumérer de façon restrictive toutes et chacune des fautes disciplinaires potentielles[6].

 

(nos soulignements)

 

 

[24]    Par ailleurs, la Cour d’appel avait exprimé la même idée en 1975 dans Béchard c. Roy[7];

 

[25]    Enfin, on ne peut définir la faute déontologique sans parler du jugement de la Cour suprême dans l’affaire Ruffo[8] et, plus particulièrement, du passage suivant des notes de M. le juge Gonthier :

 

[111] On ne peut, en somme, exiger plus de précision à l’endroit de la règle de déontologie que celle à laquelle sa matière se prête. Ceci, en soi, ne porte aucunement atteinte au principe qui veut que le professionnel dont la conduite est en cause soit en mesure de connaître, outre les faits précis qu’on lui reproche, la substance de la norme à laquelle on prétend qu’il a contrevenu.

 

[26]    En résumé, la faute déontologique est surtout caractérisée par son absence de précision puisqu’elle doit s’analyser comme une violation de principes généraux de moralité et d’éthique professionnelle;

 

[27]    D’ailleurs, les tribunaux ont reconnu, en droit disciplinaire, l’existence de règles plutôt souples dans la rédaction d’une plainte, allant même jusqu’à affirmer que celle-ci est dénuée de tout formalisme[9];

 

[28]    Ainsi, une simple lettre peut constituer une plainte disciplinaire[10];

 

 

[29]    D’autre part, il n’existe pas de formule sacramentelle pour la rédaction d’une plainte; il suffit que le professionnel soit en mesure de savoir de quoi il est accusé afin qu’il puisse se défendre adéquatement[11];

 

 

B)   L’examen de la plainte privée

 

[30]    Il y a lieu de rappeler que la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q. c. P-9.2) est une loi d’ordre public[12];

 

[31]    Quant au rôle dévolu au Comité de discipline et à la CHAD, il convient de citer certains extraits de la Cour d’appel dans l’arrêt Chauvin c. Beaucage[13] :

 

[55] Il faut reconnaître le caractère spécialisé du Comité de discipline à qui la loi confie le mandat de trancher les plaintes et d'imposer les sanctions le cas échéant.  Cette fonction s'exerce dans un but précis :  toute Chambre doit assurer la protection du public par un mécanisme d'autodiscipline et de déontologie.

 

(…)

 

[80] À l'instar de toutes les corporations professionnelles, la Chambre de l'assurance de dommages a comme mission d'assurer la protection du public par le maintien de la discipline de ses membres (art. 312 L.d.p.s.f.).

[81] À titre d'organisme d'autoréglementation, cette Chambre a adopté un Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.  Les deux premiers articles de ce Code porte que :

SECTION I

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

1. Les dispositions du présent code visent à favoriser la protection du public et la pratique intègre et compétente des activités du représentant en assurance de dommages.

Dans le présent code, on entend par « représentant en assurance de dommages » l'agent en assurance de dommages et le courtier en assurance de dommages.

2. Le représentant en assurance de dommages doit s'assurer que lui-même, ses mandataires et ses employés respectent les dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (1998, c. 37) et celles de ses règlements d'application.

[82] La L.d.p.s.f. peut être assimilée à une loi d'organisation des ordres professionnels.  Elle contient des dispositions qui sont d'ordre public de direction.  Toute interprétation doit faire primer les intérêts du public sur les intérêts privés.

 (références omises)

 

(nos soulignements)

 

 

[32]    Cela dit, puisque l’objectif de la Loi vise le maintien de l’honneur et de la dignité des représentants en assurance de dommages, le Comité est d’avis, dans les circonstances, que la plainte privée doit être examinée avec souplesse et non avec le rigorisme du droit pénal ou criminel;

 

[33]    Évidemment, cette analyse doit se faire dans le plus grand respect du droit à une défense pleine et entière de l’intimé[14];

 

 

 

[34]    Ainsi, il est vrai que la plainte déposée par M. Semenoff contient une multitude de griefs formulés de façon pêle-mêle contre l’intimée, le tout entrelacé de récriminations contre son expert en sinistre[15] et son assureur[16];

 

[35]    Par contre, une lecture attentive de celle-ci permet d’y déceler plusieurs infractions disciplinaires clairement alléguées contre l’intimée;

 

[36]    Au risque de nous répéter, rappelons qu’une simple lettre peut constituer une plainte disciplinaire[17];

 

[37]    De plus, tel que le soulignait le Tribunal des professions dans l’affaire Ricard c. Médecins[18], le Comité de discipline a l’obligation de modifier la plainte plutôt que de tenter d’annuler celle-ci :

 

[32] D'ailleurs, même en droit pénal, les règles se sont assouplies.  C'est ce que nous enseigne la Cour suprême dans R. c. Moore[15]:

"Depuis l'adoption de notre Code en 1892, du fait de la jurisprudence et des modifications ponctuelles apportées à l'art. 529 et aux articles qui l'ont précédé, l'obligation pour les juges d'annuler les actes d'accusation s'est graduellement transformée en une obligation de les modifier; le juge ne conserve en effet qu'un pouvoir discrétionnaire restreint pour annuler.

(…)

Mais si l'acte d'accusation est seulement annulable, le juge a la compétence pour le modifier.  Même l'omission d'énoncer un élément essentiel de l'infraction (…) n'est pas fatale; en fait, beaucoup s'en faut puisque l'article prescrit que le juge «doit» modifier l'acte d'accusation.

Selon moi, voici ce que l'art. 529. interprété dans son intégralité, prescrit au juge du procès: en l'absence d'une nullité absolue et sous réserve de certaines restrictions énoncées au par. (9), le juge a des pouvoirs très étendus pour corriger tout vice d'une accusation en la modifiant; si le vice qui doit être corrigé au moyen d'une modification a induit l'accusé en erreur ou lui a causé un préjudice dans sa défense, le juge doit alors déterminer si l'erreur ou le préjudice peut être corrigé par un ajournement.  Dans l'affirmative, il doit modifier, ajourner et ensuite reprendre le procès.  Toutefois, si la modification nécessaire ne peut être apportée sans qu'une injustice soit commise, alors, et alors seulement, le juge doit rendre une ordonnance d'annulation."

(référence omise)

(nos soulignements)

 

[38]    D’ailleurs, cette façon de faire fut confirmée par la Cour d’appel dans l’arrêt Brunet c. Comité de discipline du Barreau du Québec[19] dans les termes suivants :

 

 [8] Le premier juge a ensuite identifié les reproches auxquels doit faire face l'appelant comme suit :

La division en quatre (4) chefs de la plainte, énoncée par le Comité de discipline, réfère à des notions claires, conflit d'intérêt, fausse représentation, négligence à donner suite et moyens dilatoires à l'endroit de l'ex-cliente, ici la mise en cause. Les faits énoncés situent les circonstances. La simple lecture permet de les rattacher vraiment sans hésitation à des énoncés réglementaires et déontologiques ou à des textes du Code des professions, de la Loi et des règlements du Barreau, et du Code de déontologie des avocats. Il est difficile alors de parler d'une plainte informe.

[9] En l'espèce donc, nous sommes d'avis que le juge n'a pas commis d'erreur en constatant qu'il n'y avait pas une réelle violation au principe d'une défense pleine et entière et qu'il devait, en conséquence, rejeter la demande de révision judiciaire.

(nos soulignements)

 

[39]    À cet égard, il convient de réitérer les propos de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Moore[20] :

 

60. Depuis l'adoption de notre Code en 1892, du fait de la jurisprudence et des modifications ponctuelles apportées à l'art. 529 et aux articles qui l'ont précédé, l'obligation pour les juges d'annuler les actes d'accusation s'est graduellement transformée en une obligation de les modifier; le juge ne conserve en effet qu'un pouvoir discrétionnaire restreint pour annuler. Évidemment, si l'acte d'accusation est entaché de nullité absolue, ce qui peut se produire dans les conditions clairement énoncées par le Juge en chef dans ses motifs, il n'y a aucun remède car cela porte atteinte à la compétence même du juge. En pareil cas, la doctrine d'autrefois acquit n'empêche jamais de porter de nouveau l'accusation parce que l'accusé n'a jamais été mis en péril et que l'annulation de l'acte d'accusation était due à un défaut de compétence. En outre, lorsqu'une accusation est portée de nouveau devant un juge, le même ou un autre, l'accusé sera mis en péril pour la première fois devant un juge ayant compétence relativement à l'accusé et à la matière du procès. L'acquittement n'avait aucun objet et, partant, il n'y avait pas d'"autrefois", vu l'absence d'une infraction, et pas d'"acquit", vu l'absence de compétence pour acquitter ou déclarer coupable. Mais si l'acte d'accusation est seulement annulable, le juge a la compétence pour le modifier. Même l'omission d'énoncer un élément essentiel de l'infraction (et je parle ici du sous‑al. 529(3)b)(i)) n'est pas fatale; en fait, beaucoup s'en faut puisque l'article prescrit que le juge "doit" modifier l'acte d'accusation.

 

(nos soulignements)

 

[40]    Fort de ces principes, le Comité estime qu’il y a lieu de circonscrire et de reformuler les infractions reprochées à l’intimée dans la plainte privée déposée par M. Semenoff;

 

C)   Les véritables infractions

 

[41]    Une lecture attentive de la plainte privée a permis au Comité de discipline d’identifier les infractions suivantes :

 

Chef no.1 :

 

À compter du 27 avril 2011, a fait défaut d’assurer un suivi adéquat du dossier de son client, le tout contrairement aux articles 9, 37(1) et 37(4) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no.2 :

 

À trois reprises, soit le 28 juin 2011, le 5 juillet 2011 et le 28 août 2011, a fait défaut de conseiller son client, eu égard à la position adoptée par l’expert en sinistre, le tout contrairement à l’article 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no. 3 :

 

Le ou vers le 18 juillet 2011, n’a pas traité de façon satisfaisante la plainte contre Univesta en n’ayant pas répondu dans les 10 jours de la réception de la plainte, le tout contrairement aux articles 8, 9, 37(1) et 37(4) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no. 4 :

 

Le ou vers le 1er septembre 2011, a fait défaut de remettre à son client ses documents en vue de l’interrogatoire prévu pour le 15 septembre 2011, le tout contrairement aux articles 13, 25 et 26 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no. 5 :

 

Le ou vers le 22 novembre 2011, en refusant de considérer les factures retrouvées de son téléviseur avant de procéder à la fermeture de son dossier, le tout contrairement aux articles 9 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no. 6 :

 

Entre le 9 mars 2011 et le 26 juin 2011, en annulant sans motif valable l’assurance Ferme Équestre, le tout contrairement aux articles 9 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

 

 

Chef no. 7 :

 

Entre mars 2011 et juin 2011, en refusant de se déplacer au ranch du client, malgré les nombreuses demandes de celui-ci, le tout contrairement aux articles 8, 9 et 26 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no.8 :

 

Le ou vers le 28 juin 2011, pour avoir fait défaut de répondre aux questions de son client concernant le contrat d’assurances, le tout contrairement à l’article 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no.9 :

 

Entre 2010 et 2011, en ayant fait des fausses représentations au client quant au véritable assureur au contrat, le tout contrairement aux articles 15 et 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no.10 :

 

Entre 2010 et 2011, en refusant de remettre à son client le rapport d’inspection de la première visite pour assurer le bien, le tout contrairement aux articles 13, 25 et 26 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

[42]    En conséquence, l’audition de la plainte portera sur les 10 chefs d’accusation ci-haut mentionnés;

 

 

D)   Les dommages réclamés

 

[43]    En plus des nombreux griefs formulés contre l’intimée, le plaignant privé réclame divers dommages et intérêts;

 

[44]    Il y a lieu de souligner que le Comité de discipline ne détient aucune compétence lui permettant d’octroyer des dommages-intérêts[21] ou des dommages exemplaires[22];

 

[45]    Pour ces motifs, le Comité se déclare sans compétence pour se prononcer sur les réclamations monétaires alléguées à la plainte privée;

 

 

E)   Plaideur Quérulent

 

[46]    L’intimée, dans le cadre de sa requête en rejet de la plainte, allègue aux paragraphes 13 à 16 que le plaignant abuse du système de justice et qu’il est un plaideur quérulent;

 

[47]    À l’appui de ses prétentions, elle cite le jugement rendu par l’honorable juge Auclair, j.c.s. dans l’affaire Semenoff c. Lloyd’s of London Assureur[23] et plus particulièrement le paragraphe 43 de ce jugement, lequel se lit comme suit :

 

[43] Le Tribunal conclut que M. Semenoff a démontré sa quérulence et que les articles 84 des Règles de pratique doivent s’appliquer. De plus, le Tribunal a constaté également – par l’autre affaire de l’Agence du Revenu – que la déclaration de quérulence doit s’appliquer à l’égard de toutes les causes que M. Semenoff voudrait introduire, de quelques natures qu’elles soient.

 

(nos soulignements)

 

[48]    Or, de l’avis du Comité, le paragraphe 43 doit être lu en corrélation avec les conclusions du jugement :

 

[60] DÉCLARE le demandeur Nicolas Semenoff plaideur quérulent au sens de l’article 84 du Règlement de procédure civile de la Cour supérieure;

[61] ORDONNE à Nicolas Semenoff et à tout représentant de ne pas déposer – directement ou indirectement – quelque procédure ou demande en justice au greffe de la Cour supérieure sans avoir obtenu au préalable l’autorisation écrite du juge en chef du tribunal ou de tout autre juge désigné par lui;

[62] ORDONNE à Nicolas Semenoff et à tout représentant de ne pas déposer – directement ou indirectement quelque procédure ou demande en justice au greffe de la Cour du Québec sans avoir obtenu au préalable l’autorisation écrite du juge en chef du tribunal ou de tout autre juge désigné par lui;

[63] ORDONNE l’exécution provisoire nonobstant appel.

(nos soulignements)

 

[49]    Ainsi, il est clair que la déclaration de plaideur quérulent ne s’applique qu’aux procédures entreprises devant la Cour supérieure ou la Cour du Québec;

 

[50]    Mais il y a plus, peut-on vraiment qualifier le plaignant privé de plaideur quérulent, alors que la présente plainte constitue la seule et unique plainte disciplinaire qu’il a déposée contre l’intimée;

 

[51]    Qui plus est, aucune des conclusions de la requête en rejet de la plainte ne demande que le plaignant soit déclaré nommément « plaideur quérulent »;

 

[52]    Enfin, il est important de souligner qu’une telle ordonnance ne s’applique pas à tous les paliers du système de justice, sans distinctions et nuances;

 

[53]    Ainsi, dans l’affaire Nguyen[24], on peut lire :

 

Abus de procédure

[32] Le procureur des intimés a demandé au tribunal de déclarer que M. Nguyen est une partie quérulente et que, par conséquent, il devrait être soumis aux dispositions des articles 54 et suivants du Code de procédure civile.

[33] La Cour d'appel a déjà établi que la quérulence s'évalue devant le tribunal qui doit la prononcer :

[…] for the conduct of a litigant to be determined to be quarrelsome in this Court, there have to have been vexatious proceedings or the exercise of rights in an excessive or unreasonable manner in this Court.[7]

 

[54]    En l’espèce, il est prématuré de déclarer le plaignant privé comme étant un plaideur quérulent, alors qu’actuellement, son seul et unique geste consiste à avoir déposé une plainte disciplinaire contre l’intimée, sans compter que la requête en rejet de la plainte ne contient aucune conclusion spécifique à cet égard;

 

[55]    Pour ces motifs, le Comité, à ce stade-ci des procédures, ne se prononcera pas sur cette question;

 

 

IV.  Partie non représentée

 

A)   Assistance

 

[56]    Avant de clore la présente décision, le Comité estime qu’il convient de rappeler les diktats de la Cour d’appel lorsqu’un justiciable n’est pas représenté par avocat dans le cadre d’une procédure disciplinaire, soit l’affaire Ménard c. Gardner[25] :

 

[58] On doit d'abord constater que l'audience devant le comité ne s'est pas déroulée sans heurts. Une partie de ceux-ci viennent du fait que l'appelant ne se présente pas sous un jour particulièrement sympathique, connaît mal les règles applicables au cheminement d'une telle audience et à l'administration de la preuve, ne comprend pas toujours les explications qu'on lui donne et insiste sur des choses qui ne paraissent pas particulièrement pertinentes. Or, ainsi que le signalent notre cour dans Deschênes c. Valeurs mobilières Banque Laurentienne[30] ainsi qu'Azar c. Concordia University[31] et la Cour d'appel fédérale dans Bérubé, précité, celui qui choisit d'agir sans avocat doit en assumer les inconvénients et ne peut ordinairement pas se plaindre des conséquences de sa méconnaissance du droit, incluant les règles de preuve et de procédure, du moins lorsqu'il a reçu l'aide que le tribunal doit lui apporter.

[59] Car, en effet, le principe de la responsabilité du justiciable qui n'est pas représenté par avocat est tempéré par le devoir d'assistance qui incombe alors au tribunal devant lequel il comparaît. Celui-ci, en effet, doit en pareil cas assister le justiciable en lui fournissant certaines explications sur le processus et les manières de faire. Le tribunal, il va sans dire, n'a pas à jouer auprès du justiciable le rôle que jouerait l'avocat, il n'a pas à le conseiller et ne peut le favoriser; il ne peut alléger son fardeau de preuve, le dispenser de ses obligations ou faire le travail à sa place; il n'a pas non plus à lui donner un cours de droit substantif ou de procédure. Son intervention consiste simplement à l'instruire de l'essentiel, à le guider de manière générale, et ce, lorsque le besoin s'en fait sentir (l'intensité de ce devoir d'assistance peut donc varier, car tous les justiciables ne sont pas également démunis devant la justice et prétendre le contraire serait faire injure à leur intelligence).

[60] Cela dit – et, en vérité, cela va sans dire –, le tribunal, dans l'accomplissement de ce devoir d'assistance limité, doit bien sûr se garder d'induire le justiciable en erreur. Sans agir comme le protecteur du justiciable non représenté, il doit aussi, dans la mesure du possible, s'assurer que la partie adverse, si elle est elle-même représentée par avocat, ne profite pas indûment de cet avantage.

(références omises)

 

(nos soulignements)

 

 

B)   Fardeau de la preuve

 

[57]    Compte tenu que le plaignant privé n’est pas représenté par avocat, le Comité considère que celui-ci doit être informé du fardeau de preuve qui lui incombe suivant les enseignements du Tribunal des professions dans l’arrêt Vaillancourt[26] :

 

[62] En matière disciplinaire, il est établi depuis longtemps que le fardeau de la preuve, d'une part, incombe totalement à la plaignante, et d'autre part, que ce fardeau en est un de prépondérance des probabilités, identique à celui qui a cours en droit civil[41], énoncé de la manière suivante par l'article 2804 du Code civil du Québec :

La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

(…)

[65] La Cour rappelle que « la preuve doit être toujours claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités »[44] tout en reconnaissant toutefois qu'il n'existe aucune norme objective pour déterminer si elle l'est suffisamment. Cependant, la norme de la prépondérance des probabilités présuppose un examen attentif et minutieux de tous les éléments pertinents de preuve qui permettent de conclure dans un sens ou dans l'autre. La Cour conclut :

[49] En conséquence, je suis d'avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s'applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.[45]

[66] L'arrêt McDougall clarifie donc la question de la norme de preuve applicable en matière civile mais n'évacue pas de son application des considérations liées à la gravité des allégations ou de leurs conséquences. En cela, les propos tenus par notre Tribunal il y a presque 20 ans dans Osman c. Médecins (Corp. professionnelle des)[46] restent d'actualité :

[…]

Il n'y a pas lieu de créer une nouvelle charge de preuve. Il importe toutefois de rappeler que la prépondérance, aussi appelée balance des probabilités, comporte des exigences indéniables. Pour que le syndic s'acquitte de son fardeau, il ne suffit pas que sa théorie soit probablement plus plausible que celle du professionnel. Il faut que la version des faits offerts par ses témoins comporte un tel degré de conviction que le Comité le retient et écarte celle de l'intimé parce que non digne de foi.

Si le Comité ne sait pas qui croire, il doit rejeter la plainte, le poursuivant n'ayant pas présenté une preuve plus persuasive que l'intimé. Il ne suffit pas que le Comité préfère la théorie du plaignant par sympathie pour ses témoins ou par dégoût envers les gestes reprochés au professionnel. Il est essentiel que la preuve à charge comporte un degré de persuasion suffisant pour entraîner l'adhésion du décideur et le rejet de la théorie de l'intimé.

La prépondérance de preuve n'est pas une sinécure pour les Comités de discipline. Elle n'est pas affaire de préférence émotive, mais bien d'analyse rigoureuse de la preuve. Elle impose au syndic un fardeau exigeant et une preuve de qualité, faute de quoi il se verra débouté purement et simplement.

[…][47]

[67] Dans Médecins c. Lisanu [48], notre Tribunal, citant sa décision dans Osman, réitère que le fardeau de la preuve en droit disciplinaire requiert une preuve sérieuse, claire et sans ambiguïté.

 

(références omises)

 

(nos soulignements)

 

 

C)   Assignation des témoins

 

[58]    Dans le but de faciliter l’audition de la plainte, le Comité demande au plaignant privé de faire parvenir au moins 15 jours avant l’audition, au greffe du Comité de discipline, sa liste de témoins incluant leurs adresses et leurs numéros de téléphone, afin que ceux-ci puissent être assignés en temps utile;

 

[59]    Cette liste devra également être communiquée, dans le même délai, à la partie intimée;

 

 

 

[60]    Finalement, le Comité rappelle au plaignant privé qu’il doit divulguer à la partie adverse, si ce n’est déjà fait, une copie de tous les documents pertinents à sa plainte;

 

 

D)   Présence du plaignant

 

[61]    Le Comité tient à rappeler au plaignant privé qu’il lui appartient de faire la preuve des infractions reprochées par le dépôt des documents pertinents et par le témoignage des personnes qu’il estime nécessaire pour établir le bien-fondé des accusations;

 

[62]    À cet égard, le Comité de discipline n’est pas habilité à agir au lieu et place du poursuivant, tel que le soulignait le Tribunal des professions dans l’affaire Tassé[27] :

 

[32] De plus, le Comité s'immisce dans l'appréciation de la preuve faite par le syndic et paraît vouloir jouer le rôle d'une partie.  En effet, puisque le syndic a conclu qu'il n'y a pas lieu d'assigner le professionnel, le Comité devrait soit le lui ordonner, soit l'assigner lui-même, encore une fois sans savoir si son témoignage est pertinent ou pourrait supporter la plainte, à moins qu'il ne le présume.  L'impartialité du Comité serait en cause dans de telles circonstances.

[33] Le Comité deviendrait alors juge et partie.  Même si l'article 143 du Code des professions lui permet de «recourir à tous les moyens légaux pour s'instruire des faits allégués», cela ne lui permet pas d'agir en lieu et place du poursuivant :

«Ce que l'appelant recherche par ses procédures disciplinaires et ce qu'il en attend, c'est que le Comité agisse comme s'il était une commission d'enquête pour trouver dans la multitude des documents, des éléments qui auraient pu constituer une preuve de la perpétration d'infractions.

Ce n'est pas ainsi que fonctionne le système.  C'est au plaignant qu'incombe le fardeau de prouver sa plainte par la production de témoins et d'exhibits qui soutiennent ses prétentions après qu'il se soit déchargé de son obligation de divulgation[11]

[34] Enfin, il pourrait être contraire aux droits de professionnel que de le forcer à témoigner lorsqu'aucune autre preuve n'est disponible.

(nos soulignements)

 

[63]    Ainsi, la présence du plaignant lors de l’audition de la plainte est indispensable, à défaut de quoi, il pourra se voir débouté purement et simplement[28];

 

 

 

 

 

E)   Droit au contre-interrogatoire

 

[64]    De plus, le droit de l’intimée à une défense pleine et entière comprend le droit inaliénable d’être confrontée à son accusateur et de le contre-interroger;

 

[65]    À cet égard, il est de mise de se référer aux enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Lyttle[29] :

 

1. Bien que le contre‑interrogatoire puisse souvent s’avérer futile et parfois se révéler fatal, il demeure néanmoins un ami fidèle dans la poursuite de la justice ainsi qu’un allié indispensable dans la recherche de la vérité.  Dans certains cas, il n’existe en effet aucun autre moyen de mettre au jour des faussetés, de rectifier une erreur, de corriger une distorsion ou de découvrir un renseignement essentiel qui, autrement, resterait dissimulé à jamais.

 

2. Voilà pourquoi le droit de l’accusé de contre‑interroger les témoins à charge — sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées — est un élément essentiel du droit à une défense pleine et entière.

 

(…)

 

41. Comme il a été mentionné au départ, le droit d’un accusé de contre‑interroger les témoins à charge, sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées, est un élément essentiel du droit à une défense pleine et entière.  Voir l’arrêt R. c. Seaboyer, 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577, p. 608, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) :

 

Le droit de l’innocent de ne pas être déclaré coupable est lié à son droit de présenter une défense pleine et entière.  Il doit donc pouvoir présenter les éléments de preuve qui lui permettront d’établir sa défense ou de contester la preuve présentée par la poursuite. [. . .] Bref, la dénégation du droit de présenter ou de contester une preuve équivaut à la dénégation du droit d’invoquer un moyen de défense autorisé par la loi.  [Nous soulignons.]

 

42. Dans l’arrêt R. c. Osolin, 1993 CanLII 54 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 595, le juge Cory a examiné la jurisprudence pertinente et, à la p. 663, il a expliqué pourquoi le contre‑interrogatoire joue un rôle aussi important dans le processus de débat contradictoire, particulièrement — mais évidemment pas seulement — dans les procès criminels :

 

Le contre‑interrogatoire a une importance incontestable.  Il remplit un rôle essentiel dans le processus qui permet de déterminer si un témoin est digne de foi.  Même lorsqu’il vise le témoin le plus honnête qui soit, il peut permettre de jauger la fragilité des témoignages.  Il peut servir, par exemple, à montrer le handicap visuel ou auditif d’un témoin.  Il peut permettre d’établir que les conditions météorologiques pertinentes ont pu limiter la capacité d’observation d’un témoin, ou que des médicaments pris par le témoin ont pu avoir un effet sur sa vision ou son ouïe.  Son importance ne peut être mise en doute.  C’est le moyen par excellence d’établir la vérité et de tester la véracité.  Il faut autoriser le contre‑interrogatoire pour que l’accusé puisse présenter une défense pleine et entière.  La possibilité de contre‑interroger les témoins constitue un élément fondamental du procès équitable auquel l’accusé a droit.  Il s’agit d’un principe ancien et bien établi qui est lié de près à la présomption d’innocence.  Voir les arrêts R. c. Anderson (1938), 70 C.C.C. 275 (C.A. Man.); R. c. Rewniak (1949), 93 C.C.C. 142 (C.A. Man.); Abel c. La Reine (1955), 23 C.R. 163 (B.R. Qué.); et R. c. Lindlau(1978), 40 C.C.C. (2d) 47 (C.A. Ont.).

 

43. Vu son importance, le droit de contre‑interroger est maintenant reconnu comme un droit protégé par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.  Voir l’arrêt Osolin, précité, p. 665.

(nos soulignements)

 

[66]    Ainsi, en l’absence du plaignant, le Comité ne pourra pas accorder aucune foi à ses prétentions et celles-ci ne pourront être mises en preuve en violation du droit de l’intimée de contre-interroger le plaignant, de même que les auteurs des différents documents qu’il entend déposer;

 

 

V.   Conclusions

 

[67]    Cela étant dit, le Comité tient à souligner que seuls les chefs d’accusation qui auront fait l’objet d’une preuve claire, nette et convaincante pourront être retenus contre l’intimée;

 

[68]    D’autre part, l’intimée a droit à une défense pleine et entière et pourra donc demander le rejet des chefs par tous les moyens de faits et de droit applicables en semblable matière et plus particulièrement, en raison de l’absence du plaignant, si ce dernier choisit de ne pas se présenter pour l’audition de la plainte;

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

REJETTE la requête en rejet d’une plainte privée;

MODIFIE ET PRÉCISE la plainte privée de M. Semenoff comme suit :

 

Chef no.1 :

 

À compter du 27 avril 2011, a fait défaut d’assurer un suivi adéquat du dossier de son client, le tout contrairement aux articles 9, 37(1) et 37(4) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no.2 :

 

À trois reprises, soit le 28 juin 2011, le 5 juillet 2011 et le 28 août 2011, a fait défaut de conseiller son client, eu égard à la position adoptée par l’expert en sinistre, le tout contrairement à l’article 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no. 3 :

 

Le ou vers le 18 juillet 2011, n’a pas traité de façon satisfaisante la plainte contre Univestas en n’ayant pas répondu dans les 10 jours de la réception de la plainte, le tout contrairement aux articles 8, 9, 37(1) et 37(4) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no. 4 :

 

Le ou vers le 1er septembre 2011, a fait défaut de remettre à son client ses documents en vue de l’interrogatoire prévu pour le 15 septembre 2011, le tout contrairement aux articles 13, 25 et 26 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no. 5 :

 

Le ou vers le 22 novembre 2011, en refusant de considérer les factures retrouvées de son téléviseur avant de procéder à la fermeture de son dossier, le tout contrairement aux articles 9 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no. 6 :

 

Entre le 9 mars 2011 et le 26 juin 2011, en annulant sans motif valable l’assurance Ferme Équestre, le tout contrairement aux articles 9 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no. 7 :

 

Entre mars 2011 et juin 2011, en refusant de se déplacer au ranch du client, malgré les nombreuses demandes de celui-ci, le tout contrairement aux articles 8, 9 et 26 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no.8 :

 

Le ou vers le 28 juin 2011, pour avoir fait défaut de répondre aux questions de son client concernant le contrat d’assurances, le tout contrairement à l’article 37(6) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no.9 :

 

Entre 2010 et 2011, en ayant fait des fausses représentations au client quant au véritable assureur au contrat, le tout contrairement aux articles 15 et 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

Chef no.10 :

 

Entre 2010 et 2011, en refusant de remettre à son client le rapport d’inspection de la première visite pour assurer le bien, le tout contrairement aux articles 13, 25 et 26 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q. c. D-9.2, r. 5);

 

DÉCLARE être sans compétence pour entendre et décider des pertes monétaires réclamées par le plaignant privé;

FIXE l’audition de la plainte privée (chefs nos. 1 à 10) au 27 mai 2014 à 9H30 au siège social de la Chambre de l’assurance de dommages;

ORDONNE aux parties d’être présentes afin de soumettre leur preuve et leurs arguments;

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du Comité de discipline

 

____________________________________

M. Marc-Henri Germain, C.d’A.A., A.V.A., courtier en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

 

____________________________________

M. Brian Brochet, C. d’A. Ass., courtier en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

M. Nicolas Semenoff (absent)

Partie plaignante

 

Me Annie-Claude Ménard

Procureure de la partie intimée

 

Date de l’audience : 28 mars 2014

 



[1] Semenoff c. Marcoux, 2013 CanLII 82447 (QC CDCHAD);

[2] Semenoff c. Lloyd’s of London Assureur, 2013 QCCS 109 (CanLII);

[3] Op. cit. no.1;

[4] 2006 QCCA 1441 (CanLII);

[5] Béliveau c. Comité de discipline du Barreau du Québec, 1992 CanLII 3299 (CA);

[6] Voir page 1825 de [1992] R.J.Q. 1822 (C.A.), Références omises afin d’alléger le texte;

[7] [1975] C.A. 509;

[8] Ruffo c. Conseil de la magistrature, 1995 CanLII 49 (CSC);

[9] Dunn c. Katz, 2005 QCTP 14 (CanLII);

[10] Brunet c. Lebel, 1998 QCTP 1539 (CanLII);

[11] Bélanger c. Avocats, 2002 QCTP 5 (CanLII); Smith c. Vallée, 2006 (QCTP 28 (CanLII);

[12] Bruni c. AMF, 2011 QCCA 994 (CanLII);

[13] 2008 QCCA 922 (CanLII);

[14] Art. 144 du Code des professions, L.R.Q. c. C-26; art. 376 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, L.R.Q. c. D-9.2;

[15] Semenoff c. Marcoux, op. cit. no.1;

[16] Semenoff c. Lloyd’s of London Assureur, op. cit. no.2;

[17] Brunet c. Lebel, op. cit. no. 12;

[18] 2002 QCTP 108 (CanLII);

[19] 2003 CanLII 72227 (QC CA);

[20] 1988 CanLII 43 (CSC);

[21] Feldman c. Barreau du Québec, 2004 QCTP 71 (CanLII);

[22] Biron c. Taillefer, 2002 QCTP 38 (CanLII);

[23] Op. cit. no.2;

[24]   Nguyen c. Tribunal des professions, 2010 QCCS 227 (CanLII), confirmé en appel : 2010

     QCCA373 (CanLII), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée : 2010 CanLII

     24252 (CSC);

[25]   2012 QCCA 1546 (CanLII);

[26] Vaillancourt c. Avocats (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 126 (CanLII);

[27] Tassé c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des), 2001 QCTP 74 (CanLII);

[28] Osman c. Médecins [1994] D.D.C.P. 257 (T.P.), à la p. 263;

[29] R. c. Lyttle, 2004 CSC 5 (CanLII);

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