Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

Chambre de l’assurance de dommages

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2014-01-01 (E)

 

DATE :

22 avril 2014

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Gilles Fortin, expert en sinistre

Membre

M. Pierre Bergeron, expert en sinistre

Membre

 

 

SYLVIE POIRIER, ès qualités de syndic ad hoc de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

ÉRIC MESSIER, expert en sinistre (actuellement inactif et sans mode d’exercice)

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

 

[1]       Le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages s’est réuni le 10 mars 2014 pour procéder à l’audition d’une plainte portée contre l’intimé portant le no. 2014-01-01 (E);

 

 

I.          La plainte

 

[2]       La plainte reproche à l’intimé les infractions suivantes :

 

1. À Granby ou ses environs, entre le 20 septembre 2007 et le 30 août 2009 et entre le 22 septembre 2009 et le 20 septembre 2010, a agi comme expert dans environ 91 dossiers de sinistres en assurance de dommages des entreprises, une catégorie de discipline pour laquelle il ne détenait pas la certification requise, le tout en contravention avec les articles 13 et 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, l’article 9 al. 2 [devenu 10 al.1] du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant [Décision 99.07.08, 99-07-06, c. D-9.2, r. 7], et les articles 2 et 28 [devenus 2 et 26] du Code de déontologie des experts en sinistre [c. D-9.2, r. 1.02, r. 1.02.1 et r. 4];

 

2. À Granby ou ses environs, entre le 20 septembre 2007 et le 30 août 2009 et entre le 22 septembre 2009 et le 20 septembre 2010, dans l’exercice de ses activités, a fait défaut de s’identifier clairement en mentionnant le titre et la catégorie de discipline autorisés par son certificat, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, l’article 111 [maintenant 10 al. 2] du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant [D. 99.07.08, 99-07-06, c. D-9.2, r. 7],  les articles 10 et 59(1) [devenus 10 et 58(1)] du Code de déontologie des experts en sinistre [c. D-9.2, r. 1.02, r.  1.02.1 et r. 4] et les articles 10(3) et (4) et 12 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants [c. D-9.2, r. 1.3, r. 10] ;

 

3. À Granby ou ses environs, entre le 20 septembre 2007 et le 30 août 2009 et entre le 22 septembre 2009 et le 20 septembre 2010, a utilisé le titre «expert en sinistres» sans être titulaire d’un certificat l’y autorisant, en contravention avec les articles 12, 16 et 44 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et l’article 110, devenu le 1er alinéa de l’article 9 du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant [D. 99.07.08, 99-07-06, c. D-9.2, r. 7];

 

L’intimé s'étant ainsi rendu passible pour les infractions ci-haut mentionnées des sanctions prévues à l'article 156 (c) du Code des professions.

 

 

[3]       La syndic ad hoc, Me Sylvie Poirier agissait personnellement et l’intimé a comparu seul, sans avocat;

 

[4]       D’entrée de jeu, l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’encontre des infractions reprochées;

 

[5]       En conséquence, celui-ci fut déclaré coupable, séance tenante des chefs nos. 1, 2 et 3 de ladite plainte;

 

 

 

II.         Preuve sur sanction

 

[6]       La preuve documentaire à l’appui de la plainte fut déposée de consentement (EM‑1 à EM-25);

 

[7]       Brièvement résumé, les faits à l’origine du présent dossier sont relativement simples;

 

[8]       Alors que l’intimé était certifié comme expert en sinistre en assurance de dommages des particuliers, son supérieur lui confiait des dossiers pour lesquels il ne détenait pas la certification requise, soit des dossiers relevant du domaine de l’assurance de dommages des entreprises;

 

[9]       L’intimé n’a pas agi de mauvaise foi, ni de façon malicieuse, se contentant de suivre aveuglément les instructions de son directeur, en qui il avait entièrement confiance;

 

 

III.        Argumentation

 

A)   Par la syndic

 

[10]    La partie plaignante recommande de façon conjointe avec l’intimé, d’imposer à celui-ci les sanctions suivantes :

 

          Chef no. 1 :        Une radiation temporaire de 36 mois;

 

          Chef no. 2 :        Une réprimande;

 

          Chef no. 3 :        Une réprimande;

 

 

[11]    À l’appui de cette suggestion, Me Poirier réfère le Comité aux précédents jurisprudentiels suivants :

 

      CHAD c. Pantazis, 2013 CanLII 10760 (QC CDCHAD);

 

      CHAD c. Lanouette, 2011 CanLII 73321 (QC CDCHAD);

 

      CHAD c. Thérriault, 2012 CanLII 21064 (QC CDCHAD);

 

      CHAD c. Constantin, 2012 CanLII 63684 (QC CDCHAD);

 

 

[12]    Enfin, l’intimé étant actuellement inactif et sans mode d’exercice, la période de radiation suggérée et sa publication ne deviendraient exécutoires qu’à compter de la remise en vigueur de son certificat[1];

 

[13]    La procureure fait également état des divers facteurs aggravants dont le Comité devra tenir compte, soit :

 

      La gravité objective de l’infraction;

 

      Le caractère répétitif de l’infraction;

 

      La mise en péril de la protection du public;

 

[14]    Parmi les facteurs atténuants, Me Poirier insiste sur les suivants :

 

      Le peu d’expérience de l’intimé;

 

      La confiance que l’intimé accordait à son supérieur immédiat;

 

      L’absence de préjudice pour les clients;

 

      L’absence de gain ou de bénéfice pour l’intimé;

 

      La collaboration de l’intimé à l’enquête du syndic;

 

      L’absence d’antécédents disciplinaires;

 

      Son plaidoyer de culpabilité enregistré dès la première occasion;

 

      L’absence de mauvaise foi ou d’intention malicieuse;

 

      Le faible risque de récidive;

 

[15]    Finalement, elle conclut au caractère juste et raisonnable de la sanction et demande par conséquent au Comité de l’entériner;

 

 

B)   Par l’intimé

 

[16]    De son côté, l’intimé confirme le caractère commun des sanctions suggérées;

 

[17]    Enfin, il précise qu’il ne prévoit pas revenir, à court terme, à l’exercice de la profession;

 

 

 

IV.       Analyse et décision

 

A)   La recommandation commune

 

[18]    Le 11 décembre 2013, le Tribunal des professions rappelait, dans l’affaire Gauthier[2], l’importance que l’on doit donner aux recommandations communes dans les termes suivants :

 

[13]  Au fil du temps, la jurisprudence a établi des règles claires relativement au décideur qui s'apprête à écarter une suggestion commune. Dans l'affaire Sideris (2006 QCCA 1351), la Cour d'appel rappelle ces règles avec limpidité :

 

[9]    En matière de suggestion commune, l'état du droit est maintenant bien établi. Quoique le juge ne soit pas lié par une telle suggestion (notamment lorsqu'il y a plaidoyer de culpabilité, selon l'article 606, paragr. (1.1)b)(iii), C.cr.), il ne peut pas non plus l'écarter sans respecter les règles que résume le juge Fish, alors de la Cour, dans R. v. Douglas, reflex, reflex, (2002) 162 C.C.C. (3d) 37, J.E. 2002-249 (sub. nom. Verdi-Douglas c. R.), aux paragraphes 42-43 et 51-52 :

 

[38] I think it important to emphasize that the joint submission in this case was the object of lengthy and detailed negotiations over a considerable period of time by experienced and conscientious counsel on both sides, with the participation of the police officers in charge of the investigation, and clearly contingent on a plea of guilty by the appellant.

 

[…]

 

[42] Canadian appellate courts have expressed in different ways the standard for determining when trial judges may properly reject joint submissions on sentence accompanied by negotiated admissions of guilt.

 

[43] Whatever the language used, the standard is meant to be an exacting one.  Appellate courts, increasingly in recent years, have stated time and again that trial judges should not reject jointly proposed sentences unless they are “unreasonable”, “contrary to the public interest”, “unfit”, or “would bring the administration of justice into disrepute”.

 

[Suit, aux paragr. 44-50, une revue de la jurisprudence canadienne et d'un rapport ontarien sur le sujet.]

 

[51] In my view, a reasonable joint submission cannot be said to “bring the administration of justice into disrepute”. An unreasonable joint submission, on the other hand, is surely “contrary to the public interest”. Accordingly, though it is purposively framed in striking and evocative terms, I do not believe that the Ontario standard departs substantially from the test of reasonableness articulated by other courts, including our own. Their shared conceptual foundation is that the interests of justice are well served by the acceptance of a joint submission on sentence accompanied by a negotiated plea of guilty – provided, of course, that the sentence jointly proposed falls within the acceptable range and the plea is warranted by the facts admitted.

 

[52]  Moreover, I agree with the Martin Report, cited earlier, that the reasonableness of a sentence must necessarily be evaluated in the light of the evidence, submissions and reports placed on the record before the sentencing judge (subject, of course, to amplification of that record on appeal in accordance with the applicable statutory provisions and the governing case law). I believe as well that sentencing judges are bound to ensure, by putting the appropriate questions directly to the accused, that the negotiated guilty plea is voluntary and unambiguous. A full record in both respects will be essential to meaningful appellate review in those cases, fortunately rare, where an appeal is found to be warranted.

 

[10]  Par ailleurs, dans Boucher-Gagnon c. R., 2006 QCCA 903 (CanLII), 2006 QCCA 903 (CanLII), 2006 QCCA 903 (CanLII), 2006 QCCA903, J.E. 2006-1422, au paragr. 4, la Cour explique que lorsque le juge s'apprête à rejeter une suggestion commune en faveur d'une peine différente, il doit en principe donner aux parties l'occasion de lui faire part de leurs observations. Décrivant le comportement approprié, la Cour écrit que :

 

[4] Il est aussi reconnu que le juge doit aviser les parties et leur donner l'occasion de réagir.  Il a enfin le devoir d'exposer les motifs qui le poussent à ne pas donner suite à la suggestion commune.

 

[5] Lorsque le juge se conforme en tous points à cette ligne de conduite, notre Cour doit à sa décision la déférence qui s'impose de façon générale en matière de détermination de la peine.  C’est le cas en l’espèce.

 

[6] Après avoir entendu les représentations des avocats, le juge a fait état du scepticisme qui l'animait et il s'est accordé plusieurs heures de réflexion.  Il a par la suite invité les parties à lui soumettre des observations supplémentaires et accordé à l'avocat de l'appelant un délai pour que celui-ci s'entretienne avec son client.  Ce dernier s’est vu autorisé à ajouter à son témoignage et le juge a tenu compte des ajouts dans ses motifs.

 

(Références omises)

 

[14] Quelques années plus tard, les mêmes règles sont réitérées dans l'affaire Bazinet (2008 QCCA 165):

 

[6] De plus, règle générale, le rejet par le juge de la suggestion commune est assujetti à une procédure préalable dont les composantes essentielles sont les suivantes :

 

1) D'abord, le juge avise les parties de son rejet (du moins à ce stade) de la suggestion commune;

 

2) Puis, le juge expose sommairement l'objet de ses préoccupations

 

3) Finalement, le juge doit donner l'occasion aux parties d'y réagir.

 

[15] L'importation de ces règles en droit professionnel a déjà été reconnue par notre Tribunal, notamment dans les affaires Pepin (2008 QCTP 152) et Duquette (2011 QCTP 176).

 

[…]

 

[25] La formulation de recommandations communes et d'une suggestion de sanction, sans être une panacée, constitue un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice. Pour reprendre les termes utilisés par la Cour d'appel dans l'affaire Dumont c. R. (2013 QCCA 576), « il ne s'agit pas d'une règle formelle, mais plutôt d'une politique judiciaire nécessaire en vue d'encourager la négociation des plaidoyers de culpabilité ».

 

[26] Rappelons que lorsque le syndic, dont la mission première est la protection du public, formule une telle suggestion, il connaît tous les tenants et aboutissants de l'ensemble du dossier traité. De même, avant d'y donner suite, le Conseil doit s'assurer qu'elle n'est pas déraisonnable ou inadéquate.

 

(Nos soulignements)

 

[19]    Un mois plus tard, soit le 21 janvier 2014, le Tribunal réitérait, dans l’affaire Chan[3], la valeur et la portée des recommandations communes comme suit :

 

[41] Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps l'à-propos de ce que la Cour d'appel qualifie récemment de « politique judiciaire » cette pratique de la négociation des plaidoyers de culpabilité qu'il convient d'encourager parce qu'elle joue un rôle capital au sein de l'institution pénale (Dumont c. R., 2013 QCCA 576, au para 13).

 

[42] La suggestion commune issue d'une négociation rigoureuse, dispose d'une « force persuasive certaine » de nature à assurer qu'elle sera respectée en échange du plaidoyer de culpabilité (Dumont c. R., 2013 QCCA 576, au para 13; Gagné c. R., 2011 QCCA 2387), à moins qu'elle soit déraisonnable, contraire à l'intérêt public, inadéquate ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice (R. c. Douglas (2002) 162 C.C.C. 37 (C.A.Q.); R. c. Bazinet, 2008 QCCA 165; R. c. Sideris, 2006 QCCA 1351).

 

[43] Ce sont ces paramètres qui peuvent induire le tribunal à écarter la suggestion commune (Poulin c. R., 2010 QCCA 1854; Paradis c. R., 2009 QCCA 1312; Leclaire c. R., 2006 QCCA 504)En somme, cette « politique judiciaire » maintenant avalisée par un imposant corpus jurisprudentiel postule qu'une suggestion commune ne doit pas être écartée « afin de ne pas discréditer un important outil contribuant à l'efficacité du système de justice tant criminelle que disciplinaire (Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52).

 

[44] Rien ne s'oppose à ce que les mêmes principe et démarche s'appliquent en droit disciplinaire comme l'affirme encore récemment la jurisprudence de notre tribunal [23].

 

(Nos soulignements)

 

[20]    Cela étant dit, la partie plaignante a particulièrement insisté sur l’affaire Constantin[4] dans laquelle l’intimé, pour une infraction semblable, s’était vu imposer une radiation de 6 mois, alors que l’infraction s’était échelonné sur une période de 3 mois;

 

[21]    Fort de cette décision, le Bureau du syndic considère que la présente recommandation commune est juste et raisonnable, puisque l’infraction reprochée à l’intimé s’est déroulée sur une période d’environ 36 mois et portait sur 91 dossiers;

 

[22]    Il est vrai que cette décision[5] peut servir de guide lors d’une recommandation commune, mais dans le cadre d’un débat contradictoire, il en serait autrement, pour les motifs ci-après exposés;

 

 

 

B)   L’autorité des précédents

 

[23]    En 1999, le Tribunal des professions écrivait, dans l’affaire Beaulieu[6] :


Lors des représentations verbales des parties, le Tribunal s'est interrogé sur "l'autorité" que peuvent avoir entre elles les décisions d'un comité de discipline lorsqu'elles portent sur la même matière, le même sujet. A plusieurs reprises, en effet, le Comité de discipline de la Chambre des notaires a référé aux "précédents jurisprudentiels" comme assises pour rendre la décision dans l'affaire dont il était alors saisi.

 

Normalement, une décision rendue de consentement ou "ex parte" ne constitue pas un précédent [8].  De plus, bien que le comité de discipline de la Chambre des notaires du Québec saisi de plainte analogue à la présente, se soit senti lié par ses décisions rendues lorsqu'elles soulevaient les mêmes règles de droit et concernaient des faits semblables sinon identiques [9], en principe, un tribunal de première instance n'est pas obligatoirement tenu de suivre ses décisions antérieures [10].  Il le serait cependant en regard de celles rendues par un tribunal supérieur qui exerce sur lui un certain contrôle et a le pouvoir d'infirmer ses décisions [11], comme c'est le cas des décisions du Tribunal des professions qui disposent des appels portés à l'encontre de celles des comités de discipline.

(Nos soulignements)

 

 

[24]    Ce principe fut d'ailleurs réitéré en 2004 dans l'affaire Drolet-Savoie[7] et plus récemment, en 2008, dans l'affaire Leduc[8] dans les termes suivants:

[64]    D'abord, il plaide que le Comité est « lié » par les décisions des instances disciplinaires des autres provinces. Au fond, il invoque la règle du « Stare Decisis » en lui donnant une application au-delà du territoire québécois.

[65]    Pourtant, cette règle ne trouve pas application même entre les comités de discipline au Québec, aucun d'eux n'étant lié par les « précédents » rendus par des formations antérieures et portant sur des questions de même nature[21], chaque cas étant un cas d'espèce.

          (Nos soulignements)

 

 

[25]    Dans le même ordre d'idées, il convient de rappeler ce que la Cour d’appel écrivait dans l’arrêt Courchesne[9]:

 

[83] L'appelant reproche ensuite au juge de la Cour du Québec d'avoir fait une analyse erronée des précédents en matière de sanction.   Le reproche est mal fondé.   La détermination de la peine, que ce soit en matière disciplinaire ou en matière pénale, est un exercice délicat, le principe fondamental demeurant celui d'infliger une peine proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant[8].   L'analyse des précédents permet au décideur de s'assurer que la sanction qu'il apprête à infliger au délinquant est en harmonie avec celles infligées à d'autres contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables[9].   Mais l'analyse des précédents n'est pas sans embûche, chaque cas étant différent de l'autre.   En l'espèce, à la lecture de la décision du comité de discipline et du jugement dont appel, il me semble que le reproche formulé par l'appelant est sans fondement.

 

(Nos soulignements)

 

 

 

 

[26]    Par contre, ces principes bien établis ont été remis en doute récemment par le Tribunal des professions dans l’affaire Gauthier[10], notamment dans les passages suivants :

 

[22]  En l'espèce, les avocats des parties ont soumis au Conseil diverses décisions pour justifier la suggestion commune, laquelle se situe dans la gamme des sanctions imposées dans des dossiers semblables.

[23]  À cet égard, dans sa décision, le Conseil écrit ceci[13] :

[87]   Enfin, la comparaison des cas où des recommandations communes de sanctions ont été présentées par les parties avec ceux où ce ne fut pas le cas permet de constater que lorsqu’il y a recommandation commune, les sanctions imposées sont largement moins élevées.  Ce dernier constat incite le Conseil à émettre les commentaires suivants concernant le poids à accorder à la jurisprudence constituée par des décisions résultant de recommandations communes.

[88]   Lorsque le processus disciplinaire habituel est interrompu par un plaidoyer de culpabilité et que les parties présentent une recommandation commune quant à la sanction à imposer, la preuve soumise au Conseil de discipline se trouve à être restreinte au minimum nécessaire afin de permettre une appréciation de la justesse de la sanction proposée.  Il s’agit d’ailleurs de l’une des justifications du poids important qui doit être accordé à une telle recommandation en ce que le syndic, qui partage la mission du Conseil de discipline à l’égard de la protection du public, est plus à même de connaître l’ensemble des faits et circonstances concernant le professionnel intimé et les gestes qu’il a posés, en ce qu’il a lui‑même conduit l’enquête.  Ainsi, comment considérer qu’une décision rendue dans un tel contexte aurait valeur de précédent pour l’avenir ?  Non seulement l’ensemble des faits ne sont pas mis en preuve mais au surplus, la discrétion du décideur est largement encadrée puisqu’il doit déterminer si la sanction imposée se situe dans les limites du raisonnable et non s’il s’agit de la sanction qu’il aurait lui-même imposée.

[24]  Ces propos peuvent laisser croire que les décisions ratifiant des suggestions communes constituent des autorités de second ordre dont la fiabilité peut plus aisément être mise en doute. Le Tribunal ne partage pas cet avis.

 (Nos soulignements)

 

[27]    Ce jugement laissait entendre qu’un Comité de discipline était lié par les précédents jurisprudentiels établis par d’autres divisions du Comité et même lorsque celles-ci étaient le résultat d’une négociation suivie d’une recommandation commune;

 

[28]    Par contre, un mois plus tard, le Tribunal des professions nuançait ses propos dans l’affaire Chan[11] :

 

[62]  Dans un débat contradictoire portant sur la détermination de la sanction « ou de la peine en droit pénal », il peut advenir que les précédents fondés sur des suggestions communes n'aient pas un poids déterminant.

[63]  Dans R. c. Bernier[29], l'appelante reprochait au juge d'instance d'avoir omis de considérer les peines imposées à d'autres personnes accusées à la suite de la même enquête policière.

[64]  La Cour d'appel écrit :

[69]   En l'espèce, les autres peines imposées l’ont été, pour certains cas, à la suite de suggestions communes. On sait que le juge d'instance ne peut refuser une telle suggestion que si elle est déraisonnable au point de déconsidérer l'administration de la justice. Par conséquent, si ces peines demeurent une référence pertinente, elles ne sont pas déterminantes.

[65]  Dans cette perspective, au sein d'un débat contradictoire, les précédents qui reposent sur des suggestions communes peuvent ne pas avoir le même poids parce qu'ils résultent précisément d'un compromis issu d'une négociation, absente lorsque les parties divergent sur la peine ou la sanction devant être imposée.

[66]  La démarche analytique dans l'un et l'autre cas diffère.

[67]  Au terme d'un débat contradictoire, il appartient au conseil de discipline de déterminer la juste et raisonnable sanction en tenant compte des différents facteurs.

[68]  La suggestion commune invite plutôt le conseil de discipline, non pas à décider de la sévérité ou de la clémence de la sanction, mais à déterminer si elle s'avère déraisonnable au point d'être contraire à l'intérêt public et de nature à déconsidérer l'administration de la justice.

(Nos soulignements)

 

[29]    La lecture de ces deux jugements récents du Tribunal des professions amène  le Comité à conclure comme suit:

 

      En présence d'une recommandation commune, le Comité est lié par les précédents en semblables matières, à moins que la sanction suggérée ne soit déraisonnable, contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice;

 

 

      Par contre, lors d'un débat contradictoire, même si les précédents demeurent une référence pertinente, ils ne sont pas déterminants, le Comité doit alors décider de la sanction juste et raisonnable en tenant compte de tous les facteurs;

 

 

C)   Décision

 

[30]    Pour les motifs ci-après exprimés, le Comité considère que la suggestion commune des parties reflète adéquatement la gravité objective de l’infraction et les circonstances particulières du présent dossier;

 

[31]    D’autre part, elle tient compte de plusieurs facteurs atténuants dont l’intimé doit bénéficier, soit :

 

      L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité à la première occasion;

 

      Son absence d’intention malicieuse;

 

      Sa collaboration au processus disciplinaire;

 

      Son absence d’antécédents disciplinaires;

 

 

 

[32]    À cela s’ajoute le fait que «chaque cas est un cas d’espèce»[12], et dans les circonstances, la sentence semble taillée sur mesure pour l’intimé;

 

[33]    De plus, le Comité estime que les risques de récidive sont faibles, puisque l’intimé travaille actuellement dans un autre domaine;

 

[34]    Pour l’ensemble de ces motifs, la recommandation commune des parties sera entérinée sans réserve par le Comité;

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’accusation nos. 1, 2 et 3 de la plainte et plus particulièrement comme suit :

Chef no. 1 : Pour avoir contrevenu à l’art. 9(2) devenu l’art. 10(1) du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant (R.L.R.Q. c. D-9.2, r.7);

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures sur toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef no. 1;

Chef no. 2 : Pour avoir contrevenu à l’art. 12 du Règlement sur l’exercice des activités de représentants (R.L.R.Q. c. D-9.2, r.10);

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures sur toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef no. 2;

Chef no. 3 : Pour avoir contrevenu à l’art. 44 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q. c. D-9.2);

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures sur toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef no. 3;

 

 

IMPOSE à l’intimé, les sanctions suivantes :

Chef no. 1 :        Une radiation temporaire de 36 mois, laquelle sera

                            exécutoire à compter de la remise en vigueur du certificat

                            de l’intimé;

Chef no. 2 :        Une réprimande;

Chef no. 3 :        Une réprimande

ORDONNE la publication d’un avis de radiation temporaire à compter de la remise en vigueur du certificat de l’intimé;

CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés incluant, le cas échéant, les frais de publication de l’avis de radiation temporaire ;

ACCORDE à l’intimé, un délai de 30 jours pour acquitter le montant de l’amende et des déboursés, calculé à compter du 31e jour suivant la signification de la présente décision.

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

____________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du Comité de discipline

 

____________________________________

M. Gilles Fortin, expert en sinistre

Membre du Comité de discipline

 

____________________________________

M. Pierre Bergeron, expert en sinistre

Membre du Comité de discipline

Me Sylvie Poirier

Partie plaignante

 

M. Éric Messier (personnellement)

Présent

 

Date de l’audience : 10 mars 2014

 



[1] CHAD c. Lévesque, 2013 CanLII 46532 (QC CDCHAD);

[2]        Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013 CanLII 82189 (QC TP);

[3]        Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5 (CanLII)

[4]    CHAD c. Constantin, 2012 CanLII 63684 (QC CDCHAD);

[5]    Ibid;

[6]    Notaires c. Beaulieu, 1999 QCTP 54 (CanLII);

[7]    Voir le par. 27 de l'arrêt Drolet-Savoie c. Avocats, 2004 QCTP 19;

[8]    Leduc c. Médecins, 2008 QCTP 90; voir au même effet, Ly c. Médecins, 2008 QCTP 126;

[9]    Courchesne c. Castiglia, 2009 QCCA 2303;

[10]   Gauthier c. Médecins, 2013 QCTP 89-A;

[11]   Chan c. Médecins, 2014 QCTP 5;

[12]    Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA), au para 37;

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