Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

N° :

2008-09-01 (C)

 

DATE :

3 avril 2009

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville

Président

M. Benoît Ménard, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre

Mme Lyne Leseize, courtier en assurance de dommages des particuliers

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

 

Partie plaignante

c.

 

DANIEL DUCHAMPS, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

 

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

[1]        Le 24 mars 2009, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages s’est réuni afin de procéder à l’audition sur sanction dans le dossier portant le no 2008-09-01 (C);

[2]        Le 19 janvier 2009, l’intimé fut reconnu coupable des infractions suivantes :

 

1.   Le ou vers le 6 septembre 2002, a fait défaut de respecter la confidentialité des renseignements personnels de l’assurée, Mme Richère Fournelle, en transmettant à la compagnie AXA Assurances ses coordonnées bancaires, pour le paiement de la prime de sa police d’assurance habitation n° 01-762-613 2,  par débits préautorisés, alors qu’elle n’avait pas consenti à payer selon cette méthode de paiement, utilisant ainsi ou permettant que soient utilisées les coordonnées bancaires de cette assurée à d’autres fins que celles pour lesquelles il les avait obtenues, le tout en contravention avec  la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment l’article 16 de ladite loi (…).

 

 2.   Entre le 5 septembre 2002 et le 1er août 2006, a fait défaut de rendre compte de l’exécution   du mandat reçu de son assurée, Mme Richère Fournelle, et a agi avec négligence, en  conservant dans son dossier, sans l’en informer, les chèques qu’elle lui avait fait parvenir pour le paiement des primes de renouvellement de sa police d’assurance habitation AXA n° 01-762-613 2 à savoir :

 

     a) une série de 3 chèques libellés à l’ordre d’AXA Assurances, datés du 5 septembre 2002  d’un montant de 76,69 $, du 4 octobre 2002 d’un montant de 76,65 $ et du 1er novembre 2002 d’un montant de 76,65 $;

 

     b)             une série de 3 chèques libellés à l’ordre d’Assurances J.C. Duchamps, datés du 2 août 2004 d’un montant de 77,39 $, du 1er septembre 2004 d’un montant de 77,39 $ et du 1er octobre 2004 d’un montant de 77,39 $;

 

     c) une série de 3 chèques libellés à l’ordre d’Assurances J.C. Duchamps, datés du 1er août 2005 d’un montant de 78,15 $, du 1er septembre 2005 d’un montant de 78,10 $ et du 3 octobre 2005 d’un montant de 78,10 $;

 

     d)             un chèque libellé à l’ordre d’Assurances J.C. Duchamps, daté du 31 juillet 2006 d’un montant de 76,96 $

 

sans l’aviser que les primes étaient payées par débits préautorisés, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment (…) l’article 37 par.1 dudit code;

       3.  Entre le ou vers le 5 décembre 2006 et le ou vers le 22 mai 2007, a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux et a agi avec négligence en ne faisant pas de démarches auprès d’AXA Assurances afin que la police d’assurance habitation n° 01-762-613 2, au nom de Mme Richère Fournelle, ne soit pas résiliée le 21 décembre 2006 ou, après cette date, qu’elle soit remise en vigueur, compte tenu de « l’imbroglio » relatif aux refus de paiements de l’assurée après que celle-ci eût constaté des débits non autorisés de son compte bancaire, le tout en contravention avec  la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment (…) l’article 37 par.1 dudit code;

[3]        Lors de l’audition sur sanction, la syndic était représentée par Me Nathalie Lelièvre, alors que l’intimé était représenté par Me Lise Gagnon;

 

 

I.            Preuve sur sanction

[4]        La syndic déposa, de consentement, un antécédent disciplinaire (S-1) remontant à 1995, dans lequel l’intimé avait été condamné à une réprimande[1].

[5]        Pour sa part, l’intimé témoigna et déclara :

▪ Qu’il est courtier depuis 1991;

▪ Que le dossier de 1995 concerne une infraction mineure ayant entraîné une simple réprimande;

▪ Qu’il a modifié ses méthodes de travail depuis la décision du 19 janvier 2009 et instauré un cahier de procédures (I-1)

▪ Qu’il obtient maintenant la signature de l’assuré pour les annulations et les prélèvements bancaires;

▪ Qu’il comprend dorénavant que l’assuré doit être informé de toutes ses démarches afin d’éviter toute forme de malentendus ou d’imbroglios;

II.         Argumentation des parties

A)  Pour la syndic

[6]        Me Lelièvre, au nom de la syndic, réclame l’imposition des amendes suivantes :

           Chef no 1 : 1 500 $

Chef no 2 : 1 000 $

Chef no 3 : 1 000 $

[7]        La syndic insiste également pour que l’intimé soit condamné au paiement de tous les déboursés;

[8]        Au soutien de ses prétentions, la syndic plaide :

▪ La gravité objective des infractions, plus particulièrement pour le chef no 1;

▪ La protection du public et la sécurité des transactions bancaires;

▪ La durée des infractions, soit de 2002 à 2006 pour le chef no 2 et sur quelques mois pour le chef no 3;

▪ Que la négligence de l’intimé va au cœur même de la profession;

▪ Le bris de confiance et le préjudice causés à l’assurée;

▪ L’absence de volonté de l’intimé de réellement rétablir la police d’assurance (chef no 3);

▪ L’antécédent disciplinaire de 1995, résultant lui aussi du manque d’information et l’imbroglio qui s’en suivit.

[9]  Quant au cahier de procédures (I-1) instauré depuis la décision sur culpabilité, la syndic souligne qu’il fallait, tout de même, une signature de l’assurée à l’époque des infractions reprochées;

[10]   Enfin, elle dépose deux décisions disciplinaires à l’appui de ses demandes, soit :

-     Chauvin c. Duval [2007] CanLII 33233 (QC C.D CHAD)

-     Chauvin c. Lucien [2007] CanLII 53738 (QC C.D CHAD)

 

B)  Pour l’intimé

[11]    La défense suggère d’imposer une réprimande sur chacun des chefs et de partager les frais entre les parties;

[12]   À l’appui de ses suggestions, Me Gagnon plaide :

   L’absence d’intention malhonnête;

   L’absence de danger pour le public;

   La collaboration de l’intimé à l’enquête du      syndic;

   Le délai de 14 ans écoulé depuis l’antécédent judiciaire de 1995;

   Le remboursement des frais de 73 $ exigés par AXA (P-10, p.46)

[13]   Me Gagnon ajoute que l’assurée a été l’artisane de ses propres malheurs en reversant les paiements, déclenchant ainsi l’annulation de la police d’assurance;

[14]        La défense plaide également le principe de globalité des sanctions et conclut au caractère exagéré des sanctions suggérées par la syndic;

[15]      De plus, Me Gagnon établit certaines distinctions avec les affaires Duval et Lucien en précisant que, dans le présent dossier, l’assurée avait donné, à tout le moins, un consentement verbal;

[16]        Enfin, la défense plaide que la sentence doit coller aux faits du dossier tel que le rappelait la Cour d’appel dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault[2];      

 

III.        Analyse et décision

[17]        Tel que mentionné à plusieurs reprises par la jurisprudence, le Comité devra, pour se prononcer sur la sanction, examiner les circonstances aggravantes et atténuantes propres au présent dossier;

[18]          De façon plus précise, rappelons le cheminement suggéré par la Cour d’appel dans l’affaire Pigeon c. Daigneault[3], soit :

[37]           La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d'espèce.

[38]           La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants:  au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), [1998] D.D.O.P. 311; Dr J. C. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al, [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c. Burns, 1994 CanLII 127 (C.S.C.), [1994] 1 R.C.S. 656).

[39]           Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier.   Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, …   Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement.   La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire. (Nos soulignements)

[19]     Ainsi, parmi les circonstances aggravantes dont le Comité tiendra compte, soulignons les suivantes :

▪ La gravité objective des infractions, surtout dans le cas du premier chef d’accusation;

▪ Le chef no 1 étant une infraction particulièrement grave qui met en péril non seulement la protection du public, mais également la sécurité des transactions bancaires;

▪ Le chef no 2 est également grave en ce qu’il démontre une négligence et un manque de suivi du dossier de l’assurée échelonné sur plusieurs années;

▪ Le chef no 3 est également grave car il touche à l’essence même de la profession, laquelle consiste à obtenir et à maintenir en vigueur une police d’assurance pour son client;

[20]     À cette première série de circonstances aggravantes, il y a lieu d’ajouter les suivantes :

▪ La présence d’un antécédent disciplinaire même si celui-ci  remonte à 1995 puisqu’il résulte également d’un imbroglio causé par l’intimé vu son défaut d’informer adéquatement sa cliente de l’époque;    

▪ L’absence de repentir de l’intimé;

▪ Sa tentative de rejeter le blâme sur sa cliente, démontrant ainsi une méconnaissance de ses obligations déontologiques;

▪ La durée des infractions;

▪ Le lien direct des infractions avec l’exercice de la profession;

[21]       Le Comité estime qu’il doit également tenir compte des facteurs suivants :

▪ La dissuasion du professionnel  à récidiver;

▪ L’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables[4];

▪ La mise en péril de la protection du public;

[22]       L’ensemble de ces circonstances aggravantes amènera le Comité à s’écarter des suggestions formulées par l’une ou l’autre des parties et entraînera l’imposition de sanctions beaucoup plus sévères;

[23]      À prime abord, le Comité aurait été porté à imposer une période de radiation n’eut été de la présence de certaines circonstances atténuantes en faveur de l’intimé;

[24]      Parmi les circonstances atténuantes dont tiendra compte le Comité, soulignons les suivantes :

▪ La mise en place de nouvelles méthodes de travail (I-1);

▪ Le remboursement des frais imposés par AXA;

▪ L’absence d’intention malhonnête de l’intimé;

▪ La collaboration de l’intimé à l’enquête du syndic;

[25]      Sur la question de savoir s’il y a eu consentement verbal ou non de l’assurée, le Comité tient à rappeler que la preuve était contradictoire à ce sujet[5] d’où l’acquittement de l’intimé sur les articles 23 et 24 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

[26]        En conséquence, l’intimé ne peut pas plaider, avec certitude, que l’assuré avait consenti verbalement aux prélèvements bancaires;

[27]   Enfin, le comité s’écartera des décisions Duval et Lucien, lesquelles sont le résultat d’un plaidoyer de culpabilité;

[28]        Il est bien connu que le fait d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité est un signe de repentir qui entraîne habituellement la clémence du Comité au moment de l’imposition de la sanction;

[29]       À l’inverse, l’absence de plaidoyer de culpabilité ne doit pas être surévalué et il n’entraîne pas automatiquement une sentence plus sévère;

[30]        Par contre, dans le présent dossier, le Comité, après avoir entendu l’intimé à deux reprises, soit lors de l’audition de la plainte et au moment des représentations sur sanction demeure encore aujourd’hui dans l’impossibilité de se convaincre du repentir de l’accusé;

[31]        Au contraire, le Comité est plutôt d’avis que l’intimé fait preuve d’un manque total de remords ou de compassion envers l’assurée et les inconvénients endurés par cette dernière;

[32]      De plus, le Comité estime que la durée des infractions démontre un laisser-faire et un manque de suivi de ses dossiers par l’intimé au détriment des intérêts de ses clients;

[33]    Pour l’ensemble de ces motifs, le Comité imposera de fortes amendes à l’intimé afin de le dissuader de récidiver et lui rappeler ses devoirs déontologiques envers ses clients, lesquels sont d’ordre public[6];             

         

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

 

            Sur le chef no 1 : une amende de 2 000 $;

 

            Sur le chef no 2 : une amende de 2 000 $;

 

            Sur le chef no 3 : une amende de 1 000 $;

 

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés;

 

 

ACCORDE à l’intimé un délai de 90 jours pour acquitter le montant des amendes et des déboursés, calculé à compter de la signification de la présente décision;

 

RÉITÈRE l’ordonnance de non diffusion et de non accessibilité à tout renseignement nominatif et, plus particulièrement, de tout document ou renseignement de nature financière concernant l’assurée, Mme Richère Fournelle, le tout suivant l’article 142 du Code des professions.

 

 

 

 

 

__________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du comité de discipline

 

 

 

__________________________________

Mme Lyne Leseize, courtier en assurance de dommages des particuliers

Membre du comité de discipline

 

 

__________________________________

M. Benoît Ménard, C.d’A.Ass.,

courtier en assurance de dommages

Membre du comité de discipline

 

 

 

 

 

Me Nathalie Lelièvre

Procureur de la partie plaignante

 

Me Lise Gagnon

Procureur de la partie intimée

 

Date d’audience :

24 mars 2009

 



[1]     Plainte no 1995-06-03, décision du 18 septembre 1995.

[2]     Pigeon c. Daigneault, 2003, CanLii 32934 (Qc C.A.).

[3]     Ibid.

[4] Cartaway Resources corp. [2004] 1 R.C.S. 672.

[5]  Voir les paragraphes 25 et 26 de la décision sur culpabilité du 19 janvier 2009.

[6]   Chauvin c. Beaucage [2008] Q.C.C.A. 922

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.