Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2007-12-01 (E)

 

DATE :

14 mai 2008

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LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville

Président

M. Gilles Beaulieu, expert en sinistre à l’emploi d’un assureur

Membre

M. Michel Émard, expert en sinistre à l’emploi d’un assureur

Membre

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CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

ERIC LAVIGNE, expert en sinistre à l’emploi d’un assureur (5d)

Partie intimée

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DÉCISION SUR SANCTION

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[1]        Le 8 avril 2008, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages, suite à l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité intervenu le 26 mars 2008, déclarait l’intimé coupable de l’infraction suivante :

Le ou vers le 13 mai 2005, a négligé d’effectuer (…) équitablement le règlement de la réclamation de l’assurée, Louise Cadieux, à la suite du dégât d’eau survenu à sa résidence au mois de janvier 2005, en prétendant avoir dû retrancher du montant de la réclamation pour perte de revenus locatifs les semaines où l’expert en sinistre Michel Payette et/ou Les Expertises Omer Payette inc. agissait comme mandataire de l’assurée et que cette présence avait retardé le règlement du dossier, le tout en contravention avec (…) le Code de déontologie des experts en sinistre, notamment (…) l’article 61 (1) dudit code;

[2]        Le 1er mai 2008, les parties procédèrent aux représentations sur sanction, ayant été dûment convoquées par la secrétaire du Comité de discipline;

[3]        Les parties ont alors informé le Comité de leur intention de présenter une recommandation commune quant à la sanction devant être imposée à l’intimé, soit une réprimande et une condamnation aux frais;

[4]        Ces représentations furent suivies d’une courte preuve sur sanction;

 

I.        Preuve sur sanction

[5]        Il fut mis en preuve, par le biais d’admissions, que l’assurée, Mme Louise Cadieux, avait été indemnisée pour un montant de 1 350,00$ représentant le solde de sa réclamation pour perte de revenus locatifs, dû aux agissements de l’intimé, tel que décrit dans le premier chef d’accusation;

[6]        Il fut également mis en preuve que l’intimé est un jeune professionnel de 39 ans comptant 16 années de pratique comme expert en sinistre et ne possédant aucun antécédent disciplinaire;

[7]        Enfin, il fut également démontré (pièce S-1) que le rapport d’expert (pièce P-7) préparé par M. Robert Rochon pour le bénéfice de la syndic avait entraîné des coûts de 812,50$;

 

II.       Analyse et décision

A.  Les faits reprochés

[8]        La plainte reproche à l’intimé d’avoir été négligent dans le règlement d’une réclamation en prétendant devoir retrancher du montant alloué pour perte de revenus locatifs les semaines durant lesquelles l’expert public agissait comme mandataire de l’assurée, Mme Louise Cadieux;

[9]        À cet égard, il sied de reproduire un courriel du 13 mai 2005 adressé par l’intimé à Mme Cadieux dont les passages pertinents se lisent comme suit :

 

«J’ai calculé 10 semaines entre le moment ou (sic) vos chambres étaient redevenues disponibles suite à votre retour à la maison et aujourd’hui. J’ai du (sic) retranché les semaines ou (sic) l’expert public était au dossier et qui ont tout simplement retardé le règlement du dossier car autrement nous étions prêt à régler il y  a très longtemps de ça.» [1]

 

[10]      Ce geste extrêmement maladroit de l’intimé et sa concrétisation par l’envoi d’un courriel écrit sous le coup de la spontanéité entraîna la comparution de ce dernier devant le Comité;

B.  Recommandation commune

[11]      Suivant le principe bien établi par l’arrêt Malouin[2], lequel fut réitéré dans les décisions Mathieu[3] et Jovanovic[4], il est reconnu qu’à moins de circonstances exceptionnelles, la recommandation commune formulée par deux avocats d’expérience suite à de sérieuses et intenses négociations doit être respectée par le Comité, sauf si celle-ci est déraisonnable. Dans ce dernier cas, le Comité doit alors donner aux parties l’occasion de se faire entendre de nouveau[5];

[12]      Quoique la recommandation d’imposer une simple réprimande à l’intimé paraît clémente aux yeux du Comité, celle-ci sera tout de même entérinée puisqu’elle résulte d’intenses négociations entre les parties et plus particulièrement pour les motifs qu’énonçait le Tribunal des professions dans l’affaire Roy[6] lorsqu’il écrivait :

«Il demeure dans l’obligation du Comité de motiver sa décision de ne pas donner suite à l’entente. Une grande attention doit être accordée à des représentations communes. C’est en première ligne, le syndic qui a la mission d’assurer la protection du public. C’est lui qui a une connaissance approfondie du dossier et qui en connaît des éléments qui ne seront pas nécessairement présentés au Comité. Surtout si, comme en l’instance, le processus d’audition a été interrompu par un plaidoyer de culpabilité. Il faut également souligner que les parties ne se sont pas contentées d’exposer leur suggestion mais qu’elles l’ont motivée en exposant que, selon elles, cette suggestion rencontrait les critères applicables, savoir (…)» (p. 10)

 

[13]      Enfin, rappelons les sages paroles du Tribunal des professions dans l’affaire Lagacé[7] suivant lesquelles «une réprimande, ne l’oublions pas, constitue un antécédent qui demeurera au dossier de l’intimé avec toutes les conséquences qui en découlent»;

 

C.  Frais d’expert

[14]      De plus, il y a lieu de noter que les conséquences pour l’intimé ne se limitent pas à l’imposition d’une simple réprimande mais qu’il devra également acquitter les frais de préparation du rapport d’expert lesquels s’élèvent à la somme de 812,50$, en plus des autres déboursés prévus par le Code des professions;

 

D.  Circonstances particulières

[15]      Cette recommandation commune tient compte également des circonstances aggravantes et atténuantes propres au dossier de l’intimé;

[16]      Ainsi, parmi les circonstances aggravantes, il y a lieu de souligner :

    La gravité objective de l’infraction;

    Le respect qui doit exister entre confrères[8] d’une même profession;

    La protection du public;

    Le respect du choix exercé par le consommateur de consulter un autre expert en sinistre;

    Le droit de l’assuré de ne pas être privé, sans excuse légitime, des indemnités auxquelles il a droit;

 

[17]      Enfin, plusieurs circonstances atténuantes militent en faveur de l’intimé, soit

    L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité dès la première occasion;

    Le repentir exprimé par l’intimé par l’indemnisation de l’assurée;

    Le peu de risque de récidive vu le geste posé, de bonne foi, par l’intimé par le versement d’une indemnité à l’assurée;

    L’absence d’antécédent disciplinaire;

 

E.  Versement d’une indemnité

[18]      Concernant l’indemnisation de l’assurée, le Comité tient à rappeler qu’il ne possède aucune autorité statutaire lui permettant d’ordonner le versement d’une indemnité puisque le recours disciplinaire est autonome de ceux habituellement exercés devant les tribunaux civils[9];

[19]      De façon plus particulière, l’honorable Paule Lafontaine, alors présidente du Tribunal des professions, écrivait dans l’affaire Feldman[10] :

«[14]       Certes, dans sa plainte disciplinaire, l'intimée réclame un dédommagement pour les gestes qu'elle reproche au requérant, tout comme elle le fait dans son recours civil.  Mais, la compétence du Comité, en vertu des articles 116, 152 et 156 du Code des professions, est claire et non équivoque : il ne détient aucun pouvoir, quel qu'il soit, pour condamner un professionnel cité en discipline à des dommages en faveur d'un plaignant ou d'une "victime".

[15]         Si un comité de discipline déclare le professionnel poursuivi coupable d'avoir enfreint le Code des professions, sa loi constituante ou l'un ou l'autre des règlements adoptés en vertu de ces derniers, les seules sanctions qu'il peut imposer sont celles prévues à l'article 156 du Code et aucune autre.

[16]         Qui plus est, les conclusions en désaveu des gestes ou procédures posés par le requérant dans le dossier matrimonial de la plaignante (C.S.500-12-182363-899) tirent leur origine du Code de procédure civile, lequel n'est pas applicable en matière disciplinaire, à l'exception des cas qui sont expressément prévus au Code des professions.

[17]         Contrairement à ce que prétend le requérant, les recours de la plaignante, même s'ils sont fondés sur les mêmes faits, ne sont pas susceptibles d'engendrer des jugements contradictoires puisque l'objet et la portée de ces derniers sont fort différents, l'un pouvant entre autres donner ouverture à une compensation monétaire en faveur de l'intimée, l'autre pas.

[18]         Dans le dossier civil, faut-il le rappeler, le juge de la Cour supérieure rétablira les droits des parties, entre autres par une condamnation monétaire en faveur de la plaignante s'il estime que celle-ci a démontré avoir subi un préjudice en raison des faits et gestes fautifs reprochés au requérant, alors que le comité de discipline, lui, imposera plutôt pour les mêmes gestes, la ou les sanctions appropriées susceptibles d'assurer dans le future la protection du public, en dissuadant le requérant de recommencer et les autres membres de la profession de poser des gestes similaires.  L'objet des demandes de la plaignante n'est donc pas le même et en conséquence, les faits allégués, s'ils sont établis, pourront être interprétés différemment selon l'objet ou la portée des litiges opposant ces mêmes parties.»

 

[20]      Bref, le versement d’une indemnité doit se faire sur une base volontaire et la présente décision disciplinaire ne constitue en aucun cas un jugement établissant la responsabilité civile de l’intimé ou de son employeur, les deux recours étant totalement distincts[11], tel que le soulignait la Cour du Québec dans l’affaire Pigeon[12] :

[40]         De même, la décision rendue en matière disciplinaire n'aura pas l'autorité de la chose jugée à l'égard des autres recours, civils (…)»[13]

 

III.      Conclusion

[21]      Cela étant dit, la suggestion commune des parties sera entérinée par le Comité puisque celle-ci est juste et raisonnable et appropriée à l’ensemble des circonstances du dossier;

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

[22]      IMPOSE à l’intimé une réprimande;

[23]      CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés, y compris les frais d’expertise;

[24]      ACCORDE à l’intimé un délai de 60 jours pour acquitter le montant des déboursés et les frais d’expertise, calculé à compter de la signification de la présente décision;

 

 

 

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Me Patrick de Niverville

Président du comité de discipline

 

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M. Gilles Beaulieu, expert en sinistre à l’emploi d’un assureur

Membre du comité de discipline

 

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M. Michel Émard, expert en sinistre à l’emploi d’un assureur

Membre du comité de discipline

 

 

Me Claude G. Leduc

Procureur de la partie plaignante

 

Me Yves Carignan

Procureur de la partie intimée

 

Date d’audience :

1er mai 2008

 



[1]     P. 28 de la pièce P-2;

[2]     Malouin c. Notaires, [2002] QCTP 015;

[3]     Mathieu c. Dentistes, [2004] QCTP 027;

[4]     Jovanovic c. Médecins, [2005] QCTP 020;

[5]     Deschênes c. Optométristes, [2003] QCTP 097; voir également Cloutier c. C.M.A., [2004] QCTP 116;

[6]     Roy c. Médecins, 1998 QCTP 1735 (CanLII);

[7]     Lagacé c. Arpenteurs-géomètres, [2000] QCTP 050, à la p. 9;

[8]     À titre d’exemple, voir Chambre de l’assurance de dommages c. Pinard, 2006 CanLII 41 (QC CDCHAD);

[9]     Pigeon c. Comité de discipline de l’Association des courtiers et agents immobiliers du Québec, 2002 CanLII 13821 (QCCQ);

[10]    Feldman c. Barreau, 2004 QCTP 71 (CanLII);

[11]    Chambre de l’assurance de dommages c. Cloutier, 2007 CanLII 54103 (QC CDCHAD);

[12]    Op. cit., note 9;

[13]    Op. cit., note 9, par. 40;

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