Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2007-10-05(C)

 

DATE :

13 juillet 2010

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

 

Me Patrick de Niverville, avocat

 

Président

Mme France Laflèche, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre

M. Daniel Pauzé, courtier en assurance de dommages

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

NORMAND BÉDARD, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION INTERLOCUTOIRE

______________________________________________________________________

 

[1]   Le 21 juin 2010, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait afin de procéder à l’audition d’une requête en avortement de procès déposée par l’intimé, le 27 avril 2010;

[2]   Cette requête fait suite à certains événements survenus deux (2) ans auparavant lors d’une audition tenue le 16 décembre 2008;

[3]   Essentiellement, le requérant allègue qu’un témoin important de la poursuite a été vu, à l’extérieur de la salle d’audience, "en compagnie et discussion avec deux des membres du comité chargés d’entendre la présente affaire";

[4]   Sans être admis, les faits décrits par le requérant ne sont pas contestés par la poursuite;

[5]   Face à cette situation pour le moins délicate, il fut convenu[1] qu’à défaut d’entente entre les parties que l’intimé déposerait une requête formelle et que celle-ci serait plaidée le 10 mars 2009[2];

[6]   À cet égard, le procureur de l’intimé s’était engagé[3] à produire sa requête au plus tard le 15 février 2009;

[7]   Cependant, une série d’évènements malheureux ont eu pour effet de retarder la suite des procédures;

 

I.          Historique du dossier

1.1       Octobre 2007 à décembre 2008

[8]   Il convient de noter que le présent dossier a connu plusieurs péripéties avant l’audition de la présente requête en avortement de procès;

[9]   Plus précisément, pour la période se situant entre octobre 2007 et décembre 2008, le dossier de l’intimé démontre que :

1)    La plainte a été déposée au greffe du comité de discipline le 31 octobre 2007 et été signifiée à l’intimé le 17 novembre 2007.

2)    La date de l’audition au moment de la signification de la plainte, était fixée au 3 mars 2008.

3)    Une comparution de Me François Beauvais fut déposée au dossier du comité le 19 novembre 2007.

4)    Une demande de remise d’audition du 3 mars 2008 a été requise par Me Beauvais le 7 décembre 2007.

5)    Une conférence téléphonique eu lieu le 11 décembre 2007 concernant, notamment la présentation des moyens préliminaires.

6)    Une autre conférence téléphonique fut tenue le 20 décembre 2007 confirmant que la partie intimée ne déposerait pas de moyens préliminaires et les auditions furent alors fixées aux 20, 26 et 27 mai 2008.

7)    Le 5 mai 2008, un changement de procureurs intervient et un avis de substitution de procureurs est signé entre Me François Beauvais et Me Richard Masson, le 9 mai 2008.

8)    Le 26 mai 2008, une audition est tenue afin d’entendre une requête en irrecevabilité de la plainte déposée par l’intimé. Le comité, séance tenante, a rejeté la requête de l’intimé[4].

9)    Par la suite, l’intimé a interjeté appel de la décision du comité relativement à sa requête et demanda le sursis des auditions. En juin 2008, la Cour du Québec a rejeté la demande de sursis et en février 2009, l’appel fut rejeté[5].

10)  La première audition de la plainte eut lieu le 2 juillet 2008.

11)  Par la suite, une audition fut fixée au 17 octobre 2008 mais annulée par le président du comité.

12)  Les auditions sont alors fixées aux 15 et 16 décembre 2008.

13)  Alors que les auditions du 2 juillet et du 15 décembre 2008 s’étaient déroulées normalement celle du 16 décembre 2008 s’est terminée sur les événements que l’on connait, tels qu’allégués à la requête en avortement de procès.

14)  Les parties conviennent alors, qu’à moins d’entente, une requête formelle sera déposée au plus tard le 15 février 2009 et que celle-ci sera plaidée le 10 mars 2009, à 14h00.

 

1.2       Décembre 2008 à juin 2010          

[10]        Pour la période se situant entre décembre 2008 et juin 2010, le dossier démontre que les auditions furent remises à plusieurs reprises, en raison de l’état de santé de l’intimé;

[11]        Plus précisément, le 4 mars 2009, le procureur de l’intimé informe le comité que l’état de santé de l’intimé ne lui permettra pas de plaider le 10 mars 2009;

[12]        Il est à noter qu’aucune procédure ne fut signifiée entre décembre 2008 et mars 2009 malgré l’engagement du procureur de l’intimé de produire une requête au plus tard le 15 février 2009;

[13]        Dans les circonstances, l’audition du 10 mars 2009 est annulée et la suite des procédures est fixée "pro forma" au 15 avril 2009;

[14]        Le 14 avril 2009, le procureur de l’intimé écrit au greffe du Comité pour informer la secrétaire que :

"Suite à nos derniers échanges, la présente confirme que mon client est toujours hospitalisé, ayant subi à ce jour, sept interventions chirurgicales sous anesthésie générale, la dernière en date du 9 avril dernier. Je n’ai aucun pronostic au moment des présentes et suggère un report de deux mois pour la forme.

Vous remerciant pour votre collaboration habituelle, je demeure

Votre tout dévoué

Richard Masson

c.c. Me Claude Leduc"

[15]        Le dossier est donc fixé "pro forma" au 17 juin 2009, date à laquelle il sera reporté une autre fois  au 4 août 2009, vu l’état de santé précaire de l’intimé;

[16]        Le 10 août 2009, le procureur de l’intimé écrit de nouveau au greffe du Comité, dans les termes suivants :

"Madame la secrétaire du Comité

Je vous transmets sous pli séparé (courrier électronique) copie de certains rapports du centre hospitalier de St-Jean-D’Iberville confirmant les informations que je vous ai transmises antérieurement. Je vous transmets également copie d’un certificat médical émis à la fin juin attestant que mon client a alors été mis en convalescence pour une période minimale de trois (3) mois.

Les examens subis par mon client à la fin juin ont confirmé que celui-ci devra subir une autre intervention, vraisemblablement en septembre, afin de procéder à lui greffer un nouveau genou. Une période de convalescence minimale de trois mois est par la suite prévue. Aussitôt que j’aurai confirmation des présentes informations de la part des médecins de mon client, je vous en ferai le suivi.

Croyant le tout conforme, je vous prie de recevoir l’expression de mes sentiments distingués.

Richard Masson

c.c. Me Claude Leduc"

 

[17]        Devant la gravité de l’état de santé de l’intimé, le dossier est de nouveau reporté "pro forma" au 7 décembre 2009;

[18]        Le 4 décembre 2009, Me Masson informe le comité de l’état de santé de l’intimé;

[19]        Le 7 décembre 2009, une conférence téléphonique est tenue et le procureur de l’intimé est alors informé que :

"La date limite de la décision à savoir si une ou des requêtes seront déposées est le 29 janvier 2010 et que, s’il y a lieu, le dépôt des requêtes se fera le 26 février 2010 au maximum";

[20]        Une autre conférence téléphonique est alors fixée, au 12 février 2010, afin d’assurer le suivi du dossier;

[21]        Le 12 février 2010, le président du comité constate l’absence du procureur de l’intimé et par conséquent, la conférence téléphonique devra être tenue à une autre date;

[22]        Le 23 mars 2010, lors d’une nouvelle conférence téléphonique, le procureur de l’intimé se voit imposer une nouvelle date butoir pour sa requête, soit le 27 avril 2010 et celle-ci devra être présentable le 27 mai 2010;

[23]        Le 27 avril 2010, soit exactement seize (16) mois après les évènements de décembre 2008, une requête en avortement de procès est finalement déposée;

[24]        Le 27 mai 2010, l’audition est encore une fois reportée, pour les mêmes raisons et une nouvelle conférence téléphonique est fixée pour le 31 mai 2010;

[25]        Finalement, le 31 mai 2010 il est convenu que l’audition de la requête aura lieu le 21 juin 2010, soit dix-huit (18) mois après les évènements de décembre 2008;

[26]        Le 8 juin 2010, le comité est informé par le biais d’un nouveau certificat médical que l’intimé "effectue actuellement des traitements d’ostéopathie afin de diminuer la douleur" et que "le travail à domicile est prescrit pour les trois (3) prochains mois";

 

II.         La demande de remise du 17 juin 2010

[27]        Lors d’une conférence téléphonique tenue le 17 juin 2010, le procureur de l’intimé demande à nouveau le report de l’audition de la requête en avortement de procès;

[28]        Le comité avise alors le procureur de l’intimé que sa demande de remise est refusée;

 

III.        La requête en avortement de procès

3.1       Notes liminaires

[29]        Finalement, tel que convenu, l’intimé s’est présenté à l’audition accompagné de son procureur pour débattre de la question soulevée par sa requête en avortement de procès;

[30]        Le comité tient à souligner qu’il est parfaitement conscient de la gravité de l’état de santé de l’intimé et des difficultés que cela a pu entraîner pour lui et sa famille;

[31]        C’est d’ailleurs, en tenant compte de cette situation particulière que l’audition de la requête fut tenue dans un hôtel à proximité de la résidence de l’intimé afin de pouvoir l’accommoder;

 

3.2       La preuve au dossier

[32]        L’intimé n’a pas fait entendre de témoins à l’appui de sa requête et s’est contenté de référer le Comité aux allégations que l’on retrouve au paragraphe 8 de sa requête;

[33]        De son côté, la syndic a fait entendre M. Denis Beauregard lequel a affirmé devant le Comité avoir simplement salué les deux membres assesseurs et que leur discussion fut limitée à des choses anodines sans relation avec la cause de l’intimé;

[34]        Finalement, suite à l’insistance du procureur de l’intimé et juste avant de clore l’audition, le comité par la voix de son président et ce, uniquement dans le but de rassurer l’intimé, a confirmé que la conversation entre les deux membres assesseurs et le témoin Beauregard s’était limité à un simple échange de civilités et que jamais il n’avait été question du dossier de l’intimé, ni de proche, ni de loin;

3.3       L’argumentation

            A)   Par l’intimé-requérant

[35]        Le procureur de l’intimé a particulièrement insisté sur le fait que ces événements du 16 décembre 2008 suscitent chez son client une crainte de partialité puisque M. Beauregard est un témoin important de la poursuite;

[36]        D’autre part, Me Masson a réitéré à plusieurs reprises qu’une déclaration de la part des membres assesseurs du Comité s’imposait afin de dissiper les doutes que lui et son client pouvaient entretenir sur l’impartialité du Comité;

 

B)   Par la syndic

[37]        De son côté, Me Leduc, au nom de la syndic, plaide essentiellement les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Droit de la famille-1959[6] aux pages 633 et 634 :

"Pour être cause de récusation, la crainte de partialité doit donc :

a) être raisonnable, en ce sens qu’il doit s’agir d’une crainte, à la fois, logique, c’est-à-dire qui s’infère de motifs sérieux, et objective, c’est-à-dire que partagerait la personne décrite à b) ci-dessous, placée dans les mêmes circonstances; il ne peut être question d’une crainte légère, frivole ou isolée;

b)  provenir d’une personne :

i.      sensée, non tatillonne, qui n’est ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète, non plus que facilement portée au blâme;

ii.     bien informée, parce que ayant étudié la question, à la fois, à fond et d’une façon réaliste, c’est-à-dire dégagée de toute émotivité; la demande de récusation ne peut être impulsive ou encore, un moyen de choisir la personne devant présider les débats; et

c)  reposer sur des motifs sérieux : dans l’analyse de ce critère, il faut être plus exigeant selon qu’il y aura ou non enregistrement des débats et existence d’un droit d’appel." 

    

[38]        À l’appui de ses prétentions, Me Leduc dépose plusieurs jurisprudences, dans lesquelles ces principes ont été appliqués, soit :

                Dubé c. Syndicat de professionnelles et professionnels du Gouvernement du Québec, 2006 QCCRT 0219;

                Cantello et Watson c. Commission de Police du Nouveau-Brunswick, 2007 N.B.B.R. 032 (CanLII);

                Collège des Médecins du Québec c. Monfette, 2004 CanLII 66543 (QC C.D.C.M.);

                Rioux c. Poulin, 2005 CanLII 59623 (QC C.D.C.S.F.)

[39]        Enfin, Me Leduc conclut qu’une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, surtout après le témoignage de M. Beauregard, conclurait qu’il n’y a pas de fondement réel à la crainte de partialité exprimée par l’intimé;

 

IV.        Analyse et dispositif

4.1       Introduction

[40]        Mentionnons d’entrée de jeu, que la question soulevée par l’intimé n’est pas nouvelle et qu’elle a fait l’objet en droit disciplinaire de plusieurs jugements;

[41]        Sauf exception[7], il s’agit d’une des rares fois où l’on demande la récusation de tous les membres du comité de discipline d’où les conclusions en avortement de procès;

[42]        De façon préliminaire, soulignons que les membres du comité ne pouvaient être interrogés concernant les événements du 16 décembre 2008 puisqu’une telle procédure est interdite par les dispositions du Code de procédure civile (L.R.Q. c-c-25) et incompatible avec le principe de l’indépendance judiciaire applicable aux comités de discipline[8];

[43]        D’autre part, depuis la réforme des articles 234 C.p.c. et suivants, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, les membres du comité n’ont pas l’obligation de déposer une déclaration écrite, par contre, rien n’interdit au décideur de déposer une déclaration expliquant les raisons pour lesquelles il ne se récuse pas[9];

[44]        C’est pourquoi, le comité, sur l’insistance du procureur de l’intimé a choisi, de faire une courte déclaration à la fin des débats pour dissiper tout doute dans l’esprit de l’intimé quant à la teneur des propos échangés entre les deux membres assesseurs et le témoin Beauregard;

[45]        Cela étant dit, il y a lieu maintenant d’examiner les principes de droit applicables à la requête en récusation;

 

4.2       Le droit

[46]        Au sujet de la procédure applicable en matière de récusation d’un membre d’un comité de discipline, le juge Dalphond alors juge à la Cour supérieure, écrivait dans l’affaire Paquette c. Marsot[10] :

[77] L’article 140 du Code des professions prévoit qu’un membre d’un comité de discipline peut être récusé dans les cas prévus à l’article 234 C.P.C., sauf le paragraphe 7 (membre d’un regroupement, en l’occurrence le même ordre professionnel). Cette disposition, adoptée en 1973 et entrée en vigueur en même temps que le Code des professions, en 1974, ne limite pas la récusation aux seuls motifs prévus à l’article 234 C.P.C.

[78] En effet, l’entrée en vigueur, en 1976, de la Charte des droits et libertés de la personne (30) a ajouté un droit à valeur quasi constitutionnelle, soit celui à une audition impartiale par un tribunal indépendant :

23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.

Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l’intérêt de la morale ou de l’ordre public.

[Les italiques sont du soussigné]

[79] L’article 56 de la charte définit le mot «tribunal» pour les fins, notamment, de l’article 23 comme incluant «une personne ou un organisme exerçant des fonctions quasi judiciaires. Utilisant les critères élaborés par la Cour suprême dans l’arrêt 2747-3174 Québec Inc. c. Régie des permis d’alcool du Québec(31) et repris par la Cour d’appel dans Association des policiers provinciaux du Québec c. Poitras(32), il faut conclure que les fonctions d’un comité de discipline sont de nature quasi judiciaire au sens de l’article 56 de la charte (la décision d’un comité de discipline est l’aboutissement d’un processus calqué sur le modèle judiciaire – avis, audition publique, processus contradictoire, exigence d’impartialité et composition du comité -, les droits du professionnel visé sont mis en cause et il y a application d’une norme préétablie à des faits particuliers).

[80] Par conséquent, un comité de discipline constitue un tribunal au sens de l’article 23 de la charte. Il est donc faux de prétendre qu’un membre d’un comité de discipline ne peut être récusé que pour un des motifs mentionnés à l’article 234 C.P.C.

[81] Considérant la nature des fonctions d’un comité de discipline et les conséquences sérieuses de ses décisions pour le professionnel objet d’une plainte, le tribunal est d’opinion que la norme à respecter par les membres d’un comité de discipline en matière d’impartialité est la plus élevée, soit celle applicable aux cours de justice(33). Il s’ensuit qu’il ne doit y avoir crainte raisonnable de partialité  relativement aux décisions du comité.

[82] Par ailleurs, le deuxième alinéa de l’article 140 du Code des professions définit la procédure à suivre pour obtenir une récusation, en incorporant par renvoi les articles 234 à 242 C.P.C.

[83] Il s’ensuit qu’à la demande de récusation d’un membre doit se faire par requête  écrite, que le membre visé doit produire une déclaration écrite et que la décision sur sa récusation doit être prise hors sa présence.

[84] Comme le Code des professions énonce par renvoi la procédure à suivre pour demander et décider de la récusation de membres du comité de discipline, on n’a pas à rechercher dans la common law les règles applicables, comme c’était le cas pour la Commission d’enquête sur la Somalie ou la Commission Poitras(34).

[85] Le tribunal considère aussi que l’inclusion de l’article 140 dans un chapitre relatif au fonctionnement des comités de disciplines et l’économie générale des dispositions législatives en matière disciplinaire ont pour effet de conférer compétence aux comités de discipline pour statuer sur la récusation d’un de leurs membres, contrairement à la Commission d’enquête sur la Somalie(35) et la Commission Poitras (Association des policiers provinciaux du Québec, supra). En effet, il ressort du Code des professions que les comités de disciplines ont compétence pour décider de leurs propres procédures et statuer sur toutes questions de droit et de fait, y compris remplacer un membre d’une formation devenue incapable d’agir (art. 119), par exemple avant le début de l’instruction. De l’avis du tribunal, il y a lieu de conclure, comme l’a fait la Cour d’appel de Terre-Neuve dans Newfoundland Telephone Co. C. Board of Commisioners of Public Utilities of Newfoundland (36), que les comités de discipline peuvent statuer sur des demandes de récusation. (Références omises) (Nos soulignements);

 

[47]        Il y a lieu de souligner que la réforme de 2002[11] a introduit en janvier 2003[12] trois modifications majeures :

1.    soit l’ajout de la crainte raisonnable de partialité comme motif de récusation (art. 234(10) C.p.c.);

2.    le fait que dorénavant, la requête en récusation est décidée par le juge saisi de la cause (art. 238 C.p.c.);

3.    et enfin, le juge n’a plus l’obligation de faire une déclaration écrite (art. 240 C.p.c.) sauf s’il connait une cause valable de récusation le concernant (art. 236 C.p.c);

[48]        D’ailleurs, il est intéressant d’examiner la portée que le Tribunal des professions accorde à cette réforme dans l’affaire Laliberté[13];

[33]           La requérante propose également un argument tiré des amendements introduits au Code de procédure civile par la Loi portant réforme du Code de procédure civile[12] relativement à la procédure afférente à la récusation.

[34]           L'article 140 du Code des professions[13] énonce que la récusation d'un membre d'un comité de discipline obéit aux articles 234 à 242 du Code de procédure civile.

[35]           Plus particulièrement, elle renvoie à l'ancien article 240 qui, avant les amendements entrés en vigueur le 1er janvier 2003, se lit comme suit :

« La déclaration du juge ne peut être contredite que par une preuve écrite. »

[36]           Il faut rappeler aussi qu'à cette époque, aux termes de l'article 238, la requête en récusation est portée devant le Tribunal hors la présence du juge récusé.  Depuis la réforme, la requête en récusation est dorénavant décidée par le juge saisi de la cause.  Sa décision est sujette à appel conformément aux règles applicables à l'appel d'un jugement interlocutoire[14].  L'article 240, dans sa forme précitée, n'existe plus.

[37]           La requérante semble voir dans la disparition de l'article 240 d'avant la réforme, édictant en quelque sorte le régime de contestation d'une déclaration d'un décideur, la licence permettant dorénavant d'utiliser la preuve testimoniale en contraignant les décideurs pour faire valoir une demande en récusation puisque rien ne l'interdit ni ne prescrit dorénavant quelque procédure à cet égard.

[38]           L'on ne saurait anticiper qu'un tel argument puisse avoir quelque chance d'être accueilli au stade de l'appel.  Il serait étonnant que le législateur, au fait de l'état du droit au moment de la réforme de la procédure civile, ait entendu placer le décideur dans une situation moins avantageuse qu'elle ne l'était avant les amendements, édulcorant d'autant le principe de l'indépendance judiciaire.

[39]           Il y a d'ailleurs lieu de croire que les amendements à la procédure relatifs à la récusation répondent mieux au principe de l'indépendance judiciaire en vertu de laquelle il convient mal qu'un autre juge, sur demande du juge en chef, telle était du moins, dans la plupart des cas, la façon de faire à l'époque antérieure à la réforme, se saisisse d'une demande en récusation d'un collègue.

[40]           L'on trouve une observation dans ce sens du Comité de révision de la procédure civile que la Cour supérieure cite avec approbation dans Charron et al. c. Charron et al.[15].

[41]           Par ailleurs, il ne s'agit pas d'une question nouvelle.  Dans Gomez c. Médecins[16], le Tribunal dispose de la question.

[42]           La requérante soutient que les amendements au Code de procédure civile en altèrent l'autorité.  Pour les raisons mentionnées précédemment au sujet de la portée des amendements au Code de procédure civile, la requérante ne convainc pas qu'il y a lieu de la remettre en question.

‑ La procédure de récusation entreprise en l'espèce

[43]           La requérante fait valoir que les déclarations des membres du Comité, inusitées dans les circonstances au regard de la procédure en vigueur depuis janvier 2003[17], préjugeraient d'ores et déjà de leur décision sur le mérite de la requête en récusation.

[44]           Avec égard, le Tribunal ne voit pas en quoi un tel argument ait un impact quelconque sur la question de savoir s'il y a lieu ou non de permettre l'interrogatoire des membres du Comité sur leurs déclarations.

[45]           En tout état de cause, il y a lieu de replacer les choses dans leur juste perspective.

[46]           D'une part, il est exact que les membres du Comité n'ont pas l'obligation de déposer une déclaration de la nature de celle qu'ils ont faite, comme le prescrivait l'ancien article 238 du Code de procédure civile.  Par ailleurs, rien n'interdit au décideur de déposer une déclaration écrite expliquant les raisons pour lesquelles il ne se récuse pas. (Nos soulignements)

[49]        Par conséquent, les deux membres assesseurs n’avaient pas l’obligation de faire une déclaration et ils peuvent participer à la décision portant sur leur récusation ou non;

[50]        Enfin, rappelons l’existence de la présomption d’impartialité[14], laquelle est également applicable aux comités de discipline[15], en conséquence, le Comité n’avait pas à prouver, par une déclaration, son impartialité, celle-ci n’ayant été faite que dans le but de rassurer l’intimé;

 

4.3       Dispositif

[51]        À la lumière des faits et de la jurisprudence  applicable en matière de récusation, la requête en avortement de procès sera rejetée pour les motifs ci-après exprimés;

[52]        Rappelons en premier lieu le principe suivant lequel le professionnel doit être jugé par ses pairs[16], c’est d’ailleurs pour cela que l’article 140 C.p. exclut expressément le paragraphe 7 de l’article 234 C.p.c., soit l’appartenance à une même association;

[53]        Les membres assesseurs sont habituellement choisis en raison de leurs connaissances approfondies de la profession, de ses rouages et de ses coutumes[17];

[54]        Pour les mêmes raisons, la Cour d’appel rappelait récemment que :

"L’expertise du comité de discipline, composé de spécialistes du domaine, oblige la Cour du Québec, vu son absence d’expertise particulière en matière de discipline professionnelle, à faire montre de déférence"[18];

[55]        Par contre, on ne peut demander à des non-juristes de connaître tous les raffinements et toutes les nuances de la règle "audi alteram partem", dont notamment celle qui consiste à garder une essentielle distance entre le comité, les parties et leurs témoins;

[56]        De plus, tout en convenant qu’il pourrait s’agir d’une possible maladresse, le comité est d’avis qu’une personne raisonnable, sensée et bien informée des faits de la cause, pourrait au mieux conclure à un geste maladroit, mais sans conséquence sur l’impartialité du comité;

[57]        Il y a lieu de rappeler encore une fois que les événements du 16 décembre 2008 se sont limités à un simple échange de civilités, sans jamais qu’il soit question du dossier de l’intimé, ni de proche, ni de loin;

[58]        À cet égard, le présent dossier ressemble à s’y méprendre à l’affaire Latour[19];

[59]        En l’espèce, l’appelant Latour un candidat à l’exercice de la profession d’avocat, avait surpris les membres du comité d’accès à la profession (CAP) chargés d’étudier son dossier en train d’avoir une conversation avec un témoin important dans le corridor adjacent à la salle d’audition;

[60]        Dans les faits, la conversation s’était limitée à échanger sur l’endroit où se trouvait la salle d’audition et l’heure à laquelle devait débuter l’audition;

[61]        La demande de récusation fut rejetée par le CAP et le candidat à la profession interjeta appel au comité des requêtes du Barreau du Québec (Comité) qui à son tour rejeta la demande de récusation, tel qu’il appert de l’extrait suivant du jugement du Tribunal des professions :

[38]            Le Comité écrit :

[54]      Il s’agit aux yeux du COMITÉ, d’une simple rencontre de la nature de civilités qui arrivent (sic) régulièrement dans les Palais de justice où des décideurs, rencontrent des procureurs qui souvent sont appelés à se présenter devant eux et qu’ils ont connus à l’occasion de leur carrière antérieure.

[55]      Pousser l’argument de l’appelant voudrait dire que dès qu’il y aurait un contact et échange de paroles avec un décideur, il serait susceptible d’y avoir un accroc aux règles de justice naturelle.

[56]      Le COMITÉ est d’avis et ce, se fondant sur la jurisprudence même qu’a citée le procureur de l’appelant et que nous commenterons, qu’il faut plus qu’une simple rencontre, il faut une preuve que des informations qui ont un lien avec le contenu du dossier, qu’il s’agisse d’une enquête ou un procès, aient fait l’objet d’échanges entre les personnes présentes.

[57]      Il n’y a aucune telle preuve dans ce dossier; au contraire, les déclarations non contestées et non contredites des membres du CAP et l’absence d’interrogatoire ou contre-interrogatoire des participants le confirme (sic).[18]

Et plus loin :

[72]      Il n’en demeure pas moins qu’il faut que le COMITÉ conclut tout d’abord qu’il y a eu échange ou obtention d’informations par le CAP qui aurait fait en sorte que ce dernier aurait bénéficié d’informations qui n’ont pas été portées à l’attention de l’une ou l’autre des parties, et particulièrement l’appelant.

[73]      Échanger sur l’endroit où se trouve la salle d’audition et l’heure où débute l’audition dans les circonstances rapportées par les membres du CAP, ne constitue pas, aux yeux du COMITÉ, et avec respect pour l’opinion contraire, la transmission d’informations de nature telle que cela pourrait entraîner l’annulation de la décision pour défaut de respecter les règles de justice naturelle.

[…]

[82]      Dans le dossier sous appel, le COMITÉ est d’avis que les faits entourant la « rencontre privée » avec (l’avocate), ne supportent pas la prétention de l’appelant qu’il y aurait eu accroc aux règles de justice naturelle ou d’équité procédurale.[19] (Nos soulignements) ;

[62]        Finalement, le Tribunal des professions après avoir étudié le cas et analysé la preuve rejeta, lui aussi, l’appel en concluant que le dossier ne contient "aucune preuve d’éléments pertinents qui permettrait de craindre raisonnablement qu’il y avait eu ingérence"[20];

[63]        Nonobstant le fait que la procédure devant le CAP et le Comité des requêtes soit de nature administrative[21] plutôt que de nature disciplinaire, il en demeure néanmoins que certaines des règles de justice naturelle s’appliquent aux deux types de procédures, dont celle d’agir avec impartialité[22], en conséquence, l’arrêt Latour constitue un solide précédent sur lequel le Comité peut fonder sa décision;

[64]        Pour ces motifs, le Comité est d’avis "qu’une personne sensée, non tatillonne, qui n’est ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète, non plus que facilement portée au blâme[23]" conclurait après avoir pris connaissance des faits, qu’il n’y a pas de fondement réel à la crainte de partialité exprimée par l’intimé et que, dans la pire des hypothèses, il s’agit tout au plus d’une simple maladresse, sans conséquence;

[65]        En conclusion, la requête en avortement de procès sera rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

REJETTE la requête en avortement de procès;

DEMANDE à la secrétaire du comité de discipline de convoquer les parties pour la suite des auditions;

Le tout, frais à suivre.

 

 

 

__________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du comité de discipline

 

__________________________________

Mme France Laflèche, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre du comité de discipline

 

__________________________________

M. Daniel Pauzé, courtier en assurance de dommages

Membre du comité de discipline

 

 

Me Claude G. Leduc

Procureur de la partie plaignante-intimée

 

Me Richard Masson

Procureur de la partie intimée-requérante

 

Date d’audience :

21 juin 2010

 



[1]     Notes sténographiques du 16 décembre 2008, pages 118 à 128

[2]     Ibid, p. 125

[3]     Ibid, p. 125, ligne no. 16

[4]     Chambre de l’assurance de dommages c. Bédard, 2008 CanLII 24803 (QC C.D.C.H.A.D.)

[5]     Bédard c. Chauvin 2009 QCCQ 1912 (CanLII)

[6]     Droit de la famille -1959 [1993] R.J.Q. 625 (C.A.)

[7]     Lacroix c. Comptables agréées, 2003 QCTP 52 (CanLII)

[8]     Gomez c. Ordre des Médecins, 2003 QCTP 110 (CanLII) voir au même effet, l’arrêt Laliberté c. Chiropraticiens, 2006 QCTP 105 (CanLII)

[9]     Laliberté c. Chiropraticiens, op.cit. no.8, par. 46

[10]    Paquette c. Marsot, [2001] R.J.Q. 450 (C.S.)

[11]    Loi portant réforme du Code de procédure civile, L.Q. 2002, ch.7

[12]    Ibid. art. 181, entrée en vigueur 1er janvier 2003

[13]    Laliberté c. Chiropraticiens 2006 QCTP 105 (CanLII)

[14]    R. c. S. [1997] 3 R.C.S. 484

[15]    Ménard c. Agronomes, 2010 QCTP 55 (CanLII)

[16]    Nantais c. Bolduc [1988] R.J.Q. 2465 (C.S.)

[17]    Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba [1991] 2 R.C.S. 869, p.890

[18]    Chambre de la Sécurité Financière c. Murphy, 2010 QCCA 1078 (CanLII) par. 34

[19]    Latour c. Barreau du Québec 2010 QCTP 22 (CanLII)

[20]    Latour, op-cit no.18, par. 77 et 78

[21]    Corriveau c. Avocats, 2008 QCTP 46 (CanLII)

[22]    Ibid. par. 119

[23]    Le test applicable en matière de récusation (Droit de la famille – 1959) fut encore tout récemment, réaffirmé par la Cour d’appel dans l’affaire Murphy c. Chambre de la Sécurité Financière, 2010 QCCA 1079 (CanLII) par. 52

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