Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DES DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

N° :

2009-06-01(E)

2009-06-02(E)

 

 

DATE :

5 juillet 2010

 

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Yvon Clément, expert en sinistre

Membre

M. Jules Lapierre, expert en sinistre

Membre

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CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre d’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

BENOIT MAYER, expert en sinistre

et

MICHEL GUERTIN, expert en sinistre

Parties intimées

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DÉCISION SUR SANCTION

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[1]       Le 10 février 2010, le Comité de discipline de la Chambre d’assurance de dommages déclarait les intimés coupables des infractions reprochées dans les plaintes disciplinaires nos 2009-06-01(E) et 2009-06-02(E);

[2]       L’audition sur sanction fut fixée de consentement au 19 avril 2010 pour être finalement reportée au 14 juin 2010;

[3]       La syndic était représentée par Me Claude G. Leduc et les intimés par Me Jean-Yves Therrien;

[4]       Plus particulièrement, les intimés furent reconnus coupables d’avoir entravé le travail du syndic et de l’adjoint du syndic à cinq (5) reprises, soit le 18 février 2009, le 13 mars 2009, le 8 mai 2009, le 5 juin 2009 et le 16 juin 2009, le tout contrairement à l’article 56 du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

I.        Preuve sur sanction

[5]       La syndic a témoigné pour établir que les documents requis avaient finalement été fournis par les intimés au cours du mois de mars 2010;

[6]       De plus, les comptes d’honoraires de Me Leduc furent produits (S-1) afin de démontrer que le Bureau du syndic avait engagé des frais légaux pour un montant de 6 786,70 $ dans le présent dossier;

 

II.       Argumentation

[7]       La syndic requiert comme sanction, pour chacune des dates d’infraction, une amende de 1 000 $, soit 5 000 $ par intimé, pour un total de 10 000 $.

[8]       La syndic réclame également une période de radiation temporaire de trois (3) mois pour chacun des intimés;

[9]       À l’appui de son argumentation, Me Leduc dépose une série de jurisprudence visant à démontrer qu’une radiation temporaire doit être imposée aux intimés;

[10]    De son côté, Me Therrien, au nom des intimés, demande la clémence du Comité et plaide, plus particulièrement :

         La bonne foi et l’absence d’intention malveillante des intimés;

 

         Leur croyance erronée dans le fait qu’ils pensaient avoir droit d’obtenir une copie des motifs à l’appui de la demande d’enquête;

 

         Leur espoir d’obtenir une rencontre avec la syndic avant de lui remettre les documents requis;

 

         Leur confusion quant à la pertinence de l’enquête, puisqu’à leur avis le client à l’origine de la plainte avait réglé avec eux le différend qui les opposait;

 

[11]    À son avis, il y avait confusion quant à la période de temps visée par l’enquête de même que sur l’objet de l’enquête et sur les documents et renseignements requis;

[12]    Enfin, il prend à son compte certaines erreurs ou omissions qui ont pu être commises dans la gestion du dossier;

[13]    Il conclut en suggérant comme sanction, une réprimande, et propose de limiter les amendes à 1 000 $ par intimé, pour un total de 2 000 $;

 

III.        Analyse et décision

[14]    Le Comité de discipline désire, dans un premier temps, rappeler que chaque nouvelle demande de renseignements constitue une infraction distincte[1];

[15]    D’ailleurs, le troisième alinéa de l’article 156 C. prof. prévoit qu’en cas d’infraction continue, cette continuité constitue, jour par jour, une infraction distincte et donc une amende distincte[2];

[16]    De plus, le comité de discipline a l’obligation d’imposer une sanction pour chaque infraction et il ne peut se contenter d’imposer une seule sanction applicable de façon globale à toutes les infractions[3];

[17]    En conséquence, chaque jour d’infraction sera sanctionné par une amende et/ou une radiation temporaire;

[18]    D’autre part, il y a lieu de souligner que l’annonce faite par un professionnel qu’il a l’intention de donner suite à la correspondance du syndic n’est pas une réponse, mais plutôt une façon déguisée de refuser ou de négliger de répondre[4];

[19]    Enfin, rappelons que toute forme d’entrave au travail du syndic cause un préjudice grave à la protection du public, au point tel qu’un syndic peut demander la radiation provisoire et immédiate d’un professionnel qui refuse d’obtempérer[5];

[20]    Finalement, depuis l’arrêt Pharmascience[6], il est clair que tous les professionnels et même les tiers ont l’obligation de collaborer à l’enquête du syndic;

[21]    Mais il y a plus, cette obligation existe sans égard aux conseils qu’un intimé aurait pu recevoir de son avocat[7];

[22]    Dans le présent dossier, au-delà des circonstances aggravantes ou atténuantes soulevées par l’une ou l’autre des parties et de la jurisprudence plaidée de part et d’autre, le Comité considère que d’imposer une radiation temporaire de trois (3) mois ou même d’une seule journée constituerait une sentence accablante pour les intimés;

[23]    En effet, vu le dialogue de sourds qui semblait s’être instauré entre le procureur des intimés et le Bureau du syndic[8], le Comité considère que d’imposer une période de radiation temporaire aux intimés équivaudrait à les punir pour le comportement de leur procureur[9];

[24]    L’objectif de la sanction disciplinaire n’est pas de punir[10] le professionnel, mais vise plutôt à prévenir la répétition des gestes reprochés;

[25]    De plus, la sanction doit assurer la protection du public et satisfaire aux critères d’exemplarité et de dissuasion tout en considérant le droit du professionnel d’exercer sa profession[11];

[26]    Le Comité considère que la protection du public, dans le cas particulier des intimés, ne sera pas mieux servie par l’imposition d’une période de radiation temporaire fut-elle d’une seule journée ou de trois (3) mois;

[27]    Par contre, l’imposition d’une forte amende, soit 5 000 $ par intimé, pour un total de 10 000 $, sera suffisamment dissuasive pour empêcher les intimés de récidiver et permettra de leur faire prendre conscience de leurs obligations professionnelles;

[28]    D’autre part, une telle amende aura également un effet dissuasif sur les autres membres de la profession en leur rappelant qu’ils ont l’obligation de collaborer avec le syndic[12];

[29]    Mais il y a plus, les intimés en sont à leur première présence devant le Comité de discipline pour une infraction d’entrave[13] et le Comité considère que d’imposer une radiation temporaire pour une première infraction d’entrave équivaudrait à faire abstraction du principe de la gradation des sanctions[14] et surtout à faire abstraction des circonstances particulières du présent dossier[15];

[30]    Malgré l’existence de plusieurs décisions ayant imposé une période de radiation temporaire même pour une première infraction d’entrave, cela n’a pas pour effet d’occulter le principe suivant lequel une sanction doit être individualisée[16];

[31]    Contrairement aux infractions à caractère sexuel ou d’appropriation, le législateur n’a pas jugé opportun, pour les infractions d’entrave, d’imposer un seuil minimal de sanction[17] équivalant à une radiation temporaire;

[32]    En pratique, cela signifie que le Comité possède une discrétion lui permettant d’individualiser la sanction en tenant compte du cas particulier des intimés et des circonstances propres au dossier;

[33]    Chaque cas diffère et un comité doit pouvoir imposer une sanction moins sévère que ce que l’on pourrait qualifier de «point de départ»[18] ou de seuil minimal pour ce genre d’infraction;

[34]    D’ailleurs, l’imposition d’une sanction ne se résume pas à l’application d’une formule mathématique[19] mais doit être précédée d’une analyse approfondie de toutes les circonstances de chaque cas;

[35]    En l’espèce, le Comité considère que les intimés n’ont pas à être pénalisés outre mesure pour les agissements de leur procureur et qu’une amende de 5 000 $ par intimé permettra d’assurer la protection du public et d’éviter la répétition de tels gestes;

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITE DE DISCIPLINE :

 

IMPOSE à l’intimé Benoît Mayer les sanctions suivantes :

         Une amende  de 1 000 $ pour chaque jour d’infraction, pour un total de 5 000 $;

 

IMPOSE à l’intimé Michel Guertin les sanctions suivantes :

         Une amende  de 1 000 $ pour chaque jour d’infraction, pour un total de 5 000 $ ;

 

CONDAMNE les intimés conjointement au paiement de tous les déboursés ;

ACCORDE aux intimés un délai de 90 jours calculé à compter de la signification de la présente décision pour acquitter le montant des amendes et des déboursés.

 

 

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Me Patrick de Niverville, avocat

Président du Comité de discipline

 

 

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M. Yvon Clément, expert en sinistre

Membre

 

 

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M. Jules Lapierre, expert en sinistre

Membre

 

 

 

Me Claude G. Leduc

Procureur de la partie plaignante

 

 

Me Jean-Yves Therrien

Procureur de la partie intimée

 

 

Date d’audience :

14 juin 2010

 



[1]     Voir par analogie R. c. Grimwood, [1987] 2 R.C.S. 755;

[2]     Sur cette question, voir Durand c. Biron, [1991] R.J.Q. 142;

[3]     Pigeon c. Proprio Direct, 2003 CanLII 45825 (C.A.);

[4]     Lepage c. Psychologues, [1994] D.D.C.P. 336 (T.P.), aux pp. 338 et 339;

[5]     Art. 130 C. prof.;

[6]     2006 C.S.C. 48;

[7]     Denturologistes c. Picard, [2008] QCTP 144;

Coutu c. Pharmaciens, [2009] QCTP 17;

[8]     Voir les paragraphes 16 à 43 de la décision sur culpabilité du 10 février 2010;

[9]     Voir par analogie Pont-Viau (cité de) c. Gauthier MFG. LTD., (1978) 2 R.C.S. 516;

      Voir aussi Tribunal des Professions c. Verreault, [1995] R.D.J. 360 (C.A.);

[10]    Royer c. Chambre de la sécurité financière, J.E. 2004-1486 (C.Q.);

[11]    Pigeon c. Daigneault, [2003] R.J.Q 1090 (C.A); 

[12]    Bellemare c. Avocats, [2010] QCTP 42;

[13]    L’intimé Guertin a déjà été condamné et sanctionné dans un autre dossier, mais pour une infraction de nature complètement différente;

[14]    St-Laurent c. Comité de discipline de l’A.C.A.I.Q., EYB 2001-27269 (C.Q.);

[15]    Voir, encore une fois, les paragraphes nos. 16 à 43 de la décision sur culpabilité;

[16]    Comptables généraux licenciés c. Leporé, [2004] DDOP 298 (T.P.), par. 22;

[17]    Art. 156, alinéa 2, C. prof.;

[18]    Moisescu c. Psychologues, 1999 QCTP 55;

[19]    Cadrin c. Pharmaciens, [1993] O.T.P.Q. no. 47 (Q.L.), [1993] D.D.C.P. 263 (résumé) (T.P.);

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