Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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Contenu de la décision

 

 
 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2007-10-05(C)

 

DATE :

26 mai 2008

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville

Président

Mme France Laflèche, C.d’A.A.

Membre

M. Daniel Pauzé, courtier en assurance de dommages

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

NORMAND BÉDARD, C.d’A.Ass.

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION INTERLOCUTOIRE

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 26 mai 2008, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait afin de procéder à l’audition de la plainte no. 2007-10-05(C), la partie plaignante étant représentée par Me Claude G. Leduc et l’intimé étant représenté par Me Richard Masson;

[2]           La plainte disciplinaire reproche à l’intimé 15 infractions, lesquelles se lisent comme suit :

 

1.         Le ou vers le 10 juillet 2006, a fait défaut d’exécuter le mandat que lui avait confié l’assurée, Les entreprises Ghislain Sauvé inc. et/ou Ghislain Sauvé, d’obtenir une protection d’assurance pour les biens suivants :  Une mini-excavatrice John Deere 2006, modèle 35 D, avec cabine et deux bennes – et – un niveleur de sol, John Deere, neuf, modèle LP78, 2006, laissant ces biens sans protection d’assurance entre le 10 juillet 2006 et le 9 novembre 2006, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 25, 37 (1) et 37 (4) dudit code.

2.         Du 10 juillet au 29 septembre 2006, a fait défaut de rendre compte de l’exécution de son mandat en n’informant pas l’assurée, Les entreprises Ghislain Sauvé inc. et/ou Ghislain Sauvé, des exigences de l’assureur ING Assurance pour couvrir une mini-excavatrice John Deere 2006, modèle 35 D, avec cabine et deux bennes, soit l’obligation d’installer un système de repérage Boomerang, laissant ce bien sans protection d’assurance entre le 10 juillet 2006 et le 9 novembre 2006, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 26, 37 (1), 37 (4) et 37 (6) dudit code.

3.         Le ou vers le 10 juillet 2006, a été négligent dans l’exécution du mandat confié par l’assurée, Les entreprises Ghislain Sauvé inc. et/ou Ghislain Sauvé, en transmettant à un tiers, Lague & Martin inc., une confirmation d’assurance valide pour la période du 10 juillet 2006 au 13 juillet 2007, sur les biens suivants :  Une mini-excavatrice John Deere 2006, modèle 35 D, avec cabine et deux bennes – et – un niveleur de sol, John Deere, neuf, modèle LP78, 2006, alors que l’assureur ING Assurance, nommé dans cette confirmation, n’a pas été mis au courant de cette demande d’ajout de biens à assurer, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 9, 27, 29, 37 (1) et 37 (4) dudit code.

 

Cas de l’assurée Service de gestion de parcs Ottocam inc., Solution 3000 inc. et M. Alain Corbeil

4.         Au mois de mars 2006, n’a pas recueilli les renseignements nécessaires pour lui permettre d’identifier les besoins des assurés, Service de gestion de parcs Ottocam inc. et/ou Solution 3000 inc. et/ou Alain Corbeil, quant à l’utilisation qui serait faite d’une remorque 2006 LWL, afin de proposer le produit d’assurance convenant le mieux, le tout en contravention avec les articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 37 (1) et 37 (6) dudit code.

5.         Au mois de mars 2006, a été négligent dans l’exécution du mandat confié par les assurés, Service de gestion de parcs Ottocam inc. et/ou Solution 3000 inc. et/ou Alain Corbeil, en transmettant à un tiers, Irwin Financement, un formulaire d’assurance pour confirmer l’existence d’une couverture d’assurance sur une remorque 2006 LWL, alors qu’il n’y avait aucune certitude d’une telle couverture sans connaître l’utilisation qui serait faite de la remorque, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 9, 15, 37 (1) et 37 (4) dudit code.

6.         Le ou vers le 8 août 2006, lors du renouvellement de la police d’assurance des entreprises ING Assurance, numéro 342-1594, n’a pas recueilli les renseignements nécessaires pour lui permettre d’identifier les besoins des assurés, Service de gestion de parcs Ottocam inc. et/ou Solution 3000 inc. et/ou Alain Corbeil, quant à l’utilisation qui était faite d’une remorque 2006 LWL, laissant ainsi la remorque sans protection d’assurance du 8 août 2006 au 1er décembre 2006, le tout en contravention avec les articles 16 et 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 37 (1) et 37 (6) dudit code

7.         Entre le 8 août et le 29 septembre 2006, a été négligent dans l’exécution du mandat confié par les assurés, Service de gestion de parcs Ottocam inc. et/ou Solution 3000 inc. et/ou Alain Corbeil, en n’effectuant aucune démarche auprès de l’assureur ING Assurance pour que la remorque 2006 LWL soit couverte par les protections du chapitre B, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 9, 37 (1) et 37 (6) dudit code.

 

Cas de l’assurée Les entreprises Proden inc., M. Daniel Luquette

8.         Le ou vers le 28 juillet 2006, a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux en demandant à ING Assurance, pour l’assurée, Les entreprises Proden inc. et/ou Daniel Luquette, d’assurer à compter du 1er août 2006, un emplacement sis en Ontario, soit le 50 Galaxy Boulevard, unit 7, à Etobicoke, au nom de Entreprises Proden Ontario inc., sans vérifier au préalable la possibilité d’obtenir dudit assureur une telle protection, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 26, 37 (1) et 37 (6) dudit code.

9.         Au mois de juillet 2006, a fait défaut de rendre compte à l’assurée, Les entreprises Proden inc. et/ou Daniel Luquette, de l’exécution de son mandat en ne lui faisant parvenir aucun écrit, confirmant qu’une protection d’assurance avait ou non été obtenue pour un emplacement sis en Ontario, soit le 50 Galaxy Boulevard, unit 7, à Etobicoke, au nom de Entreprises Proden Ontario inc., le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 25, 26, 37 (1) et 37 (4) dudit code.

10.      Le ou vers le 28 août 2006 et jusqu’au 29 septembre 2006, a fait défaut d’agir avec professionnalisme en ne communiquant ni avec l’assureur ING Assurance, ni avec l’assurée, Les entreprises Proden inc. et/ou Daniel Luquette, pour faire le point sur la couverture d’assurance en regard de l’emplacement sis en Ontario, soit le 50 Galaxy Boulevard, unit 7, à Etobicoke, au nom de Entreprises Proden Ontario inc., le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 9, 25, 37 (1), 37 (4) et 37 (5) dudit code.

 

Cas des assurés Mme Linda Bélanger et M. Luc Rioux

11.      Le ou vers le 11 janvier 2007, a exercé ses activités de représentant en assurance de dommages de façon négligente en transmettant aux assurés, Linda Bélanger et Luc Rioux, un certificat d’assurance automobile contenant une information fausse ou trompeuse à savoir que la protection d’assurance visée par le certificat avait été obtenue par le cabinet Agence d’assurances Normand Bédard inc., le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 9, 25, 37 (1), 37 (5) et 37 (7) dudit code.

 


Cas de l’assurée Grand Format inc.

12.      Au mois de mars 2006, a fait défaut de respecter le secret des renseignements que l’assurée, Grand Format inc., lui avait fournis en 2004 lors de l’émission d’un contrat de garantie de remplacement, soit les coordonnées bancaires de celle-ci, et ce, en les utilisant à d’autres fins que celles pour lesquelles elles avaient été obtenues, en inscrivant ces renseignements sur une proposition d’assurance automobile transmise à l’assureur AXA, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2 et 23 dudit code.

 

Cas de l’assurée Mme Marie-Noëlle Charbonneau

13.      Le ou vers le 16 novembre 2006, a imité ou permis que soit imitée la signature de l’assurée, Marie-Noëlle Charbonneau, sur un document intitulé « Mandat pour transfert de Courtier », le tout en contravention avec les articles 16 et 18 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 15, 19, 37 (1), 37 (5), 37 (7) et 37 (9) dudit code.

 

Cas de l’assuré M. Bruce Ward

14.      Le ou vers le 13 novembre 2006, a imité ou permis que soit imitée la signature de l’assuré, Bruce Ward, sur un document intitulé « Mandat pour transfert de Courtier », le tout en contravention avec les articles 16 et 18 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 15, 19, 37 (1), 37 (5), 37 (7) et 37 (9) dudit code.

 

Cas de l’assurée Toiture Claude Turcotte, M. Claude Turcotte

15.      Le ou vers le 29 novembre 2006, a imité ou permis que soit imitée la signature de l’assuré, Claude Turcotte, sur un document intitulé « Mandat pour transfert de Courtier », le tout en contravention avec les articles 16 et 18 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 2, 15, 19, 37 (1), 37 (5), 37 (7) et 37 (9) dudit code.

 

[3]           D’entrée de jeu, le procureur de l’intimé informa le Comité qu’il désirait, dans un premier temps, faire part de ses observations préliminaires concernant la validité de l’affidavit à l’appui de la plainte disciplinaire;

[4]           Après divers échanges entre les parties, ces observations préliminaires furent dûment qualifiées de moyens préliminaires par lesquels l’intimé demande le rejet de la plainte;

 

I.             Moyens préliminaires

A.   Argumentation de l’intimé

[5]           L’intimé plaide l’invalidité de la plainte en soutenant que l’affidavit est irrégulier en ce sens qu’il n’est pas conforme à l’article 344 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), lequel édicte :

 

«Art. 344.  Un syndic dépose une plainte devant le comité de discipline contre un représentant lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise.»

 

[6]           Essentiellement, l’intimé plaide que l’affidavit déposé à l’appui de la plainte ne répond pas aux exigences de l’article 344 de la Loi;

[7]           L’affidavit déposé par la syndic se lit comme suit :

 

                  

1.       Je suis la plaignante en cette cause;

 

2.       J'ai des motifs de croire que les faits énoncés dans la présente plainte sont vrais.

 

 

[8]           L’intimé prétend que l’affidavit est déficient puisqu’il ne contient pas les mots «motifs raisonnables» et encore moins le détail des motifs à l’appui de la plainte;

[9]           En conséquence, vu le vice fatal qui affecterait l’affidavit, selon l’intimé, il demande le rejet pur et simple de l’affidavit et, conséquemment, le rejet de la plainte disciplinaire à l’appui de laquelle le jurat fut fourni;

 

B.   Argumentation de la syndic

[10]        Me Leduc, au nom de la syndic, plaide l’absence de formalisme en matière de rédaction de plainte disciplinaire;

[11]        À cet égard, il réfère le Comité à l’article 376 de la Loi, lequel édicte :

 

 

«Art. 376.  Les dispositions du Code des professions (chapitre C-26) relatives à l’introduction et à l’instruction d’une plainte ainsi qu’aux décisions et sanctions la concernant s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux plaintes que reçoit le comité de discipline.»

 

[12]        Fort de cette disposition, la syndic s’appuie sur l’article 127 du Code des professions, lequel énonce :

 

«Art. 127.  La plainte doit être faite par écrit et appuyée du serment du plaignant.

 

Le secrétaire du comité de discipline ne peut refuser de recevoir une plainte pour le seul motif qu'elle n'a pas été faite au moyen du formulaire proposé en application du paragraphe 9° du troisième alinéa de l'article 12.»

 

[13]        Plaidant d’abondant, Me Leduc précise qu’il est bien établi, en droit disciplinaire, que la rédaction d’une procédure disciplinaire est dénuée de tout formalisme;

[14]        En conséquence, la syndic demande au Comité de confirmer la validité de l’affidavit et donc, par le fait même, la plainte.

 

II.         Analyse et décision

A.   Décision préliminaire

[15]        Le Comité a rejeté, séance tenante, le moyen préliminaire présenté verbalement par l’intimé, motivant sommairement sa décision en s’appuyant sur l’affaire Lippens[1];

[16]        C’est alors que l’intimé, par la voie de son procureur, informa le Comité de son intention de porter en appel cette décision interlocutoire du Comité;

[17]        Cela étant dit, l’intimé demanda une suspension afin de lui permettre de déposer un appel en bonne et due forme à l’encontre de ladite décision interlocutoire;

[18]        Après une courte suspension, le Comité a rejeté cette demande de suspension en référant les parties à l’article 381 de la Loi, lequel édicte :

«Art. 381.  L’appel ne suspend pas l’exécution de la décision contestée à moins qu’un juge de la Cour du Québec n’en décide autrement.»

 

[19]        Il fut alors décidé que l’intimé devait préparer une requête en ordonnance de sursis suivant l’article 381 de la Loi et déposer celle-ci devant le Comité lors de la reprise de l’audience à 14h00. Le Comité rendrait alors une décision finale quant à la demande de suspension requise par l’intimé;

[20]        En contrepartie, afin de permettre à l’intimé d’avoir en main une décision écrite, vu l’annonce de son intention de porter celle-ci en appel, le Comité, pour sa part, s’est engagé à remettre aux parties une décision écrite dans les mêmes délais, soit pour 14h00;

 

B.   Motifs écrits

[21]        Le Tribunal des professions, dans une décision récente, soit l’affaire Nadon[2], déclarait :

 

«72.  Il est d’abord utile de souligner que le libellé de la plainte est de la responsabilité du syndic. Celui-ci est lié par cette rédaction, tout comme le comité et le tribunal.

 

73.  De plus, il convient de rappeler ce qu’écrit le juge Dussault dans Tremblay c. Dionne :

 

«84.  D’une part, les éléments essentiels d’un chef de plainte ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions du code de déontologie ou du règlement qu’on lui reproche d’avoir violé (référence omise);»

 

74.  À diverses reprises, les tribunaux ont reconnu, en droit disciplinaire, l’existence de règles plutôt souples dans la rédaction d’une plainte, allant même jusqu’à affirmer que celles-ci étaient dénuées de tout formalisme (Dunn c. Katz, 2005 QCTP 14);

 

75.  Dans cette foulée, le renvoi des dispositions plus générales que spécifiques a été maintes fois toléré, dans la mesure où le libellé de l’infraction était suffisamment précis pour permettre au professionnel visé de comprendre la nature des actes reprochés et d’offrir une défense pleine et entière;

 

76.  En matière de déontologie, le recours fondé sur les dispositions de nature générale, comme l’article 59.2 du Code des professions, s’explique par l’impossibilité de dresser une liste exhaustive des actes répréhensibles susceptibles d’être posés par un professionnel;

 

77.  La finalité d’un tel article est d’englober un large éventail d’actes dérogatoires non énumérés dans la codification.»

 

[22]        Suivant l’article 128 C. prof., une plainte disciplinaire peut être portée par le syndic ou par toute autre personne.

[23]        Cette plainte doit être faite par écrit et appuyée d’un affidavit (art. 127 C. prof.) et elle doit être reçue par le secrétaire du Comité de discipline (art. 126 C. prof.).

[24]        La formulation de la plainte disciplinaire, sans être astreinte à aucun formalisme, doit tout de même répondre à certains critères minimaux et elle ne doit pas constituer une «expédition de pêche» tel que le rappelait le Tribunal des professions dans l’affaire Cloutier c. Sauvageau[3] :

«[13]   Tout comme le prétendait l'appelant dans la cause Brazeau c. Guay (1999 QCTP 106), le plaignant ici, par l'intermédiaire de sa procureure Me Ladouceur, plaide que les intimés pourront se défendre adéquatement à la plainte malgré sa formulation, une fois la preuve au fond présentée devant le Comité.  Ils seront alors en mesure de faire le lien entre ce qui leur est véritablement reproché et les obligations déontologiques correspondantes leur incombant en vertu du Code de déontologie des avocats. 

[14]   Cette façon de faire est totalement inacceptable, comme le rappelle à bon escient et à juste titre le Comité.  En effet, tout professionnel poursuivi, que ce soit en discipline, au civil ou au criminel, a le droit de connaître très clairement et très précisément ce qu'on lui reproche avant d'enregistrer son plaidoyer et de se défendre à la poursuite.  Il n'a surtout pas à deviner  les griefs invoqués : une plainte disciplinaire n'est pas une partie de pêche.  C'est là en effet le fondement même du droit d'un professionnel à une défense pleine et entière tel que reconnu à l'article 144 du Code des professions.»

 

[25]        À cet égard, il y a lieu de rappeler les enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Kane[4] :

 

«3.  Une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d’une personne d’exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu (références omises). Une suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière.» [5]

 

 

[26]        Bref, même si la rédaction de la plainte n’a pas besoin d’être d’une précision à toute épreuve, il demeure néanmoins qu’elle doit être suffisamment précise pour permettre au professionnel de connaître ce qui lui est reproché et de présenter une défense pleine et entière;

[27]        Suivant l’article 129 C. prof., la plainte doit indiquer sommairement la nature et les circonstances de temps et de lieu de l’infraction reprochée au professionnel;

[28]        À cet égard, il convient de rappeler les enseignements de la Cour d’appel dans l’affaire Tremblay c. Dionne[6] :

 

«[84]  D'une part, les éléments essentiels d'un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions du code de déontologie ou du règlement qu'on lui reproche d'avoir violées (références omises). De plus, le Code des professions exige simplement que le libellé de l'infraction indique sommairement la nature et les circonstances de temps et de lieu de l’infraction reprochée au professionnel (article 129) et permette à l’intimé de présenter une défense pleine et entière (article 144).(…)»

 

[29]        De la même façon, la Cour supérieure, dans l’affaire Fortin c. Tribunal des professions[7] déclarait :

«[150]      Au surplus, la rigueur exigée par le Tribunal des professions à l’égard de la rédaction de la plainte n'est pas justifiée en matière disciplinaire.  C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle Me Sylvie Poirier, dans un article intitulé «La plainte disciplinaire» en arrive:

«Les chefs d'infractions contenus à une plainte disciplinaire, pour être valables, n'ont pas à être rédigés avec le formalisme et la rigueur des textes de nature pénale (références omises).»

 

[30]        Rappelons également l’affaire Brunet c. Lebel[8] dans laquelle le Tribunal écrivait :

 

«Il n'y a pas de formule sacramentelle pour la rédaction d'une plainte déontologique.  Les quatre chefs retenus par le Comité sont suffisamment précis pour que le professionnel soit en mesure de savoir de quoi il est accusé et puisse se défendre adéquatement. Dans Lepage c. Corporation professionnelle des psychologues (1994 D.D.C.P. 336), le Tribunal des professions écrit:

 

En droit disciplinaire, il n'y a pas lieu d'exiger que le libellé de la plainte ait la précision exigée d'un acte d'accusation en matière pénale et criminelle.  Il suffit donc que la plainte contienne suffisamment d'informations pour que le professionnel soit en mesure de faire valoir sa défense.» (p. 338)

 

 

[31]        Ce principe de base a été réitéré à de nombreuses reprises par le Tribunal des professions[9];

[32]        Ainsi, malgré l’absence de règles strictes en matière de rédaction de plainte, il demeure néanmoins que le comité de discipline doit juger en fonction du libellé de la plainte[10];

C.   Conclusion

[33]        Vu la  jurisprudence constante des tribunaux suivant laquelle la rédaction d’une plainte est dénuée de tout formalisme, le Comité voit mal comment il devrait conclure que l’affidavit donné à l’appui de la plainte est lui-même assujetti à une précision formaliste et rigoriste;

[34]        Formalisme et rigorisme qui, faut-il ajouter, ne sont pas imposés pour le texte même de la plainte, et donc, encore moins pour l’affidavit.

[35]        En conséquence, le Comité estime que la décision Lemieux c. Lippens[11] demeure, encore aujourd’hui, d’actualité et, plus particulièrement le passage suivant :

 

«En l’absence de tout texte exigeant que le serment contienne une affirmation de la connaissance personnelle des faits par le déposant, le tribunal ne voit pas comment on puisse soutenir avec succès que le jurat est contraire aux règles élémentaires de la justice.»[12]

 

 

[36]        En dernier lieu, le Comité considère que le droit à une défense pleine et entière de l’intimé n’est aucunement affecté par l’absence de l’utilisation dans l’affidavit de certains mots plutôt que d’autres;

 

D.   Suspension

[37]        Par contre, en toute équité pour l’intimé et conformément à son droit à une défense pleine et entière et compte tenu que l’intimé plaide qu’il s’agit d’une question de compétence préliminaire, le Comité suspendra pour une période de 30 jours l’audition de la présente plainte;

[38]        À l’expiration de ce délai, à défaut d’une ordonnance émise par la Cour du Québec ordonnant au Comité de discipline de surseoir à l’audition de la présente plainte jusqu’à la décision finale sur l’appel, les auditions reprendront sur le fond de la plainte;

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

[39]        REJETTE le moyen préliminaire présenté par l’intimé;

[40]        DÉCLARE qu’il a compétence sur la plainte disciplinaire;

[41]        ACCORDE à l’intimé un délai de 30 jours pour présenter et obtenir une ordonnance de sursis émise par la Cour du Québec;

[42]        À DÉFAUT DE QUOI, les auditions reprendront à l’expiration de ce délai, le tout en conformité avec l’article 381 de la Loi;

[43]        Le tout, frais à suivre.

 

 

 

__________________________________

Me Patrick de Niverville

Président du comité de discipline

 

__________________________________

Mme France Laflèche, C.d’A.A.

Membre du comité de discipline

 

__________________________________

M. Daniel Pauzé, courtier en assurance de dommages

Membre du comité de discipline

 

 

Me Claude G. Leduc

Procureur de la partie plaignante

 

Me Richard Masson

Procureur de la partie intimée

 

Date d’audience :

26 mai 2008

 



[1]     Lemieux c. Lippens, [1973] R.L. 405;

[2]    Nadon c. Avocats, [2008] QCTP 12;

[3]    Cloutier c. Sauvageau, 2004 QCTP 005;

[4]    Kane c. Le Conseil d’administration de l’Université de la Colombie-Britannique, (1980) 1 R.C.S. 1105, à la p. 1113;

[5]    Ibid., p. 1113;

[6]    Tremblay c. Dionne, [2006] R.J.Q. 2614 (C.A.);

[7]    Fortin c. Tribunal des professions, 2003 CanLII 33167 (QCCS);

[8]    Brunet c. Lebel,1998 QCTP 1593;

[9]    Bélanger c. Avocats, Op. cit., note 40;

     Smith c. Vallée, 2006 QCTP 28

     Dunn c. Katz, 2005 QCTP 14

     Médecins c. Ricard, 2002 QCTP 108;

     Avocats c. Paquin, 2002 QCTP 96

     Marin c. Ingénieurs-forestiers, 2005 D.D.O.P. 324 (T.P.);

[10]   À titre d’exemple, voir : Chambre de l’assurance de dommages c. Lucien, [2006] CanLII 53738 (QC C.D.C.H.A.D.); Chambre de l’assurance de dommages c. Cloutier, [2007] CanLII 54103 (QC C.D.C.H.A.D.);

[11]    Lemieux c. Lippens, [1973] R.L. 405;

[12]    Ibid., p. 432;

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