Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2007-12-03 (C)

 

DATE :

16 avril 2008

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Patrick de Niverville, avocat

Président

Mme Francine Tousignant, C.d’A.Ass.

Membre

Mme Sylve Campeau, courtier en assurance de dommages

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

ALEXANDRE L. KOTLIAROFF

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET

DE NON-ACCESSIBILITÉ DU NOM DES ASSURÉS ET DE TOUT RENSEIGNEMENT LES CONCERNANT ET PLUS PARTICULIÈREMENT LES PIÈCES P-3 ET P-4

(Art. 142 du Code des professions)

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 27 mars 2008, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait afin de procéder à l’audition de la plainte no. 2007-12-03 (C);

[2]           La partie plaignante était alors représentée par Me Nathalie Lelièvre et la partie intimée était représentée par Me Carolyne Mathieu;

[3]           D’entrée de jeu, la procureure de la syndic informa le Comité qu’une recommandation commune serait présentée par les parties et, en conséquence, que l’intimé souhaitait enregistrer un plaidoyer de culpabilité à l’encontre de la plainte, laquelle se lit comme suit :

1.     Au cours de la période allant du 26 octobre au 8 novembre 2007, a fait défaut d’agir avec professionnalisme et a fait preuve de négligence en hébergeant, sur le site Web du cabinet Assurances Kotliaroff & Associés, les liens informatiques, codes d’utilisateur et mots de passe de son frère, Nicolas Kotliaroff, agent en assurance de dommages, rattaché et dédié à Promutuel Deux-Montagnes, société mutuelle d’assurance générale, alors que l’accès à ceux-ci n’était pas protégé, permettant ainsi, notamment à tout visiteur, aux employés du cabinet et à lui-même, d’y avoir accès, sans le consentement de Promutuel Deux-Montagnes, société mutuelle d’assurance générale, et d’avoir accès à des renseignements personnels de plus de 12 000 clients de Promutuel Deux-Montagnes, société mutuelle d’assurance générale, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment l’article 16 de la loi et les articles 11, 14, 24, 27 et 37(1) dudit code;

2.     Au cours de la période allant du 26 octobre au 8 novembre 2007, a fait preuve de négligence dans l’exercice de ses activités professionnelles en faisant défaut de s’assurer que l’accès aux outils du cabinet Assurances Kotliaroff & Associés, se trouvant sur le site Web du cabinet, étaient protégés tels que des formulaires de facturation du cabinet, des notes de couverture portant son nom et son titre de courtier ou celui de son frère, Nicolas Kotliaroff, ce dernier étant identifié par ailleurs faussement à titre de courtier en assurance dommages, le tout en contravention avec le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 11, 15 et 37(1) dudit code.

 

[4]           Me Mathieu, procureure de l’intimé, confirma l’entente et, conséquemment, enregistra un plaidoyer de culpabilité à l’encontre de ladite plainte;

[5]           Considérant ce plaidoyer de culpabilité et les représentations des procureurs, le Comité déclara, séance tenante, l’intimé coupable des deux chefs d’accusation mentionnés à la plainte;

 

II.         Preuve par la syndic

 

[6]           En conséquence, la preuve fut déposée de consentement, laquelle est composée des pièces documentaires suivantes :

 

Pièce P-1 A :  Attestation de qualité et fiche informatique de Alexandre L. Kotliaroff;

Pièce P-1 B :  Fiche informatique de Nicolas Kotliaroff;

Pièce P-2 :     En liasse, résumés de conversations téléphoniques entre Mme Marie Bélanger, enquêteur, et M. Sylvain Nadeau de la compagnie AssurExperts Groupe Tardif en date des 26 octobre et 2 novembre 2007;

Pièce P-3 :     Impression de la structure du site web www.assures.ws et des pages auxquelles il donne accès en date des 26 octobre, 29 octobre, 30 et 31 octobre, 1er et 8 novembre et 9 décembre 2007;

Pièce P-4 :     Clé USB contenant le site web www.assures.ws en date du 1er novembre 2007;

Pièce P-5 :     En liasse, lettre de M. Alain Marinier, directeur développement et ventes de Promutuel Deux-Montagnes, à Mme Carole Chauvin en date du 21 novembre 2007 en réponse à la lettre de Mme Chauvin du 13 novembre 2007, résumés de conversations téléphoniques en date des 8 novembre (2 résumés) et 11 décembre 2007;

Pièce P-6 :     En liasse, lettre réponse de Nicolas Kotliaroff du 3 décembre 2007 et les documents l’accompagnant en réponse à la lettre de Mme Carole Chauvin du 13 novembre 2007, télécopie de M. Nicolas Kotliaroff à Mme Carole Chauvin, syndic, en date du 13 décembre 2007, résumés de conversations téléphoniques des 27 novembre et 11 décembre 2007;

Pièce P-7 :     En liasse, lettre de M. Alexandre L. Kotliaroff à Mme Carole Chauvin, syndic, du 3 décembre 2007 et les documents l’accompagnant en réponse à la lettre de Mme Chauvin, syndic, du 13 novembre 2007, résumés de conversations téléphoniques en date des 8 novembre (2 résumés) et 11 décembre 2007;

Pièce P-8 :     Un courriel de M. Richard Perreault, responsable du parc informatique à la Chambre de l’assurance de dommages, à Mme Carole Chauvin, syndic, en date du 6 novembre 2007;

Pièce P-9 :     Un extrait du registre des entreprises (système CIDREQ) concernant Assurances Kotliaroff & Associés en date du 10 décembre 2007.

 

[7]           D’autre part, à la demande de la syndic et de consentement avec l’intimé, une ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-accessibilité du nom des assurés et de tout renseignement les concernant fut émise par le Comité de discipline et plus particulièrement pour les pièces P-3 et P-4, le tout en conformité avec les articles 142 et 154 du Code des professions;

[8]           Cette ordonnance fut émise par le Comité en raison des nombreux renseignements nominatifs que l’on retrouve dans les pièces documentaires dont les pièces P-3 et P-4;

 

II.         Preuve en défense

 

[9]           Après avoir été dûment assermenté, l’intimé a témoigné  pour sa défense;

[10]        L’intimé explique que lors de la dernière mise à jour de son site internet, le 1er novembre 2007, un «bogue» informatique s’est glissé dans son portail de sécurité. Par contre, dès qu’il fut informé de cette situation, il prit les mesures nécessaires pour y remédier (p. 5 de P-6 et pp. 9 et 13 de P-7);

[11]        Il précise que son frère, Nicolas Kotliaroff, qui est représentant pour la Promutuel Deux-Montagnes, avait de la difficulté à se souvenir de son code d’accès; il avait donc fait un lien dans la section sécurisée de son site internet pour lui permettre d’accéder à ses dossiers-clients (P-3 et P-4);

[12]        Malheureusement, en raison d’un problème technique, il semble que toute personne qui accédait à son site internet pouvait, du même coup, accédé aux informations confidentielles des clients de la Promutuel Deux-Montagnes;

[13]        Il regrette profondément son geste et se déclare désolé des fuites de renseignements nominatifs qui ont pu survenir en raison de ce problème technique;

[14]        Il reconnaît que s’il avait eu recours à une firme professionnelle pour la mise en place de son site web, cette situation ne serait probablement pas survenue et que son inexpérience dans le domaine a causé sa perte;

[15]        En réponse à certaines questions du président du Comité, l’intimé a confirmé qu’il est actuellement âgé de 22 ans et qu’il ne bénéficie que d’une année de pratique comme courtier en assurance de dommages, par contre, il cherche à parfaire ses connaissances par diverses études universitaires;

[16]        En dernier lieu, il demande  un délai de six (6) mois pour acquitter le montant des amendes qui lui seront imposées;

 

III.        Recommandation commune sur sanction

 

[17]        La procureure de la syndic déclare au Comité que les parties se sont entendues sur la recommandation commune suivante, soit :

      Une amende de 2,000$ sur le premier chef d’accusation;

      Une amende de 1,000$ sur le deuxième chef d’accusation;

 

[18]        Au soutien de cette recommandation commune, Me Lelièvre souligne les circonstances atténuantes suivantes :

         L’absence d’antécédents disciplinaires de l’intimé;

         Le plaidoyer de culpabilité enregistré dès la première occasion;

         La collaboration de l’intimé à l’enquête de la syndic;

         Les moyens entrepris par l’intimé pour corriger cette situation, dès qu’il en fut informé;

         L’absence d’intention malhonnête de l’intimé;

 

[19]        Au chapitre des circonstances aggravantes, la procureure de la syndic souligne :

         La gravité objective des infractions reprochées à l’intimé;

         La protection du public en matière de renseignements confidentiels;

 

[20]        À l’appui de ses prétentions, Me Lelièvre dépose une série de jurisprudence, de même que des extraits de diverses lois et règlements qui démontrent l’importance d’assurer la confidentialité des renseignements nominatifs;

[21]        En défense, Me Mathieu confirme la recommandation commune et insiste sur l’absence d’intention malhonnête de son client, lequel a remédié à cette situation dès qu’il en fut informé;

 

IV.       Analyse et décision

 

[22]        Le Comité rappelle que, suivant la jurisprudence, il n’est pas lié par les recommandations communes des parties[1];

[23]        Par contre, dans la mesure où la recommandation commune des parties n’est pas déraisonnable et qu’elle assure la protection du public, alors, le Comité se doit de l’entériner[2];


[24]        Dans le présent dossier, la recommandation commune suggérée par les parties tient compte des circonstances atténuantes telles que l’absence d’antécédents disciplinaires de l’intimé, sa collaboration à l’enquête de la syndic, de même que l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité et, enfin, de son jeune âge et de son manque d’expérience et d’autre part, des circonstances aggravantes telles que l’importance de protéger la confidentialité des renseignements nominatifs;

[25]        Pour ces motifs, le Comité considère que la recommandation commune des parties constitue une sanction juste et raisonnable et qu’elle tient compte de toutes les circonstances particulières de la présente affaire;

[26]        En conséquence, celle-ci sera entérinée pour les motifs ci-après exposés;

 

4.1      Le cadre législatif et réglementaire

 

A.        Le Code de déontologie

 

[27]        À la lecture de la plainte déposée contre l’intimé, on constate que celle-ci réfère à  plusieurs dispositions du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, soit plus particulièrement les articles 11, 14, 15, 24, 27 et 37(1) dudit Code, lesquels se lisent comme suit :

11.   Le représentant en assurance de dommages doit appuyer toute mesure visant la protection du public.

14.   La conduite d'un représentant en assurance de dommages doit être empreinte d'objectivité, de discrétion, de modération et de dignité.

 

15.   Nul représentant ne peut faire, par quelque moyen que ce soit, des représentations fausses, trompeuses ou susceptibles d'induire en erreur.

 

24.   Le représentant en assurance de dommages ne doit pas divulguer les renseignements personnels ou de nature confidentielle qu'il a obtenus autrement que conformément à la loi, ni les utiliser au préjudice de son client ou en vue d'obtenir un avantage pour lui-même ou pour une autre personne.

 

27.   Le représentant en assurance de dommages ne doit pas abuser de la bonne foi d'un assureur ou user de procédés déloyaux à son endroit.

 

37.   Constitue un manquement à la déontologie, le fait pour le représentant en assurance de dommages d'agir à l'encontre de l'honneur et de la dignité de la profession, notamment:

 

   1°    d'exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente;

 

[28]        En plus des dispositions déontologiques ci-haut mentionnées, la plainte réfère à l’article 16 de la Loi[3], lequel oblige tout représentant à agir avec compétence et professionnalisme;

[29]        Concernant l’importance d’assurer la confidentialité des renseignements personnels, l’ancien vice-président du Comité de discipline écrivait, de façon fort à propos :

[10] Par ailleurs, le Comité n’est pas sans savoir que le développement sans cesse grandissant des technologies multiplie les sources d’utilisation possibles des renseignements personnels. Cette réalité  devrait, d’une part, inciter les professionnels à être plus vigilants quant à la protection de tels renseignements et respectueux, d’autre part, de la réglementation entourant la destruction des dossiers.

[11] Cependant, en agissant comme elle l’a fait, l’intimée a enfreint l’une des composantes les plus importantes dans la relation qui l’unit à ses clients, soit le respect de la confidentialité, ce qui, de l’avis du Comité, constitue un manquement grave.[4]

 

[30]        D’ailleurs, l’importance d’assurer le caractère confidentiel des renseignements nominatifs appartenant aux clients se reflète dans plusieurs législations québécoises;

 

B.       Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (L.R.Q., c. C-1.1)

 

[31]        Cette loi[5] fut adoptée afin d’assurer, notamment, la sécurité juridique des communications[6];

[32]        À cet égard, plusieurs dispositions de cette loi valent la peine d’être citées, soit :

 

2.  À moins que la loi n'exige l'emploi exclusif d'un support ou d'une technologie spécifique, chacun peut utiliser le support ou la technologie de son choix, dans la mesure où ce choix respecte les règles de droit, notamment celles prévues au Code civil.

Ainsi, les supports qui portent l'information du document sont interchangeables et, l'exigence d'un écrit n'emporte pas l'obligation d'utiliser un support ou une technologie spécifique.

 

25.  La personne responsable de l'accès à un document technologique qui porte un renseignement confidentiel doit prendre les mesures de sécurité propres à en assurer la confidentialité, notamment par un contrôle d'accès effectué au moyen d'un procédé de visibilité réduite ou d'un procédé g ou, selon le cas, d'avoir accès autrement au document ou aux composantes qui permettent d'y accéder.

 

34.  Lorsque la loi déclare confidentiels des renseignements que comporte un document, leur confidentialité doit être protégée par un moyen approprié au mode de transmission, y compris sur des réseaux de communication.

 

La documentation expliquant le mode de transmission convenu, incluant les moyens pris pour assurer la confidentialité du document transmis, doit être disponible pour production en preuve, le cas échéant.

 

 

[33]        Dans le présent dossier, l’intimé, en hébergeant, sur son propre site internet, les liens informatiques, code d’utilisateur et mot de passe de son frère (chef no. 1), sans protéger adéquatement l’accès à ceux-ci, n’a pas, de toute évidence, respecter les obligations qui lui étaient imposées par l’article 25 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, soit celles «de prendre les mesures de sécurité propres à en assurer la confidentialité, notamment par un contrôle d’accès effectué au moyen d’un procédé de visibilité réduite ou d’un procédé qui empêche une personne non autorisée de prendre connaissance du renseignement»;

[34]        Il est probable que le recours au service d’une entreprise spécialisée dans la création de site web aurait permis à l’intimé d’éviter le bris de confidentialité qui lui est, aujourd’hui, reproché dans la présente plainte;


C.  Le Code civil du Québec

 

[35]        Tel que précédemment mentionné, le Code civil du Québec reconnaît également la protection des renseignements de nature confidentielle et ce, dans les termes suivants :

 

Art. 35.  Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.

Art. 36.  Peuvent être notamment considérées comme des atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants :

(…)

6.       utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels;

Art. 37.  Toute personne qui constitue un dossier sur une autre personne doit avoir un intérêt sérieux et légitime à le faire. Elle ne peut recueillir que les renseignements pertinents à l’objet déclaré du dossier et elle ne peut, sans le consentement de l’intéressé ou de l’autorisation de la loi, les communiquer à des tiers ou les utiliser à des fins incompatibles avec celles de sa constitution; elle ne peut non plus, dans la constitution et l’utilisation du dossier, porter autrement atteinte à la vie privée de l’intéressé ni à sa réputation;

 

[36]        La Charte des droits et libertés de la personne[7] reconnaît également l’importance d’assurer la confidentialité des renseignements obtenus dans l’exercice d’une profession;

 

D.  Charte des droits et libertés de la personne

 

[37]        La Charte élève au statut de droits fondamentaux le respect à la vie privée et le droit au secret professionnel dans les termes suivants :

 

Art. 5.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

Art. 9.  Chacun a droit au respect du secret  professionnel.

Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.

 

[38]        À cet égard, il sied de rappeler les propos de l’honorable juge LeBel dans l’affaire Société d’énergie Foster Wheeler Ltée[8], lequel déclarait :

29. (…)  Dans le cadre législatif québécois, on constate donc que l’expression «secret professionnel» vise l’institution dans son ensemble. Cette dernière inclut une obligation de confidentialité qui, dans les domaines où elle s’applique, impose à l’avocat un devoir de discrétion et crée un droit corrélatif à son silence en faveur de son client. Ensuite, à l’égard des tiers, le secret professionnel comprend une immunité de divulgation qui protège le contenu de l’information contre sa communication forcée, même dans les instances judiciaires, sous les réserves et les limites prévues par les règles et principes juridiques applicables. (…)

 

[39]        Dans le même ordre d’idée, l’honorable juge LeBel écrivait, dans l’affaire Glegg[9] :

16.  En utilisant des techniques juridiques diverses, fondées sur des règles de procédure qui établissaient des immunités de divulgation, le droit québécois a reconnu de longue date l’importance fondamentale du secret professionnel médical dans la relation thérapeutique (Royer, pp. 904-906). Aujourd’hui, l’art. 9 de la Charte québécoise reconnaît le droit de chaque personne au secret professionnel. Ce droit existe à l’égard de toutes les personnes tenues à celui-ci. Le Code des professions (L.R.Q., c. C-26) impose cette obligation à tous les membres des ordres qu’il régit (art. 60.4) (…)

 

[40]        Il y a lieu également de souligner les propos de Madame la juge Thibault dans l’arrêt GeneOhm[10] :

40.  Dans la foulée de la jurisprudence récente sur l’interprétation de l’article 9 de la Charte, il me semble que la portée de l’arrêt Chevrier c. Guimont précité doit être modulée selon les circonstances et suivant le sens commun. Par exemple, si une information sujette au secret professionnel a été dévoilée au grand public, je vois mal comment elle pourrait être protégée par le Tribunal ou autrement. Par contre, si la divulgation a été limitée et que les circonstances ne permettent pas de conclure qu’elle résulte d’une renonciation, il me semble que le Tribunal doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection d’un droit fondamental découlant de l’article 9 de la Charte.

 

[41]        Cela étant dit, la Loi sur la distribution de produits et services financiers reconnaît également l’importance d’assurer la confidentialité des renseignements personnels;

 

E.        Loi sur la distribution de produits et services financiers

 

[42]        La Loi[11] reconnaît, en matière de renseignements de nature médicale, l’obligation et l’importance d’assurer la confidentialité de tels renseignements et ce, dans les termes suivants :

Art. 35.  Un représentant d’assurance qui agit pour le compte d’un cabinet, autre qu’un assureur, qui offre du crédit et de l’assurance doit, après avoir ou non assisté un client pour remplir un formulaire qui contient des renseignements de nature médicale ou concernant ses habitudes de vie, le transmettre malgré l’article 23 uniquement à l’assureur. Il ne peut en conserver copie ni révéler à quiconque les renseignements qui sont alors portés à sa connaissance.

Art. 36.  Lorsque l’assuré qui a fourni les renseignements de nature médicale ou concernant ses habitudes de vie présente, à la suite d’un sinistre, une réclamation à  un cabinet qui offre du crédit et de l’assurance plutôt qu’à l’assureur, le représentant en assurance qui assiste l’assuré ne peut révéler à quiconque les renseignements qui sont alors portés à sa connaissance.

Malgré l’article 23, il doit faire parvenir la réclamation de l’assuré et tous les documents requis à l’assureur uniquement  et il ne peut en conserver copie.

 

Art. 378.  En cas de non respect des dispositions de l’un des articles 18, 19, 29, 35 ou 36, le Comité ne peut imposer de réprimande ni une amende inférieure à 2,000$.

 

[43]        Rappelons également l’obligation de confidentialité imposée aux représentants en assurance de dommages par les articles 14 et 24 du Code de déontologie;

[44]        Finalement, on ne peut passer sous silence les obligations imposées en matière de confidentialité par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[12];

 

F.        Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé

 

[45]        Cette loi fut instituée afin d’établir, pour l’exercice des droits conférés par les articles 35 à 40 du Code civil du Québec en matière de protection de renseignements personnels, des règles particulières à l’égard des renseignements personnels sur autrui qu’une personne recueille, détient, utilise ou communique à des tiers à l’occasion de l’exploitation d’une entreprise[13];

[46]        Parmi les règles particulières mises en place par cette loi, rappelons les articles suivants :

10.  Toute personne qui exploite une entreprise doit prendre les mesures de sécurité propres à assurer la protection des renseignements personnels collectés, utilisés, communiqués, conservés ou détruits et qui sont raisonnables compte tenu, notamment, de leur sensibilité, de la finalité de leur utilisation, de leur quantité, de leur répartition et de leur support.

 

12.  L'utilisation des renseignements contenus dans un dossier n'est permise, une fois l'objet du dossier accompli, qu'avec le consentement de la personne concernée, sous réserve du délai prévu par la loi ou par un calendrier de conservation établi par règlement du gouvernement.

 

13.  Nul ne peut communiquer à un tiers les renseignements personnels contenus dans un dossier qu'il détient sur autrui ni les utiliser à des fins non pertinentes à l'objet du dossier, à moins que la personne concernée n'y consente ou que la présente loi ne le prévoie.

 

[47]        Rappelons également qu’un employé d’une entreprise qui n’a pas besoin, pour l’exercice de ses fonctions, d’obtenir accès à un renseignement confidentiel, n’est pas autorisé  à consulter un dossier-client uniquement pour satisfaire une curiosité malsaine ou pour épater des collègues de travail[14];

[48]        Ce principe est clairement établi dans l’article 20 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, lequel stipule :

 

20.  Dans l'exploitation d'une entreprise, un renseignement personnel n'est accessible, sans le consentement de la personne concernée, à tout préposé, mandataire ou agent de l'exploitant ou à toute partie à un contrat de service ou d'entreprise qui a qualité pour le connaître qu'à la condition que ce renseignement soit nécessaire à l'exercice de ses fonctions ou à l'exécution de son mandat ou de son contrat.

 

[49]        La Loi prévoit également des règles particulières quant à l’utilisation d’une liste nominative[15] notamment en imposant des conditions particulières;

[50]        Encore une fois, il est facile de constater toute l’importance qu’accorde la société à la protection des renseignements confidentiels et ce, afin d’éviter toute forme d’atteinte à la vie privée des personnes concernées par les services d’un représentant et de son cabinet;

 

4.2      La jurisprudence

 

[51]        En plus de la jurisprudence précédemment citée, il y a lieu de souligner certaines décisions qui s’appliquent plus particulièrement au présent dossier;

[52]        À cet égard, il y a lieu de rappeler les enseignements du Tribunal des professions, dans l’affaire Tran[16] :

 

Le Tribunal doit prendre en considération la gravité objective et subjective de l'infraction et les circonstances aggravantes et atténuantes.   En décidant de la sanction, le Tribunal doit concilier la protection du public et les droits du professionnel.

Il faut d'abord reconnaître la gravité objective de cette infraction consistant à révéler des renseignements de nature confidentielle.  Le secret professionnel est à la base même de tout le droit professionnel puisqu'il vise à assurer une relation de confiance entre le bénéficiaire des services et le professionnel.  Le bris de confidentialité a entraîné un préjudice à son employeur. (…)

 

(…)

 

Comme facteur atténuant, il faut noter entre autres que l'appelant était un chimiste à l'entraînement et qu'il n'a aucun antécédent disciplinaire.  Il ne semble pas avoir agi de mauvaise foi mais plutôt par méconnaissance de ses devoirs déontologiques, laquelle semble toutefois perdurer. 

 

La protection du public, la dissuasion et l'exemplarité militent en faveur d'une radiation.  Celle qui avait été prononcée par le Comité de discipline, soit un mois de radiation temporaire sur les chefs 1, 3 et 5 nous apparaît finalement, après notre propre analyse, adéquate. 

 

 

[53]        Il appert donc que ce genre d’infraction entraîne normalement une radiation d’un mois et ce, même en l’absence d’intention malhonnête;

[54]        Toutefois, dans le présent dossier, ce bris de confidentialité est intervenu de façon bien involontaire et sans aucune mauvaise foi de l’intimé. De plus, le jeune âge de l’intimé, son manque d’expérience et sa prise de conscience immédiate dès qu’il fut informé de cette situation, militent en faveur de l’imposition d’une amende plutôt que d’une radiation;

[55]        Mais il y a plus, contrairement à l’affaire Tran, l’intimé n’a pas utilisé à des fins personnelles les renseignements des clients;

[56]        D’autre part, parmi les précédents jurisprudentiels fournis par la procureure de la syndic, mentionnons que dans l’affaire Duval[17], le Comité avait imposé, pour une infraction de nature semblable, une amende de 1,000$, ainsi que dans l’affaire Lucien[18];

[57]        Dans les circonstances, puisque le bris de confidentialité résulte d’une négligence lors de la conception et de la mise en fonction du site internet de l’intimé, plutôt que d’une faute intentionnelle, le Comité considère que la protection du public sera suffisamment assurée par l’imposition d’une sanction monétaire plutôt que par une période de radiation;

 

4.3      Les déboursés

 

[58]        L’article 151 du Code des professions prévoit que le Comité peut condamner le plaignant ou l’intimé aux déboursés ou les condamner à se les partager dans la proportion qu’il doit indiquer;

[59]        La jurisprudence reconnaît que le Comité peut limiter le montant des déboursés[19], ce dernier bénéficiant d’un pouvoir discrétionnaire[20] quant à l’imposition des déboursés;

[60]        Compte tenu qu’il s’agissait d’une question relativement nouvelle et, surtout, d’intérêt public pour l’ensemble de la profession[21], le Comité n’accordera pas de frais dans le présent dossier;

 

V.        Conclusions

 

[61]        Pour l’ensemble des motifs ci-haut énumérés, le Comité entérinera la recommandation commune des parties puisque celle-ci est juste et raisonnable, et tient compte, d’une part, de la gravité objective des infractions et, d’autre part, des circonstances atténuantes propres au dossier de l’intimé;

[62]        Il demeure néanmoins que le bris de confidentialité doit être sévèrement réprimé puisque le droit au respect de sa vie privée et le droit au respect du secret professionnel constituent des droits fondamentaux qui doivent être préservés et protégés, en toutes circonstances;

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

[63]        PREND ACTE du plaidoyer de l’intimé;

[64]        DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’accusation nos. 1 et 2;

[65]        IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

Chef no. 1 :    une amende de 2,000$

Chef no. 2 :    une amende de 1,000$

.

[66]        ÉMET une ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-accessibilité du nom des assurés et de tout renseignement les concernant et plus particulièrement les pièces P-3 et P-4;

[67]        ACCORDE à l’intimé un délai de six (6) mois pour acquitter le montant des amendes, calculé à compter de la signification de la présente décision;

[68]        LE TOUT, sans frais.

 

 

__________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du comité de discipline

 

__________________________________

Mme Francine Tousignant, C.d’A.Ass.

Membre du comité de discipline

 

__________________________________

Mme Sylvie Campeau, courtier en assurance de dommages

Membre du comité de discipline

 

 

Me Nathalie Lelièvre

Procureure de la partie plaignante

 

Me Carolyne Mathieu

Procureure de la partie intimée

 

Date d’audience :

27 mars 2008

 



[1]     Comeau c. Avocats, [2004] D.D.O.P. 247 (T.P.);

[2]     Blais c. Rioux, J.E. 2004-1487 (C.Q.);

[3]     Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2);

[4]     Chambre de l’assurance de dommages c. Gagnon, [2004] CanLII 57006 (QC) C.D.C.H.A.D.;

[5]     Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (L.R.Q., c. C-1.1);

[6]     Ibid., art. 1;

[7]     L.R.Q., c. C-12;

[8]     Société d’énergie Foster Wheeler Ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (S.I.G.E.D.) inc., [2004] 1 R.C.S. 456;

[9]     Glegg c. Smith & Nephew inc., [2005] 1 R.C.S. 724;

[10]    GeneOhm Sciences Canada inc. c. Biomérieux inc., [2007] QCCA 290; autorisation d’appel refusée, [2007] C.S.C.R. 589;

[11]    Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q. c. D-9.2);

[12]    L.R.Q., c. P-39.1;

[13]    Ibid., art. 1;

[14]    Voir, par analogie, l’affaire Dembri c. Psychologues, [1999] QCTP 13;

[15]    Art. 22 in fine : Une liste nominative est une liste de noms, de numéros de téléphone, d'adresses géographiques de personnes physiques ou d'adresses technologiques où une personne physique peut recevoir communication d'un document ou d'un renseignement technologique.

[16]    Tran c. Chimistes, [2000] QCTP 42 (CanLII);

[17]    Chambre de l’assurance de dommages c. Duval, [2007] CanLII 33233 (QC C.D.C.H.A.D.);

[18]    Chambre de l’assurance de dommages c. Lucien, [2006] CanLII 53738 (QC C.D.C.H.A.D.);

[19]    Bernatchez c. Avocats, [2000] QCTP 56;

[20]    Tardif c. Évaluateurs agréés, [2001] QCTP 85;

[21]    Voir, par analogie, Pétroles Irving inc. c. Thivierge Gosselin, (1990) R.J.Q. 725 (C.A.);

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