Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DES DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2002-06-01(C)

 

DATE :

15 octobre 2009

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Marco Gaggino

Vice-Président

Mme Francine Tousignant, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre

M. Richard Giroux, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualité de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

ANDRÉ LACELLE, anciennement courtier en assurance de dommages

Partie intimée

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DÉCISION SUR REQUÊTE EN ARRÊT DES PROCÉDURES

PRÉSENTÉE PAR L’INTIMÉ ANDRÉ LACELLE

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[1]           L’intimé fait l’objet d’une plainte déposée par la partie plaignante le 11 juin 2002, laquelle comporte vingt-huit chefs d’accusation.

[2]           Le 5 mars 2009, l’intimé transmettait au président du Comité, de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages (le « Comité ») Me Patrick de Niverville, une demande visant l’arrêt des procédures devant le Comité.

[3]           Par lettre du 11 mars 2009, la secrétaire du Comité informait l’intimé que le présent Comité serait saisi de sa requête.

[4]           Lors d’une conférence téléphonique tenue le 15 avril 2009, à laquelle participaient les membres du présent Comité de même que le procureur de la plaignante et l’intimé, le Comité décida qu’une audience aurait lieu afin de disposer, de façon préliminaire, de la requête en arrêt des procédures de l’intimé.

[5]           Le 8 juin 2009, le Comité siégeait à Montréal afin de procéder à l’audition de cette requête pour arrêt des procédures.

[6]           Lors de l’audition, la plaignante était représentée par Me Jean-Pierre Morin et l’intimé se représentait seul.

I- Les faits

[7]           Pour bien comprendre la requête de l’intimé, il convient de faire état de certains faits et procédures qui ont ponctué le dossier.

[8]           Comme mentionné plus haut, une plainte visant l’intimé a été déposée le 11 juin 2002.

[9]           Cette plainte était assortie d’une demande de radiation provisoire dont l’audition était prévue pour le 5 juillet 2002.

[10]        Avant cette audition, l’intimé a acquiescé à cette demande et, en conséquence, le Comité a ordonné la radiation provisoire de l’intimé, jusqu’à ce qu’une décision sur le mérite de la plainte soit rendue.

[11]        Quant au mérite, la plainte dont est actuellement saisi le présent Comité avait été entendue à l’origine par un banc présidé par Me Galal Doss (le Comité « Doss »).

[12]        À ce moment, le Comité Doss était également saisi d’une plainte contre la fille de l’intimé, Mme France Lacelle, dans le dossier 2002-06-02(C).[1]

[13]        Les plaintes visant l’intimé et Mme Lacelle ont été entendues par le Comité Doss lors d’une audition commune s’étalant sur vingt-deux jours.

[14]        En date du 29 mars 2005, le Comité Doss a rendu une décision selon laquelle l’intimé a été reconnu coupable de certains chefs d’accusation.

[15]        L’intimé a contesté cette décision par voie de requête en révision judiciaire le 3 avril 2005.

[16]        Cette requête a été rejetée le 20 mai 2005 au motif que la Cour supérieure n’était pas le forum approprié.

[17]        L’intimé a contesté cette décision devant la Cour d’appel, laquelle a rejeté sa demande le 20 juillet 2005.

[18]        L’intimé a alors adressé sa demande de contestation de la décision du Comité Doss à la Cour du Québec et, à cet égard, il a présenté devant celle-ci une requête en prorogation de délai, laquelle a été rejetée le 26 août 2005.

[19]        L’intimé en a appelé de cette décision à la Cour d’appel.

[20]        Cependant, en août 2006, soit avant qu’une sentence ne soit prononcée contre l’intimé, Me Doss s’est vu contraint, en raison de problèmes de santé, de démissionner à titre de membre du Comité.

[21]        Un nouveau Comité a alors été formé, lequel était présidé par Me Daniel M. Fabien (le Comité « Fabien »).

[22]        L’intimé présenta au Comité Fabien quatre moyens préliminaires qui ont été résumés comme suit dans la décision du Comité Fabien concernant ceux-ci[2] :

« 1. L’intimé demande au Comité de prononcer l’arrêt des procédures contre lui au motif que sa cause a déjà été entendue et jugée par le premier Comité. Il argumente que l’audition de sa plainte ayant déjà été tenue et qu’une décision sur culpabilité étant rendue, le Comité doit ordonner l’arrêt des procédures. Il ajoute que la décision sur culpabilité faisait l’objet d’un appel, qu’il y a risque de  décisions contradictoires et en conséquence, il serait, en quelque sorte, injuste ou illégal conformément à la Charte des droits et libertés de la personne que le Comité puisse réentendre sa plainte dans de telles circonstances;

2. Subsidiairement, l’intimé requiert que le Comité ordonne la suspension de l’audition du dossier 2002-06-01(C) jusqu’à ce que son appel soit entendu;

3. L’intimé questionne également la validité de sa radiation provisoire prononcée le 5 juillet 2002 par le premier Comité. Cette radiation provisoire de l’intimé avait été ordonnée sans audition de témoins et suite au consentement de l’intimé pour valoir jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le mérite de la plainte; il demande aussi au Comité de se prononcer sur la validité de sa radiation provisoire et argumente qu’il est illogique que le Comité reconnaisse la radiation provisoire alors qu’il ne reconnaît pas la validité de la décision sur culpabilité du premier Comité;

4. Finalement, l’intimé demande au Comité qu’il soit ordonné à la plaignante de se constituer un nouveau procureur notamment aux motifs que le procureur de la syndic pourrait influencer les témoignages à venir, qu’il connaît trop bien le dossier, n’est pas impartial et qu’il représente la syndic dans diverses procédures impliquant l’intimé devant les tribunaux de droit commun. »

[23]        Le Comité Fabien procéda à l’audition des moyens préliminaires de l’intimé le 20 décembre 2006 et rendit une décision le 7 février 2007 dans laquelle il rejeta tout et chacun de ceux-ci. Dans sa décision, le Comité Fabien convoquait les parties pour le 12 mars 2007 pour que débute l’audition sur le mérite de la plainte contre l’intimé.

[24]         Le 28 mars 2007, la Cour d’appel rejetait l’appel soumis par l’intimé à l’égard du jugement de la Cour du Québec ayant rejeté sa demande de prorogation de délai pour contester la décision du Comité Doss.

[25]        L’intimé tenta de contester cette décision devant la Cour suprême du Canada, mais sa demande d’autorisation a été rejetée en date du 26 octobre 2007.

[26]        Par ailleurs, l’intimé a logé un appel devant la Cour du Québec de la décision du Comité Fabien du 7 février 2007.

[27]        La plaignante a répondu à cet appel par la présentation d’une requête en rejet  d’appel, laquelle a été rejetée par la Cour du Québec le 6 novembre 2007.[3]

[28]        Quant à l’appel sur le fond, la Cour du Québec le rejeta par décision du 1er décembre 2008.[4]

[29]        Par ailleurs, il est à noter qu’en date du 26 octobre 2007, le Comité Fabien statuait sur la culpabilité de Mme France Lacelle et sur la sanction à être imposée à celle-ci[5] suite à un plaidoyer de culpabilité qu’elle avait transmis à la Chambre de l’assurance de dommages par lettre du 1er octobre 2007.[6]

[30]        Tel qu’il appert de la décision du 1er décembre 2008 de la Cour du Québec, l’intimé a argumenté devant celle-ci que le fait pour le Comité Fabien de rendre cette décision constituait alors un motif de récusation de ce Comité.

[31]        La Cour du Québec répondit ce qui suit à l’égard de cet argument:

« [29] Le Tribunal n’a pas à se saisir de faits postérieurs à la décision du comité de discipline du 7 février 2007. Néanmoins, l’appelant soulève des questions sérieuses qui découlent d’une autre décision d’un comité de discipline, présidé par Me Fabien, rendue le 26 octobre 2007. Le Tribunal réfère à une décision du comité de discipline rendue par un comité composé de MDaniel Fabien et de Marc Henri Germain. Ce comité rend une décision sur culpabilité et sur sanction relativement à la conduite de France Lacelle, la fille de l’appelant.

[30] L’appelant souligne une connexité de faits apparente qui lui fait croire qu’il ne pourra pas voir préservés ses droits à une audition juste et impartiale.

[31] Pour éviter d’autres débats stériles, peut-être vaudra-t-il mieux qu’un nouveau comité de discipline soit constitué, que ce comité se penche, le cas échéant, sur une nouvelle preuve que pourrait soumettre André Lacelle sur la durée de la radiation provisoire et qu’enfin ce comité dispose des plaintes disciplinaires dans les meilleurs délais. »

 

[32]        Le 5 février 2009, l’intimé transmit au Comité Fabien, via la secrétaire du Comité de discipline, une requête en récusation.

[33]        Cette requête se fondait notamment sur les faits et représentations ayant entouré l’audience sur sentence ayant eu lieu devant le Comité Fabien suite au plaidoyer de culpabilité de Mme France Lacelle et au cours de laquelle l’intimé était absent, car non convoqué.[7]

[34]        En date du 20 février 2009, le Comité Fabien transmit une lettre à l’intimé, dans laquelle il y est écrit notamment :

« À la suite de la signification de votre requête en récusation du banc disciplinaire, nous, soussignés vous avisons que le comité de discipline entend, par la présente, se récuser volontairement sans aucune admission de quelque nature que ce soit et uniquement pour éviter des procédures additionnelles.

En conséquence, le président du comité de discipline, Me Patrick de Niverville, verra à assigner le dossier à un nouveau président et à deux nouveaux membres. »[8]

[35]        C’est à la suite de cette lettre du Comité Fabien que le présent Comité a été saisi de la plainte logée contre l’intimé.

II- Les représentations des parties

[36]        Dans sa plaidoirie, l’intimé justifie sa demande d’arrêt des procédures en se fondant sur divers motifs que le Comité résume ci-après.

[37]        L’intimé allègue tout d’abord que le Comité ne peut disposer de la plainte déposée contre lui puisque le Comité Doss a déjà statué sur celle-ci et qu’il y a donc chose jugée en l’instance.

[38]        Par ailleurs, l’intimé soulève que le Comité n’a pas l’impartialité requise pour entendre cette plainte. En effet, selon l’intimé, le présent Comité ne peut agir impartialement en raison du fait que le Comité Doss a rendu une décision sur sa plainte dans laquelle il est déclaré coupable de certains chefs et, d’autre part, parce que le Comité Fabien a tenu une audience sur sentence dans le cadre du plaidoyer de culpabilité de sa fille, France Lacelle, à laquelle il n’était pas présent. L’intimé souligne que le Comité ne peut ignorer ces décisions, car celles-ci sont publiques et facilement accessibles. À cet égard, l’intimé réfère à la publication de janvier-février 2008 du ChADPresse[9] dans laquelle la décision du Comité Fabien concernant la sentence imposée à sa fille, France Lacelle, a été résumée.

[39]        Finalement, l’intimé soumet qu’il s’est écoulé sept ans depuis la plainte contre lui, période pendant laquelle il a fait, et fait encore, l’objet d’une radiation provisoire. À cet effet, l’intimé soumet que le but du système disciplinaire est de protéger le public contre l’abus des membres. Or, selon lui il n’y a plus aucune des circonstances de 2002 qui existent encore. En effet, il n’a pas opéré de bureau de courtage depuis les sept dernières années en raison de sa radiation provisoire.

[40]        Pour sa part, le procureur de la plaignante conteste l’ensemble des moyens présentés par l’intimé.

[41]        Tout d’abord, le procureur de la plaignante soumet que le Comité Fabien[10] a déjà entendu et rejeté l’argument de l’intimé basé sur l’existence de la décision du Comité Doss.

[42]        Par ailleurs, quant au délai écoulé depuis la plainte, le procureur de la plaignante soumet qu’en l’instance, il n’y a aucun motif pour conclure que celui-ci justifie l’arrêt des procédures. En effet, le délai est dû, en grande partie, aux nombreuses procédures entreprises par l’intimé. De plus, la preuve ne révèle pas qu’il y a abus dans les circonstances ou que le délai a causé un préjudice tel à l’intimé que sa capacité d’obtenir une audience équitable a été compromise. De plus, le fait que l’intimé soit radié provisoirement depuis tout ce temps ne change rien puisque celle-ci découle de la décision de l’intimé de faire droit à celle-ci.

[43]        En ce qui concerne l’argument fondé sur l’impartialité du Comité, le procureur de la plaignante souligne qu’il n’y a aucune preuve qui justifie la position de l’intimé. À cet effet, la décision du Comité Fabien sur la plainte visant France Lacelle ne met pas en péril l’impartialité du Comité puisque le plaidoyer de culpabilité de celle-ci ne lie pas l’intimé. Au soutien de cette prétention, le procureur de la plaignante réfère à l’arrêt de la Cour suprême dans R. c. Vinette[11].

III- Analyse et décision

[44]        Le Comité est saisi d’une demande d’arrêt des procédures de la part de l’intimé qui se fonde essentiellement sur trois moyens, soit : (1) le Comité Doss a déjà statué sur la plainte contre lui; (2) le délai écoulé depuis la plainte est déraisonnable et, (3) le Comité n’est pas impartial.

La chose jugée

[45]         Selon l’intimé, le Comité Doss a déjà statué sur la plainte déposée contre lui, de sorte que le présent Comité ne peut procéder à l’égard de celle-ci. À cet égard, l’intimé soulève que la décision du Comité Doss a force de chose jugée.

[46]        Cet argument de l’intimé implique que la décision du Comité Doss a une existence  juridique, malgré que celui-ci n’a pu, après avoir rendu une décision sur le fond reconnaissant l’intimé coupable de certains chefs de la plainte, rendre une décision sur sanction.

[47]        Or, ce n’est pas la première fois que cette question est soulevée dans le présent dossier.

[48]        Ainsi, dans sa décision du 28 mars 2007, la Cour d’appel a statué, en se basant sur l’article 371 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (la « Loi »), que la décision du Comité Doss n’avait plus d’existence juridique :

« [3] L’avocat du syndic informe aussi la Cour que le Comité de discipline a décidé de reprendre toute l’audition devant une nouvelle formation. Pour le syndic, les décisions prononcées par l’ancien Comité de discipline sont sans effet rendant le pourvoi sans objet.

[4] L’appelant désire continuer les procédures en invoquant le risque d’une double condamnation s’il fallait suivre la suggestion du syndic. Cette crainte est non fondée puisqu’il faut constater à l’article 371 de la Loi que la première décision devient nulle et sans effet, parce qu’elle ne pourra jamais être complétée par l’imposition d’une sanction par le seul comité habilité à le faire, soit celui qui était saisi des plaintes.

[5] Comme la décision sur la culpabilité ne peut se dissocier de celle portant sur la sanction et compte tenu que le Comité de discipline est devenu inhabile, il y a lieu de constater la nullité de la décision rendue le 29 mars 2005. »[12]

[49]        Au surplus, il faut noter que l’intimé a déjà tenté d’obtenir un arrêt des procédures devant le Comité Fabien en se fondant, notamment, sur l’existence de la décision du Comité Doss. À cet égard, voici comment le Comité Fabien résumait cette demande:

« 1. L’intimé demande au Comité de prononcer l’arrêt des procédures contre lui au motif que sa cause a déjà été entendue et jugée par le premier Comité. Il argumente que l’audition de sa plainte ayant déjà été tenue et qu’une décision sur culpabilité étant rendue, le Comité doit ordonner l’arrêt des procédures. Il ajoute que la décision sur culpabilité faisait l’objet d’un appel, qu’il y a risque de  décisions contradictoires et en conséquence, il serait, en quelque sorte, injuste ou illégal conformément à la Charte des droits et libertés de la personne que le Comité puisse réentendre sa plainte dans de telles circonstances ».[13] (Notre soulignement)

[50]        Ce moyen a été rejeté par le Comité Fabien en ces termes :

« [14] Or, en l’espèce, le Comité est d’avis qu’il n’y a pas d’abus ni de preuve que l’intimé subira un préjudice découlant de la reprise des auditions sur les plaintes disciplinaires. Certes, le fait d’être obligé de se défendre à nouveau et de faire face aux inconvénients d’une deuxième audition des plaintes disciplinaires n’est pas idéal. Le Comité est conscient des problèmes que semblable situation peut engendrer. Toutefois, dans les circonstances, le processus disciplinaire doit se poursuivre afin que cette affaire soit tranchée définitivement.

[15] D’ailleurs, même en droit pénal, il n’est pas inhabituel qu’un accusé doive subir un deuxième et même un troisième procès sans qu’on puisse conclure pour autant à un abus de procédure. »

[51]        Et, plus loin, concernant l’argument de chose jugée soumis par l’intimé, le Comité Fabien écrit ce qui suit :

« [19] En l’espèce, le Comité n’a donc pas compétence pour « reprendre le dossier » et entendre les représentations sur sanction puisque la décision sur culpabilité rendue par le premier Comité est légalement inexistante. Ainsi, l’argument de l’intimé suivant lequel la décision sur culpabilité rendue par le premier Comité a force de chose jugée ne saurait être retenu. Le premier Comité ayant perdu compétence, la seule solution est de déférer le dossier à un comité ayant compétence légale pour en disposer».

[52]        La décision du Comité Fabien a été portée en appel. La plaignante a alors présenté une requête en rejet d’appel fondée sur l’article 501 alinéa 4.1 C.p.c., soit que l’appel ne présenterait aucune chance raisonnable de succès. Cette requête a été rejetée par la Cour du Québec.[14] Cependant, dans son jugement, la Cour du Québec en arrive à la conclusion que, notamment, le premier moyen présenté par l’intimé, soit celui fondé sur l’existence de la décision du Comité Doss, était sans fondement. À cet égard, la Cour du Québec écrit ce qui suit :

« [16] Or, dans une décision rendue le 28 mars 2007, la Cour d’appel a conclu que la décision rendue le 29 mars 2005 était nulle, vu les dispositions de l’article 371 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q. c. D-9.2).

[17] En effet, le Comité est devenu inhabile du fait de la démission du président et, comme la décision sur culpabilité ne peut se dissocier de celle portant sur la sanction, la Cour constate la nullité de la décision du 29 mars 2005.

[18] Il résulte que les deux premiers moyens soulevés par André Lacelle sont sans fondement. »

[53]        Il appert donc très clairement que le premier argument de l’intimé a déjà été débattu et tranché par le Comité Fabien. Au surplus, cet argument ne peut être retenu pour les motifs étayés dans la décision du Comité Fabien. À cet égard, répétons que la décision du Comité Doss n’ayant plus aucune existence juridique, elle ne peut avoir l’autorité de chose jugée à l’égard du présent Comité. Cet argument de l’intimé est donc rejeté.

 

 

Le délai déraisonnable

[54]        L’intimé soumet que le délai de sept années écoulées depuis la plainte alors qu’il est sous le coup d’une radiation provisoire est déraisonnable et justifie l’arrêt des procédures.

[55]        En matière de droit administratif, le simple écoulement du temps ne peut justifier à lui seul l’annulation de la procédure entreprise à l’égard de l’administré. Tel que le mentionne Patrice Garant dans son ouvrage Droit administratif[15] :

« Par contre, le droit administratif offre des réparations en ce qui concerne le délai indu imputable à l’État dans des procédures administratives ou quasi-judiciaires. Cependant, le délai abusif ne justifie pas, à lui seul, un arrêt des procédures comme l’abus de procédure en common law. Il faut prouver qu’un délai inacceptable a causé un préjudice important, que la capacité de l’intimé d’obtenir une audience équitable a été compromise, que le préjudice subi est assez important pour nuire à l’équité de l’audience ou du processus. Un délai inacceptable peut également constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise. Pour constituer un abus de procédure dans le cas où il n’y a aucune atteinte à l’équité de l’audience, le délai doit être manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important, un stress et une stigmatisation importante. Il doit s’agir d’un délai qui, dans les circonstances de l’affaire, déconsidérerait le régime administratif en cause. La cour doit être convaincue que les procédures sont contraires à l’intérêt de la justice ». (Notre soulignement) 

[56]        Bref, en droit administratif, il faut prouver qu’un délai inacceptable a causé un préjudice important.[16]

[57]        Par ailleurs, tel que le mentionne le juge Bastarache dans l’arrêt Blencoe,[17] la personne se plaignant du délai inacceptable ne doit pas être responsable de celui-ci :

« [122] La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d’autres circonstances de l’affaire. » (Notre soulignement)

[58]        En l’instance, les seuls éléments de preuve soumis par l’intimé pour justifier l’arrêt des procédures au motif de délai déraisonnable sont la durée de celui-ci et sa radiation provisoire.

[59]        Or, tel que nous l’enseignent la doctrine et la jurisprudence, le délai, à lui seul, ne peut justifier l’arrêt des procédures, mais ne constitue qu’un élément factuel parmi d’autres.

[60]        En ce qui concerne la radiation provisoire, il ne s’agit pas là d’un préjudice grave, réel et sérieux qui empêcherait l’intimé de présenter, de quelque façon que ce soit, une défense pleine et entière. Par ailleurs, il n’y a aucune preuve que la durée de la radiation provisoire de l’intimé liée aux présentes procédures lui cause un préjudice important, un stress et une stigmatisation importante qui justifient un arrêt immédiat des procédures.

[61]        Finalement, il est à noter que le délai en cause est non seulement explicable, mais découle aussi, en partie, du comportement de l’intimé lui-même qui a été l’instigateur de nombreuses procédures dans le présent dossier et ce, tel que l’a noté la Cour du Québec dans le cadre de l’appel logé par celui-ci à l’égard de la décision interlocutoire du Comité Fabien[18] :

« [20] Certes, au moment de l’acquiescement à la demande de radiation provisoire, l’appelant ne prévoyait pas que, près de sept ans plus tard, le comité de discipline n’aurait pas disposé complètement du dossier.

[21]  Les longs délais sont attribuables à la durée des auditions devant le comité de discipline présidé par Me Doss, à la maladie de ce dernier, aux dispositions de la Loi et aussi aux procédures que l’appelant, lui-même, a multipliées sans toujours utiliser le recours adéquat prévu par la loi. »

[62]        Le Comité conclut donc que le délai en l’instance n’est pas inacceptable eu égard aux circonstances du dossier et, qu’à tout événement, il n’a pas compromis l’équité de l’audience ou la capacité de l’intimé à se défendre de façon pleine et entière et ce, notamment en considérant l’absence de preuve de préjudice à cet égard. Cet argument doit donc être rejeté.

 

Le Comité n’est pas impartial

[63]        L’intimé prétend que le présent Comité ne peut agir de façon impartiale dans le cadre de l’instruction de sa plainte étant donné qu’il aurait pu prendre connaissance des décisions publiques rendues par le Comité Doss concernant le fond de la plainte contre lui et de celle rendue par le Comité Fabien dans le cadre de l’audition sur sanction de sa fille.

[64]        Selon l’intimé, cette connaissance présumée ferait en sorte de créer une appréhension de partialité du présent Comité.

[65]        Dans l’affaire Procureur général du Québec c. Bouliane,[19] la Cour d’appel du Québec rappelait que la crainte de partialité devait être raisonnable et le fait d’une personne raisonnable et non scrupuleuse ou tatillonne :

« [99] La règle en matière de partialité est bien connue. Elle est énoncée par le juge De Grandpré dans l’affaire Comitee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] Ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste ? »

Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je […] refuse d’admettre que le critère doit être celui d’ ‘une personne scrupuleuse ou tatillonne’ »

[66]        Par ailleurs, tel que l’écrit la Cour d’appel dans la même affaire, celui qui invoque la partialité du tribunal doit établir plus qu’un simple soupçon:

« [102] Le juge Cory, en son nom et en celui du juge Lacobucci, rappelle le lourd fardeau qui pèse sur les épaules de celui qui allègue la partialité d’un juge :

Néanmoins, la jurisprudence anglaise et canadienne appuie avec raison la prétention de l’appelant selon laquelle il faut établir une réelle probabilité de partialité car un simple soupçon est insuffisant. »

[67]        Le Comité est d’opinion que la simple existence de décisions rendues contre l’intimé par d’autres bancs ne suffit pas à créer une situation telle qu’elle permet de croire à la partialité du Comité et ce, en l’absence de quelque autre facteur que ce soit.

[68]        À cet égard, il faut noter que les membres du présent Comité n’ont ni siégé, ni participé aux audiences ou aux délibérations des Comités Doss et Fabien. Malgré cela, si le raisonnement de l’intimé devait être retenu, ni la présente formation, ni aucune autre, ne serait habile à procéder en raison du caractère public des décisions rendues par les Comités Doss et Fabien. Le Comité est d’avis qu’une pareille conclusion est insoutenable.

[69]        À cet effet, il ne faut pas oublier que c’est en raison de l’application de la loi et des circonstances que le présent Comité est appelé à entendre la plainte déposée à l’égard de l’intimé alors qu’un comité, le Comité Doss, a déjà rendu une décision sur le fond. En effet, et tel que l’a énoncé la Cour d’appel,[20] l’application de l’article 371 de la Loi fait en sorte qu’un nouveau Comité doit être formé pour entendre à nouveau la plainte contre l’intimé puisque la décision du Comité Doss n’a plus d’existence juridique. La situation dont se plaint l’intimé découle donc de l’application de la loi à l’égard des circonstances que l’on connaît.

[70]        À cet effet, il est utile de rappeler les propos suivants de l’auteur Patrice Garant dans Droit administratif[21] :

« La troisième condition est que le législateur n’ait pas permis, expressément ou implicitement, la situation qui pourrait autrement fonder une appréhension sérieuse de préjugé :

Il nous faut donc maintenant rechercher si la loi qui a créé le tribunal prévoit ou, à défaut, s’il découle nécessairement de son interprétation, qu’un membre, inapte à siéger au tribunal et à participer à sa décision en common law pour motif de partialité, peut ou doit siéger au tribunal et, en pareil cas, si cette personne est apte à siéger malgré sa partialité pourvu que celle-ci soit du genre qu’envisage la loi.

Le Code des professions illustre bien cette situation quant à la composition et au mode de fonctionnement des comités de discipline. »

[71]        Or, dans notre cas, à partir du moment où un nouveau banc doit être nommé en application de l’article 371 de la Loi dans des circonstances similaires à notre dossier, celui-ci siégera alors qu’une décision publique existe. Il s’agit là d’une conséquence de l’application de la Loi qui ne permet pas de conclure à la partialité de ce nouveau banc.

[72]        Finalement, il faut également noter le passage suivant du même ouvrage, à la page 933 :

« Selon la Cour fédérale, la présomption d’intégrité et d’impartialité judiciaire est telle qu’elle reconnaît au juge la possibilité d’agir et de décider « dans des circonstances où celui-ci a déjà acquis une connaissance dans le cadre de procédures et de décisions antérieures impliquant les mêmes parties […] », cette présomption est attaquable et réfutable pourvu que la preuve à la base de la récusation soit sérieuse et non équivoque :

Le simple fait pour un décideur de prendre connaissance préalable du dossier avant une audience ne constitue pas une crainte raisonnable de partialité ».

[73]        Dans notre affaire, il n’y a aucune preuve sérieuse et non équivoque permettant de conclure à la partialité du présent Comité. Cet argument de l’intimé est donc rejeté.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

            REJETTE tout et chacun des moyens proposés par l’intimé, André Lacelle;

            REJETTE la requête en arrêt des procédures présentée par l’intimé;

DEMANDE à la secrétaire du Comité de discipline de faire signifier la présente décision aux parties et de les convoquer, dans les meilleurs délais, pour que débute l’audition de la plainte dès que possible;

LE TOUT frais à suivre.

 

 

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Me Marco Gaggino

Vice-Président du Comité de discipline

 

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Mme Francine Tousignant, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

 

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M. Richard Giroux, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

 

 

Me Jean-Pierre Morin

Procureur de la partie plaignante

 

 

M. André Lacelle

Se représentant seul

 

 

Date d’audience :

8 juin 2009

 



[1] Laquelle a été déposée comme pièce I-2

[2] Paragraphe 5 de la pièce S-2 (décision sur les moyens préliminaires rendue par le Comité Fabien le 7 février 2007)

[3] Pièce S-3

[4] Pièce I-5

[5] Pièce I-4

[6] Pièce I-3

[7] Pièce I-6, en liasse

[8] Pièce I-6, en liasse

[9] Pièce I-7B

[10] Pièce S-2, paragraphes 5 et 13 et suivants

[11] [1975] 2 R.C.S. 222

[12] Pièce S-1

[13] Pièce S-2, paragraphe 5

[14] Pièce S-3

[15] 5ième édition, 2004, Éditions Yvon Blais, pages 835-836, voir aussi : Carlos c. Pigeon 2006 QCCS 3810, pars. 28 à 32; Poirier, Sylvie L’objectif de protection du public : quand la fin justifie les moyens – Variations sur un thème, Développements récents en déontologie, 2005, volume 228

[16] Blencoe c. British Columbia Human Rights Commission, [2000] 2 R.C.S. 307, par. 101

[17] Précité

[18] Pièce I-5

[19] [2004] R.J.Q. 1185

[20] Pièce S-1

[21] Précité, page 890

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