Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

Canada

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

NO :

2008-11-01 (C)

 

DATE :

18 mars 2009

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

Mme Francine Normandin, C.d’A.Ass., courtier

en assurance de dommages

Membre

M. Ian Cytrybaum, C.d’A.Ass., courtier

en assurance de dommages

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

ROGER GINGRAS, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 2 mars 2009, le Comité de discipline s’est réuni pour entendre et décider de la plainte no 2008-11-01 (C).

[2]           La partie plaignante était représentée par Me Jean-Pierre Morin et l’intimé ayant renoncé à son droit à l’avocat, se représentait seul.

[3]           En l’espèce, la plainte reproche à l’intimé quatre (4) chefs d’accusation, soit :

 

1.     Entre le 22 juin 2006 et le mois d’août 2006, a fait défaut de rendre compte à son client, M. Jerry Michel Alexandre, du mandat qu’il lui avait confié en faisant défaut de l’informer du coût de la prime nécessaire pour couvrir un véhicule 2000 Chrysler 300M en ajoutant le chapitre B du contrat d’assurance ING no 526-3698, le tout en contravention  notamment aux dispositions de l’article 37(4) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.


 

2.     Le ou vers le 22 juin 2006, a exercé ses activités de façon négligente lors de la cueillette de renseignements pour couvrir un véhicule 2000 Chrysler 300M sur le contrat ING no 526-3698, en ne déclarant pas à l’assureur que le véhicule était la propriété de la Banque Royale du Canada en vertu d’un contrat de vente à tempérament intervenu entre M. Jerry Michel Alexandre, Montréal Auto-Prix et la Banque Royale, le tout en contravention notamment aux dispositions des  articles 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers,     2, 9, 29 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

 

3.      Le ou vers le 3 août 2006, a permis qu’une employée du cabinet Gingras Moïse & Ass. inc., à savoir Mme Danielle Debelle, utilisant le numéro de code d’utilisateur UC187Y auprès d’ING, fasse preuve de négligence dans la transmission de données informatiques en demandant que l’avenant de substitution sur le contrat d’assurance automobile ING no 526-3698 concernant le véhicule 2000 Chrysler 300M et sa protection sous le chapitre B soit en vigueur à compter du 22 juillet 2006, alors que la substitution et la protection additionnelle étaient requises à compter du 22 juin 2006, créant ainsi un découvert d’assurance pour cette période, le tout en contravention notamment aux dispositions des articles 2, 9 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

 

4.     Entre le 9 février 2007 et le 6 mars 2007, alors qu’une plainte avait été déposée contre lui par son assuré, M. Jerry Michel Alexandre, auprès de l’Autorité des marchés financiers, s’est placé en position de conflit d’intérêts en assumant pour le cabinet Gingras Moïse & Ass. inc. le rôle de responsable du traitement des plaintes et des différends, le tout en contravention notamment aux dispositions des articles 2 et 10 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

 

L'intimé s'étant ainsi rendu passible pour les infractions ci-haut mentionnées des sanctions prévues à l'article 156 (c) du Code des professions.

 

[4]           L’intimé enregistra un plaidoyer de non-culpabilité à l’encontre des quatre (4) chefs d’accusation.

 

I.          PREUVE EN DEMANDE

 

[5]           Les pièces P-1 à P-24 furent déposées de consentement, soit :

 

P-1 :    Attestation de certification et fiche signalétique de Roger Gingras;

 

P-2 :    Lettre réponse de France Desrosiers de ING à l’enquêteur de la Chambre en date du 14 mars 2008;

 

P-3 :    Résumé d’une conversation téléphonique entre l’enquêteur de la Chambre et Mme France Desrosiers de ING en date du 14 mars 2008;

 

P-4 :    Résumé d’une conversation téléphonique entre l’enquêteur de la Chambre et Mme France Desrosiers de ING en date du 14 mars 2008;

 

P-5 :    Lettre réponse de Mme Mélanie Marchand à l’enquêteur de la Chambre en date du 21 août 2007;

 

P-6 :    En liasse, échange de courriels entre France Aubry de ING et Me Jean-Pierre Morin entre le 6 et le 12 novembre 2008;

 

P-7 :    Fiche détaillée du Registre des droits personnels et réels mobiliers concernant le véhicule 2000 Chrysler 300M no de série 2C3HE66G6YH399553;

 

P-8 :    Certificat d’assurance de Allstate pour le véhicule 2000 Chrysler 300M pour la période du 6 septembre 2006 au 6 septembre 2007;

 

P-9 :                Plainte de Jerry Michel Alexandre à l’Autorité des marchés financiers; 

 

P-10 :  Copie de l’avenant de modification de la police ING no 526-3698 en date du 22 juillet 2006;

 

P-11 :  En liasse, relevé de compte ING en date des 22 juillet, 6 septembre et 26 octobre 2006 concernant la police ING no 526-3698;

 

P-12 :  Lettre de Roger Gingras à Jerry Michel Alexandre en date du 19 février 2007 accompagnée de la politique de traitement des plaintes du cabinet Gingras, Moïse & Ass. inc.;

 

P-13 :  Lettre réponse de Jerry Michel Alexandre à M. Roger Gingras en date du 22 février 2007;

 

P-14 :  Lettre de Roger Gingras à Jerry Michel Alexandre en date du 6 mars 2007;

 

P-15 :  Lettre de Jerry Michel Alexandre à Roger Gingras en date du 14 mars 2007;

 

P-16 : Copie de deux certificats d’assurance émis par Roger Gingras à Jerry Michel Alexandre et concernant la police ING no 526-3698;

 

P-17 :  Récit chronologique des évènements relatés par Jerry Michel Alexandre;

 

P-18 :  Résumé d’une conversation téléphonique entre Jerry Michel Alexandre et Carole Chauvin en date du 16 mars 2007;

 

P-19    En liasse, réponse de Roger Gingras aux demandes de l’adjoint au syndic en date du 13 août 2007, avec annexe 1 à 8 et déclaration solennelle;

 

P-20 :  Projet de proposition d’assurance préparé par Roger Gingras auprès de L’Union Canadienne;

 

P-21 :  Avis de modification concernant l’adresse de Jerry Michel Alexandre du 9 août 2006;

 

P-22 :  Avis de résiliation de la police ING no 526-3698 en date du 6 septembre 2006;

 

P-23 :  Lettre réponse de Roger Gingras à Carole Chauvin en date du 14 août 2008;

 

P-24 :  En liasse résumés de conversation téléphonique de Carole Chauvin avec des représentants de L’Autorité des marchés financiers des 20 et 24 novembre 2008.

 

[6]           Comme premier témoin, la syndic a fait entendre M. Jerry-Michel Alexandre.

[7]           Essentiellement, son témoignage a permis d’établir que malgré ses nombreuses demandes verbales auprès de l’intimé, ce dernier ne lui a jamais communiqué le montant de sa prime d’assurance, même de façon approximative.

[8]           Étant étudiant à l’époque et vivant avec un budget serré, celui-ci désirait connaître le montant de sa nouvelle prime d’assurance-automobile afin d’être en mesure de planifier ses dépenses.

[9]           Ce fut tout un choc lorsqu’il constata que suite à l’achat d’un nouveau véhicule sa prime passait de 65 $ à 429 $ par mois.

[10]        Devant cette situation imprévue, il annula sa police avec ING et décida de s’assurer auprès d’Allstate (P-8) pour une prime plus conforme à son budget.

[11]        Enfin, le 15 février 2007, il formula une plainte auprès de l’AMF (P-9) et l’intimé accusa réception (P-12) de cette plainte, le 19 février 2007.

[12]        En contre-interrogatoire, le témoin a nié avoir harcelé l’intimé et il a nié avoir enregistré les conversations téléphoniques qu’il a eues avec M. Gingras.

[13]        Sur ce point, il y a lieu de souligner que lors d’une conversation téléphonique avec la syndic, et dont copie fut produite sous la cote P-18, le témoin aurait mentionné :

« Mais, là, je me suis mis à le harceler car je sais que la prime courrait si je cancellais, j’aurais à payer ce 429 $. »

« J’ai enregistré 3 conversations sur mon cellulaire. »

[14]        À la décharge du témoin, il faut préciser que celui-ci a expliqué que si le terme "harcelé" référait à plusieurs appels téléphoniques, alors il reconnaissait avoir "harcelé" l’intimé.

[15]        Cependant, il a toujours nié avoir enregistré ses conversations téléphoniques avec l’intimé malgré qu’il ait déclaré le contraire à la syndic de la Chambre (P-18).

[16]        En tant que deuxième témoin, la poursuite a fait entendre, Mme Manon Jacques, de chez ING.

[17]        Celle-ci confirme que le 3 août 2006, ING a émis une police d’assurance (P-19, page 20) avec date de prise d’effet au 22 juillet 2006, pour une prime mensuelle de 429,94 $.

[18]        Elle mentionne, qu’à son avis, le courtier n’a jamais demandé de changement avant cette date, et qu’aucun créancier ne fut déclaré.

[19]        Enfin, elle souligne que le cabinet de l’intimé pouvait accéder au système informatique directement afin d’y faire les inscriptions nécessaires.

[20]        Elle précise, également, qu’il était possible pour l’intimé d’utiliser le système informatique afin d’établir une projection pour le montant de la prime.

[21]        En tant que troisième témoin, la syndic, a fait entendre l’intimé [1] M. Roger Gingras.

[22]        Brièvement résumé, le témoignage de l’intimé a surtout servi à démontrer :

 

         que le 22 juin  2006, il avait émis une note de couverture intérimaire (page 12 de P-19);

 

         qu’à son avis, le client ne lui a jamais signalé l’existence d’un créancier;

 

         qu’il s’agit pourtant d’une question qu’il pose à tous ses clients;

 

         il admet ne pas avoir fourni de renseignements au client concernant le montant de la prime;

 

         il était de bonne foi, mais il semble que ni lui, ni aucun de ses employés n’ont fait les modifications nécessaires au système informatique de ING avant le 3 août 2006;

 

         il se dit convaincu d’avoir fait le changement, cependant le 3 août 2006, lorsqu’il a constaté l’absence de modifications dans le système d’ING, c’est alors qu’il s’est empressé de corriger la situation sans toutefois être en mesure de faire rétroagir la police au 22 juin 2006, date de sa note de couverture;

 

         il a traité personnellement la plainte de M. Alexandre parce que, d’une part, la loi exige que la plainte soit traitée par le responsable du traitement des plaintes et d’autres part, les autres courtiers sont tous des membres de sa famille, soit ses 3 enfants et son épouse donc, il estime que tous et chacun étaient, à divers niveaux, en situation de conflit d’intérêts.

 

[23]        En tant que quatrième témoin, Mme Chauvin, syndic de la Chambre fut entendue au soutien de la plainte.

[24]        Elle expliqua avoir communiqué avec certains responsables de l’AMF pour tenter de connaître leur interprétation de l’article 103 de la L.D.P.S.F.

[25]        Suivant le résumé de ces conversations téléphoniques (P-24), il n’existe pas de directives spécifiques concernant le cas d’un responsable de cabinet faisant lui-même l’objet d’une plainte.

[26]        Il semblerait que seul l’article 10 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages trouve application, selon l’avis verbal reçu de l’AMF.

 

 

II.         PREUVE EN DÉFENSE

 

[27]        En défense, l’intimé a témoigné de nouveau en réitérant essentiellement les mêmes faits que ceux énoncés lors de son témoignage en demande.

 

[28]        L’intimé a particulièrement insisté sur les contradictions dans le témoignage de M. Alexandre.

 

[29]        Enfin, pour chacun des chefs d’accusation, il a fourni ses explications et ses moyens de défense.

 

 

 

 

 

 

III.        ANALYSE ET DÉCISION

 

A.   Chef no 1

 

[30]        Le chef no 1 reproche à l’intimé d’avoir fait défaut d’informer son client du coût de la prime nécessaire pour couvrir son nouveau véhicule automobile.

 

[31]        La preuve a clairement démontré que l’intimé n’a jamais réussi à fournir à son client, le montant même approximatif de sa nouvelle prime d’assurance.

 

[32]        Qui plus est, l’intimé a admis qu’il se fiait à ING pour le montant de la prime et n’ayant aucune nouvelle de leur part, il ne pouvait communiquer ce qu’il ne savait pas lui-même.

 

[33]        Bref, autant le plaignant que l’intimé reconnaisse que cette information ne fut connue et communiquée à M. Alexandre que le 3 août 2006, lors de la réception de la facture de ING (page 20 de P-19).

 

[34]        Par conséquent, le Comité estime que tous les éléments essentiels de l’infraction ont été clairement démontrés et même admis par l’intimé.

 

[35]        En défense, l’intimé a fait grand état du fait que le client avait été remboursé d’un montant de 1 032,15 $ et que M. Alexandre avait signé une quittance (pages 70 à 73 de la divulgation de la preuve).

 

[36]        L’intimé, tirant un argument de cette quittance, en conclut que M. Alexandre a retiré sa plainte contre lui et, par conséquent, que la plainte disciplinaire est rendue sans objet pour ne pas dire inexistante.

 

[37]        Il est impossible, pour le Comité de suivre l’intimé sur cette avenue.

 

[38]        D’une part, la quittance porte sur le remboursement de la prime et ne concerne aucunement la plainte disciplinaire.

 

[39]        D’autre part, la plainte disciplinaire n’appartient pas au client mais relève du syndic et seul le Comité peut en autoriser le retrait une fois que celle-ci est déposée devant le Comité.[2]

 

[40]        Mais, il y a plus, une transaction qui met fin à un litige civil entre les parties ne lie pas le syndic ni le Comité de discipline.[3]

 

[41]        Cela étant dit, un professionnel qu’il soit poursuivi au criminel ou au civil et en discipline, peut en tout temps être cité à comparaître devant ses pairs pour des infractions disciplinaires reposant sur les mêmes faits.[4]

 

[42]        En conséquence, vu la preuve non contredite sur chacun des éléments essentiels de l’infraction, l’intimé sera reconnu coupable du chef no 1.

 

B.  Chef no 2

 

[43]        Le deuxième chef d’accusation reproche à l’intimé d’avoir fait défaut de déclarer à l’assureur que le véhicule était la propriété de la Banque Royale du Canada en vertu d’un contrat de vente à tempérament.

 

[44]        L’intimé sera acquitté de ce chef d’accusation pour les motifs ci-après exposés.

 

[45]        L’intimé, au cours de son témoignage a clairement affirmé avoir demandé à son client si son véhicule faisait l’objet d’un lien par un créancier.

 

[46]        Pour sa part, le plaignant M. Alexandre, lors de son témoignage n’a même pas été en mesure de se rappeler qu’il avait mentionné à la syndic :

 

         avoir harcelé l’intimé;

 

         avoir enregistré ses conversations téléphoniques avec M. Gingras.

 

[47]        Le plaignant, n’a pas non plus été capable d’expliquer pourquoi il avait déclaré à Allstate (P-8) qu’il était marié, ni pourquoi la couverture B-3 avait été retirée, alors qu’il s’agissait d’une exigence du créancier.

 

[48]        Enfin, l’extrait du Registre des droits personnels et réels mobiliers (P-7) indique que la réserve de propriété fut inscrite le 29 juin 2006, soit une semaine après l’émission d’une note de couverture (page 12 de P-19) du 22 juin 2006.

 

[49]        Devant autant de contradictions, le Comité n’a d’autres choix que d’acquitter l’intimé du chef no 2 et de favoriser sa version des faits.

 

 

C.  Chef no 3

 

[50]        Le chef no 3 reproche à l’intimé plusieurs faits, soit :

 

         d’avoir permis à une employée de son cabinet de faire preuve de négligence dans la transmission des données informatiques à ING.

 

         en demandant que la protection d’assurance soit en vigueur à compter du 22 juillet 2002, alors qu’elle était requise à compter du 22 juin 2006.

 

         créant ainsi un découvert d’assurance pour cette période.

 

[51]        Suivant les prétentions de l’intimé, il n’y aurait pas eu de découvert d’assurance puisque le client était protégé par le biais de la note de couverture intérimaire (page 12 de P-19) émise le 22 juin 2006 et en conséquence, on ne peut prétendre que son employée, Mme Danielle Debelle, a fait preuve de négligence.

 

[52]        Les membres du Comité estiment qu’il n’y a pas eu, dans les faits, de découvert d’assurance compte tenu du libellé même de la note de couverture (page 12 de P-19).

 

[53]        En effet, la note de couverture comporte l’avis suivant :

 

« D’ici à ce qu’une police soit émise, la compagnie mentionnée (ING), convient par les présentes d’assurer le proposant à compter des heures et date ci-mentionnées et ce, pour un terme de 30 jours, à compter de la date ci-dessous (22 juin 2006) ou se terminant avec la livraison à la police, le cas échéant. L’heure exacte d’entrée en vigueur de la présente couverture intérimaire remplace toute mention à cet effet contenue dans toute police. La couverture accordée ainsi que les limites de protection étant les suivantes, à savoir… » « (nos soulignements) ».

 

[54]        Ce terme de 30 jours prévu à la note de couverture explique également la raison pour laquelle la police d’ING (page 20 de P-19) entrait en vigueur le 22 juillet 2006, soit précisément 30 jours après l’émission de la note de couverture intérimaire.

 

[55]        Vu l’absence de preuve sur plusieurs éléments essentiels de l’infraction, dont notamment le découvert d’assurance, l’intimé sera acquitté du chef no 3.

 

C.  Chef no 4

 

[56]        Le quatrième chef d’accusation reproche à l’intimé de s’être placé en situation de conflit d’intérêts en assumant pour son cabinet, le rôle de "responsable du traitement des plaintes et des différends" dans le cadre du traitement de la plainte de M. Alexandre.

[57]        Pour l’analyse de ce chef d’accusation, il convient de rappeler les dispositions des articles 26, 27 et 28 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome (R.Q.c.D-9,2, r.02).

 

« 26-Le registre des plaintes que doit tenir le cabinet, le représentant autonome ou la société autonome doit contenir, pour chaque plainte reçue, les renseignements suivants:

 

  1°    la date de sa réception;

 

  2°    le nom, l'adresse, le numéro de téléphone et le numéro de télécopieur de la personne ayant formulé la plainte ainsi que son adresse électronique, le cas échéant;

 

  3°    la nature de la plainte selon la classification mentionnée à l'annexe I et, dans le cas d'un cabinet inscrit dans la discipline en valeurs mobilières, une description des valeurs visées par la plainte;

 

  4°    le nom du représentant, de l'associé, de l'administrateur, du dirigeant, du stagiaire, du mandataire ou de l'employé visé par la plainte, le cas échéant;

 

  5°    la date et la façon dont la plainte a été réglée et les raisons qui ont incité le cabinet, le représentant autonome ou la société autonome à la régler ainsi;

 

  6°    le fait que l'assureur couvrant la responsabilité de la personne à l'égard de qui la plainte a été formulée a été avisé ou non de la plainte.

 

D. 832-99, a. 26.

 

§ 6.  Traitement des plaintes

 

27- Le représentant autonome et, dans le cas d'un cabinet ou d'une société autonome, le dirigeant responsable du principal établissement du cabinet ou de la société au Québec est responsable du registre des plaintes et de leur traitement.

 

D. 832-99, a. 27. »

 

28- Dans le traitement d'une plainte, le cabinet, le représentant autonome ou la société autonome doit:

 

  1°    accuser réception par écrit dans les 10 jours ouvrables de la réception de la plainte à la personne l'ayant formulée; l'accusé de réception doit mentionner le nom du correspondant désigné ou de la personne désignée pour l'assister, le cas échéant, qui s'occupera de la plainte et son numéro de téléphone, le droit pour le plaignant de s'adresser directement au Bureau pour présenter sa plainte que les coordonnées du Bureau;

 

  2°    consigner, sans délai, la plainte au registre des plaintes;

 

  3°    dans le cas où le représentant a fait l'objet de plus de 5 plaintes au cours d'une même année, en aviser par écrit le Bureau dans les 20 jours suivant la réception de la cinquième plainte;

 

  4°    traiter la plainte avec diligence et, dans tous les cas, y donner une réponse finale dans un délai maximal de 3 mois à compter de la date de la réception de la plainte;

 

  5°    prendre les mesures nécessaires afin de découvrir les faits pertinents à l'appréciation de la plainte;

 

  6°    lorsque la plainte est réglée, indiquer par écrit au client la façon dont il en a été disposé, la portée et la nature des vérifications internes qui ont été effectuées et les motifs justifiant la façon dont la plainte a été réglée.

 

D. 832-99, a. 28. »

 

 

[58]        Il est à noter que ledit règlement ne prévoit aucune disposition permettant de guider l’intimé ou tout autre responsable faisant l’objet lui-même d’une plainte.

 

[59]        Par contre, on comprend mieux le raisonnement de l’intimé, lorsque l’on se réfère aux dispositions du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

 

[60]        Avant d’examiner ces dispositions, rappelons toutefois, la situation à l’origine du chef no 4 :

 

         d’une part, l’intimé est le seul responsable du traitement des plaintes;

 

         d’autre part, tous les autres courtiers de son cabinet sont des membres de sa famille;

 

         en leur référant, ladite plainte, il se trouvait à les placer eux-mêmes en situation de conflit d’intérêts;

 

         ce faisant, il craignait qu’on leurs reprochent, du même coup, leur manque d’objectivité;

 

         devant cette situation inextricable, l’intimé a choisi, à tort ou à raison, d’assumer ses responsabilités au meilleur de ses connaissances et de sa compréhension de ses obligations déontologiques.

 

[61]        La trame factuelle étant établie, examinons maintenant les dispositions règlementaires.

[62]        L’article 2 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages obligeait l’intimé à s’assurer que ses mandataires et employés respectaient les dispositions de la loi et des règlements adoptés sous son égide.

[63]        Enfin, l’article 10 du Code lui interdisait de se placer en situation de conflit d’intérêts.

[64]        De plus, suivant l’article 11 du Code, il devait favoriser toute mesure visant à protéger le public. Il avait donc l’obligation de répondre.

[65]        Qui plus est, l’article 19 du Code lui imposait l’obligation de placer les intérêts des assurés avant les siens.

[66]        L’intimé faisait donc face à une double contrainte, soit qu’il plaçait les autres courtiers de son cabinet en situation de conflit d’intérêts en raison des liens familiaux qui les unissaient, soit qu’il assumait lui-même ce conflit d’intérêts en traitant la plainte de M. Alexandre.

[67]        Il a choisi la voie la plus logique, soit celle visant à éviter aux membres de son cabinet de commettre eux-mêmes des infractions déontologiques.

[68]        Son choix pouvait également se justifier par la doctrine de la nécessité.

[69]        Par analogie, lorsque tous les membres d’un Comité ou d’un tribunal sont en situation de partialité alors, la doctrine de la nécessité leur reconnait le droit de siéger sinon l’instance disciplinaire serait paralysée, ce qui serait contraire à l’intérêt public.

[70]        C’est ainsi que le Tribunal des professions dans l’affaire Girard[5] se référant alors à l’arrêt Ruffo[6] , écrivait :

« [44] Enfin, compte tenu de la doctrine de la nécessité ([14]), le processus disciplinaire devrait suivre son cours devant le Comité tel que formé puisque l’article 152 du Code édicte que le comité de discipline décide privativement à tout tribunal si un professionnel a commis l’infraction visée à l’article 116.

 [45] Ce dossier n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’affaire Ruffo ([15]) qui présente de nombreuses similitudes avec celui-ci.  Il faut par analogie, en appliquer ici les principes.

[46] Non seulement la décision du Comité ne dénote aucune faiblesse apparente, mais au surplus, la question soulevée a peu de chance d’être débattue avec succès en appel à ce stade-ci des procédures.  En effet, le Comité n’a pas encore débuté ses audiences et, comme le soulignait l’un des procureurs du syndic, Me Jacques Prévost, se référant à l’arrêt de la cour suprême précité ([16]), même dans l’hypothèse où le requérant avait raison, l’enquête du Comité doit avoir lieu :

"Malgré la règle générale selon laquelle un juge qui n’est pas impartial est inhabile à entendre une affaire, la doctrine de la nécessité - - qui constitue une exception à cette règle générale - - permet dans certaines circonstances à un juge, qui serait par ailleurs inhabile à connaître d’un litige, d’entendre cette affaire s’il n’y a pas de juge impartial en mesure de le remplacer.  Le droit reconnaît que, dans certaines situations, il est préférable d’avoir une juge qui n’est ni indépendant ni impartial plutôt que de ne pas avoir de juge du tout.  La doctrine de la nécessité tient compte de l’importance des notions de la finalité et de continuité dans l’administration de la justice et autorise une degré limité d’iniquité envers un accusé." (Mon emphase) » 

[71]        Dans le même ordre d’idée, le droit criminel reconnait à un accusé confronté à deux obligations légales contradictoires le droit de soulever la défense de nécessité.[7]

[72]        À cet égard, rappelons les sages paroles du Juge Lamer dans l’affaire Perka.[8]

« L’exigence que l’obéissance à la loi soit « démonstrativement impossible » pousse cette appréciation un cran plus loin.  Si l’accusé se devait d’agir, pouvait-il vraiment agir de manière à éviter le danger ou à prévenir le mal sans contrevenir à la loi? Y avait-il moyen de s’en sortir légalement? Je crois que c’est que Bracton veut dire lorsqu’il mentionne la « nécessité » comme moyen de défense pourvu que l’acte mauvais n’ait pas été « évitable ».  Il faut se demander si l’auteur de l’acte avait réellement le choix : pouvait-il faire autrement? S’il y avait une solution raisonnable et égale autre que celle de contrevenir à la loi, alors la décision de contrevenir à la loi est un acte volontaire, mu par quelque considération autre que les impératifs de la « nécessité » de l’instinct humain.

On ne saurait trop insister sur cette exigence qu’il n’y ait pas d’autre solution légale et raisonnable possible (pp. 252-253). »

[73]        Le législateur ayant prévu d’une part, le droit pour le consommateur de soumettre une plainte et d’autre part, l’obligation pour le responsable du traitement des plaintes, d’y répondre, l’intimé n’avait d’autre choix que de s’exécuter.

[74]        En l’espèce, M. Gingras, en choisissant de se placer lui-même en situation de conflit d’intérêts, a permis au processus de traitement des plaintes établi pour le bénéfice du public, de suivre son cours sans obliger les autres membres de son cabinet à commettre des infractions.

[75]        Soulignons que contrairement à d’autres lois, ni la LDPSF, ni ses règlements ne prévoient une solution lorsque le responsable est dans l’incapacité d’agir en raison soit d’un conflit d’intérêts ou même d’une simple absence pour cause de maladie.

[76]        Il va de soi que la situation très particulière de l’intimé et de son cabinet composé entièrement des membres de sa famille n’étaient pas prévisible au moment de la rédaction de la loi et du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome.

[77]        Cependant, l’intimé n’a pas à souffrir des lacunes de la loi qui n’a pas su prévoir une soupape de sécurité pour une telle situation. [9]

[78]        En conséquence, il y a lieu d’appliquer la défense de la nécessité et de conclure que l’intimé ne pouvait pas ni légalement, ni dans les faits, agir autrement d’où son acquittement à l’égard du chef no 4.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

ACQUITTE l’intimé des chefs nos 2, 3 et 4;

DÉCLARE l’intimé coupable du chef no 1;

ORDONNE à la secrétaire du Comité de convoquer les parties pour l’audition sur sanction.

LE TOUT frais à suivre.

 

 

__________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du comité de discipline

 

__________________________________

Mme Francine Normandin,

C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre du comité de discipline

 

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M. Ian Cytrynbaum,

C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre du comité de discipline

 

 

Me Jean-Pierre Morin

Procureur de la partie plaignante

 

M. Roger Gingras

Personnellement

 

Date d’audience :

2 mars 2009

 



[1]. Il est permis au syndic de faire entendre en preuve principale, l’intimé lui-même, voir à ce sujet, Québec (Min. de la Sécurité publique) c. Bouliane [2004] R.J.Q. 1185 (C.A.).

[2]. Janovic c. Médecins [2005] QCTP 20 (T.P.)

[3]. Lazare c. Milunovic [2006] QCTP 126 (T.P.)

[4] Feldman c. Barreau [2004] QCTP 71 (T.P.)

 

[5]. Girard c. Chiropraticiens [2002] QCTP 074 (T.P.)

[6]. Ruffo c. Conseil de la magistrature [1995] 4 r.c.s. 267

[7]. Perka c. R [1984] 4 r.c.s. 232

[8] . Ibid., pp. 252 et 252

[9]À titre d’exemple, voir l’art. 119 C. prof., qui permet le remplacement d’un membre du Comité de discipline pour cause d’absence ou d’empêchement d’agir, ou l’art. 303 L.D.P.S.F. qui permet au vice-président de la Chambre d’exercer les fonctions du président en cas d’empêchement.

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