Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 
 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

N° :

2010-11-02 (E)

 

 

DATE :

14 avril 2011

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Richard Legault, expert en sinistre

Membre

M. Jules Lapierre, expert en sinistre

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante

 

c.

 

CHANTAL DOUCET, expert en sinistre

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]          Le 18 mars 2011, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages procédait à l’audition de la plainte no 2010-11-02(E);

[2]           La syndic était représentée par Me Claude G. Leduc et l’intimée par Me Jean-Pierre Casavant;

[3]           Me Casavant, au nom de sa cliente, enregistra un plaidoyer de non-culpabilité à l’encontre de la plainte comportant deux (2) chefs d’accusation;

 

     I.          La plainte

[4]          De façon plus spécifique, la plainte disciplinaire reproche à l’intimée d’avoir commis les actes dérogatoires suivants :

 

1.      Le 18 novembre 2009, dans une affaire où la Municipalité (sic) de Saint-Hippolyte était impliquée à titre d’assurée et alors qu’elle agissait dans le cadre de l'exercice de ses activités d’expert en sinistre, a fait défaut d’identifier clairement son mandant et le nom de l’assureur de la Municipalité (sic) de Saint-Hippolyte dans une correspondance qu’elle adressait à J.D. et Y.D. et par laquelle était niée toute responsabilité de l’assurée, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des experts en sinistre, notamment les articles 2 et 17 dudit Code;

 

2.      Depuis le 21 décembre 2009, a fait défaut d’agir avec professionnalisme en cachant ou en omettant sciemment de divulguer ce qu’une disposition législative ou réglementaire l’oblige de révéler en n’identifiant pas aux tiers réclamants, J.D. et Y.D., le nom de l’assureur de la Municipalité (sic) de Saint-Hippolyte, alors que ces derniers l’avaient mise en demeure de le faire, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des experts en sinistre, notamment les articles 2, 17, 20 et 58.10 dudit Code;

 

L’intimée s'étant ainsi rendue passible pour les infractions ci-haut mentionnées des sanctions prévues à l'article 156 (c) du Code des professions.

(nos soulignements)

 

II.         La preuve

[5]          Me Leduc, au nom de syndic, a déposé de consentement les pièces documentaires suivantes :

Pièce P-1 :       Attestation de Mme Carole Chauvin, syndic de la Chambre de l’assurance de dommages concernant Mme Chantal Doucet et fiche informatique joint;

Pièce P-2 :       En liasse, communications écrites et téléphoniques avec la Chambre de l’assurance de dommages, les réclamants Y.D. et J.D. ainsi que l’Autorité des marchés financiers;

Pièce P-3 :       En liasse, communications écrites et téléphoniques avec la Chambre de l’assurance de dommages et Mme Chantal Doucet;

Pièce P-4 :       En liasse, communications écrites et téléphoniques avec la Chambre de l’assurance de dommages, M. Jacques Rousseau de la MMQ, La Mutuelle des Municipalités (sic) du Québec, et Mme Chantal Doucet.

[6]          Le Comité a également bénéficié du témoignage d’un des réclamants, Monsieur Y.D.;

[7]          Monsieur Y.D. est en litige avec la municipalité de Saint-Hippolyte depuis plusieurs années;

[8]          Ce différend prend sa source dans l’envoi d’un "avis de vidange du réservoir sanitaire"[1];

[9]          Suivant la municipalité, il s’agissait d’un deuxième avis, mais le réclamant n’a pas souvenir d’avoir reçu un premier avis au cours de l’été 2005;

[10]        Ce "2e" avis arrive donc le 2 décembre 2005 et exige des réclamants Y.D et J.D. de procéder à la vidange de leur réservoir sanitaire et d’en faire la preuve par l’envoi d’une copie de la facture avant le 16 décembre 2005;

[11]        Il s’en suit alors une kyrielle de lettres[2] plus ou moins édifiantes entre ceux-ci et la municipalité de Saint-Hippolyte;

[12]        Cette escalade de mise en demeure se termine par l’envoi d’une lettre de Monsieur Y.D. adressée à l’intimée, le 21 décembre 2009, lui demandant de fournir le nom de l’assureur de la municipalité[3];

[13]         Il s’agit de la lettre dont l’intimée aurait fait défaut de répondre suivant le 2e chef d’accusation de la plainte disciplinaire;

[14]       Celle-ci faisait suite à l’envoi par l’intimée d’une lettre[4] adressée aux réclamants le 18 novembre 2009, niant responsabilité au nom de l’assureur de la municipalité, sans toutefois identifier formellement ce dernier d’où le 1er chef de la plainte;

[15]       Suivant Monsieur Y.D. celui-ci tenait à obtenir le nom de l’assureur afin d’être en mesure d’organiser une campagne de boycottage des produits et services offerts par cet assureur;

[16]       Finalement, le 8 février 2010, les réclamants Y.D. et J.D. furent informés par      Me Mélanie Gagnon de l’AMF du nom de l’assureur, soit la "Mutuelle des municipalités du Québec" et du nom du réviseur M. Jacques Rousseau;

[17]       Il y a lieu de noter que malgré l’envoi de nombreuses mises en demeure depuis décembre 2005, que les tiers réclamants Y.D. et J.D. n’ont toujours pas intenté de procédures judiciaires contre la municipalité et/ou son assureur, soit presque six (6) ans après le début du dossier;

[18]       Par contre, suivant le réclamant Y.D., ils ont été dans l’obligation de vendre leur propriété en dessous de sa valeur marchande au cours de l’année 2010;

[19]       Essentiellement, le litige opposant Y.D. et J.D. et la municipalité provient du fait que la ville leur demande de procéder à la vidange de leur fosse septique, alors que ceux-ci ne sont pas en mesure de repérer l’emplacement de celle-ci sur leur terrain, vu le défaut de la ville d’avoir conservé dans ses archives le plan d’aménagement de leur propriété;

[20]       À cet égard, la municipalité répond dans une lettre qu’il est de la responsabilité de chaque propriétaire de "savoir où vont les eaux usées de sa propre résidence"[5];

[21]       Le Comité a également entendu l’intimée, laquelle a déclaré:

           Que l’absence d’identification de l’assureur sur la lettre du 18 novembre 2009, provenait d’une erreur cléricale commise bien involontairement; 

           Que ce n’est qu’au moment de la réception de la plainte de Monsieur Y.D. à l’AMF que celle-ci a constaté la mention "Assureurs" au bas de sa lettre au lieu de "La Mutuelle des municipalités du Québec" (M.M.Q.)[6];

[22]        Pour ce qui est du 2e chef d’accusation, l’intimée a fourni les explications suivantes :

           La lettre du 21 décembre 2009, de Monsieur Y.D. était tellement insultante qu’elle craignait une escalade dans ses propos si elle daignait gratifier celle-ci d’une réponse;

           Qui plus est, au moment de la réception de celle-ci, soit le 23 décembre 2009 son dossier était déjà fermé;

           Elle a donc contacté son mandant, M. Jaques Rousseau de la M.M.Q., pour obtenir des instructions de sa part;

           Ils ont alors conclu qu’il s’agissait plutôt d’une plainte que d’une véritable demande d’information et qu’il était donc préférable d’attendre la suite des événements avant de répondre;

[23]       Finalement, l’intimée ayant fourni le nom de l’assureur à Me Mélanie Gagnon de l’AMF, le 8 février 2010, et surtout ayant été avisée par cette dernière que l’information serait transmise à Monsieur Y.D., elle n’a pas jugé nécessaire de répondre par écrit à la demande du 21 décembre 2009;

[24]       Enfin, l’intimée ajoute que si Me Gagnon lui avait demandé de fournir une réponse écrite, elle n’aurait pas hésité à le faire;

[25]       C’est à la lumière de cette trame factuelle que sera examinée et analysée la responsabilité déontologique de l’intimée;

 

 

III.        Argumentation

            3.1. Par la syndic

[26]       Me Leduc demande au Comité de discipline de reconnaître l’intimée coupable des infractions reprochées, en raison du caractère obligatoire des articles 17 et 58(10) du Code de déontologie des experts en sinistre.

[27]       À son avis, l’intimée n’avait pas à référer à son mandant et elle devait agir de façon indépendante en plaçant ses obligations déontologiques au-dessus des intérêts de son client[7];

 

3.2. Par la défense

[28]       De son côté, Me Casavant plaide plusieurs motifs visant à demander le rejet de la plainte;

[29]       Quant au 1er chef d’accusation, l’intimée allègue principalement qu’il s’agit d’une erreur cléricale commise par inadvertance, sans aucune intention malicieuse;

[30]       De façon plus particulière, l’intimée plaide que l’expression "le cas échéant" que l’on retrouve à l’article 17 du Code de déontologie des experts en sinistre, lui accorde une certaine discrétion suivant les circonstances de l’affaire;

[31]       Quant au 2e chef d’accusation, l’intimée insiste sur les moyens suivants :

           La demande de Monsieur Y.D. était abusive et vexatoire et en conséquence, l’intimée n’avait pas à répondre à celle-ci;

           L’article 17 du Code de déontologie des experts en sinistre doit être interprété de manière à laisser une marge de manœuvre au professionnel vu l’utilisation des mots "le cas échéant";

IV.        Analyse et décision

                 4.1 Chef no 1

[32]       Le chef no 1 reproche à l’intimée d’avoir fait défaut d’identifier clairement son mandant ainsi que le nom de l’assureur de la municipalité de Saint-Hippolyte dans une correspondance datée du 18 novembre 2009 adressée à deux réclamants J.D. et Y.D.;

[33]       En défense, l’intimée plaide que l’article 17 du Code de déontologie des experts en sinistre lui laisse une certaine discrétion en utilisant les mots "le cas échéant";

[34]       Les arguments de la défense portant sur l’interprétation des mots "le cas échéant" seront analysés uniquement en regard du 2e chef d’accusation;

[35]       Pour le 1er chef d’accusation, le Comité estime que l’intimée doit bénéficier d’un acquittement pour les motifs ci-après exposés;

[36]        La preuve non contredite démontre que l’intimée a omis par inadvertance d’identifier l’assureur de la municipalité dans la lettre du 18 novembre 2009;

[37]       Suivant la preuve[8], ce geste résulte d’une omission involontaire et l’intimée n’a jamais eu l’intention de cacher le nom de l’assureur;

[38]       D’ailleurs, le personnel clérical de son cabinet a été informé de la situation et des correctifs ont été apportés afin d’éviter la répétition d’une telle erreur;

[39]       La jurisprudence a, depuis longtemps, établi qu’une faute disciplinaire doit avoir une certaine gravité afin d’entraîner la culpabilité d’un professionnel;

[40]       De l’avis du Comité, une simple erreur cléricale ne peut pas et ne doit pas entraîner un verdict de culpabilité;

[41]       La jurisprudence enseigne qu’une simple faute technique qui ne présente pas une gravité suffisante, ne peut constituer une faute disciplinaire[9];

[42]       Encore récemment, le Tribunal des professions rappelait ce principe, dans l’affaire Belhumeur[10] :

"[72] La doctrine et la jurisprudence énoncent que, pour qu’il y ait faute déontologique, il faut un manquement de la part du professionnel. De plus, pour que le manquement du professionnel constitue une faute déontologie, il doit revêtir une certaine gravité".

[43]       Plus particulièrement, le Tribunal des professions écrivait dans l’affaire Malo[11] :

"[28] …….Il arrive à tous les professionnels de commettre des erreurs et la vie de ces derniers serait invivable, si la moindre erreur, le moindre écart de conduite était susceptible de constituer un manquement déontologique…….."

[44]       Dans les circonstances, le Comité est d’avis que l’omission bien involontaire de l’intimée ne revêt pas une gravité suffisante pour constituer une faute déontologique;

[45]       Pour ces motifs, l’intimée sera acquittée du 1er chef d’accusation;

           

            4.2 Chef no 2

[46]       Le chef no 2 reproche à l’intimée d’avoir, le 21 décembre 2009, caché ou omis sciemment de divulguer le nom de l’assureur de la municipalité de Saint-Hyppolyte, alors que les articles 17 et 58(10) du Code de déontologie des experts en sinistre l’obligent à le révéler;

[47]       En défense, l’intimée plaide qu’il ne s’agit pas réellement d’une demande d’information, mais plutôt d’une lettre d’insultes;

[48]       L’intimée plaide que les tiers réclamants J.D. et Y.D. abusaient de leurs droits et cherchaient à nuire à sa réputation auprès de la municipalité de Saint-Hyppolyte;

[49]       Afin de bien comprendre les reproches formulés contre l’intimée et les moyens de défense à l’encontre de la plainte, il convient de reproduire "in extenso" la lettre du 18 novembre 2009 adressée à Monsieur Y.D. par Mme Doucet;

 

Saint-Bruno, le 18 novembre 2009

SOUS TOUTES RÉSERVES

Madame J.D.

Monsieur Y.D.

XXXXXXXXXXXXXXXXXX

XXXXXXXXXXXXXXXXXX

 

OBJET : Notre dossier :           XXXXXXXXXX

               Notre Assuré :           Municipalité (sic) De (sic) Saint-Hippolyte

 

Madame, Monsieur,

 

Nous avons été mandatés par l’assureur de la Municipalité (sic) de Saint-Hippolyte pour enquêter les circonstances de l’évènement décrit dans votre lettre de mise en demeure du 13 août 2009.

 

Après avoir procédé à l’étude du dossier qui vous oppose à la Municipalité (sic) de Saint-Hippolyte depuis le mois de décembre 2005, nous recevons instruction de nos commettants de vous informer qu’ils nient toute responsabilité de la part de leur assuré pour toutes les raisons qui vous ont déjà été longuement expliquées dans la correspondance antérieure reçue de la Municipalité (sic) de Saint-Hippolyte ou de son procureur.

 

Cette position de négation de responsabilité ne doit par ailleurs pas être considérée comme étant une reconnaissance de la part de nos commettants que la prescription ne soit pas déjà acquise dans cette affaire.

 

Espérant le tout conforme, nous vous prions d’accepter, madame, monsieur, nos salutations distinguées.

 

Chantal Doucet, AIAC

Expert en sinistre

Poste : 243 – [...]

CD/jg

 

cc : Assureurs

 

            (Nos soulignements)

 

[50]       En réponse à cette lettre de l’intimée, Monsieur Y.D. faisait parvenir à Madame Doucet la lettre suivante:

Montréal, le 21 décembre 2009

Sous Toutes Réserves

Denis Rochette Interpect (2006) Inc.

A/S Chantal Doucet

XXXXXXXXXXXXXXXX

XXXXXXXXXXXXXXXX

 

Objet: lettre d’intimidation reçut (sic) de vous                 

votre dossier XXXXXXXXXX

 

Mise en demeure.

 

Madame,

 

Afin de finaliser nos plaintes concernant le comportement sauvage de votre lettre d’intimidation et sous la suggestion des bureaux de plaintes contactés, vous êtes mis en demeure d’identifier le nom de l’assureur qui vous a supposément mandaté concernant le dit (sic) dossier.

 

Ce qui se passe entre la municipalité et son assureur ne nous regarde en rien et encore moins ce qui se passe entre vous et l’assureur. L’envoie (sic) de cette lettre représente un geste illégal dénotant un agenda caché.

 

Tant qu’à la nouvelle position de la municipalité qui prône une prescription acquise, cela dénote que la municipalité est bien consciente qu’elle n’a pas respectées (sic) ses obligations sans égard du préjudice qu’elle a causé. Ce changement de position démontre clairement que la municipalité met ses intérêts financiers au dessus (sic) des lois de l’environnement, d’autant plus que Madame Christine Côte, directrice générale de la municipalité s’est permis de juger notre souci de l’environnement, qu’elle (sic) belle démonstration montrant l’écart entre le discours et les actes, un comportement digne de saloperie!

 

Tant qu’à votre prière d’accepter vos salutations distinguées, non merci, nous préférons se tenir loin de gens comme vous qui manipulent les autres et qui se prostitue au nom d’une compagnie d’assurance qu’elle n’a pas le courage d’identifier.

 

Faites vos prières pour vos semblables madame Doucet et cessez donc être hypocrite, Dieu vous écouteras (sic) assurément et vous pardonnera.

 

Tant qu’à nous, nous continuerons notre boycotte des entreprises de la municipalité en leur écrivant une lettre qui expliqueras (sic) la raison qui motive de ce boycotte.

 

 

Veuillez agir en conséquence.

 

 

Y.D.

cc. Municipalité de Saint-Hippolyte

 

 

              (Nos soulignements)

 

 

[51]       Malgré le fait que Monsieur Y.D. qualifie la lettre du 18 novembre 2009, de "lettre d’intimidation", le Comité estime que cette lettre ne peut objectivement être qualifiée de "lettre d’intimidation" mais il est possible qu’elle fût perçue comme telle par Monsieur Y.D., lequel est en litige avec la municipalité de Saint-Hippolyte depuis 2005;

[52]       Cela étant dit, il s’agit de déterminer si l’intimée avait l’obligation de répondre à la lettre de Monsieur Y.D. du 21 décembre 2009;

[53]       Par ailleurs, le Comité tient à souligner d’emblée qu’il est d’avis que les termes utilisés par l’article 17 du Code de déontologie des experts en sinistre sont obligatoires :

"Art. 17 Dans l’exercice de ses activités, l’expert en sinistre doit s’identifier clairement ainsi que, le cas échéant, identifier son mandant sur demande, il doit exhiber son certificat."

(nos soulignements)

[54]       En conséquence, lorsqu’un expert en sinistre est  "le cas échéant" requis d’identifier son mandant, il doit le faire à défaut de quoi, il risque de se placer en situation d’infraction;

[55]       Dans le présent cas, il ne fait pas de doute que l’intimée avait l’obligation "d’identifier son mandant" la question consiste plutôt à déterminer si l’intimée bénéficie de moyens de défense à l’encontre de ce chef d’accusation;

[56]       À cet égard, l’intimée soulève plusieurs moyens de défense :

           La demande de Monsieur Y.D. n’est pas formulée de bonne foi et elle ne vise qu’à nuire à autrui de manière excessive et déraisonnable au sens des articles 6 et 7 du C.c.Q., en plus d’être diffamatoire au sens de l’article 4 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne;

           De plus, celle-ci devrait être rejetée suivant l’article 54.1 du C.p.c. puisqu’elle est abusive et découle d’un comportement vexatoire ou quérulent;

[57]       À ces arguments s’ajoutent ceux qui concernent l’interprétation qu’il faut donner aux mots "le cas échéant" que l’on retrouve à l’article 17 du Code de déontologie des experts en sinistre;

           

            4.2.1    Les articles 6 et 7 du C.c.Q.

[58]       Le Comité considère qu’il ne relève pas de sa juridiction de déterminer si les réclamants Y.D. et J.D. ont exercé leur droit de mauvaise foi;

[59]       Il ne revient pas non plus au Comité de déterminer si la lettre du 21 décembre 2009 est diffamatoire;

[60]       À cet égard, rappelons que la juridiction du Comité est limitée aux matières qui sont strictement prévues dans sa loi constitutive[12];

[61]       En conséquence, il n’appartient pas au Comité de décider si Monsieur Y.D. a commis une faute pouvant entraîner sa responsabilité civile, cette question relève des tribunaux civils[13];

            4.2.2.   L’abus de droit (article 54.1 du C.p.c.)

[62]       L’intimée, dans sa contestation écrite, plaide que la demande des réclamants est abusive et que le Comité devrait s’inspirer des dispositions de l’article 54.1 C.p.c. et conclure au rejet de celle-ci;

[63]       Le comité est d’opinion que la "demande" de Monsieur Y.D. ne peut en aucun cas être assimilée à une "demande en justice" au sens des articles 54.1 C.p.c. et ss.;

[64]       Mais il y a plus, même en prétendant, pour fins de discussions, que cette "demande" est abusive puisque résultant d’un comportement vexatoire ou quérulent, le Comité estime qu’il ne peut d’aucune façon attribuer cet "abus" à la partie poursuivante;

[65]       Monsieur Y.D. n’est pas la partie plaignante dans le présent dossier, il est un "demandeur d’enquête" et un simple témoin;

[66]       Or, le comportement d’un demandeur d’enquête ne peut être attribué au syndic d’un Ordre professionnel, sauf si celui-ci porte atteinte à l’équité du procès[14];

[67]       À cet égard, il convient de citer certains extraits de la décision Gingras c. Paquette[15] :

[65]       Tout d’abord, rappelons qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une plainte privée et que monsieur Bourgoin n’est pas le plaignant. Il est le demandeur d’enquête ainsi qu’un témoin. Le plaignant est monsieur Réjean Gingras, syndic de l’Ordre des arpenteurs-géomètres. Ce dernier a été informé des faits du présent dossier par monsieur Bourgoin qui a présenté une demande d’enquête en bonne et due forme, il a alors procédé à une enquête, conformément à l’article 122 du Code des professions, pour finalement en venir à déposer la présente plainte devant le Conseil de discipline, exerçant ainsi la discrétion qui  lui incombe.

[66]       La jurisprudence constante2 est claire à l’effet que le Conseil de discipline n’a pas compétence pour examiner la conduite du syndic dans le cadre de son enquête, et notamment les raisons l’ayant amené à déposer une plainte disciplinaire. Ainsi, la validité de la plainte ne peut être affectée par des allégations de cette nature. L’auteure Marie PARÉ formule ainsi le principe applicable à cet égard :

« Il a été maintes fois répété que les comités de discipline et le Tribunal des professions n’ont pas le contrôle des agissements du syndic, et qu’une éventuelle illégalité commise par ce dernier dans le cadre de son enquête n’entraîne pas l’irrecevabilité de la plainte. La jurisprudence est à cet égard constante. Ce principe est notamment énoncé dans les affaires Fullum c. Psychologues (Corp. Professionnelle des), Delisle c. Arpenteurs-géomètres, Hakim c. Lalonde, Pelletier c. Psychologues, Parizeau c. Avocats (Ordre professionnel des) et Dulac c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des). Le rôle du Comité de discipline se limite à juger du bien-fondé de la plainte, selon la preuve qui lui est présentée, et de s’assurer que le professionnel bénéficie d’une défense pleine et entière. »3

[67]       Si la conduite illégale d’un syndic dans le cadre de son enquête n’a pas pour effet d’entraîner l’irrecevabilité de la plainte, à plus forte raison, les motivations du demandeur d’enquête ne peuvent mener à un tel résultat, et ce, même s’il était prouvé que ce dernier soit un plaideur quérulent, ce sur quoi le Conseil n’a toutefois pas à se pencher. En l’espèce, le syndic, un professionnel membre de l’Ordre, dont l’indépendance est assurée en vertu du Code des professions, a effectué une enquête sérieuse au terme de laquelle il a pris la décision de saisir le Conseil de discipline d’une plainte, étant d’avis qu’une infraction disciplinaire avait été commise. Ce processus rigoureux constitue un rempart contre les abus de la nature de ceux dont l’intimé estime être victime.

2        Voir notamment : Thibault c. Tribunal des professions, C.S. Montréal, no. 500-05-035914-975, 18 décembre 1997; Fullum c. Psychologues (Ordre professionnel des), T.P. Montréal, no : 500-07-000018-915, 1er octobre 1991;

3        PARÉ, Marie, « Droit disciplinaire : l’enquête du syndic «, dans La Revue du Barreau, Tome 59, Printemps 1999, 307, pages 315;

            (Nos soulignements)

 

[68]       En l’espèce, le Comité a toutefois ordonné un arrêt des procédures en raison du fait que le demandeur d’enquête persistait à cacher de la preuve compromettant de façon irrémédiable ainsi le droit de l’intimé à une défense pleine et entière[16];

[69]       En dernier lieu, il faut noter que cette décision fait actuellement l’objet d’un appel au Tribunal des professions[17];

[70]       En conséquence, l’abus de droit reproché au demandeur d’enquête (Y.D.) ne pouvant être attribué à la syndic, ce moyen de défense sera rejeté;

 

 

            4.2.3.   "Le cas échéant"

[71]       À l’aide de définitions provenant de divers dictionnaires[18], l’intimée plaide que les mots "le cas échéant" que l’on retrouve à l’article 17 du Code de déontologie des experts en sinistre signifient :

           "Si l’occasion se présente", ou;

           "Si les circonstances s’y prêtent";

[72]       Le Comité est d’avis que les définitions fournies par l’intimée traduisent bien l’intention du législateur qui consiste à imposer à l’intimée l’obligation d’identifier son mandant, si les circonstances s’y prêtent;

[73]       Par contre, à compter du moment où une personne lui demande, "le cas échéant", d’identifier son mandant, le Comité estime qu’elle a l’obligation de répondre, en conséquence, ce moyen de défense est rejeté;

           

            4.2.4.   Article 58(10) "sciemment"

[74]       Par ailleurs, peut-on réellement dire que l’intimée a caché ou omis "sciemment" de divulguer ce qu’une disposition législative ou réglementaire l’oblige à révéler, contrairement à l’article 58(10) du Code de déontologie des experts en sinistre, et ce, tel qu’allégué au chef no 2 de la plainte;

[75]       Suivant le Tribunal des professions[19], l’adjectif "sciemment" nécessite la preuve d’une intention coupable;

[76]       D’ailleurs, cette position du Tribunal des professions n’est pas nouvelle[20] et elle s’applique également à l’égard des courtiers en assurance de dommages[21];

[77]       Dans le présent cas, le libellé du chef no 2 et surtout l’infraction alléguée, soit celle prévue à l’article 58(10) du Code de déontologie des experts en sinistre, exigeait une preuve démontrant que l’intimée avait "sciemment" caché ou omis de divulguer l’identité de l’assureur;

[78]       Le Comité estime que cette preuve n’a pas été faite au soutien du chef no 2;

[79]       Au contraire, la preuve a même permis d’établir que l’intimée avait fait preuve de diligence raisonnable;

[80]       Premièrement, alors qu’elle reçoit le 23 décembre 2009, la lettre datée du 21 décembre 2009, son dossier est déjà fermé depuis quelques jours;

[81]       Deuxièmement, à la lumière des termes pour le moins insultants utilisés par Monsieur Y.D., elle décide de consulter son mandant et il est alors convenu de traiter cette demande comme une plainte et d’attendre la suite des événements;

[82]       Il est difficile de conclure que l’intimée aurait fait preuve de mauvaise foi et aurait sciemment tenté de cacher l’identité de son mandant, vu le contexte pour le moins particulier du présent dossier;

[83]       Rappelons que cette demande arrive après une série d’autres lettres du même acabit[22];

[84]       Il est normal dans les circonstances que l’intimée ait fait preuve de prudence, en hésitant de répondre à cette lettre reçue en pleine période des fêtes de Noël et alors que son dossier est déjà fermé;

[85]       Par contre, dès que Me Mélanie Gagnon de l’AMF lui demande d’identifier son mandant, elle s’exécute sans plus tarder;

[86]       D’ailleurs, le jour même, l’information est transmise à Monsieur Y.D. par             Me Gagnon;

[87]       Au-delà des moyens de défense plaidés par l’intimée, le Comité est d’avis que celle-ci n’a pas sciemment caché ou omis d’identifier son mandant et qu’elle n’avait pas d’intention malveillante, ni d’agenda caché, ni d’obscurs motifs visant à cacher l’identité de l’assureur de la municipalité;

[88]       D’ailleurs, elle a témoigné de façon sincère et honnête en mentionnant clairement que si Me Gagnon lui avait demandé de faire parvenir une réponse écrite à Monsieur Y.D. elle l’aurait faite sans délai;

[89]       Enfin, le Comité tient à préciser que ni l’article 17 et ni l’article 58(10) du Code de déontologie des experts en sinistre n’impose au professionnel un délai quelconque pour répondre à la demande d’identifier son mandant;

[90]       Ces dispositions n’exigent pas non plus une réponse écrite;

[91]       Il va de soi qu’il est préférable de répondre par écrit et dans un délai raisonnable, mais l’article 17 du Code de déontologie des experts en sinistre n’en fait pas une exigence;

[92]       Qui plus est, l’intimée n’est pas accusée d’avoir tardé à répondre et en conséquence le Comité n’est pas autorisé à la condamner pour une infraction autre que celle dont elle fut accusée[23];

[93]       Finalement, le Comité de discipline considère que la demande des réclamants Y.D. et J.D. a été répondue le 8 février 2010, même si celle-ci l’a été de manière tardive et de façon verbale par l’entremise de Me Gagnon;

[94]       Pour l’ensemble de ces motifs, l’intimée sera acquittée du chef no 2 de la plainte et plus particulièrement aux motifs que :

                La preuve ne démontre pas que l’intimée a sciemment caché ou omis de divulguer l’identité de son mandant, et;

                Qui plus est, l’intimée a répondu à la demande de Y.D. même si cette réponse était tardive et de façon verbale;

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITE DE DISCIPLINE :

ACQUITTE l’intimée des deux (2) chefs d’accusation qui lui sont reprochés dans la plainte no 2010-11-02(E).

VU l’acquittement de l’intimée, les déboursés seront à la charge du bureau du syndic.

 

 

 

__________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du Comité de discipline

 

__________________________________

M. Richard Legault, expert en sinistre

Membre du Comité de discipline

 

__________________________________

M. Jules Lapierre, expert en sinistre

Membre du Comité de discipline

 

 

Me Claude G. Leduc

Procureur de la partie plaignante

 

 

Me Jean-Pierre Casavant

Procureur de la partie intimée

 

Date d’audience :

18 mars 2011

 



[1]     Page 39 de P-2;

[2]     Pages 41 à 126 de P-2;

[3]     Page 14 de P-2;

[4]     Page 11 de P-2;

[5]     Lettre du 11 janvier 2006, pages 44 à 46 de P-2;

[6]     Page 146 de P-3;

[7]     Chambre de l’assurance de dommages c. Légaré, 2010 CanLii 64055(Qc C.D.C.H.A.D.)

[8]     Page 146 de P-3;

[9]     Ayotte c. Gingras ,[1995] D.D.O.P. 189 (T.P);

[10]    Belhumeur c. Ergothérapeutes, 2011 QCTP 19;

[11]    Malo c. Infirmières et infirmiers, 2003 QCTP 132;

[12]    C.H.A.D. c. Desrochers, 2010 CanLII 58180

[13]    Feldman c. Barreau, 2004 QCTP 71

[14]    Gingras c. Paquette, décision du Comité de discipline de l’Ordre des Arpenteurs-Géomètres du Québec, Me François Samson, 10 mars 2010, actuellement en appel, T.P. No. 700-07-000011-106

[15]    Ibid

[16]    Ibid, par. 90

[17]    T.P. no. 700-07-000011-106

[18]    - Petit Robert 2011

      - Petit Larousse illustré, 2011

      - Multi-Dictionnaire de la Langue Française, 4e édition

[19]    Renaud c. Barreau, 2003 QCTP 111

[20]    Notaires c. Champagne [1992] D.D.C.P. 268

[21]    Henry c. Comité de surveillance de l’association des courtiers d’assurance de la province de Québec, 1998 CanLII 12544 (QC C.A.)

[22]    Voir les pages 41 à 126 de P-2

[23]    Cohen c. optométristes [1995] D.D.O.P. 301 (T.P.)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.