Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

2011-05-01(C)

 

DATE :

16 juin 2011

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Marc-Henri Germain, C.d’A.A., A.V.A., courtier en assurance de dommages

Membre

Mme Lyne Leseize, courtier en assurance de dommages

Membre (diss.)

 

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

 

Partie plaignante

c.

 

JÉRÔME HALLÉ, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

 

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR REQUÊTE EN RADIATION PROVISOIRE ET IMMÉDIATE

 

 

[1]   Le 30 mai 2011, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages procédait à l’audition d’une requête en radiation provisoire et immédiate jointe à une plainte comportant neuf (9) chefs d’accusation;

[2]   Il convient de reproduire in extenso  cette plainte amendée et les motifs à l’appui de la demande de radiation provisoire :

 

FABRICATION DE FAUX

 

1-      Le ou vers le 31 mars 2011, a fabriqué un faux contrat d’assurance des entreprises prétendument souscrit auprès des Lloyd’s par l’entremise du Groupe International Facilités OGP inc. sous le numéro de police IFGER1019 au nom de l’assurée 92**-**77 Québec inc. faisant affaire sous la raison sociale Café St-****el, pour la période du 12 avril 2011 au 12 avril 2012, alors qu’il n’avait aucune autorité pour ce faire et que ladite police n’existait pas, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment aux dispositions de l’article 16 de ladite Loi et de l’article 37(9) dudit Code.

 

2-      Le ou vers le 11 avril 2011, a fabriqué un faux contrat d’assurance des entreprises et/ou soumission prétendument souscrit auprès de l’assureur Optimum, au nom de l’assurée 90**-**90 Québec inc. pour la période du 12 avril 2011 au 12 avril 2012, alors qu’il savait que l’assureur Optimum Société d’Assurance inc. avait refusé ce risque et qu’un tel contrat n’existait pas, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment aux dispositions de l’article 16 de ladite Loi et de l’article 37(9) dudit Code.

 

 

DÉFAUT D’AGIR AVEC COMPÉTENCE ET HONNÊTETÉ

 

3-      Entre le 12 avril 2011 et le 26 avril 2011, a fait défaut d’agir avec compétence et en conseiller consciencieux en ne procédant pas au renouvellement du contrat d’assurance no AX0586 du grossiste April Risques Spéciaux pour les assurées 92**-**77 Québec inc. et 90**-**90 Québec inc. venu à échéance le 12 avril 2011, créant ainsi un découvert technique qui fut par la suite annulé rétroactivement le 26 avril 2011, alors qu’il demandait au grossiste agissant pour les Lloyd’s que ce contrat soit renouvelé au 12 avril 2011, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment aux dispositions de l’article 16 de ladite Loi et de l’article 37(6) dudit Code.

 

4-      Entre le 6 avril 2011 et le 19 avril 2011, a fait défaut de rendre compte aux assurées 92**-**77 Québec inc. et 90**-**90 Québec inc. que leurs biens étaient sans assurance en tentant de leur faire croire qu’il avait obtenu des protections auprès d’Optimum et du Groupe International Facilités OGP inc., le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment aux dispositions de l’article 16 de ladite Loi et de l’article 37(4) dudit Code.

 


5-      Le ou vers le 8 avril 2011, a effectué des représentations fausses et trompeuses auprès M. F. L. du Groupe International Facilités OGP inc., en lui déclarant que l’assurée 92**-**77 Québec inc. était protégée par l’entremise du grossiste April Risques Spéciaux depuis le 12 avril 2011, alors que ce n’est que le 26 avril qu’il a fait la demande de protection auprès de ce grossiste, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment aux dispositions de l’article 16 de ladite Loi et des articles 15 et 37(7) dudit Code.

 

 

6-      Le ou vers le 11 avril 2011, a exercé ses activités professionnelles de façon malhonnête en tentant de s’approprier de l’assurée 90**-**90 Québec inc. le paiement des primes du faux contrat d’assurance et/ou soumission de l’assureur Optimum en demandant et obtenant de son client, représenté par M. S. B., un consentement pour des prélèvements bancaires automatiques afin d’acquitter ledit paiement au bénéfice du cabinet Le Groupe Hallé Assurances et Services Financiers inc., le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment aux dispositions de l’article 16 de ladite Loi et des articles 37(1) et 37(8) dudit Code.

 

 

7-      Le ou vers le 6 avril 2011, a exercé ses activités professionnelles de façon malhonnête en facturant à l’assurée 92**-**77 Québec inc. une prime de 2 274 $ sur une note de couverture prétendument émise par le Groupe International Facilités OGP inc. pour un contrat numéro IFGVER1019 pour la période du 12 avril 2011 au 12 avril 2012, alors que selon l’intimé cette prime représenterait une portion de la prime de la soumission obtenue le 27 avril 2011 auprès du grossiste April Risques Spéciaux sous le numéro AX0586 et que le contrat d’assurance no IFGVER1019 n’a jamais existé pour cette assurée, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment aux dispositions de l’article 16 de ladite Loi et des articles 37(1) et 37(9) dudit Code.

 

 

8-      Le ou vers le 6 avril 2011, en sa qualité de maître de stage de Mme Kathleen Harvey, a permis que cette stagiaire fasse défaut de respecter la Loi sur la distribution de produits et services financiers en permettant que cette dernière transmette à l’assurée 92**-**77 Québec inc. un faux contrat d’assurance prétendument souscrit auprès du Groupe International Facilités OGP inc. numéro IFGVER1019 pour la période du 12 avril 2011 au 12 avril 2012, alors que cette police n’existait pas, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment aux dispositions de l’article 16 de ladite Loi et des articles 2 et 37(5) dudit Code.

 

ENTRAVE

 

9-      Entre le 20 avril 2011 et le 10 mai 2011, a entravé le travail du syndic, Carole Chauvin, en tenant des propos inexacts et erronés faisant preuve de réticence concernant la confection de faux contrats d’assurance pour les assurées 92**-**77 Québec inc. et 90**-**90 Québec inc., en faisant défaut de remettre une copie complète de ses dossiers-clients et en faisant défaut de donner, alors que requis, sa déclaration solennelle faisant état de toutes ses interventions dans le dossier, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment aux dispositions de l’article 342 de ladite Loi et des articles 2, 15 et 35 dudit Code.

MOTIFS DE LA DEMANDE DE RADIATION PROVISOIRE

 

Il est de l'intérêt du public et de la Chambre de l'assurance de dommages que l'intimé soit radié provisoirement et immédiatement jusqu'à ce qu’une décision finale soit rendue quant à la présente plainte, et ce, pour les motifs suivants :

 

1-      Les faits rapportés dans la présente plainte sont graves et portent atteinte à la protection du public car ils démontrent que l'intimé a agi malhonnêtement en mettant en place deux faux contrats d’assurance et a tenté de leurrer ses clientes 92**-**77 Québec inc. et 90**-**90 Québec inc. à demeurer assurées par son entremise, préférant ainsi ses intérêts à ceux de ses clientes dont les droits pouvaient être complètement anéantis sans qu’ils ne le sachent;

 

2-      Les faits rapportés dans la présente plainte reprochent à l’intimé d’avoir entravé le travail du syndic en donnant des réponses erronées, imprécises et incomplètes, en contravention aux dispositions des articles 342 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi que des articles 2 et 35 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

 

3-      N’eût été l’intervention rapide du syndic, le contrat d’assurance no AX0586 émis par l’entremise du grossiste April Risques Spéciaux le 26 avril 2011 ne l’aurait vraisemblablement pas été, et l’intimé se serait approprié sans droit des sommes substantielles de ses clientes, les assurées 92**-**77 Québec inc. et 90**-**90 Québec inc., l’appropriation étant un autre motif de radiation provisoire en vertu de l’article 130 du Code des professions.

 

4-      Les faits reprochés à l'intimé sont tels que leur continuation et leur répétition risqueraient de compromettre gravement la protection du public.

 

L'intimé s'est ainsi rendu passible pour les infractions ci-haut mentionnées des sanctions prévues à l'article l56 du Code des professions.

[3]   Lors de l’audition, la syndic était représentée par Me Jean-Pierre Morin et l’intimé était représenté par Me Stella Prandekas;

[4]   Par la voix de sa procureure, l’intimé enregistra un plaidoyer de non-culpabilité à la suite duquel le Comité procéda à l’audition de la requête en radiation provisoire;

 

I.          La procédure au stade de la radiation provisoire

[5]   Au stade de la radiation provisoire, le syndic a l’obligation d’établir prima facie suffisamment d’éléments de preuve afin d’amener le Comité à conclure que la protection du public exige la délivrance d’une ordonnance de radiation provisoire[1];

[6]   Le processus disciplinaire qui peut mener à la radiation provisoire immédiate de l’intimé doit s’effectuer en deux étapes;

[7]   La première étape consiste pour le Comité à recevoir une preuve visant à établir prima facie les infractions reprochées et à s’assurer que l’une ou l’autre des situations énumérées aux divers paragraphes de l’article 130 du Code des professions s’applique;

[8]   Le Comité tient à préciser que l’intimé, à cette étape, bénéficie toujours de la présomption d’innocence[2], seules la nature et la gravité des faits reprochés sont examinées, sans entrer dans l’appréciation de leur valeur[3];

[9]   La deuxième étape consiste pour le Comité, après audition de la preuve, à juger si la protection du public exige la radiation provisoire et immédiate du professionnel[4];

[10]     Les articles 130 et 133 du Code des professions devant s’interpréter et s’appliquer de façon complémentaire, le Comité a l’obligation de vérifier si la protection du public exige la radiation immédiate de l’intimé[5] sans préjuger de la culpabilité du professionnel[6];

[11]     De plus, rappelons que dans le cadre d’une procédure disciplinaire, « une justice de haute qualité est exigée » puisqu’une « suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière »[7];

[12]     Le Comité de discipline, à titre de gardien de l’équité procédurale[8], doit par conséquent éviter l’arbitraire et donner à l’intimé la possibilité de présenter ses moyens de défense ainsi que ses arguments à l’encontre de la demande de radiation provisoire;

[13]     Le Comité rappelle toutefois qu’il ne s’agit nullement pour l’intimé de démontrer qu’il n’a pas commis les gestes reprochés, tel que l’a souligné le Tribunal des professions dans l’affaire Corriveau[9];

[14]     Ceci étant dit, le Comité procédera à l’analyse de la preuve soumise par les parties en tenant compte des facteurs ci-haut mentionnés;

II.         La preuve au soutien de la requête

[15]     En matière d’ordonnance de radiation provisoire, il est préférable d’éviter de se prononcer trop à fond sur la preuve afin de ne pas préjuger de la culpabilité de l’intimé[10];

[16]     En conséquence, le Comité évitera de commenter tous et chacun des éléments de preuve présentés par la syndic;

[17]     Cette preuve sera plutôt analysée dans le cadre de la section "analyse et décision" et ce, en fonction de chacun des chefs d’accusation;

 

III.        La preuve en défense

[18]     L’intimé et sa conjointe ont témoigné pour sa défense et une pièce documentaire fut déposée (I-1);

[19]     Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés aux paragraphes nos 15, 16 et 17 de la présente décision, la preuve présentée par la défense sera commentée sommairement dans la section "analyse et décision";

 

IV.        Argumentation des parties

A)   Par la syndic

[20]     Le procureur de la syndic, Me Morin, a fait valoir au soutien de la requête en radiation provisoire les arguments suivants :

 

         La protection du public est gravement compromise par les agissements passés et actuels de l’intimé;

 

         L’intimé, par son entrave au travail de la syndic, met en péril la protection du public;

 

B)   Par l’intimé

[21]     À l’encontre de la demande de radiation provisoire, l’intimé plaide qu’il n’a jamais eu l’intention de frauder qui que ce soit et que les documents (chefs nos 1 et 2) ont été préparés en urgence et qu’il s’agit d’erreurs commises par inadvertance et sans intention malveillante;

 

V.         Analyse et décision

            5.1       Le délai

[22]     L’article 130 du Code des professions (L.R.Q., c. C-26) permet au syndic d’utiliser son pouvoir discrétionnaire[11] afin de requérir au soutien d’une plainte disciplinaire la radiation provisoire et immédiate d’un professionnel lorsqu’il est reproché à l’intimé :

 

1.     d’avoir posé un acte à caractère sexuel visé à l’article 59.1 du C.P.;

 

2.     de s’être approprié sans droit des sommes d’argent;

3.     d’avoir commis une infraction de nature telle que la protection du public risque d’être compromise s’il continue à exercer sa profession;

 

4.      Lorsqu’il lui est reproché d’avoir contrevenu à l’article 114 ou au deuxième alinéa de l’article 122;

 

[23]     Les critères à considérer pour accueillir une requête en radiation provisoire[12] se résument comme suit :

 

1.     La plainte doit faire état de reproches graves et sérieux;

 

2.     Ces reproches doivent porter atteinte à la raison d’être de la profession;

 

3.     La protection du public risque d’être compromise;

 

4.     La preuve prima facie démontre que le professionnel a commis les gestes reprochés;

[24]     Le délai écoulé entre la dénonciation par le public d’une situation alarmante et le dépôt de la requête en radiation provisoire est également un élément que le Comité se doit de considérer avant d’accorder une demande de radiation provisoire, suivant l’affaire Bell[13];

[25]     Dans le présent dossier, la question du délai ne se pose pas puisque la syndic a reçu la demande d’enquête (P-6) le 18 avril 2011 et la requête en radiation provisoire fut déposée le 13 mai 2011;

[26]     D’autre part, les infractions reprochées remontent à quelques mois seulement, soit mars et avril 2011;

[27]     Dans les circonstances, le Comité conclut que la requête a été présentée dans un délai raisonnable et que la syndic a fait preuve de diligence;

 

5.2       Les autres critères

[28]     Le Comité considère que le dépôt d’une requête en radiation provisoire et immédiate doit être réservée qu’aux cas les plus graves et pour lesquels la protection du public exige une intervention immédiate;

[29]     En tenant compte de ce principe, le Comité a par le passé émis des ordonnances de radiation provisoire dans des cas très particuliers, au motif que le  public était en danger imminent :

 

 

Appropriation et pratique négligente :

Chauvin c. Lessard, 2004 CanLII 57022

Refus de remettre des documents au syndic, l’empêchant ainsi de compléter son enquête :

Chauvin c. Kotliaroff, 2009 CanLII 20048

Participation à des fraudes immobilières au détriment des institutions financières et des consommateurs;

Chauvin c. Pham, 2010 CanLII 78278 confirmé par 2011, QCCQ 1375

Émission de 900 certificats de garantie pour lesquels il n’y avait aucun assureur;

Chauvin c. Fecteau, 2009 CanLII 63407

Exercice de sa profession dans des conditions et/ou des états susceptibles de compromettre la qualité des services;

Chauvin c. Bélanger, 2007 CanLII 49231

 

[30]     Dans le présent dossier, le Comité est d’avis que la syndic n’a pas réussi à démontrer que l’intimé constitue un danger imminent pour le public nécessitant sa radiation provisoire et immédiate;

[31]     Par contre, le Comité estime que la syndic avait des motifs raisonnables et probables justifiant le dépôt d’une requête en radiation provisoire;

[32]     Le Comité considère que l’intimé par ses réponses beaucoup trop succinctes aux questionnaires du syndic (pièces P-35 et P-37) s’est lui-même attiré les foudres du Bureau du syndic;

[33]      À cela, il y a lieu d’ajouter que le retard de l’intimé à produire les documents exigés par la syndic, n’a probablement pas aidé à dissiper les doutes que la syndic pouvait entretenir à son sujet;

[34]     Évidemment, le Comité avant de tirer de telles conclusions a examiné et analysé la preuve administrée au cours de l’audition;

[35]     À la décharge de la syndic, vu les réponses (P-35 et P-37) pour le moins laconique de l’intimé, il lui était impossible d’avoir une vue globale du dossier avant l’audition de la requête;

[36]     Cela étant dit, quel est l’état de la preuve présentée au soutien de la requête?

 

5.3       La preuve "prima facie" des infractions reprochées

[37]     Suivant la jurisprudence constante du Tribunal des professions[14] et des Tribunaux supérieurs[15], le Comité pour accorder la requête en radiation provisoire doit, avoir devant lui la preuve au moins "prima facie" des infractions reprochées;

[38]     Le Comité, pour les motifs qui suivent, considère que la partie requérante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve, même "prima facie" pour les motifs ci-après exposés;

 

A)       Fabrication de faux (chef nos 1 et 2)

[39]     Les chefs nos 1 et 2 reprochent à l’intimé d’avoir fabriqué de faux contrats d’assurance et/ou soumissions contrairement à l’article 37(9) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages[16];

[40]     Or, l’article 37(9) dudit Code exige la preuve d’une intention malveillante;

[41]     D’ailleurs, dans l’édition commentée du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages publié par la ChAD, on peut lire sous le paragraphe 9 de l’article 37, les commentaires suivants :

"37. Constitue un manquement à la déontologie, le fait pour le représentant en assurance de dommages d’agir à l’encontre de l’honneur et de la dignité de la profession, notamment :

9° de participer à confection d’une preuve ou d’un document qu’il sait être faux;

Il s’agit ici de falsifier un document existant ou de créer un nouveau document que le représentant sait être faux. Cela sous-entend une intention coupable de la part du représentant."

 

[42]     Concernant cette preuve d’intention coupable, il convient de se référer au jugement du Tribunal des professions dans l’affaire Renaud[17] :

[85]            Bien que son mémoire n’aborde pas expressément cette question de l’état d’esprit du professionnel accusé de contrevenir à la norme précitée, l’appelant l’évoque à l’audience en faisant valoir notamment qu’une évaluation objective d’un comportement au regard de la norme édictée par l’article 3.02.01c) du Code, sans égard à l’état d’esprit, pourrait mener à des résultats tout à fait inacceptables en ce que, par exemple, un avocat violerait la norme en produisant un document faux, à son insu, voir même à l’insu de son client, mais de nature à induire le tribunal en erreur. Il y aurait culpabilité sans faute, une situation niant l’exigence minimale en matière de faute relativement à toute infraction pénale ou réglementaire [44].

[…]

[98]            Dans l’arrêt Dupont c. Brault, Guy, O’Brien Inc. 1989 CanLII 1328 (QC C.A.), (1990) R.J.Q. 112, la défenderesse conteste une plainte portée en vertu de l’article 197 paragraphe 4 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., Chap. V-1.1) qui lui reproche d’avoir fourni des informations fausses ou trompeuses dans un document ou un renseignement fourni à la Commission ou à l’un de ses agents. La Cour d’appel maintient l’acquittement prononcé par le juge d’instance, et confirmé par la Cour supérieure qui, tous deux, concluent que la mens rea constitue un élément essentiel de l’infraction prévue à l’article 197 de la Loi sur les valeurs mobilières.

[...]

[102]      Bien que tirée du droit pénal, il n’y a aucune raison que cette jurisprudence ne trouve pas application en droit disciplinaire, du moins au plan de la constitution des éléments requis pour qu’il y ait contravention à une norme déontologique en ne perdant pas de vue deux distinctions importantes : d’une part, le fardeau du poursuivant, quant à la norme de preuve, diffère; d’autre part, la notion de doute raisonnable n’existe pas.

[103]      Ainsi, il faut tenir que les infractions contre le bien-être public peuvent comporter un élément d’intention blâmable ou de conscience volontaire et dans le meilleur des scénarios pour l’intimé, si l’on tient pour acquis que l’arrêt Roberge, précité, représente, sur la question, l’état du droit dans la province de Québec, l’infraction contre le bien-être public doit être présumée tomber dans la catégorie des infractions dites de responsabilité stricte même si elles comportent un élément intentionnel auquel cas le défendeur peut faire valoir qu’il en est dénué.

[…]

[109]      Dès lors que l’article 3.02.01c) du Code nécessite la démonstration d’un élément intentionnel, le Comité devait s’y arrêter et se demander si au regard de l’ensemble des faits et de tout le contexte, en incluant le témoignage de l’appelant, il pouvait conclure à la présence d’un état d’esprit blâmable. En ne le faisant pas pour la raison que l’on sait, il commet une erreur de droit.

(Nos soulignements)

[43]     Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel dans l’affaire Henry[18] concluait que la falsification d’une police d’assurance nécessite une preuve de l’intention de tromper et qu’il ne peut exister de falsification par mégarde;

[44]     Il est vrai que la syndic a fait la preuve de tous les éléments factuels au soutien des chefs nos 1 et 2 et il est clair que lesdits documents sont truffés d’erreurs et d’inexactitudes, cependant, la preuve de l’élément intentionnel n’a pas été faite, même de façon "prima facie";

[45]     L’intimé a témoigné pour sa défense et a expliqué la provenance de ces erreurs, notamment en raison du fait que ces documents avaient été préparés de façon précitée et de manière négligente;

[46]     À cet égard, il convient de souligner et d’insister sur le fait que le Comité considère que l’intimé a fait preuve de négligence et d’un manque de suivi dans ses dossiers, par contre, cela n’a pas pour autant effet d’entrainer sa radiation provisoire et immédiate;

[47]     Mais il y a plus, le Comité n’a pas bénéficié du témoignage des clients de l’intimé, n’ayant pas entendu la version de Monsieur S.B. et Monsieur R.P.;

[48]     Ainsi, il nous est impossible de savoir si ces documents ont été présentés comme étant véridiques ou si l’intimé a fait, devant ses clients, les nuances qui s’imposaient;

[49]     Cette preuve administrée même de façon "prima facie" aurait permis de faire la démonstration d’une intention coupable, cependant le Comité n’en a pas bénéficié et il nous est pas permis de la présumer;

[50]     D’autre part, le Comité a eu l’occasion d’entendre un représentant du Groupe International Facilités OGP Inc., lequel a reconnu que l’intimé avait d’emblée admis qu’il s’agissait d’une erreur, dès que celui-ci avait été confronté aux inexactitudes contenues à la soumission;

[51]     Bref, le moins que l’on puisse dire, c’est que la preuve n’est pas claire à ce sujet, même de façon "prima facie";

[52]     À cet égard, dans un jugement très récent (18 mai 2011) soit l’affaire Mailloux[19], le Tribunal des professions écrivait :

"[38]           Ainsi, il est légitime de permettre au requérant de gagner sa vie. On rappelle souvent que l’exercice d’une profession est un privilège et non un droit. Cela est vrai mais cet argument ne constitue pas un laissez-passer pour y porter atteinte si d’autres avenues peuvent être empruntées pour protéger le public."

(Nos soulignements)

 

[53]     De plus, en l’absence d’une preuve d’intention criminelle, il est difficile de conclure que la protection du public est en péril et que la radiation de l’intimé doit être immédiate;

[54]     De l’avis du Comité, la négligence de l’intimé n’est pas suffisante pour entraîner sa radiation immédiate, sans autre forme de procès;

[55]     Pour l’ensemble de ces motifs, le Comité considère que la preuve administrée sous les chefs nos 1 et 2 ne justifie pas l’émission d’une ordonnance de radiation provisoire et immédiate;

[56]     Cela étant dit, les autres chefs d’accusation de la plainte sont-ils suffisamment graves pour justifier l’émission d’une ordonnance de radiation provisoire et immédiate;

 

B)         L’entrave (chef no 9)

[57]      Le chef no 9 de la plainte reproche à l’intimé d’avoir tardé de faire parvenir à la syndic une copie complète de ses dossiers-clients;

[58]     Le même chef reproche également à l’intimé d’avoir fait preuve de réticence dans ses réponses à la syndic (P-35 et P-37) et d’avoir fait défaut de faire état dans sa déclaration solennelle (page 9 de P-35) de toutes ses interventions dans le dossier;

[59]     L’article 130(4) du Code des professions (L.R.Q., c. C-26) reconnaît que l’entrave au travail du syndic constitue un motif justifiant le syndic de demander l’émission d’une ordonnance de radiation provisoire et immédiate;

[60]     Cela ne veut pas dire pour autant que le Comité doit automatiquement accueillir la requête en radiation provisoire et immédiate;

[61]     Tel que précédemment mentionné, l’étude de la requête se fait en deux (2) étapes;

[62]     Le Comité considère que la syndic a fait la preuve "prima facie" des faits reprochés au chef no 9 de la plainte;

[63]     Cela signifie-t-il pour autant que l’intimé constitue un danger pour le public nécessitant sa radiation immédiate?;

[64]     La preuve a démontré que la syndic avait effectivement reçu les dossiers-clients de l’intimé, le 10 mai 2011, soit vingt (20) jours après sa demande initiale du 20 avril 2011 (page 3 de P-35) et exactement six (6) jours après le dernier avis du syndic lui accordant un délai supplémentaire jusqu’au 4 mai 2011 (page 1 de P-35);

[65]     Dans les circonstances, il nous est difficile de conclure que la protection du public a été compromise par un simple retard de six (6) jours;

[66]     D’ailleurs, une ordonnance de radiation provisoire et immédiate pour cause d’entrave est habituellement accordée seulement lorsque l’intimé refuse systématiquement de remettre ses dossiers-clients, malgré plusieurs avis et mises en demeure[20];

[67]     Quant aux autres reproches formulés au chef no 9, le Comité considère que l’intimé a fait preuve de négligence et de réticence et qu’il n’a pas considéré l’importance de répondre avec précision et moult détails aux questions de la syndic afin de dissiper tout doute quant à son comportement;

[68]     Par contre, ce comportement nonchalant et cette négligence de l’intimé de justifie pas à eux seuls la radiation immédiate de l’intimé;

 

C)         Tentative d’appropriation (chef no 6)

[69]     Le chef no 6 reproche à l’intimé d’avoir tenté de s’approprier illégalement le paiement des primes du faux contrat d’assurance auquel réfère le chef no 2;

[70]     Le Comité considère que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve "prima facie" sur ce chef d’accusation;

[71]     Premièrement, l’intimé a témoigné pour expliquer que les primes perçues n’étaient pas versées dans son compte courant mais dans son compte en fidéicommis et  par la suite, elles étaient transférées au compte de l’assureur;

[72]     Deuxièmement, tel que précédemment mentionné l’intention de tromper requise pour qualifier le contrat d’assurance de "faux" au sens de l’article 37(9) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages n’a pas été démontrée même de façon "prima facie";

[73]      En conséquence, le Comité considère que ce chef d’accusation ne peut servir d’assise pour l’émission d’une ordonnance de radiation provisoire et immédiate;

 

D)       Fausse facture (chef no 7)

[74]     Le chef no 7 de la plainte reproche à l’intimé d’avoir exercé ses activités professionnelles de façon malhonnête en facturant faussement une prime d’assurance de deux mille deux cent soixante-quatorze dollars (2 274 $);

[75]     Les erreurs contenues à la facture et au contrat d’assurance ont été expliquées et le Comité considère que l’élément intentionnel n’a pas été prouvé même de façon "prima facie";

[76]     D’autre part, il est évident que l’intimé a été négligent et imprudent dans le traitement de ce dossier;

[77]     Par contre, cela ne justifie pas, de l’avis du Comité, l’émission d’une ordonnance de radiation provisoire et immédiate puisque les agissements de l’intimé ne compromettent pas à court terme la protection du public;

[78]     Enfin, seule l’audition au fond de la plainte permettra de déterminer l’étendue de la responsabilité déontologique de l’intimé et éventuellement si la protection du public exige la radiation de l’intimé ou toute autre sanction et ce, en tenant compte de toutes les circonstances du dossier;

[79]     Au stade de la requête en radiation provisoire, le Comité considère que la preuve "prima facie" du chef no 7 n’a pas été faite et que la protection du public n’est pas, dans l’immédiat, compromise;

[80]     En conséquence, l’ordonnance de radiation provisoire et immédiate ne sera pas émise sur la base du chef no 7;

 

E)       Les autres infractions

[81]     La plainte reproche également à l’intimé des infractions de moindre importance, soit les chefs nos 3, 4, 5 et 8;

[82]     De l’avis du Comité, ces chefs d’accusation ne sont pas d’une gravité telle qu’ils puissent justifier l’émission d’une ordonnance de radiation provisoire et immédiate, sauf peut-être le chef no 5 (fausses représentations);

[83]     Par contre, puisque la preuve de l’intention malhonnête de l’intimé est pour le moins nébuleuse, même en tenant compte du fardeau de preuve "prima facie", il est préférable d’attendre l’audition au fond avant de décréter que la protection du public exige la radiation immédiate de l’intimé;

[84]     Le seul témoin entendu à ce sujet fut monsieur F.L. lequel a déclaré que l’intimé lui avait mentionné lors d’une première conversation téléphonique, qu’il s’agissait d’une erreur, par la suite, l’intimé a tenté de le rappeler à plusieurs reprises, mais monsieur F.L. a préféré ne pas retourner ses appels;

[85]     Selon M. F.L., son idée était déjà faite et il ne voulait pas entendre les explications de l’intimé puis      que selon lui, l’intimé était clairement un fraudeur, en conséquence, il jugeait inutile de retourner les appels de l’intimé;

[86]    Pour sa part, l’intimé a confirmé avoir mentionné à monsieur F.L. qu’il s’agissait d’une erreur et qu’il avait tenté de le rejoindre à plusieurs reprises pour lui fournir de plus amples explications, mais ce dernier ne lui a jamais retourné ses appels;

[87]    Bref, le Comité n’est pas en mesure de se convaincre sur la base de cette seule preuve que la protection du public exige la radiation immédiate de l’intimé;

VI.     Conclusions

[88]    Le comité considère que l’intimé a erré dans ses procédures de gouvernance de dossiers d’assurance, notamment par ignorance, par incompétence et par absence de vigilance;

[89]    L’intimé a présumé de la décision des assureurs en produisant des certificats intérimaires confus, démontrant ainsi une attitude négligente entraînant "de facto" une absence de couverture;

[90]    Ce comportement toutefois ne justifie pas à lui seul l’émission d’une ordonnance de radiation provisoire;

[91]    Enfin, le comité considère que seuls les témoignages des clients S.B. et R.P. auraient pu permettre d’établir l’intention coupable ou non de l’intimé;

 

           

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE, À LA MAJORITÉ :

 

 

REJETTE la requête en radiation provisoire et immédiate;

 

 

ORDONNE que l’audition de la plainte disciplinaire soit confiée à un autre Comité de discipline afin d’éviter toute forme d’apparence de partialité[21];

 

 

DEMANDE à la secrétaire du Comité de discipline de fixer dans les meilleurs délais l’audition au fond de la plainte;

 

 

DEMANDE aux procureurs des parties de fournir à la secrétaire du Comité de discipline leurs disponibilités pour les prochains mois dans les meilleurs délais;

 

 

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

__________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du comité de discipline

 

__________________________________

M. Marc-Henri Germain, C.d’A.A., A.V.A., courtier en assurance de dommages

Membre du comité de discipline

 

DISSIDENCE :

 

[92]   Avec égard pour l’opinion contraire, la soussignée considère que la syndic a fait la preuve de l’intention coupable de l’intimé en regard des chefs nos 1 et 2;

 

[93]   Plus particulièrement, j’estime que l’intimé a agi en toute connaissance de cause puisqu’il a pris le soin de copier le contrat d’assurance de son client et de modifier certaines des données, tels que les dates, les chiffres et le montant de la prime;

 

[94]   De plus, je prends en considération le fait que l’intimé travaillait auparavant pour le Groupe d’assurance Verrier inc., lequel avait une entente avec le Groupe International Facilités OGP inc., sans compter qu’il était le courtier attitré à ce même client;

 

[95]   Finalement, je ne crois pas les explications fournies par l’intimé pour justifier son comportement;

 

[96]   Pour ces motifs, j’aurais accueilli la requête en radiation provisoire et immédiate;

 

 

 

 

__________________________________

Mme Lyne Leseize, courtier en assurance de dommages

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Jean-Pierre Morin

Procureur de la partie plaignante

 

 

Me Stella Prandekas

Procureure de la partie intimée

 

 

Date d’audience :

30 mai 2011

 

 

 

 



[1]     Corriveau c. Avocats, [1998] D.D.O.P. 216 (T.P.);

[2]     Dupont c. Dentistes, [2003] Q.C.T.P. 077, par. 7;

[3]     Bell c. Chimistes, [2003] Q.C.T.P. 092, par. 14;

[4]     Corriveau c. Avocats, p. 6 du texte intégral du jugement rapporté à D.D.E. 98D-45 (T.P.);

[5]     Do c. Dentistes, [1997] D.D.O.P. 255 (T.P.);

[6]     Chimistes c. Bell, [2003] Q.C.T.P. 092;

[7]     Kane c. Conseil d’administration de l’U.C.-B., [1980] 1 R.C.S. 1105, p. 1113;

[8]     Archambault c. Avocats, [1996] D.D.O.P. 157, p. 166;

[9]     Corriveau c. Avocats, précité, note 4; voir aussi Comité – Avocats – 11, [1985] D.D.C.P. 227 et plus particulièrement Do c. Dentistes, [1996] D.D.O.P. 206 (T.P.) et Dupont c. Dentistes, [2003] Q.C.T.P. 077;

[10]    Mailloux c. Médecins, [2008] QCTP, par. 76 et 100;

[11]    Notaires c. Felx, [1992] D.D.C.P. 292 (T.P.);

[12]    Bell c. Chimistes, [2003] Q.C.T.P. 001;

      Avocats c. Corriveau, D.D.E. 2001D-79 (C.D.);

      Dentistes c. Covit, D.D.E. 2001D-32 (C.D.);

      Huissiers de justice c. Lagacé, [1996] D.D.O.P. 54 (C.D.);

      Nadeau c. Brunet, [1995] D.D.O.P. 117;

[13]    Maheu c. Bell (Chimistes), [2001] Q.C.T.P. 44A

[14]    Avocats c. Landry, 2007 QCTP 14

[15]    Deschênes c. Provost, 2007 QCCS 1947 (C.S.)

[16]    L’art. 16 L.D.P.S.F. est également allégué au soutien des chefs nos 1 et 2, mais, le Comité estime que le "manque de professionnalisme" n’est pas d’une gravité suffisante pour entrainer la radiation provisoire et immédiate de l’intimé

[17]    Renaud c. Barreau du Québec, 2003 QCTP 111

[18]    Henry c. Comité de surveillance de l’association des courtiers d’assurance de la province de Québec, 1998 CanLII 12544 (QC C.A.)

[19]    Mailloux c. Médecins, 2011 QCTP 131

[20]    Chauvin c. Kotliaroff, 2009 CanLII 20048

[21]    Corriveau c. Avocats [1998] D.D.O.P. 216 (T.P.)

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