Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

No. :

2011-09-03(E)

 

 

DATE :

19 décembre 2012

 

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Claude Gingras, expert en sinistre

Membre

M. Jules Lapierre, expert en sinistre

Membre

 

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

 

Partie plaignante

 

c.

 

JULIE GOULET, inactive et sans mode d’exercice (autrefois expert en sinistre)

 

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR SANCTION

 

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DU NOM DE L’ASSURÉE ET DE TOUT RENSEIGNEMENT OU DOCUMENT PERMETTANT DE L’IDENTIFIER, DE MÊME QUE TOUT RENSEIGNEMENT OU DOCUMENT DE NATURE MÉDICALE ET FINANCIÈRE CONCERNANT L’INTIMÉE, LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS (L.R.Q., c. C-26)

 

 

 

[1]          Le 13 novembre 2012, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages procédait à l’audition sur sanction dans le dossier no. 2011-09-03(E);

 

[2]           La syndic était représentée par Me Nathalie Vuille et l’intimée agissait seule;

 

[3]           Le 7 août 2012, l’intimée fut reconnue coupable[1] des infractions suivantes :

 

Chef no. 1 :

 

Déclare l’intimée coupable d’avoir contrevenu à l’article 31 du Code de déontologie des experts en sinistre pour avoir retenu des informations importantes quant à la crédibilité de l’assurée pouvant influer sur la décision du règlement du sinistre;

 

Chef no. 2 :

 

Déclare l’intimée coupable d’avoir contrevenu à l’article 10 du Code de déontologie des experts en sinistre pour avoir fait preuve de négligence dans la cueillette d’informations nécessaires au règlement du sinistre en n’exigeant pas de l’assurée une liste détaillée des biens réclamés;

 

Chef no. 3 :

 

Déclare l’intimée coupable d’avoir contrevenu à l’article 10 du Code de déontologie des experts en sinistre pour avoir fait preuve de négligence quant à la tenue du dossier de la réclamation de S.T.;

 

 

I.              La preuve sur sanction

 

[4]          L’intimée a témoigné sur sanction afin de souligner certains facteurs atténuants, soit :

           Sa situation financière précaire;

           Son état de santé;

           L’absence de risque de récidive puisqu’elle ne pratique plus dans le domaine de l’assurance;

           Son repentir;

           Sa bonne foi et son absence d’intention malicieuse;

           L’absence d’antécédents disciplinaires;

           Son manque d’expérience au moment des faits reprochés;

           Enfin, elle n’a tiré aucun profit des infractions reprochées;

[5]          De plus, l’intimée a précisé au Comité qu’elle n’a pas l’intention, à court terme, de revenir à la pratique de la profession;

[6]          Cependant, elle n’exclut pas un retour, à moyen ou à long terme, sans vraiment avoir de projet spécifique à cet égard;

[7]          Actuellement, elle opère, à partir de chez elle, une petite garderie familiale, laquelle constitue sa seule source de revenus;

[8]          Dans les circonstances, elle estime que sa capacité financière et sa situation familiale ne lui permet pas d’acquitter une amende, aussi minime soit-elle;

II.            Argumentation

[9]          Me Vuille suggère, au nom de la syndic, l’imposition des sanctions suivantes :

            Chef no. 1 :    une amende de 2 500 $;

            Chef no. 2 :    une amende de 2 000 $;

            Chef no. 3 :    une amende de 2 000 $;

                                                   Total de 6 500 $

[10]       À ces amendes s’ajoutent les recommandations additionnelles suivantes :

           Limitation d’exercice consistant en une supervision stricte par un expert en sinistre de plus de 10 ans d’expérience, d’une durée d’un (1) an des activités d’expert en sinistre, à être exécutée au moment où l’intimée fera une demande de rattachement à titre d’expert en sinistre;

           Recommandation que l’intimée suive une formation de trois (3) heures en déontologie pour les experts en sinistre, à être exécutée au moment où l’intimée fera une demande de rattachement à titre d’expert en sinistre. Cette formation devra être suivie et réussie à l’intérieur d’un délai d’un (1) an à partir de son rattachement comme expert en sinistre (article 160 du Code des professions);

           Imposition de la totalité des débours, y compris les frais de transcription de la rencontre entre l’intimée et M. Pouliot;

           Publication d’un avis dans le journal de la localité où exerce l’intimée;

 

[11]       À l’appui de ses prétentions, Me Vuille soumet une série de décisions disciplinaires portant sur des cas semblables mais non identiques;

[12]       À cet égard, rappelons qu’une sanction disciplinaire doit être individualisée[2]. Ainsi, le rôle du Comité ne consiste pas à sanctionner un comportement mais bien à imposer une sanction à un individu qui a eu un comportement fautif[3];

[13]       En l’espèce, la procureure de la syndic plaide essentiellement :

           La gravité objective des infractions;

           Le risque de récidive vu le manque d’introspection de l’intimée et son manque de repentir;

           L’obligation d’imposer une sanction exemplaire et dissuasive envers les autres membres de la profession;

           Le fait que les infractions touchent au cœur même de l’exercice de la profession;

[14]       Enfin, la syndic réclame que l’intimée soit condamnée à la totalité des déboursés même si elle ne fut reconnue coupable que de trois (3) infractions sur un total de quatre (4);

III         Analyse et décision

3.1           Chefs nos. 1 et 2

[15]       Le Comité considère que les infractions commises par l’intimée, et plus particulièrement les chefs nos. 1 et 2, touchent à l’essence même de la profession et justifient des sanctions beaucoup plus sévères que celles suggérées par la syndic;

[16]       Suivant l’article 10 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, la profession d’expert en sinistre est composée de trois fonctions principales, soit :

           Enquêter le sinistre;

           En estimer les dommages;

           En négocier le règlement;

[17]       Dans les trois cas l’intimée a manqué à ses devoirs les plus élémentaires;

[18]       Au moment de l’audition de la plainte, un des témoins de la partie plaignante a déclaré, avec raison, que :

            « Les experts en sinistre sont les yeux et les oreilles de l’assureur »[4]

[19]       Or, l’intimée a gravement manqué à ses obligations déontologiques, et plus particulièrement en regard du chef no. 1 :

[20]       À cet effet, il y a lieu de citer certains extraits de la décision sur culpabilité[5] :

« [40] Cependant, l’intimée n’a jamais informé son mandant du fait que l’assurée S.T. avait demandé à Steeve Leblanc (entrepreneur) de déclarer faussement à l’assureur qu’il avait constaté personnellement que le cinéma-maison avait été endommagé par l’eau17;

[41] En l’espèce, il s’agissait d’une information capitale qui aurait dû être transmise à l’assureur puisque celle-ci aurait pu entraîner un refus d’indemniser pour cause de fausse déclaration;

[42] Pour ces motifs, l’intimée sera reconnue coupable d’avoir contrevenu à l’article 31 du Code de déontologie des experts en sinistre pour avoir retenu des informations importantes quant à la crédibilité de l’assurée pouvant influer sur la décision du règlement du sinistre; »

(Nos soulignements)

[21]       De l’avis du Comité, ce renseignement était d’une importance fondamentale puisqu’il démontrait de la part de l’assurée, un trait de personnalité malhonnête;

[22]       Ce faisant, l’intimée a totalement escamoté une fonction essentielle de sa profession, soit son rôle d’enquêtrice au profit de l’assureur;

[23]       Lorsqu’un assureur confie un mandat à un expert en sinistre, il lui demande de contrôler et de vérifier la réclamation de l’assuré, et ce, précisément dans le but d’éviter toute tentative de fraude;

[24]       L’intimée, par la commission de l’infraction reprochée au chef no. 1, a manqué à un devoir essentiel de sa profession, soit celui d’informer adéquatement son mandant, l’assureur;

[25]       Ce devoir d’information est particulièrement bien décrit sous l’article 31 de la version commentée[6] du Code de déontologie des experts en sinistre;

« L’expert en sinistre a un devoir d’information en ce qui concerne les facteurs qui peuvent influencer le règlement du sinistre. Afin que la personne qui a retenu ses services connaisse la situation dans son ensemble et puisse prendre une décision éclairée, l’expert en sinistre doit dévoiler tous les renseignements dont il dispose à ce sujet.

Il peut s’agir de faits, de doutes ou encore d’indices de manquements aux garanties du contrat d’assurance, de l’existence même d’un bien, de la cause ou des circonstances entourant la survenance d’un sinistre, etc. [7] »

(Nos soulignements)

[26]       À la décharge de l’intimée, le Comité estime, tel que relaté dans la décision sur culpabilité[8], que la commission de cette infraction est le résultat d’un manque de compétence dû à l’inexpérience de l’intimée;

[27]       Par contre, compte tenu que les gestes reprochés se rapportent à l’essence même de la profession et qu’ils n’ont aucune connotation monétaire, il est préférable d’imposer une radiation plutôt qu’une amende[9];

[28]       De façon générale, la gravité objective de l’infraction qui porte atteinte à la raison d’être de la profession, justifie beaucoup plus l’imposition d’une radiation que l’imposition d’une amende, ce qui ne ferait qu’ajouter un caractère punitif à la sanction[10];

[29]       Dans les présentes circonstances, l’imposition d’une amende ne nous apparaît pas opportune ni adéquate pour assurer la protection du public[11];

[30]       De l’avis du Comité, une période de radiation suffisamment importante aura un effet beaucoup plus dissuasif, évitant ainsi que l’intimée ou d’autres experts en sinistre soient portés à escamoter leur rôle d’enquêteur et ainsi manquer à leur devoir d’information envers l’assureur;

[31]       En l’espèce, n’eut été des circonstances atténuantes propres au dossier de l’intimée, tels que son inexpérience et son manque de malice, le Comité aurait été enclin à imposer une radiation beaucoup plus sévère;

[32]       Par contre, une radiation temporaire de trois (3) mois sur le chef no. 1, jumelée à une limitation d’exercice d’un (1) an, seront amplement suffisantes pour assurer la protection du public et pour donner un caractère exemplaire et dissuasif à la sanction;

[33]       D’autre part, quant au volet éducatif de la sanction, celui-ci sera complété par une recommandation de suivre une formation de trois (3) heures en déontologie pour les experts en sinistre;

[34]       Quant au chef no. 2, il fut démontré que l’intimée n’avait pas exigé, dès le début du dossier, une liste détaillée des biens réclamés;

[35]       Cette négligence constitue également un manquement grave à un devoir fondamental, soit la cueillette d’informations nécessaires au règlement d’un sinistre;

[36]       Dans les circonstances, sans être aussi grave que le chef no. 1, le Comité estime quand même que le chef no. 2 mérite d’être sanctionné par une période de radiation temporaire;

[37]       Pour ces motifs, l’intimée se verra imposer sur le chef no. 2, une radiation temporaire d’un (1) mois;

A)   Radiations consécutives

[38]       Quoique rarissime en droit disciplinaire[12], le Comité estime que le présent dossier nécessite l’imposition de sanctions consécutives, pour les motifs ci-après exposés;

 

[39]       Parmi les facteurs aggravants qui retiennent particulièrement l’attention du Comité, soulignons les suivants :

           Infractions au cœur de l’exercice de la profession;

           Infractions touchant des connaissances de base;

           Le manque d’introspection de l’intimée, laquelle a tendance à rejeter la faute sur les autres;

           L’absence d’autocritique de l’intimée quant à la gravité de ses fautes, entraînant ainsi une insouciance face à ses obligations déontologiques;

           Un faible degré de repentir, pour ne pas dire une absence totale de repentir, augmentant ainsi le risque de récidive à court et moyen terme;

 

[40]       Tel que le rappelait la Cour d’appel dans l’arrêt Marston c. AMF[13], il est plus important de tenir compte de la gravité objective de l’infraction que des facteurs atténuants et subjectifs;

[67] Dans un article intitulé La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions, Me Pierre Bernard rappelle les objectifs visés par la sanction disciplinaire :

 

Revenons au droit disciplinaire. On a vu jusqu'à présent ce qui semblait être les objectifs que cible la sanction disciplinaire, soit :

                          - protéger le public;

                          - dissuader le professionnel de recommencer;

                          - décourager les autres d'agir de la même façon.

 

Ce sont là ce qu'on voit comme étant mentionné le plus souvent, mais on a pu voir qu'on attribue également d'autres objectifs à la sanction. À l'occasion on mentionne aussi d'autres objectifs qui sont :

- maintenir le bon renom de la profession;

-  écarter quelqu'un qui serait incapable de bien servir l'intérêt public;

- préserver la confiance du public;

- punir,

- ou encore réhabiliter le professionnel.28

 

[68] Plus loin, l'auteur ajoute :

 

En ce sens, un comité de discipline a amorcé une réflexion qui peut s'avérer intéressante pour nous. En effet, dans Avocats (Corp. professionnelle des) c. Schneiberg le comité de discipline disait :

 

Les facteurs subjectifs doivent être utilisés avec soin. On ne doit pas leur accorder une importance telle qu'ils prévalent sur la gravité objective de l'infraction puisqu'ils portent sur la personnalité de l'intimé alors que la gravité objective porte sur l'exercice de la profession.

 

L'auteur MacKenzie dont on a parlé plus haut, citant une cause de la Cour d'appel d'Angleterre portant sur une affaire disciplinaire, faisait la même analyse :

The court of appeal held that because the main purpose of imposing penalty in discipline cases is not punishment, but rather the maintenance of public confidence in the profession, mitigating circumstances are entitled to less weight than they would be in a criminal case.

 

(...)

 

Pour parvenir à une décision sur la sanction, avant donc de l'individualiser en lui appliquant les facteurs, il faut considérer :

 

la finalité du droit disciplinaire, c’est-à-dire la protection du public. Cette protection est en relation avec la nature de la profession, sa finalité et avec la gravité de l'infraction;

l'atteinte à l'intégrité et à la dignité de la profession;

la dissuasion qui vise autant un individu que l'ensemble de la profession;

l'exemplarité.

 

Cet exercice est donc antérieur à l'individualisation.

Cette nécessité de s'intéresser d'abord à l'infraction comme telle et ensuite seulement à la personnalité du professionnel trouve un appui important dans les commentaires que faisait Me Mario Goulet, qui disait ceci dans son volume au sujet des critères subjectifs :

 

Dans un domaine du droit administratif qui vise à protéger le public et non à punir, la gravité objective d'une faute donnée ne devrait jamais être subsumée au profit de circonstances atténuantes relevant davantage de la personnalité du praticien que de l'exercice de sa profession.[29]

 

[69] L’AMF a imposé une sanction que la juge de première instance qualifie de sévère, mais l'appelant ne me convainc pas qu'elle est déraisonnable. L'absence de conséquences fâcheuses pour les investisseurs et le caractère isolé de sa faute ne constituent pas des éléments suffisants pour occulter la gravité objective de la faute de l'appelant, son impact sur l'intégrité et la dignité de sa discipline, sur le caractère dissuasif associé à une sanction disciplinaire et son effet sur la protection du public.

 

(Nos soulignements)

[41]       Concernant l’imposition de sanctions consécutives, la Cour d’appel dans l’arrêt Tan c. Lebel[14]déclare :

[26] En matière pénale, les peines sont généralement concurrentes lorsque les infractions sont intimement reliées et découlent du même incident[10]. Ce principe doit tout autant prévaloir en matière de sanctions disciplinaires.

 

[27] Les deux accusations du premier chef portent sur le fait d'avoir imité la signature de son client, dans un cas, sur le contrat de courtage et, dans l’autre, sur le formulaire de modifications. Le Comité de discipline a imposé deux suspensions concurrentes de six mois, ce qui respecte le principe énoncé au paragraphe précédent.

 

[28] L’appelante a été déclarée coupable des deux accusations du deuxième chef, pour avoir faussement représenté à certaines personnes, et ce, à deux dates différentes, mais rapprochées, détenir un contrat de courtage. Le Comité de discipline a infligé, sur le deuxième chef d’accusation, une suspension consécutive de six mois à celle imposée sur le premier chef.

 

[29] Le Comité de discipline n’explique pas pourquoi il impose des sanctions consécutives pour les condamnations sur les accusations portées en vertu des deux premiers chefs. L’infraction consistant à avoir imité la signature de son client pour faire croire au renouvellement du contrat de courtage et du formulaire de modifications et celle d’avoir, au cours de la même période de sept jours, faussement représenté détenir un contrat de courtage présentent un lien étroit, au point où, en l’absence d’autres raisons, que ne fait pas voir la décision, les suspensions auraient dû être concurrentes pour les deux premiers chefs d’accusations. Elles découlent également des mêmes incidents. La décision sur la sanction est, à cet égard, déraisonnable. Il y a donc lieu d’intervenir pour rendre les sanctions de six mois sur chacun des deux premiers chefs concurrentes. L’avocate de l’intimé a d’ailleurs concédé, à l’audience, qu'elles auraient dû l'être, tout en soutenant que la peine de 18 mois est par ailleurs globalement adéquate. Je reviendrai sur cette question un peu plus loin.

 

[30]  Il en va, toutefois, autrement de la suspension consécutive de six mois imposée sur le troisième chef d'accusation concernant les fausses déclarations de l’appelante au syndic durant son enquête. Cette infraction est totalement distincte, à la fois dans le temps comme dans son objet, des autres infractions. La décision du Comité de discipline d’imposer une suspension consécutive pour l’infraction dont l’appelante a été trouvée coupable sur le troisième chef trouve justification ici.

 

[31]  D'ailleurs, le juge d'appel explique fort bien, dans le jugement entrepris, en quoi la condamnation pour l'accusation portée en vertu du troisième chef est distincte des deux premiers et elle justifie l'imposition d'une peine consécutive:

 

[61] À cet égard, le Tribunal partage l’avis de l’Intimé à l’effet que, si cette période de suspension devait être purgée de manière concurrente aux autres périodes de suspension, elle aurait pour effet pratique d’encourager un professionnel sous enquête à déformer la vérité lors de l’enquête menée par le syndic. L’agent immobilier visé par une enquête pourrait trouver avantageux de mentir lors de ses déclarations, afin de compliquer la tâche du syndic dans sa recherche des faits et éventuellement peut-être réussir à faire en sorte que l’enquête n’aboutisse point à l’émission d’une plainte, en raison de l’existence de versions contradictoires.

                   (Nos soulignements)

 

[42]       Plus particulièrement, les motifs justifiant l’imposition de sentences consécutives sont exposés dans l’arrêt R. c. Aoun[15] dans les termes suivants :

[20] Les peines peuvent être consécutives s'il s'agit de transactions criminelles distinctes ou s'il existe un élément aggravant qui justifie une peine consécutive[3]. Inversement, lorsque les infractions présentent un lien étroit, découlant du même incident ou font partie d’une même opération criminelle, les tribunaux infligent des peines concurrentes les unes aux autres[4].

 

[21] Lorsque chaque infraction est passible d’une peine d’emprisonnement, la méthode adéquate peut consister à imposer pour chacune d’elles une peine appropriée et consécutive, à moins que le résultat soit excessif :

[27] En effet, si le juge qui impose des peines d'emprisonnement pour plusieurs infractions est d'avis que la personne doit, dans l'intérêt de la société, être incarcérée pour une période donnée, il verra, à l'intérieur des limites permises par la loi, à aménager les sentences de façon à atteindre ce qu'il considère comme un résultat juste et équitable. Il le fera par le biais du cumul des sentences si la loi le lui permet. S'il ne peut le faire en raison de ce qu'il pourrait, à juste titre, considérer comme une lacune de la loi due à des raisons purement techniques, il imposera cette non moins juste et souhaitable période d'incarcération par d'autres moyens tout aussi légaux. Compte tenu de la grande sévérité des sentences inscrites au Code, tout ce qu'il a alors à faire est d'imposer, relativement à la dernière déclaration de culpabilité, une sentence dont la durée correspondra au temps que l'accusé devrait, à son avis, purger pour ses infractions. Ne pouvant remplir ce qu'il considère à juste titre comme son devoir en imposant des sentences consécutives, pour des raisons qu'il considère comme purement techniques (et avec raison selon moi), c'est ainsi qu'il va procéder. Ce faisant, toutefois, le juge se trouvera à imposer pour la dernière infraction, en vue d'atteindre le résultat global juste et souhaitable, une sentence beaucoup plus sévère, même à ses yeux, que ce que mérite l'infraction prise isolément. Cela n'est pas souhaitable car chaque infraction devrait au départ être sanctionnée d'une manière individuelle et en fonction de sa gravité. Si chaque infraction commande sa propre période d'incarcération, la méthode appropriée pour atteindre ce résultat lorsqu'on impose en même temps les peines à un accusé n'est pas de sanctionner une des infractions d'une manière disproportionnée à sa gravité, mais plutôt d'imposer des sentences consécutives.[5]

[22]  C’est ce que le juge Proulx exprime, au nom de la Cour, dans l’arrêt R. c. Bélanger[6] :

Aux termes de l'article 717(4)c)ii) C.cr., un juge peut rendre des sentences d'emprisonnement consécutives lorsqu'une personne (1) est déclarée coupable de plus d'une infraction devant le même tribunal, et (2) que des périodes d'emprisonnement sont imposées pour les infractions respectives: c'était le cas en l'espèce.

 

La jurisprudence a apporté deux tempéraments à cette règle, soit que (1) les peines devraient être concurrentes si les délits résultent d'un événement unique ou s'il s'agit d'actes criminels continus, sauf les cas où la loi prescrit que la sentence doit être consécutive ou encore, si le tribunal estime que l'une des infractions formant partie de l'événement unique comporte un élément aggravant qui justifie une peine consécutive, et (2) que l'effet cumulatif de la série des sanctions imposées ne doit pas résulter en une sentence disproportionnée par rapport à la culpabilité générale du délinquant. C'est le principe de la totalité des sentences qui assure une proportionnalité raisonnable aux infractions commises. (Références omises)

 

(Nos soulignements)

[43]       Pour les motifs ci-après exposés, le Comité estime que les périodes de radiation temporaire imposées sur les chefs nos. 1 et 2 doivent être consécutives;

 

[44]       Premièrement, l’infraction reprochée au chef no. 1 est beaucoup plus grave que celle reprochée au chef no. 2 et touche à l’essence même de la profession;

[45]       En l’espèce, l’intimée a manqué à un devoir essentiel de sa profession, soit celui d’enquêter adéquatement la réclamation, en étant « les yeux et les oreilles » de l’assureur;

[46]       D’autre part, cette infraction a un impact direct sur l’image de la profession et seule une sanction exemplaire et dissuasive pourra préserver, d’une part, la confiance du public et, d’autre part, dissuader d’autres experts en sinistre d’agir de la même façon;

[47]       Pour ces motifs, la période de radiation temporaire de trois (3) mois imposée sur le chef no. 1 devra être purgée de façon consécutive à celle imposée sur le chef no. 2, pour un total de quatre (4) mois;

B)   Publication d’un avis de radiation

[48]       Tel que le rappelait dernièrement le Tribunal des professions dans l’affaire Lambert[16] :

 

[32] […]

« Une radiation pour être efficace et utile, suppose nécessairement que celui qui en fait l’objet soit membre en règle de son ordre professionnel. »[17]

 

[49]       En conséquence, les radiations et la publication de l’avis de radiation et de limitation d’exercice ne seront ordonnées qu’à compter de la remise en vigueur du certificat de l’intimée;

3.2           Chef no. 3

[50]       Tel que relaté dans la décision sur culpabilité[18], la preuve a démontré que plusieurs sujets d’importance ont été complètement escamotés dans le dossier de l’intimée;

[51]       Exception faite de quelques notes manuscrites et de rapports succincts, le dossier de l’intimée ne permet pas d’établir l’objet ni la teneur de ses conversations téléphoniques ou de ses rencontres avec les divers intervenants;

[52]       Dans les circonstances, le Comité considère que la suggestion de la syndic est juste et raisonnable, et conforme à la jurisprudence[19];

[53]       Pour ces motifs, l’intimée se verra imposer sur le chef no. 3, l’amende minimale[20], soit deux mille (2 000 $) dollars;

3.3           Les déboursés

[54]       L’intimée n’ayant été condamnée que sur trois (3) chefs d’accusation pour un total de quatre (4), le Comité considère qu’il est juste et raisonnable de limiter la condamnation au ¾ des déboursés, soit 75%;

3.4               Délai de paiement

[55]       Vu la situation financière et familiale de l’intimée, un délai de paiement de trente-six (36) mois lui sera accordé pour acquitter le montant de l’amende et des déboursés;

POUR CES MOTIFS, LE COMITÉ :

 

IMPOSE à l’intimé, les sanctions suivantes :

 

Sur le chef no. 1 :

                      Une radiation temporaire de trois (3) mois;

                      Une limitation d’exercice d’une durée d’un (1) an, consistant en une supervision stricte et de façon rapprochée par un expert en sinistre de plus de dix (10) ans d’expérience;

                      Recommande au Conseil d’administration de la Chambre de l’assurance de dommages d’imposer à l’intimée l’obligation de suivre une formation de trois (3) heures en déontologie pour les experts en sinistre, laquelle deviendra exécutoire à compter de la remise en vigueur du certificat de l’intimée, laquelle formation devra alors être suivie et réussie dans un délai maximal d’un (1) an de la remise en vigueur du certificat;

Sur le chef no. 2 :

                      Une radiation temporaire d’un (1) mois;

            Sur le chef no. 3 :

                      Une amende de deux mille (2 000 $) dollars;

Les périodes de radiation imposées sur les chefs nos. 1 et 2 seront exécutoires à compter de la remise en vigueur du certificat de l’intimée et elles devront être purgées de façon consécutive, pour un total de quatre (4) mois;

Quant à la limitation d’exercice imposée sur le chef no. 1, celle-ci ne deviendra exécutoire qu’à compter du 121e jour suivant la remise en vigueur du certificat de l’intimée, soit après que celle-ci ait purgé ses périodes de radiation temporaire;

ORDONNE à la secrétaire du Comité de discipline de faire publier, à compter de la remise en vigueur du certificat de l’intimée, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimée aura établi son nouveau domicile professionnel, le tout aux frais de l’intimée, le cas échéant;

 

            Déboursés

CONDAMNE l’intimée au paiement de 75% des déboursés, y compris les frais de transcription de la rencontre entre l’intimée et M. Pouliot;

 

ACCORDE à l’intimée un délai de trente-six (36) mois pour acquitter le montant de l’amende et des déboursés, calculé à compter de la signification de la présente décision, exception faite des frais de publication de l’avis de radiation et de limitation d’exercice, lesquels seront payables, le cas échéant, en totalité et sans délai par l’intimée;

 

Ordonnance de non-publication

 

PRONONCE une ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation du nom de l’assurée et de tout renseignement ou document permettant de l’identifier, de même que tout renseignement ou document de nature médicale et financière concernant l’intimée, le tout suivant l’article 142 du Code des professions (L.R.Q., c. C-26).

 

 

__________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du Comité de discipline

 

 

__________________________________

M. Claude Gingras, expert en sinistre

Membre du Comité de discipline

 

 

__________________________________

M. Jules Lapierre, expert en sinistre

Membre du Comité de discipline

 

Me Nathalie Vuille

Procureur de la partie plaignante

 

Mme. Julie Goulet

Partie intimée

 

Date d’audience :

13 novembre 2012

 



[1]     CHAD c. Goulet, 2012 CanLII 48662

[2]     Comptables généraux licenciés c. Leporé, 2004 QCTP 41;

[3]     Sirois c. Psychologues, [1996] D.D.O.P. 319 (T.P.);

[4]     Témoignage de Mme Plourde, le 27 février 2012;

[5]     Précitée note 1, par. 40 à 42;

[6]     CHAD, mai 2009;

[7]     Ibid, p. 14;

[8]     Précitée note 1, par. 47-48;

[9]     Lapointe c. Médecins, [1997] D.D.O.P. 317 (T.P.);

[10]    Lecourt c. Infirmières et infirmiers, [1997] D.D.O.P. 269 (T.P.);

      Bissonnette c. Médecins, [1996] D.D.O.P. 247 (T.P.);

[11]    Villadiego c. Médecins, [1992] D.D.C.P. 264 (T.P.);

[12]    Pour une étude détaillée de cette question, voir Montbriand, J.M. «Les périodes de radiation temporaire à être purgées consécutivement : origine, application et revue de la jurisprudence en droit disciplinaire québécois» S.F.P.B.Q. Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, 2012, vol. 352, p. 59 et ss.;

[13]    2009 QCCA 2178;

[14]    2010 QCCA 667;

[15]    2008 QCCA 440;

[16]    Lambert c. Agronomes, 2012 QCTP 39;

[17]    Infirmières auxiliaires c Labelle, 2005 CanLII 31276 QCTP;

[18]    Précitée note 1. par. 79 à 84;

[19]    CHAD c. Gaudreau, 2007 CanLII 72590;

[20]    Article 376 L.D.P.S.F., tel que modifié par L.Q. 2009, c. 58, a. 65;

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