Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

Nos :

2011-09-04(E)

2012-01-01(E)

 

 

DATE :

 

8 janvier 2013

 

 

 LE LE COMITÉ :

Me Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M.  Claude Gingras, expert en sinistre

Membre

M.  Gilles Fortin, expert en sinistre

Membre

 

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

 

                Partie plaignante

          c.

 

JACQUES LÉVESQUE, expert en sinistre

et

PAUL BARR, expert en sinistre

 

                Parties intimées

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DU NOM DES ASSURÉS ET DE TOUT RENSEIGNEMENT OU DOCUMENT PERMETTANT DE LES IDENTIFIER, LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142 C. PROF.

 

TABLE DES MATIÈRES

Page

 

I.        LES PLAINTES...................................................................................................................... 2

 

II.      LES FAITS.............................................................................................................................. 4


III.  MOTIFS ET DISPOSITIFS        

 

3.1         La plainte no 2011-09-04(E) (Lévesque)............................................................. 7

 

3.1.1   Chef no 1 (négligence)........................................................................................... 7

 

            A)   Retard à recueillir plusieurs informations.................................................... 8

       B)   Défaut de mandater un ingénieur................................................................ 9

       C)   Frais de subsistance....................................................................................... 9

 

3.1.2   Chef no 2 (manque d’objectivité)........................................................................ 11

 

A)    Demande d’informations exagérées.......................................................... 11

B)    Discussions entre évaluateurs.................................................................... 13

C)    Manque d’ouverture à une négociation.................................................... 13

 

3.1.3   Chef no 3 (tenue de dossier)............................................................................... 15

 

 

3.2         La plainte no 2012-01-01(E) (Barr)..................................................................... 17

 

          3.2.1   Chef no 1 (négligence)........................................................................................ 17

 

A)    Manque de supervision................................................................................ 17

B)    Objectivité et équité....................................................................................... 19

 

3.3      Les objections........................................................................................................ 20

 

A)    Les notes au dossier..................................................................................... 20

B)    La règle du ouï-dire....................................................................................... 22

C)    Le rapport de Michel Champagne.............................................................. 24

 

 

 

 

[1]       Au cours des mois d’octobre et novembre 2012, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages procédait à l’audition commune des plaintes nos 2011-09-04(E) et 2012-01-01(E);

 

 

 

I.          LES PLAINTES

 

 

[2]       M. Jacques Lévesque fait l’objet d’une plainte comportant trois (3) chefs d’infraction;

[3]       Essentiellement, la plainte no 2011-09-04(E) lui reproche :

 

1.     Entre le 18 décembre 2007 et le mois de septembre 2008, en faisant preuve de négligence dans le traitement de la réclamation des assurés, D.C., A.C. et M.M., à la suite de l’incendie de leur résidence sise au 2*** chemin du Domaine à Saint-Adolphe-d’Howard, en n’agissant pas promptement quant aux diverses démarches, vérifications ou suivis nécessaires à l’avancement du dossier, tardant, entre autres, à recueillir plusieurs informations, à mandater un ingénieur afin de déterminer la cause de l’incendie ainsi qu’en ne donnant pas suite à une demande d’avance pour frais de subsistance, le tout en contravention avec le Code de déontologie des experts en sinistre, notamment les articles 10 et 58(1) ainsi que le Code de déontologie des experts en sinistre (D-9.2, R.1.02), notamment l’article 59(1);

 

2.     Entre le 18 décembre 2007 et le mois de septembre 2008, en faisant défaut d’agir objectivement et équitablement dans le traitement de la réclamation des assurés, D.C., A.C. et M.M., à la suite de l’incendie de leur résidence sise au 2*** chemin du Domaine à Saint-Adolphe-d’Howard, notamment en faisant des demandes d’informations exagérées auprès des assurés, ne permettant pas aux évaluateurs des assurés et de l’assureur de discuter ensemble du coût de reconstruction de la résidence, et en ne faisant preuve d’aucune ouverture à la négociation, le tout en contravention avec le Code de déontologie des experts en sinistre, notamment les articles 15 et 27 ainsi que le Code de déontologie des experts en sinistre (D-9.2, R.1.02), notamment les articles 6 et 31;

 

3.     Entre le 18 décembre 2007 et le mois de septembre 2008, en exerçant ses activités de façon négligente quant à la tenue du dossier de réclamation dans le cadre du règlement de la réclamation des assurés, D.C., A.C. et M.M., à la suite de l’incendie de leur résidence sise au 2*** chemin du Domaine à Saint-Adolphe-d’Howard, en ne notant ou ne résumant pas au dossier, à de multiples reprises, ses interventions, conversations téléphoniques ou rencontres avec les divers intervenants au dossier, ou la teneur de celles-ci, le tout en contravention avec le Code de déontologie des experts en sinistre, notamment les articles 10 et 58(1) ainsi que le Code de déontologie des experts en sinistre (D-9.2, R.1.02), notamment l’article 59(1);

 

L’intimé s’est ainsi rendu passible, pour les infractions ci-haut mentionnées, des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions.

 

 

[4]       Dans le cas de M. Paul Barr, la plainte no 2012-01-01(E) lui reproche un (1) seul chef d’accusation, soit :

 

1.     Entre le 18 décembre 2007 et le mois de septembre 2008, alors qu’il agissait comme conseiller technique auprès de M. Jacques Lévesque, en faisant preuve de négligence dans le dossier de réclamation des assurés, D.C., A.C. et M.M., à la suite de l’incendie de leur résidence sise au 2*** chemin du Domaine à Saint-Adolphe d’Howard, notamment en ne s’assurant pas et/ou en ne prenant pas les mesures nécessaires afin que M. Lévesque agisse promptement quant aux diverses démarches, vérifications et/ou suivis nécessaires à l’avancement du dossier et en faisant défaut d’agir avec objectivité et équité dans le traitement de leur réclamation, le tout en contravention avec le Code de déontologie des experts en sinistre, notamment les articles 10, 15, 27 et 58(1) et le Code de déontologie des experts en sinistre (D-9.2, R.1.02), notamment les articles 59(1) et 61(1).

 

L’intimé s’est ainsi rendu passible, pour les infractions ci-haut mentionnées, des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions.

 

[5]       La partie plaignante était représentée par Me Nathalie Vuille et les deux intimés étaient défendus par Me Yves Carignan;

 

[6]       D’entrée de jeu, Me Carignan a enregistré un plaidoyer de non culpabilité pour et au nom de ses clients;

 

 

 

II.         LES FAITS

 

 

[7]       L’assuré D.C., son fils (A.C.) et sa conjointe (M.M.) étaient propriétaires d’une maison située à Saint-Adolphe-d’Howard depuis le 9 juin 2007;

 

[8]       Lors de l’achat de cette maison, son fils A.C. ne pouvant se qualifier seul pour le financement hypothécaire, fut dans l’obligation d’obtenir un endossement de la part de son père D.C.;

 

[9]       Ce faisant, son père (D.C.) se retrouva, bien malgré lui, copropriétaire de la maison de son fils (A.C.) et de sa bru (M.M.);

 

[10]    Or, dans la nuit du 15 au 16 décembre 2007, soit à peine six (6) mois après l’achat de cette maison, celle-ci fut la proie d’un incendie majeur, entraînant ainsi une perte totale de la bâtisse;

 

[11]    Les dommages furent évalués[1] initialement à la somme de 216 188,46 $;

 

[12]    Il appert qu’à l’arrivée des pompiers, une partie de la toiture s’était déjà effondrée sous l’emprise des flammes et qu’il y avait un embrasement général de la bâtisse[2];

[13]    Après que le sinistre fut signalé à l’assureur Desjardins[3], l’intimé Paul Barr confie alors le dossier à l’intimé Lévesque afin que ce dernier traite la réclamation des assurés;

 

[14]    Dès le début, l’intimé Lévesque est informé par M. Paul Barr que le père (D.C.) est fiché au S.A.C.A.[4];

 

[15]    Il appert que l’assuré (D.C.) était propriétaire d’un quadruplex qui fut détruit par un incendie en 1996;

 

[16]    Malheureusement pour lui, les dossiers du S.A.C.A. réfèrent à cet événement comme s’il s’agissait de quatre (4) incendies différents;

 

[17]    C’est sous cette fausse impression que débute l’enquête de l’intimé Lévesque;

 

[18]    Ainsi, dès la première entrevue avec les assurés, le climat est froid et pour le moins tendu;

 

[19]    De fait, l’intimé Lévesque, le 18 décembre 2007, questionne d’entrée de jeu l’assuré D.C. sur l’incendie de son quatre logements survenu en 1996;

 

[20]    L’intimé prend la déclaration des assurés D.C. (père) et M.M. (bru), mais par contre, il demande à l’assuré A.C. (fils) de lui écrire, dans ses propres mots, sa version des faits (déclaration pure);

 

[21]    Suivant l’intimé Lévesque, puisque l’assuré A.C. fut le premier arrivé sur les lieux de l’incendie et que la maison était vide, sa femme (M.M.) et leurs enfants étant chez des amis, il considère, dès ce moment, l’assuré A.C. comme étant un suspect;

 

[22]    D’ailleurs, cette impression le hantera tout au long du dossier et justifiera, à son avis, son comportement et ses décisions dans le traitement du dossier des assurés;

 

[23]    À cet égard, il y a lieu de souligner que le service d’incendie de la Ville de Saint-Adolphe-d’Howard et son service de police ont tous les deux conclu à un incendie d’origine accidentelle;

 

[24]    D’ailleurs, l’assureur Desjardins a payé la réclamation des assurés[5] sans que ceux-ci n’aient été obligés de s’adresser aux tribunaux pour obtenir justice;

 

[25]    Même l’ingénieur-chimiste, dont les services avaient été retenus par l’intimé Lévesque, n’a pas été en mesure d’établir, dans son rapport[6], la cause de l’incendie, celle-ci demeurant jusqu’à ce jour indéterminée[7];

 

[26]    C’est pourquoi les assurés reprochent principalement à l’intimé Lévesque son retard à traiter leur réclamation, et surtout de leur avoir prêté des intentions criminelles sans fondement;

 

[27]    D’ailleurs, non seulement ceux-ci se sont-ils plaints du comportement de M. Lévesque à la Chambre de l’assurance de dommages[8], mais en plus ils se sont adressés aux plus hauts niveaux de l’assureur Desjardins[9] afin d’obtenir justice;

 

[28]    De son côté, M. Lévesque a tenté de démontrer, tout au long de l’audition, les nombreux éléments de preuve qui lui permettaient d’entretenir de sérieux doutes quant à l’origine accidentelle de l’incendie;

 

[29]    Brièvement résumé, les éléments factuels sur lesquels se fondait l’intimé Lévesque sont les suivants :

 

1.  Le fait que le père de l’assuré A.C. était fiché au S.A.C.A.;

 

2.  Le comportement de l’assuré D.C. qui, dès la première entrevue, lui remet une série de factures avant même de se présenter à lui;

 

3.  Les contradictions dans les différentes déclarations fournies par l’assuré A.C. (fils);

 

4.  L’absence opportune de sa femme (M.M.) et de ses enfants au moment de l’incendie;

 

5.  Les difficultés financières du couple A.C. et M.M.;

 

6.  Le refus du père (D.C.) de permettre à son fils (A.C.) de voyager seul dans la voiture de l’intimé, Lévesque, pour la visite des lieux incendiés;

 

 

 

7.  L'analyse par une firme spécialisée de la déclaration « pure » fournie par l’assuré A.C., laquelle analyse a conclu à la fausseté de celle-ci[10];

 

8.  L’interrogatoire statutaire de l’assuré A.C. et l’opinion de l’avocat[11] de l’assureur Desjardins qui lui aussi entretenait de sérieux doutes sur la véracité des déclarations de l’assuré A.C.;

 

 

[30]    Il va sans dire que les assurés ont offert devant le Comité de discipline une interprétation des faits complètement à l’opposé de celle suggérée par les intimés, leurs prétentions étant que le retard de l’intimé Lévesque à traiter leur réclamation provenait de son refus de négocier toute forme d’entente;

 

[31]    C’est sur la base de cette trame factuelle que devra être examinée la responsabilité déontologique des deux intimés;

 

 

 

 

III.        MOTIFS ET DISPOSITIFS

 

3.1         La plainte no 2011-09-04(E) (Lévesque)

 

3.1.1      Chef no 1 (négligence)

 

 

[32]    Le chef no 1 de la plainte no 2011-09-04(E) reproche à l’intimé Lévesque plusieurs manquements déontologiques, soit :

 

1.     d’avoir fait preuve de négligence en tardant :

 

i)     à recueillir plusieurs informations;

ii)    à mandater un ingénieur afin de déterminer la cause de l’incendie;

iii)   à donner suite à une demande d’avance pour frais de subsistance;

[33]    Comme il s’agit d’infractions différentes, il convient de les examiner de façon distincte;

 

 

 

A.     Retard à recueillir plusieurs informations

 

 

 

[34]    La preuve a démontré que l’intimé Lévesque a tardé à recueillir plusieurs informations essentielles;

 

[35]     Me Vuille, procureure de la syndic, a dressé une longue liste d’exemples[12] démontrant le retard de l’intimé à obtenir des informations essentielles;

 

[36]    Parmi celles-ci, le Comité retient les suivantes :

 

           Ne rencontre pas, avant le 16 mars 2008, les amis chez qui les assurés avaient soupé le soir de l’incendie survenu dans la nuit du 15 au 16 décembre 2007;

           Ne demande pas les déclarations des assurés à la S.Q. et au service des incendies de la municipalité avant le 1er avril 2008, soit quatre (4) mois après l’incendie;

           N’envoie que le 12 février 2008 la déclaration « pure » de l’assuré A.C. pour analyse à la firme Daniel Bourque, alors qu’il entretient des soupçons depuis sa première rencontre avec l’assuré en décembre 2007;

 

[37]    De l’avis du Comité, la cueillette de ces informations était essentielle et aurait dû être faite promptement vu les doutes qu’entretenait l’intimé Lévesque quant à l’honnêteté des assurés et quant aux circonstances entourant l’incendie;

 

[38]    Pour ces motifs, l’intimé Lévesque sera reconnu coupable de ce premier reproche formulé au chef no 1;

 

 

 

 

 

B.    Défaut de mandater un ingénieur

 

 

[39]    Dès le début de l’audition, le Comité s’est interrogé sur le retard de l’intimé à faire procéder à l’expertise des lieux de l’incendie, alors que celui-ci entretenait, depuis le début, de sérieux doutes sur l’origine de l’incendie;

 

[40]    Or, les photos des lieux sinistrés ont permis d’établir que les décombres étaient complètement ensevelis sous la neige et la glace, rendant ainsi impossible l’examen des lieux;

 

[41]    Mais, il y a plus, l’ingénieur Beaumont[13] a clairement expliqué au Comité que cette situation l’empêchait d’expertiser les lieux du sinistre avant la fonte des neiges;

 

[42]    Il risquait alors d’endommager les éléments de preuve inculpatoires et même les éléments disculpatoires, mettant ainsi à néant ses chances de déterminer les causes exactes de l’incendie;

 

[43]    Enfin, il a reconnu qu’il existe des méthodes permettant d’isoler les lieux et de les chauffer afin de faire fondre la neige et la glace, cependant, celles-ci présentent un coût élevé et ne s’appliquent pas au présent dossier, lequel, à son avis, ne justifiait pas ce type d’intervention;

 

[44]    Les témoignages des deux intimés ont été au même effet, d’où l’impossibilité de procéder à une expertise des lieux dès le début du dossier;

 

[45]    Devant cette preuve, non contredite, le Comité n’a d’autre choix que d’acquitter l’intimé du reproche tel que formulé;

 

 

C.    Frais de subsistance

 

 

[46]    Une partie du chef no 1 reproche à l’intimé Lévesque de ne pas avoir donné suite à une demande d’avance pour frais de subsistance;

 

 

[47]    Suivant l’expert en sinistre Majeau, celui-ci avait dû se battre avec l’intimé Lévesque pour obtenir le versement d’une première avance pour frais de subsistance.

 

[48]    Or, contrairement aux affirmations de l’expert Majeau, le dossier[14] démontre qu’une avance de 5 000 $ est accordée[15] le 21 décembre 2007, soit à peine cinq (5) jours après le sinistre;

 

[49]    De plus, malgré plusieurs demandes de l’intimé Lévesque concernant les frais de subsistance, l’expert Majeau n’a pas vraiment donné suite à celles-ci par stratégie;

 

[50]    À cet égard, lors de son témoignage[16] l’expert Majeau a confirmé qu’il préférait négocier la bâtisse avant toute autre question;

 

[51]    Cette stratégie était d’ailleurs connue de l’assuré D.C. (père)[17] et des assurés A.C. et M.M.[18], et celle-ci était conforme aux conseils qu’ils avaient reçus de l’expert Denault, associé de M. Majeau;

 

[52]    Mais il y a plus, le dossier de l’expert Richard Majeau[19] ne contient aucune note pour la période de janvier 2008 à juin 2008, période pourtant cruciale pour la réclamation des frais de subsistance;

 

[53]    Par ailleurs, la correspondance échangée entre les parties démontre que M. Lévesque demandait, encore une fois le 12 août 2008, à l’expert Denault, de lui faire parvenir sa réclamation pour frais de subsistance accompagnée des pièces justificatives[20];

 

[54]    De l’avis du Comité, s’il y a eu négligence ou retard dans le traitement de la réclamation des frais de subsistance des assurés, celle-ci est attribuable, en très grande partie, à la « stratégie » adoptée par les experts Majeau et Denault;

 

[55]    Pour ces motifs, l’intimé Lévesque sera acquitté de ce reproche.

 

 

 

 

 

          3.1.2      Chef no 2 (manque d’objectivité)

 

 

[56]    Le chef no 2 reproche à l’intimé Lévesque d’avoir manqué à son devoir d’agir avec objectivité et équité à trois (3) occasions distinctes;

 

[57]    Premièrement, en faisant des demandes d’informations exagérées auprès des assurés, deuxièmement, en ne permettant pas aux évaluateurs des parties de discuter ensemble et, troisièmement, en ne faisant preuve d’aucune ouverture d’esprit à une quelconque négociation;

 

[58]    S’agissant de trois (3) infractions distinctes, il convient de les examiner de façon séparée;

 

A)   Demandes d’informations exagérées

 

 

[59]    La preuve a démontré que l’intimé Lévesque avait formulé plusieurs demandes d’informations auprès des assurés;

 

[60]    Certaines de ces demandes peuvent être qualifiées d’exagérées et peuvent servir à expliquer une partie du retard occasionné dans le traitement de la réclamation des assurés;

 

[61]    Le Comité a identifié certaines de ces demandes comme suit :

 

         L’assermentation de la liste des biens;

 

         Copie des rapports d’impôts, avis de cotisations et des budgets des assurés;

 

         Liste de tous les livres achetés par les assurés;

 

[62]    Il appert que l’intimé Lévesque a exigé des assurés que ceux-ci assermentent, à deux reprises, leur liste de biens et qu’ils paraphent chacune des pages de celle-ci;

 

[63]    Ainsi, le 9 juin 2008, après avoir fourni une première liste des biens dûment assermentée par leur expert en sinistre, M. Majeau, celle-ci fut refusée par l’intimé Lévesque, lequel a exigé que la liste soit assermentée de nouveau, mais cette fois-ci par un commissaire à l’assermentation totalement indépendant de leurs experts en sinistre;

 

[64]    Le Comité considère que cette demande de l’intimé était effectivement exagérée puisque les seuls empêchements reconnus par l’article 221 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (L.R.Q. ch. T-16) sont les suivants :

 

 

221. Les commissaires nommés en vertu des articles 214 et 215 et les personnes mentionnées aux articles 219 et 220 ne peuvent recevoir la déposition sous serment de leurs père et mère, leurs frères et sœurs, leur conjoint et leurs enfants, ni celle d'une partie qu'ils représentent dans une cause ou dans une procédure non contentieuse, excepté, pour les notaires, les cas où la loi les y autorise.

 

1965 (1re sess.), c. 17, a. 30; 1988, c. 62, a. 3; 1999, c. 40, a. 324.

 

 

[65]    Mais il y a plus, celle-ci a également contribué au retard du dossier;

 

[66]    Quant aux autres reproches, soit d’avoir exigé des assurés que ceux-ci fournissent une copie de leurs rapports d’impôts, de leurs avis de cotisation, de leur budget et une liste de tous les livres qu’ils avaient personnellement achetés, le Comité considère que ces demandent étaient exagérées puisqu’elles ont été formulées après le 3 juin 2008, date à laquelle l’assureur avait pourtant convenu de payer la réclamation des assurés;

 

[67]    Ces nouvelles demandes démontrent également un manque d’ouverture d’esprit à toute forme d’entente avec les assurés, tel qu’exposé aux paragraphes 76 et suivants de la présente décision;

 

[68]    En conséquence, l’intimé sera reconnu coupable de ce premier reproche formulé au chef no 2, commettant ainsi une infraction à l’article 27 du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

[69]    Un arrêt conditionnel des procédures sera prononcé à l’encontre de l’article 15 du Code de déontologie des experts en sinistre, lequel est moindre et inclus dans l’article 27;

 

 

 

 

 

 

B)   Discussions entre évaluateurs

 

[70]    Le Comité estime que l’intimé Lévesque doit être acquitté de ce deuxième reproche, faute d’une preuve claire, nette et convaincante[21] à son appui;

 

[71]    Suivant l’expert Majeau[22], ce dernier aurait demandé, par courriel, une copie de l’évaluation de l’intimé Lévesque, par contre le témoin fut dans l’impossibilité de produire le moindre document au soutien de cette affirmation;

 

[72]    Pour sa part, l’intimé Lévesque prétend[23] qu’aucun des experts mandatés par les assurés ne lui a demandé une copie de l’évaluation préparée par la firme Malouin[24];

 

[73]    Dans tous les cas, il appert qu’il n’y avait qu’une différence de 1 000 $ entre les deux évaluations;

 

[74]    Dans les circonstances, le Comité considère que, d’une part, la partie poursuivante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve[25] et que, d’autre part, la faute reprochée n’est pas suffisamment grave pour constituer une faute déontologique[26];

 

[75]    Pour l’ensemble de ces motifs, l’intimé Lévesque sera acquitté de ce deuxième reproche formulé au chef no 2;

 

 

 

C)   Manque d’ouverture à une négociation

 

 

[76]    Le Comité considère qu’il y a lieu de séparer ce reproche en deux périodes distinctes;

 

[77]    La première période débutant la journée même où l’intimé fut mandaté, soit le 17 décembre 2007 et se terminant à la date où l’assureur a finalement consenti à payer la réclamation des assurés, soit le 3 juin 2008;

[78]    Durant cette première période, on ne peut prétendre que l’intimé était de mauvaise foi puisqu’il n’avait pas encore reçu le mandat de négocier la réclamation des assurés étant alors toujours à la recherche des causes de l’incendie;

 

[79]    D’ailleurs, dès le début de son mandat, soit le 17 décembre 2007, son superviseur, l’intimé Paul Barr, l’informe que l’assuré D.C. est fiché au S.A.C.A.[27];

 

[80]    Finalement, ce n’est que le 3 juin 2008 que l’assureur, faute de preuves concrètes et tangibles, décide de donner suite à la réclamation[28];

 

[81]    C’est alors que débute la véritable période de négociation entre les parties;

 

[82]    D’ailleurs, à peine un (1) mois plus tard, soit le 8 juillet 2008, un premier versement de 151 800 $ est effectué[29];

 

[83]    Après diverses discussions entre les parties, finalement, le 4 septembre 2008, un règlement[30] global intervient pour un montant de 257 814 $ et le solde de l’indemnité est alors versé aux assurés dans les jours suivants;

 

[84]    La véritable période de négociation s’étend donc du 4 juin au 4 septembre 2008, soit trois (3) mois;

 

[85]    Pour les motifs ci-après exposés, le Comité est dans l’obligation de conclure que durant cette période l’intimé s’est effectivement rendu coupable de ce reproche;

 

[86]    En effet, à compter du 3 juin 2008, date à laquelle l’assureur avait conclu qu’il y avait lieu de donner suite à la réclamation des assurés, le Comité considère que l’intimé avait l’obligation de négocier de bonne foi la réclamation des assurés;

 

[87]    Or, malgré la décision de l’assureur, l’intimé Lévesque continue de chercher des poux aux assurés afin de justifier les soupçons qu’il entretient contre eux depuis le début du dossier;

 

[88]    À titre d’exemple, il exige que les assurés lui fournissent, pour les quatre (4) dernières années, copie de leurs rapports d’impôts, avis de cotisations et budgets;

 

[89]    Il leur demande également la liste de tous les livres qu’ils ont personnellement achetés;

[90]    Le Comité considère que cet acharnement de l’intimé démontre son manque d’ouverture à toute forme de négociation alors qu’il avait reçu le mandat clair et net de régler ce dossier;

 

[91]    Pour ces motifs, l’intimé Lévesque sera reconnu coupable de ce troisième reproche formulé au chef no 2;

 

 

 

          3.1.3      Chef no 3 (tenue de dossier)

 

[92]    Le chef no 3 reproche à l’intimé Lévesque une mauvaise tenue de son dossier;

 

[93]    Avant d’examiner la preuve au soutien de ce chef, il y a lieu de rappeler les principes établis par le Comité de discipline dans l’affaire Goulet[31], lesquels peuvent être résumés comme suit:

 

         La version commentée du Code de déontologie des experts en sinistre[32] constitue un outil de référence permettant à l’expert en sinistre de connaître ses obligations en matière de tenue de dossier[33];

 

 

[94]    Par contre, il serait souhaitable que l’Autorité des marchés financiers adopte, à court terme, un règlement sur la tenue de dossier suivant l’article 223(8) de la Loi sur la distribution de produits et services financiers afin de préciser et de circonscrire les règles déontologiques en la matière;

 

[95]    En l’espèce, la preuve documentaire[34] ainsi que le témoignage de l’intimé Lévesque[35] ont permis d’établir que le dossier de l’intimé était suffisamment bien tenu, permettant ainsi au Comité d’apprécier et d’évaluer les diverses démarches et interventions de celui-ci, de même que le suivi du dossier des assurés;

 

[96]    En toute justice, il est aussi vrai que la preuve a permis d’établir certaines omissions, lesquelles étaient par contre pour le moins anodines et sans conséquence;

 

[97]    Dans les faits, l’ensemble du dossier de l’intimé était bien tenu et surtout bien documenté[36];

 

[98]    Enfin, tel que le soulignait le Tribunal des professions dans l’affaire Malo[37], si l’on devait sanctionner toutes et chacunes des erreurs techniques commises par un professionnel, sa vie deviendrait vite insoutenable;

 

[99]    De plus, une faute ou une erreur doit revêtir une certaine gravité pour être qualifiée de faute déontologique, à défaut de quoi l’intimé sera acquitté[38];

 

[100] Pour l’ensemble de ces motifs, l’intimé Lévesque sera acquitté du chef no 3 de la plainte no 2011-09-04(C);

 

[101] Dans un même ordre d’idées, si l’on compare le dossier tenu par les experts en sinistre mandatés par les assurés avec celui de l’intimé Lévesque, ce dernier devient alors un exemple à suivre;

 

[102] En effet, le dossier[39] des autres experts en sinistre était dans un état pitoyable, constitué d’un salmigondis de documents classés dans un ordre qui défiait l’imagination;

 

[103] À titre d’exemple, dans les notes au dossier[40] il manquait une période de six (6) mois pour laquelle lesdits experts n’ont pas été en mesure de fournir des explications plausibles, alors qu’il s’agissait pourtant d’une période cruciale dans le suivi du dossier des assurés;

 

[104] Heureusement, pour la protection du public il appert que, suite a une inspection professionnelle tenue par l’Autorité des marchés financiers en 2010, la situation fût corrigée et dorénavant les dossiers tenus par cette firme d’experts en sinistre sont présumément adéquats;

 

[105] Quoi qu’il en soit et sans égard au dossier des autres experts, l’intimé Lévesque sera acquitté du chef no 3 pour les motifs précédemment mentionnés;

 

 

3.2         La plainte no 2012-01-01(E) (Barr)

 

 

3.2.1      Chef no 1 (négligence)

 

[106] Le chef no 1 de la plainte no 2012-01-01(E) reproche à l’intimé Paul Barr plusieurs fautes déontologiques, soit :

 

1.     d’avoir fait défaut de superviser adéquatement le travail de l’intimé Jacques Lévesque;

 

2.     d’avoir fait défaut d’agir avec objectivité et équité dans le traitement de la réclamation des assurés;

 

[107] Comme il s’agit de deux (2) fautes distinctes, celles-ci seront étudiées séparément;

 

A)    Manque de supervision

 

[108] Concernant cet aspect du dossier, il convient de rappeler, que suivant l’arrêt de la Cour d’appel rendu dans l’affaire Chauvin c. Beaucage[41], la faute de l’employé ou du subalterne devient la faute du représentant qui a la charge de le superviser[42];

 

[109] D’ailleurs, suivant l’article 2 du Code de déontologie des experts en sinistre, l’intimé Barr avait l’obligation de s’assurer que ces employés et mandataires respectent les dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et celles prévues par les règlements adoptés sous son égide, incluant les obligations imposées par le Code de déontologie;

 

[110] Dans le présent cas, la partie poursuivante ne cherche pas à attribuer à l’intimé Barr les fautes commises par son mandataire Lévesque, elle lui reproche plutôt une faute personnelle;

[111] Plus particulièrement, le chef no 1 reproche à l’intimé Barr « d’avoir fait preuve de négligence, notamment en ne s’assurant pas et/ou en ne prenant pas les mesures nécessaires afin que M. Lévesque agisse promptement quant aux diverses démarches, vérifications et/ou suivis nécessaires à l’avancement du dossier »;

 

[112] Bref, la syndic reproche à l’intimé Barr un certain laxisme dans la surveillance de son mandataire et une forme de tolérance à l’égard de ses agissements négligents;

 

[113] Qu’en est-il dans les faits?

 

[114] Premièrement, le Comité note que l’intimé Barr n’a pas commis de faute en choisissant de mandater l’intimé Lévesque puisque ce dernier est un expert en sinistre aguerri, possédant une longue expérience dans ce genre de réclamation[43];

 

[115] Deuxièmement, suivant les notes au dossier[44], il appert que M. Barr était constamment en contact avec l’intimé Lévesque, précisément dans le but de faire le suivi du dossier[45];

 

[116] Dans les circonstances, il nous est impossible de conclure à la culpabilité de l’intimé Barr sur cette première partie du chef d’accusation;

 

[117] D’ailleurs, il est difficile de concevoir comment un professionnel du niveau d’expérience de M. Lévesque aurait pu se laisser dicter par son supérieur administratif la façon de mener son dossier et surtout la manière d’exercer son jugement professionnel;

 

[118] Compte tenu du cadre dans lequel s’exerçait cette supervision à distance et en raison de l’expérience professionnelle de M. Lévesque et de l’autonomie qui en découle, il est pour le moins hasardeux de conclure que M. Barr aurait pu effectuer un suivi beaucoup plus serré sur les agissements de l’intimé Lévesque;

 

[119] Pour l’ensemble de ces motifs, l’intimé Barr sera acquitté de ce premier reproche formulé au chef no 1 de la plainte no 2012-01-01(E);

 

 

 

 

 

 

B)    Objectivité et équité

 

 

[120] La seconde partie du chef no 1 reproche à l’intimé Barr « d’avoir fait défaut d’agir avec objectivité et équité dans le traitement de la réclamation » des assurés;

 

[121] À cet égard, il y a lieu de souligner que dès le début du dossier celui-ci a pris une tangente négative lorsque M. Barr a informé l’intimé Lévesque que le père des assurés, monsieur D.C., était fiché au S.A.C.A.[46];

 

[122] D’autres éléments factuels sont venus alimenter cette méfiance que les intimés pouvaient entretenir à l’égard des assurés; soulignons au passage les plus importants, soit[47] :

 

      Les contradictions entre les différentes déclarations fournies par l’assuré A.C. (fils);

 

      Les difficultés financières du couple A.C. et M.M.;

 

      L’analyse par une firme spécialisée de la déclaration « pure » de l’assuré A.C., laquelle a conclu à la fausseté de celle-ci[48];

 

      L’interrogatoire statutaire de l’assuré A.C. et l’opinion de l’avocat de l’assureur, lequel entretenait de sérieux doutes sur la véracité des déclarations de l’assuré A.C.[49];

 

 

[123] Rappelons que le Comité a déjà conclu que l’intimé Lévesque avait manqué d’objectivité[50] à deux (2) occasions distinctes;

 

[124] Par contre, dans le cas de l’intimé Barr, le chef no 1 ne réfère à aucune circonstances particulières au cours desquelles celui-ci aurait pu personnellement faire défaut d’agir avec objectivité et équité durant le traitement de la réclamation des assurés;

 

[125] Tel que constaté au début de l’analyse de la plainte déposée contre l’intimé Barr, celle-ci ne lui reproche pas une faute commise par son préposé ou son mandataire, mais bien une faute personnelle;

 

[126] Dans ce cas, le Comité n’est pas autorisé à se prévaloir de la théorie de l’alter ego, tel qu’élaboré par la Cour d’appel dans l’affaire Chauvin c. Beaucage[51] pour tenter d’attribuer à l’intimé Barr la faute commise par son subalterne;

 

[127] D’ailleurs, la plainte déposée contre M. Barr ne fait pas référence à l’article 2 du Code de déontologie des experts en sinistre;

 

[128] Qui plus est, l’assuré D.C. (père), lors de son témoignage[52], a reconnu qu’il n’avait aucun reproche à formuler contre l’intimé Barr;

 

[129] Dans les circonstances, en l’absence d’une preuve de faits concrets démontrant que l’intimé Barr aurait personnellement fait défaut d’agir avec objectivité et équité, le Comité doit conclure que la partie poursuivante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve[53];

 

[130] Pour ces motifs, l’intimé Barr sera acquitté de ce deuxième reproche formulé au chef no 1 de la plainte no 2012-01-01(E);

 

 

          3.3         Les objections

                        A)   Les notes au dossier

[131] Tout au long des présentes auditions, plusieurs objections, fondées sur la règle interdisant le ouï-dire, furent présentées par les parties concernant les notes consignées au dossier;

 

[132] La plupart d’entre-elles furent rejetées en se fondant sur l’arrêt Royal Victoria Hospital c. Morrow[54] suivant lequel les notes consignées dans un dossier médical constituent une exception à la règle interdisant le ouï-dire[55];

[133] Or, suivant la Cour d’appel, le même principe s’applique quant aux dossiers tenus par un courtier d’assurance;

 

[134] Il s’agit de l’affaire Gerling Globale compagnie d'assurances générales c. Service d'hypothèques Canada-vie[56] dans laquelle on peut lire :

 

En conclusion, il paraît clair qu'une déclaration extrajudiciaire d'un employé portant sur les actes qu'il a accomplis dans l'exécution de ses fonctions et qu'il a consignés par écrit au cours de ses activités au sein de l'entreprise qui l'emploie sera généralement admise en preuve si elle satisfait aux deux critères justifiant les exceptions à la règle du ouï-dire, soit la nécessité et la fiabilité.  De plus, le critère de la fiabilité sera d'autant plus facilement satisfait que, dans un tel contexte, le déclarant est généralement présumé être désintéressé.[57]

 

          (…)

 

En l'espèce, il me paraît clair que les notes manuscrites du courtier Pierre Verville ont été rédigées dans l'exécution de ses fonctions à la firme de courtage Dale-Parizeau et qu'elles satisfont aux critères de nécessité et de fiabilité justifiant, dans un tel contexte, leur admissibilité en preuve.  D'une part, le formulaire intitulé «AVIS DE SINISTRE» sur lequel ces notes sont inscrites est un document d'entreprise déjà imprimé pour recevoir, dans les cases pertinentes, des renseignements précis, et sur lequel le courtier doit seulement inscrire les renseignements obtenus ou divulgués (m.a., vol. 1, P‑8, p. 192).  D'autre part, lorsque le courtier Verville a inscrit, dans la case «circonstances» de cet AVIS DE SINISTRE, la mention «Vandalisme -Bâtiment était vacant», pendant ou immédiatement après sa conversation avec Chantal Dargis, préposée de Gerling, il agissait non seulement dans le cadre de ses fonctions, mais il était manifestement désintéressé.  On ne peut, en effet, lui reprocher d'avoir eu, à ce moment-là, un intérêt à inscrire cette mention dans le but de favoriser l'assurée.

 

L'arrêt rendu par la Cour suprême dans Ares c. Venner, 1970 CanLII 5 (CSC), [1970] R.C.S. 608, que le juge Pigeon semble reconnaître applicable au Québec (arrêt Royal Victoria Hospital précité, pp. 503-504), montre bien d'ailleurs que la fiabilité d'une déclaration est plus facilement reconnue lorsqu'il s'agit d'un écrit rédigé dans le cours des activités d'une entreprise.  Dans cette affaire, le litige tournait autour de l'admissibilité en preuve de notes rédigées par des infirmières, contenues dans des dossiers médicaux.  Parlant au nom de la Cour, le juge Hall conclut (p. 626):

 

Les dossiers d'hôpitaux, y compris les notes des infirmières, rédigés au jour le jour par quelqu'un qui a une connaissance personnelle des faits et dont le travail consiste à faire les écritures ou rédiger les dossiers, doivent être reçus en preuve, comme preuve prima facie des faits qu'ils relatent [...]

 

Notre Cour a eu l'occasion d'appliquer ce principe dans Paquet c. Navada Ltée, C.A. Montréal, no 500-09-000410-787, 1er octobre 1980, jj. Turgeon, Dubé et Nolan, J.E. 80‑866, alors qu'elle a reconnu que la preuve des heures travaillées par des ouvriers pouvait valablement se faire par le dépôt des rapports de travail signés à la fois par les ouvriers et les contremaîtres.  Parlant au nom de la Cour, le juge Dubé conclut que l'intimée n'avait pas à assigner tous les ouvriers pour que chacun vienne déclarer le nombre exact d'heures travaillées (p. 5):

 

Une telle preuve me paraît amplement suffisante et il n'était pas nécessaire pour l'intimée de fournir d'autres preuves sauf au cas où l'appelante aurait produit une preuve mettant sérieusement en doute les montants réclamés.[58]

(Nos soulignements)

 

[135] Cela étant dit, le Comité conclut que les notes consignées dans le dossier d’un assureur et/ou d’un courtier d’assurance font preuve prima facie des faits qu’elles relatent, sauf si la partie adverse produit une preuve mettant sérieusement en doute leur fiabilité ;

 

 

                        B)   La règle du ouï-dire

 

[136] De façon plus générale, il y a lieu de souligner qu’en matière disciplinaire, la règle interdisant le ouï-dire comporte plusieurs assouplissements, tel que le rappelait la Cour du Québec dans l’affaire Alipoor c. Pinet[59];

[102]       Dans l'arrêt Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal c. Le Journal de Montréal, une division du Groupe Québécor inc.[27], la Cour d'appel se prononce sur l'admissibilité de la preuve par ouï-dire devant un tribunal administratif en ces termes :

54.    La jurisprudence et les auteurs semblent également être d'avis que la même règle s'applique au ouï-dire: il ne sera sanctionné, par contrôle judiciaire, que dans la mesure où son admissibilité contrevient aux exigences de la règle de justice naturelle. Dans une décision maintes fois citées (Restaurants et Motels Inter-Cité Inc. c. Vassart, [1981] C.S. 1052, à la p. 1054) l'honorable Maurice Lagacé, analysant la doctrine et la jurisprudence pertinentes, s'exprime de la façon suivante:

C'est donc dire que si la procédure suivie par le commissaire intimé doit être appréciée en des principes voulant que les Tribunaux administratifs, tout en étant liés par les principes de justice naturelle, ne sont par ailleurs pas liés par les règles de procédure, de preuve, en cours devant les Tribunaux judiciaires, ceci explique d'ailleurs pourquoi la preuve par ouï-dire a été considérée admissible devant les Tribunaux administratifs lorsque les principes de justice naturelle n'avaient pas été violés.

S.A. De Smith, "Judicial review of Administrative Action" :

A tribunal may be entitled to base its decision on hearsay, written depositions or medical reports. In these circumstances a person aggrieved will normally be unable to insist on oral testimony of the original source of the information, provided that he has had a genuine opportunity to controvert that information.

[...]

En bref, s'il fallait résumer, il peut arriver en certains cas que l'admission d'une preuve par ouï-dire puisse créer un déni de justice, mais tout dépend des circonstances. Il a été décidé à plusieurs reprises que la procédure des Tribunaux administratifs diffère de celle des Tribunaux de droit commun en ce qu'ils peuvent fort bien s'accommoder d'une preuve de ouï-dire en autant qu'on ne prend pas par surprise la partie à laquelle on oppose une telle preuve et qu'au surplus on donne à cette dernière toute la latitude nécessaire pour se faire entendre et contredire si elle le désire une telle preuve. (pp. 1055-56)

 

[103]       Dans la cause Montréal (Ville de) c. Beaudry[28], la Cour supérieure traite de l'admissibilité de la preuve par ouï-dire devant un tribunal administratif en ces termes :

58.    Or, dans cette appréciation globale de la preuve, l'arbitre est souverain, tout en se trouvant au centre même de sa compétence15. En matière de preuve par ouï-dire, la jurisprudence reconnaît de surcroît qu'il n'est pas soumis aux mêmes exigences qu'un tribunal de droit commun. Il est maître de sa procédure. Il peut même parfois accepter une telle preuve dans la mesure où il respecte les principes de justice naturelle16.

{Références omises}

 

[104]       Dans l'affaire Avocats c. Corriveau[29], le Tribunal des professions écrit :

[14]      Les moyens de preuve prévus au Code civil du Québec (articles 2803 et suivants) sont compris dans les «moyens légaux» de l'article 143 du Code des professions:

«Or, comme le Tribunal l'a déjà écrit à plusieurs reprises, le droit disciplinaire est un droit autonome qui tient à la fois et du droit civil et du droit pénal. Les Comités de discipline ne sont certainement pas liés par les règles de preuve du droit civil ni les règles de preuve du droit pénal, et ils ont donc une certaine latitude: latitude beaucoup plus grande que celle des tribunaux réguliers quant aux moyens de preuve.

Que veut dire cependant « recourir à tous les moyens légaux »?

Le Tribunal croit qu'il n'est pas nécessaire à ce stade-ci de se prononcer sur l'interprétation de ces mots, mais ils sont suffisamment larges pour que les comités de discipline selon les cas particuliers puissent employer des moyens qui, tout en n'étant pas admis devant les tribunaux réguliers, ne seraient pas illégaux devant eux.»1

{Référence omise}

(Nos soulignements)

 

[137] Cela étant dit, les objections présentées en cours d’audition furent tranchées en tenant compte des principes ci-haut mentionnés;

 

 

C)   Le rapport de Michel Champagne

 

[138] À la fin des auditions, comme dernier élément de leur défense, les intimés ont tenté de produire un rapport[60] préparé par Michel Champagne, expert en sinistre;

 

[139] Ce rapport fut adressé le 26 juin 2009 à Me Paule Émond de chez Desjardins Assurances;

 

[140] Or, malheureusement l’auteur de ce rapport, M. Champagne, est décédé avant la tenue des auditions;

 

[141] En conséquence, les intimés ont plaidé que ce rapport devait être accepté en preuve en se fondant sur l’article 2870 C.c.Q. qui édicte :

2870. La déclaration faite par une personne qui ne comparaît pas comme témoin, sur des faits au sujet desquels elle aurait pu légalement déposer, peut être admise à titre de témoignage, pourvu que, sur demande et après qu'avis en ait été donné à la partie adverse, le tribunal l'autorise.

 

Celui-ci doit cependant s'assurer qu'il est impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin, ou déraisonnable de l'exiger, et que les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier.

 

Sont présumés présenter ces garanties, notamment, les documents établis dans le cours des activités d'une entreprise et les documents insérés dans un registre dont la tenue est exigée par la loi, de même que les déclarations spontanées et contemporaines de la survenance des faits.

 

1991, c. 64, a. 2870.

 

[142] La procureure de la syndic, Me Vuille, s’est fortement opposée au dépôt de ce document, au motif qu’il s’agit d’un rapport d’expert qui contient des opinions plutôt que des faits;

 

[143] En résumé, l’opinion d’un expert ne serait pas couverte par l’article 2870 C.c.Q.;

 

[144] À l’appui de ses prétentions, Me Vuille a déposé les précédents suivants :

 

 

       Melfi c. Assurance-Vie Desjardins Laurentienne Inc., REJB 1999 – 11052;

 

      Itenberg c. Les Breuvages Cott inc., 2000 CanLII 7586 (QC CA);

 

      Beauparlant-Desgrossiers c. Ville de la Malbaie-Pointe-au-Pic, 2003 CanLII 39536 (QC CS);

 

      Dubé c. Cliche, 2003 CanLII 12554 (QC CA);

 

[145] Après un court délibéré, le Comité, séance tenante[61], déclara ledit rapport irrecevable en prenant appui sur l’arrêt de la Cour d’appel rendu dans l’affaire Dubé c. Cliche[62], et plus particulièrement sur le passage suivant :

[30]  En l'espèce, il n'est pas nécessaire de décider si les deux premières conditions sont remplies puisque la troisième n'est pas satisfaite. En effet, les rapports du Vérificateur ne se limitent pas à l'énumération de «faits» au sujet desquels il aurait pu «légalement» témoigner. Certes, dans une infime portion, les rapports énoncent de tels faits, mais ils contiennent également, dans une portion appréciable, des éléments de ouï-dire, des conclusions, des recommandations, des interprétations de la réglementation, des opinions, etc. qui ne peuvent être introduits en preuve par la déclaration dont traite l'article 2870 C.c.Q. Cette disposition n'a pas pour objectif de permettre le dépôt en preuve d'un rapport d'expert ni celui d'un enquêteur, parce que, en principe, ceux-ci ne peuvent être considérés comme des témoins de «faits».

 

(Nos soulignements)

 

 

[146] Par ailleurs, la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Itenberg c. Les Breuvages Cott inc.[63] est au même effet :

 

[18]    La troisième, qui résulte du libellé même de l'article, est que cette déclaration porte «.…sur des faits au sujet desquels elle (la personne) aurait pu légalement déposer…».

 

[19]    L'expertise porte évidemment sur des faits, mais non pas la déclaration de l'expert qui est, elle, une opinion, sur l'existence, la portée ou la pertinence de ceux-ci.  Notre régime de droit est basé sur un système contradictoire.  L'expertise y joue un grand rôle, mais le témoin expert, puisqu'il émet une opinion qui va guider le juge sur un point important, doit d'abord se qualifier comme tel et ensuite éventuellement se soumettre à un interrogatoire et un contre-interrogatoire pour tester la pertinence et fiabilité de son opinion.

 

[20]    Je suis donc d'avis, comme le premier juge et la jurisprudence des tribunaux d'instance (Droit de la famille – 2146, J.E. 95-504 (C.S.); Frenette c. Desrosiers, J.E. 98-1557 (C.S.); Melfi c. Assurance-vie Desjardins-Laurentienne inc., J.E. 99-555 (C.S.), que l'opinion de l'expert n'est pas couverte par l'exception de l'article 2870 C.c.Q.  Admettre la solution inverse serait auréoler (sic) une simple opinion d'une présomption de fiabilité sans la soumettre au processus contradictoire.

 

[21]    C'est donc à bon droit que le jugement a quo a refusé d'admettre en preuve le rapport d'expertise du 2 septembre 1996.

 

(Nos soulignements)

 

[147] À la lecture du rapport de M. Champagne, le Comité a été à même de constater qu’il s’agissait d’un document que l’on peut qualifier de rapport d’enquête, mais parsemé d’opinions et de ouï-dire;

 

[148] Mais il y a plus, le rapport émettait des opinions sur des points relevant directement de la compétence du Comité, soit le bien-fondé ou non des reproches formulés aux différents chefs d’accusation que l’on retrouve dans les deux plaintes;

 

[149] Ce facteur constitue un autre motif justifiant le rejet de ce rapport[64];

 

[150] Pour l’ensemble de ces motifs, le rapport de M. Champagne fut donc jugé irrecevable[65];

 

 

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

 

 

 

Dans le cas de l’intimé Lévesque

 

 

 

Chef no 1

 

 

DÉCLARE l’intimé coupable du chef no 1 pour avoir contrevenu à l’article 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre, plus particulièrement :

 

         pour avoir tardé à recueillir plusieurs informations;

 

 

ACQUITTE l’intimé Lévesque des autres reproches formulés au chef no 1;

 

 

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’encontre de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef no 1;

 

 

 

Chef no 2

 

 

      DÉCLARE l’intimé coupable du chef no 2 pour avoir contrevenu à l’article 27 du Code de déontologie des experts en sinistre, plus particulièrement :

 

       pour avoir fait des demandes d’informations exagérées auprès des assurés;

 

       en ne faisant preuve d’aucune ouverture à la négociation;

 

 

          ACQUITTE l’intimé Lévesque des autres reproches formulés au chef no 2;

 

 

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard de toutes les autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef no 2;

 

 

 

Chef no 3

 

 

          ACQUITTE l’intimé du chef no 3;

 

 

 

Dans le cas de l’intimé Barr

 

 

ACQUITTE l’intimé Barr des deux reproches formulés au chef no 1;

 

 

 

 

 

Ordonnance

 

 

ORDONNE la non-publication, la non-diffusion et la non-divulgation du nom des assurés et de tout renseignement ou document permettant de les identifier, le tout suivant l’article 142 c. Prof.;

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

 

 

 

 

________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du Comité de discipline


_________________________________

M. Claude Gingras, expert en sinistre

Membre du Comité de discipline



_________________________________

M. Gilles Fortin, expert en sinistre

Membre du Comité de discipline

 

Me Nathalie Vuille

Procureure de la syndic

 

Me Yves Carignan

Procureur des intimés

 

Dates d’audiences :

24, 25 et 26 octobre 2012

7 et 19 novembre 2012

 



[1]     Pièce P-4, p. 45;

[2]     Notes de Paul Barr, P-27, p.8, inscription du 30 avril 2008;

[3]     Pièce P-19, p. 93;

[4]     Service Anti-Crime des Assureurs;

[5]     Pièce P-22, p.20;

[6]     Pièce P-19, pp. 250 à 273;

[7]     Ibid p. 258;

[8]     Pièces P-2, pp. 1 et 2 et P-5, pp. 5 à 23;

[9]     Pièce P-19, pp. 60 à 65;

[10]    Pièce P-22, pp. 383 à 388;

[11]    Pièce P-6, pp. 6 à 13;

[12]    Cahier d’argumentation du 19 novembre 2012, pp. 2 à 4;

[13]    Audition du 25 octobre 2012;

[14]    Pièce P-27;

[15]    Ibid, p. 5;

[16]    Contre-interrogatoire de Richard Majeau lors de l’audition du 25 octobre 2012;

[17]    Contre-interrogatoire de D.C. lors de l’audition du 24 octobre 2012;

[18]    Audition du 24 octobre 2012;

[19]    Pièce P-16;

[20]    Lettre du 12 août 2008, pièce P-16, p. 397;

[21]    Vaillancourt c. Avocats, 2012 QCTP 126;

[22]    Audition du 25 octobre 2012;

[23]    Audition du 26 octobre 2012;

[24]    Pièce P-22, pp. 595 et ss;

[25]    Vaillancourt c. Avocats, précitée note 21;

[26]    Daniel c. Deland, 2012 QCTP 129;

[27]    P-27, p. 5;

[28]    Ibid, p. 10;

[29]    Ibid, p. 11;

[30]    Ibid, p. 13;

[31]    Chauvin c. Goulet, 2012 CanLII 48662 (QC CDCHAD);

[32]    CHAD, mai 2009;

[33]    Chauvin c. Goulet, précitée, par. 60 à 78;

[34]    Pièce P-22;

[35]    Audition du 26 octobre 2012;

[36]    Pièce P-22;

[37]    Malo c. Infirmières et infirmiers, 2003 QCTP 132;

[38]    Belhumeur c. Ergothérapeutes, 2011 QCTP 19;

      Dehkissia c. Croteau, 2011 QCTP 224;

      Daniel c. Deland, 2012 QCTP 129;

[39]    P-16;

[40]    Ibid, page 5;

[41]    2008 QCCA 922;

[42]    Ibid, par. 69 à 87;

[43]    Pièce i-I, en liasse;

[44]    Pièce P-27;

[45]    Ibid, pp. 5 à 16;

[46]    P-27, p. 5;

[47]    Pour une liste complète, voir le par. 29 de la présente décision;

[48]    Pièce P-22, pp. 383 à 388;

[49]    Pièce P-6, pp 6 à 13;

[50]    Voir section 3.1.2 de la présente décision;

[51]    2008 QCCA 922;

[52]    Contre-interrogatoire de l’assuré D.C. (père) du 24 octobre 2012;

[53]    Vaillancourt c. Avocats, 2012 QCTP 126;

[54]    [1974] R.C.S. 501, 1973 CanLII 152 (CSC);

[55]    Voir aussi Arès c. Venner, 1970 Canlii 5 (CSC);

[56]    1997 CanLII 10065 (QC CA);

[57]    Ibid, p. 22;

[58]    Ibid, p. 23;

[59]    2011 QCCQ 15421 (CanLII);

[60]    P-19, pp. 22 à 30;

[61]    Audition du 7 novembre 2012;

[62]    2003 CanLII 12554 (QC CA);

[63]    2000 CanLII 7586 (QC CA);

[64]    Presse Ltée (La) c. Poulin, 2012 QCCA 2030;

R. c. Burns, 1994 CanLII 37 (CSC);

[65]    Audition du 7 novembre 2012;

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