Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES

Canada

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No :

2010-04-01 (C)

 

DATE :

24 octobre 2012

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

Mme France Laflèche, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre

M. Carl Hamel, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

 

Partie plaignante

c.

PATRICE DESROCHERS, autrefois courtier en assurance de dommages des entreprises, actuellement inactif et sans mode d’exercice

 

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION (rectifiée)

______________________________________________________________________

 

Ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation de tout renseignement nominatif et financier concernant les assurés et plus particulièrement, les pièces P-3, P-4(A) et P-13, le tout suivant l’article 142 C. Prof;

______________________________________________________________________

 

[1]       Après diverses remises, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait finalement le 7 juin 2012 afin de procéder à l’audition sur sanction dans le dossier no 2010-04-01(C), laquelle audition fut suivie d’une réouverture d’enquête le 18 septembre 2012;

[2]       Lors de l’audition du 7 juin 2012, la partie plaignante était représentée par Me Claude G. Leduc et, lors de la réouverture d’enquête du 18 septembre 2012, par Me Vanessa Goulet; la partie intimée était présente aux deux occasions mais non représentée;

[3]       Le 1er octobre 2010, l’intimé fut reconnu coupable des infractions suivantes:

 

Infractions criminelles :

 

1.   Le 25 septembre 2006 a été déclaré coupable d’infractions criminelles ayant un lien avec l'exercice de la profession, le tout en contravention avec l’article 149.1 du Code de professions;

 

Dans le dossier de l’assurée Q.T. inc. :

 

2.   Depuis le 1er mars 2003, directement ou par l’entremise de Gestion de Risques Desrochers & associés, s’est approprié sans droit ou a utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles elle lui avait été confiée dans l’exercice de sa discipline une somme de 9 467,44 $ qui lui a été remise par P. S. Inc. en paiement de primes d’assurance commerciale pour l’assurée Q.T. inc., le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment les articles 37 (1) et 37 (8) dudit code;

 

Dans le dossier de l’assuré H.G. inc. :

 

3.   Le ou vers le 10 novembre 2003, dans le dossier de l’assuré H.G. inc., a participé à la confection d'un document qu'il savait être faux en falsifiant la signature d’une représentante de l’assuré H.G. inc. sur une lettre du 10 novembre 2003, le tout en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, notamment l’article 37 (9) dudit code;

 

4.  (Arrêt des procédures)

[4]       Un arrêt des procédures fut prononcé sur le quatrième chef d’accusation au motif que l’intimé n’était pas membre en règle de la Chambre de l’assurance de dommages au moment de l’infraction reprochée, le Comité étant alors sans juridiction pour se prononcer sur ce 4e chef d’accusation[1];

I.        Preuve sur sanction

 

[5]       La preuve déposée au moment de l’audition sur culpabilité de même que le plaidoyer de culpabilité de l’intimé démontrent :

      Que l’intimé a été déclaré coupable d’infractions criminelles ayant un lien avec l’exercice de la profession[2];

      Que l’intimé s’est approprié sans droit une somme de neuf mille quatre cent soixante-sept dollars et quarante-quatre cents (9 467,44 $) qui lui avait été remise en paiement de primes d’assurances[3];

      Que l’intimé a participé à la confection d’un faux document[4];

[6]       Concernant les montants qui auraient été détournés par l’intimé et que l’on retrouve, d’une part, au chef no 1 et, d’autre part, au chef no 2, la réouverture d’enquête a permis de préciser ceux-ci, comme suit :

Chef no 1 :

                15 289,41 $ à Deslauriers & Associés inc. et/ou l’assurance 3D;

                22 918,56 $ à Deslauriers & Associés inc. et/ou l’assurance 3D;

Chef no 2 :

                5 448,91 $ à Deslauriers & Associés inc. et/ou l’assurance 3D;

Total : 43 656,88 $;

 

[7]       La syndic demande que l’intimé soit condamné à rembourser ces montants par le biais d’une ordonnance suivant l’article 156 (d) C. prof;

[8]       D’autre part, concernant la condamnation criminelle mentionnée au chef no 1, il y a lieu de préciser certains faits;

[9]        L’intimé a été condamné le 19 septembre 2007 à un emprisonnement de deux (2) ans moins un (1) jour, pour faux et usage de faux documents (chef no 1), cette peine d’emprisonnement devant être purgée dans la collectivité;

[10]    Les actes criminels pour lesquels l’intimé fut condamné sont en relation directe avec l’exercice de la profession, soit des fausses notes de couverture d’assurance et des fausses soumissions, dans le but de s’approprier des primes d’assurances;

[11]    L’intimé a témoigné afin d’expliquer ces agissements[5];

[12]    Brièvement résumé, l’intimé a déclaré au Comité que :

                Au moment des faits reprochés, il œuvrait dans le domaine de l’assurance depuis plusieurs années;

                Il était très ambitieux et avait beaucoup de succès auprès des clients de son cabinet;

                Il était toujours au devant de leurs demandes et cherchait, par tous les moyens, à plaire à ses patrons et ses clients;

                Il ne disait jamais non et ne refusait jamais un client;

 

[13]    Ce comportement, presque maladif, l’a mené à embellir et à « arranger » des dossiers afin de satisfaire ses ambitions et les demandes de ses clients;

[14]    De cette période, il conclut que le jour où son stratagème fut découvert, fut le plus beau jour de sa vie;

[15]    Le masque qu’il portait a fini par tomber cette journée-là, le libérant du poids de ses ambitions maladives;

[16]    Suite à ces événements, il n’a pas travaillé durant deux (2) ans et il a été en consultation;

[17]    Encore aujourd’hui, il consulte à tous les 3 mois et il continue à prendre des antidépresseurs;

[18]    Actuellement, il vit au Québec mais travaille en Ontario et dans l’Ouest canadien;

[19]    Il ne désire plus revenir dans le domaine de l’assurance et ne veut plus toucher au secteur de la vente;

[20]    Depuis 2 ans, il occupe un emploi stable chez Fastenor Inc.;

[21]    Il reconnaît ne pas avoir remboursé aucun des montants, par contre il n’a jamais réclamé de son ancien cabinet les commissions auxquelles il avait droit;

[22]    Il considère qu’il y a eu, entre eux, une forme de compensation;

[23]    Son nouvel emploi lui donne un salaire annuel de 42 000 $ auquel s’ajoutent des bonis d’environ 5 000 $, pour un revenu total de 47 000 $;

[24]    Il est père de 3 enfants et sa femme travaille également;

[25]    Enfin, sa situation financière ne lui permet pas d’envisager un quelconque remboursement;

 

II.       Argumentation

          2.1 Par la syndic

[26]    Vu la gravité objective des infractions, lesquelles touchent à l’essence même de la profession, la syndic réclame les sanctions suivantes :

      Chef no 1 :   une radiation permanente et une ordonnance de remboursement pour les montants suivants, soit 15 289,41 $ et 22 918,56 $;

      Chef no 2 :   une radiation temporaire de 5 ans et une ordonnance de remboursement d’un montant de 5 446,91 $ ainsi qu’une amende de 2 000,00 $;

      Chef no 3 :   une radiation temporaire de 5 ans et une amende de 2 000,00 $;

[27]    À l’appui de ses prétentions, Me Leduc a déposé un plan d’argumentation et un cahier d’autorités;

[28]    Finalement, Me Leduc rappelle que la gravité des infractions commande une sanction exemplaire et dissuasive;

 

2.2    Par l’intimé

[29]    De son côté, l’intimé demande au Comité de faire preuve de clémence pour les motifs suivants :

      Il s’est repris en main et il tente aujourd’hui de se refaire une vie;

      Il considère que son ancien cabinet s’est remboursé à même les commissions qui lui étaient dues;

 

III.      Analyse et décision

          3.1 Les sanctions

 

[30]    Les infractions dont l’intimé a été reconnu coupable touchent à l’essence même de la profession;

[31]    Le Comité estime que l’intimé, par ses faits et gestes, a porté atteinte irrémédiablement à l’honneur et à la dignité de la profession et qu’il s’est rendu indigne de pratiquer la profession de courtier en assurance de dommages;

[32]    Les seules circonstances atténuantes qui militent en faveur de l’intimé sont les suivantes :

         L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité le 25 septembre 2006 à l’encontre des accusations criminelles;

         Le non-renouvellement de son certificat auprès de l’AMF en date du 1er avril 2004;

         Son plaidoyer de culpabilité dans le présent dossier dès sa première comparution devant le Comité, le 9 septembre 2010;

 

[33]    Par contre, le Comité considère que ces circonstances ne sont pas suffisantes pour éviter à l’intimé l’imposition d’une radiation permanente vu la gravité des infractions reprochées;

[34]    En conséquence, l’intimé sera sanctionné comme suit :

           Chef no 1 : une radiation permanente;

           Chefs nos 2 et 3 : une radiation de 5 ans sur chacun des chefs et une amende de 2 000 $ par chef;

[35]    Les périodes de radiation seront purgées de façon concurrente;

[36]    À ces sanctions s’ajouteront tous les déboursés;

[37]    Par contre, en vertu du principe de la globalité des sanctions, la somme des amendes sera réduite à un montant global de 2 000 $;

[38]    Quant à l’ordonnance de remboursement, celle-ci ne sera pas accordée pour les motifs ci-après exposés;

 

          3.2 L’ordonnance de remboursement

          A) Le degré de preuve requis

[39]    Concernant les demandes de remboursements, qu’il nous soit permis de signaler que la preuve ne fut pas très convaincante;

[40]    À cet égard, le Comité a dû se contenter des réponses écrites par un témoin[6] sans possibilité d’interroger cette personne;

[41]    Par contre, l’intimé ayant consenti au dépôt de ce témoignage écrit, celui-ci fut accepté en preuve, à défaut d’une meilleure preuve;

[42]    De plus, plusieurs des réponses fournies par ce témoin laissent entendre que le cabinet Deslauriers et Associés aurait été indemnisé de certaines de ces pertes par son assureur[7];

[43]    D’autres réponses sont fondées sur des hypothèses non démontrées[8];

[44]    Bref, au-delà du fait qu’une ordonnance de remboursement fait partie des mécanismes mis en place par le législateur afin d’assurer la protection du public, il demeure néanmoins que celle-ci doit être fondée sur une preuve de qualité;

[45]    À cet égard, soulignons qu’une ordonnance de remboursement ne peut être émise que si le montant est facilement quantifiable[9], et si et seulement si l’identité du bénéficiaire est clairement établie[10];

[46]    Le témoignage écrit que l’on retrouve à la pièce P-14 ne permet pas d’établir clairement l’un ou l’autre de ces prérequis;

[47]    Enfin, il y a lieu de rappeler qu’un jugement portant condamnation doit être susceptible d’exécution[11];

[48]    Un jugement ne doit pas donner lieu à interprétation[12]. Il doit être clair quant aux obligations qu’il impose au défendeur;

[49]    Or, le poursuivant n’a pas été en mesure d’identifier clairement à qui l’intimé devait faire un remboursement, soit le cabinet Deslauriers et/ou son assureur 3D;

[50]    Un jugement qui, pour être exécuté, requiert une discussion entre les parties pour déterminer qui recevra un remboursement n’est pas un jugement "susceptible d’exécution";

[51]    À cet égard, qu’il nous soit permis de citer un extrait de l’arrêt Prometic[13];

[31]   Prometic a tort. Une règle fondamentale, énoncée à l'article 469 C.p.c., oblige les tribunaux à rendre des jugements exécutoires ce qui signifie qu'il n'est pas possible d'indiquer au dispositif d'un jugement un taux fluctuant sans précision quant aux dates et aux taux applicables. C'est ce que la cour a décidé dans Douville c. Papillon[2] :

Accessoirement à cette question d'intérêt, le juge de première instance dans le dispositif de son jugement indiquait sans le préciser  un  taux  d'intérêt fluctuant, contrairement aux exigences de l'article 469 C.P.Civ. en matière de jugement lequel doit être précis et susceptible d'exécution (Canada Steamship Lines Limited c. Seafarers'International Union of Canada, (1967) B.R. 139; Banque fédérale de développement c. Serres R. Cassan Inc., J.E. 82-690; (C.S.)) Il écrivait: (m.a., p. 39):

"..., plus les intérêts à compter du 2 septembre 1984, jusqu'à la date du présent jugement, à un taux égal au taux préférentiel de la Banque Royale du Canada majoré de 1 %;"

Il s'arrêtait là, n'y ajoutant pas un tableau d'intérêt produit par les parties (m. i., p.106) qui précisait les diverses dates et les taux d'intérêt précis qui devaient s'appliquer. Il y aura lieu de modifier le jugement en conséquence […].

[32]    Ce principe repose sur le sens commun qui veut qu'un jugement mette fin à un litige et donc, qu'il ne soit pas susceptible d'en faire naître un nouveau. M. le juge André Biron, dans Banque fédérale de développement c. Serres R. Cassan inc.[3], écrivait à ce sujet :

La Cour ne saurait condamner la défenderesse dès à présent, à payer des intérêts au taux flottant, car ce jugement irait à l'encontre de l'art. 469 du Code de procédure civile, qui décrète que le jugement portant condamnation, doit être susceptible d'exécution. Or, pour faire émettre un bref d'exécution pour les intérêts, il faudrait faire une preuve de faits devant l'officier chargé d'émettre le bref, pour établir le taux d'intérêt. Or ceci pourrait nécessiter une interprétation judiciaire, car ce taux flottant est déterminé unilatéralement par la demanderesse et est susceptible de varier, en plus ou en moins, de mois en mois.

La Cour d'appel a décidé dans la cause de Canada Steamship Lines Limited c. Seafarers International Union of Canada (1967) B.R. 139, qu'un jugement dont la force exécutoire dépend d'une preuve de faits à être ultérieurement faite, et susceptible de donner naissance à un nouveau litige, ne respecte pas l'art. 469 C.P.

[Nos soulignements]

 

[52]    Mais il y a plus, il est même douteux que l’on puisse élargir la notion de victime afin d’y englober une compagnie d’assurance qui suite au versement d’une indemnité se trouverait subrogée dans les droits de la victime[14];

[53]    Concernant ce dernier point, il faut mentionner que l’article 156 (d) C. prof n’est pas formulé de la même façon que l’article 738 (1) a) C.cr., et il est possible, sans en décider formellement, que l’article 156 (d) C. prof puisse être interprété de façon beaucoup plus large puisqu’il réfère à l’obligation de remettre " à toute personne " à qui elle revient une somme d’argent …..";

[54]    D’ailleurs, la Cour suprême dans l’affaire Fitzgibbon[15] a reconnu que la société du Barreau du Haut-Canada devait être subrogée aux droits des victimes qu’elle avait indemnisées suite aux agissements frauduleux d’un avocat[16];

[55]    Au-delà de ces considérations, le Comité considère, que même en présence d’une preuve claire, nette et convaincante, il n’aurait pas émis une ordonnance de remboursement pour les motifs ci-après exposés;

 

          B) Les principes généraux

[56]    Dans un premier temps, qu’il nous soit permis de rappeler que le Comité dispose d’un large pouvoir discrétionnaire quant aux sanctions pouvant être imposées;

[57]    À cet égard, il y a lieu de se référer aux enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan[17] :

 

33      Troisièmement, le comité de discipline a une expertise relative découlant de l’application répétée des objectifs de la réglementation professionnelle énoncés dans la Loi aux cas particuliers d’allégations de faute professionnelle.  Dans chaque cas, le comité est appelé à interpréter ces objectifs dans un contexte factuel.  Nous pouvons présumer que cela tend à produire une aptitude relativement plus grande à tirer des conclusions sur les faits liés à l’exercice de la profession et aussi à évaluer les probabilités et le niveau de danger que présentent certains comportements pour le public et pour la profession juridique.

 

34      L’expertise relative du comité de discipline ne se situe pas dans un domaine spécialisé sortant des connaissances générales de la plupart des juges (comme la réglementation des valeurs mobilières dans Pezim, précité, ou la réglementation de la concurrence dans Southam, précité).  Toutefois, en raison de sa composition et de son expérience dans le domaine particulier des sanctions pour faute professionnelle dans des contextes divers, il est permis de penser que le comité de discipline possède une expertise plus grande que les cours dans le choix de la sanction à imposer.

 

[…]

 

38      Dans toute procédure disciplinaire, le comité de discipline dispose d’un large pouvoir discrétionnaire quant aux sanctions qu’il peut imposer afin d’atteindre les objectifs de la Loi :

 

          [Nos soulignements]

 

[58]    D’autre part, tel que le souligne la Cour d’appel dans l’affaire Pigeon c. Daigneault[18], la sanction doit coller aux faits du dossier, et chaque cas constitue un cas d’espèce;

[59]    Dans le présent dossier, le Comité considère qu’il n’est pas approprié d’émettre une ordonnance de remboursement, laquelle serait, dans les circonstances, particulièrement accablante et nuirait aux chances de réhabilitation de l’intimé;

[60]    À cet égard, rappelons qu’un comité de discipline peut s’inspirer, au niveau de la sanction, des principes régissant l’imposition de la sanction en droit criminel[19];

[61]    Mais il y a plus, le Tribunal des professions reconnait que l’on peut appliquer au système disciplinaire le même processus que celui en matière criminelle en ce qui concerne les ordonnances de remboursement ou de dédommagement[20];

[62]    À cet égard, la Cour d’appel dans l’affaire Legault[21] rappelait les principes applicables en matière d’ordonnance de dédommagement[22] en fixant les balises suivantes :

[9]      L'appelant allègue que l'ordonnance de dédommagement met en péril ses chances de réadaptation et le contraint à demeurer perpétuellement le débiteur d'une obligation qu'il ne pourra jamais exécuter. Le ministère public n’a pas contesté les conclusions de l’appel. Le directeur des poursuites criminelles et pénales écrit :

L’intimée reconnaît que le juge de première instance aurait dû tenir compte des ressources financières du délinquant avant de lui imposer une ordonnance de dédommagement selon l’article 738 du Code criminel et ce, tel que nous l’enseigne les arrêts R. c. Fitzgibbon, 1990 CanLII 102 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1005 et R. c. Zelensky, 1978 CanLII 8 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 940.

Alors, imposer trois ordonnances de dédommagement – totalisant un montant de 1 174 499,04 $ à un individu de 21 ans sans emploi, sans actif significatif, sans formation particulière et déjà sujet à trois autres ordonnances de même nature dans des dossiers connexes – ne respecte pas la capacité de payer de l’appelant.

Par conséquent, uniquement pour le motif exposé précédemment et en raison des circonstances particulières de ce pourvoi, le ministère public consent au présent appel et à l’annulation des ordonnances selon l’article 738 du Code criminel émises dans le dossier 605-01-005170-067.

[10]    Les principes qui prévalent en matière de dédommagement sont exposés par l'auteur François Dadour[6] :

1.   L’ordonnance de dédommagement doit être rendue avec circonspection ;

2.   Cette ordonnance fait partie intégrante de la détermination de la peine en ce qu’elle participe à la sanction du contrevenant, lie ce dernier au dédommagement de la victime, le prive du fruit de l’infraction qu’il a commise et facilite la remise en état de la victime ;

3.   Le juge d’instance doit considérer l’objectif visé par le créancier du dédommagement, de même que l’existence de procédures civiles ;

4.   L’ordonnance de restitution n’est pas un substitut à ces procédures civiles ;

[...]

9.   Le dédommagement en double peut être évité par le recours aux juridictions civiles ;

10. L’ordonnance de dédommagement peut être indiquée lorsqu’un jugement civil est inexécutoire suite à la faillite du débiteur.

[11]    L’auteur ajoute :

Il est à noter que le juge d’instance a le pouvoir de rendre une ordonnance de dédommagement pour un montant inférieur aux dommages causés. En effet et en lien avec un commentaire similaire quant au quantum des amendes, il n’est ni souhaitable ni approprié qu’une ordonnance de dédommagement mette en péril les chances de réhabilitation du contrevenant par la destruction de son patrimoine.[7]

[12]    L’auteur Ruby partage le même avis :

A compensation order which would ruin the offender financially, thus impairing chances of rehabilitation, should not be imposed; neither should one be made where compliance would be particularly onerous or impossible, nor where enforcement would be difficult or impossible. The totality principle applies to the whole of the sentence, including the order of restitution.[8]

[13]    La jurisprudence a également établi que le juge qui rend l’ordonnance de dédommagement doit tenir compte des ressources financières de l’accusé[9], même si la capacité ne doit pas toujours être le facteur déterminant.[10] Comme l'explique le juge Doherty, s'exprimant pour la Cour d’appel de l’Ontario, dans Taylor[11] :

[5] It has been stated many times that restitution is a discretionary order.  It should only be made with restraint and caution and not only in order to avoid putting the victim through the extra legal expense of going to the civil courts or as a substitute for civil procedure.

[6] As stated by Martin J.A., speaking for this court, in R. v. Scherer reflex, (1984), 16 C.C.C. (3d) 30 at 38:

It may be that in some cases it would be inappropriate to make a compensation order in an amount that is unrealistic to think that the accused could ever discharge.

[7] In his reasons, the trial judge said:

The only possible way to complete that part of his rehabilitation is through penal consequences.  Because of the magnitude of the crime, the duration of the crime, there is no other way to compensate the victims other than his family, then by a penitentiary term [emphasis added].

[8] He then ordered restitution. The restitution order appears to have been added as an afterthought to permit the victim to avoid the costs of a civil action.  The Crown had not asked for a restitution order.

[9] The relevant factors and objectives to the imposition of a restitution order have been discussed by this court in R. v. Devgan 1999 CanLII 2412 (ON CA), (1999), 136 C.C.C. (3d) 238 and R. v. Biegus 1999 CanLII 3815 (ON CA), (1999), 141 C.C.C. (3d) 245.  An order for restitution must also bear some reality to the circumstances of the appellant and must be directly associated with the sentence imposed as the public reprobation of the offence.  In the circumstances of this case, the overriding factor is the means of the appellant.  There is no ability, as noted by the trial judge, to pay even the most minute part of this staggering amount, with no expiry date.  It would kill all hope for the appellant for the future and it would likely impair his chances of rehabilitation.  The order is clearly excessive and futile and the trial judge erred in that regard.

[10 ] It remains open to the victim to take proceedings in the civil court, if so advised.

[Nous soulignons]

[14]    En conclusion, une ordonnance de dédommagement doit être rendue avec pondération et circonspection afin de remplir les objectifs et principes de la détermination de la peine soit, plus particulièrement, la réparation des torts, la conscience de la responsabilité, la dénonciation et la dissuasion. Cette ordonnance ne constitue pas le substitut à un recours civil.  Lorsque la capacité de payer est absente, comme en l’espèce, il est déraisonnable de rendre une ordonnance de dédommagement de plus d’un million de dollars. Il importe de souligner que  l’ordonnance de dédommagement survie à la libération d’un failli[12].  En l'espèce, le montant du dédommagement est si excessif que le délinquant ne pourra jamais l'acquitter, ce qui met en péril le principe de réinsertion sociale.

[Nos soulignements]

 

[63]    Ces principes furent réitérés par la Cour d’appel dans l’arrêt Bendwell[23] dans les termes suivants :

 

[14]    L’ordonnance de remboursement est plus problématique compte tenu du peu de preuve sur la capacité de payer de l’appelant.

[15]    On sait qu’il est âgé de 60 ans et atteint du cancer. Il a élevé une famille de quatre enfants. Il est radié de l’Ordre des urbanistes. Son entreprise était déficitaire dès août 2000; ses entrées de fonds propres n’ont été que de 40 000 $ sur huit mois.

[16]    Si l’objectif visé par le juge – d’assurer la réparation des torts causés aux victimes – est pertinent (C.cr., art. 718, alinéa e)), il ne saurait justifier à lui seul l’ordonnance. Il faut aussi tenir compte des ressources financières du contrevenant comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Fitzgibbon, 1990 CanLII 102 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1005 :

D’abord, l’arrêt Zelensky, (1978 CanLII 8 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 940) reconnaît que le tribunal doit tenir compte des ressources financières de l’accusé quand [il] envisage de rendre une ordonnance de dédommagement.

Ce que le juge a omis de faire.

[17]    Ce facteur est lié à l’objectif de la réhabilitation du délinquant et à sa réinsertion sociale. Obliger un délinquant qui en a les moyens à indemniser sa victime est de nature à le responsabiliser. Par contre, une ordonnance susceptible de le maintenir démuni constitue un sérieux obstacle à toute reprise en main de sa part. Comme l’exprimait la Cour d’appel du Manitoba[1] :

[8] From the wording of s. 738(1)(a) and its predecessor, the old s. 725(1), it is obvious that it is discretionary as to whether the court orders restitution or not. There is case law concerning both the old s. 725(1) and the present s. 738(1)(a) which forms a useful guide as to how that discretion should be exercised.

(1) […]

(2) The means of the offender are to be considered as an important factor in determining whether restitution should be ordered. That factor was specifically mentioned by Laskin C.J.C., who wrote for the majority of the Supreme Court of Canada, in R. V. Zelensky, 1978 CanLII 8 (SCC), [1978] 2 S.C.R. 940. At p. 961, Lasking C.J.C. stated that the various factors, including the means of the offender, come down to this:

…[A]n order for compensation should only be made with restraint and with caution.

In the subsequent decision of the Ontario Court of Appeal in R. V. Scherer reflex, (1984), 16 C.C.C. (3d) 30, Martin J.A., speaking for the appeal panel, agreed that the means of the offender is a factor to be considered, but that is not a controlling factor in every case. Martin J.A. went on to note at pp. 37-38:

     It may be that in some cases it would be inappropriate and undesirable to make a compensation order in an amount that it is unrealistic to think the accused could ever discharge.

(3) The impact of a restitution order upon the chances of rehabilitation of the accused, either pro or con, is a factor to be considered. In R. V. Spellacy (R.A.) 1995 CanLII 9898 (NL CA), (1995), 131 Nfld. & P.E.I.R. 127, at para. 79, the Court of Appeal of Newfoundland approbated a passage from Sentencing in Canada (1982), by R. Paul Nadin-Davis, which contained the following passage at p. 497:

A compensation order which would ruin the accused financially, thus impairing his chances of rehabilitation, should not be imposed;

(4) […]

[18]    Compte tenu des faits qui révèlent une déchéance sociale et financière, il est irréaliste de prévoir que l’appelant puisse un jour satisfaire l’ordonnance de remboursement, même pour une partie quelque peu substantielle.

[19]    Par ailleurs, les victimes ont intenté des poursuites civiles qui leur permettront possiblement de récupérer quelque chose – espérons-le – par transaction ou par exécution forcée.

[20]    La Cour est d’avis que les circonstances de l’affaire rendent contre-indiquée l’ordonnance de remboursement.

[Nos soulignements]

 

[64]    Certaines nuances doivent être apportées à ces jugements, ainsi le droit criminel[24], à l’instar du droit disciplinaire[25], considère que les ressources financières d’un professionnel ne doivent pas être un facteur déterminant lorsque les actes frauduleux ont été commis alors que l’accusé agissait à titre de fiduciaire des sommes d’argent[26];

[65]    Il est clair que l’intimé, à titre de courtier en assurance de dommages, avait des obligations de fiduciaire[27] à l’égard de l’argent remis par ses clients; il ne s’agissait pas d’un prêt[28];

[66]    Par contre, pour les motifs ci-après exposés, le Comité considère que dans les circonstances très particulières du présent dossier, il n’est pas approprié ni opportun d’ordonner le remboursement des sommes détournées puisque cela anéantirait les chances de réhabilitation de l’intimé;

 

          C) La réhabilitation de l’intimé

[67]    La sanction doit, avant toute chose, être juste, appropriée et proportionnelle à la faute en conciliant la protection du public et les droits du professionnel[29];

[68]    Tel que le déclarait le Tribunal des professions dans les affaires Blanchette[30] et Brochu[31], le Comité doit tenir compte de l’évolution positive du professionnel et éviter de lui imposer une sanction qui anéantirait ses chances de compléter sa réhabilitation;

[69]    Dans le même ordre d’idées, le Comité doit tenir compte du temps qui s’est écoulé depuis les faits reprochés[32];

[70]    À cet égard, le Comité considère qu’une ordonnance de remboursement rendue plus de 9 ans après les faits reprochés aurait comme conséquence directe de mettre en péril les chances de réhabilitation de l’intimé[33];

[71]    Cela étant dit, il est pour le moins surprenant de constater que durant toute cette période de temps, le cabinet de l’intimé n’a jamais entrepris aucune démarche afin de récupérer ces sommes d’argent;

[72]    D’ailleurs, ni la partie plaignante ni la partie intimée n’ont produit, au cours de l’audition sur sanction ou lors de la réouverture d’enquête, une quelconque demande de remboursement qui aurait pu être formulée par les victimes, ne serait-ce qu’une simple mise en demeure de payer les montants dus;

[73]    Le Comité, par cette affirmation, ne prétend pas qu’il s’agit d’une condition sine qua non pour obtenir une ordonnance de remboursement, cependant cela démontre une forme de renonciation implicite à l’égard de ces montants;

[74]    D’ailleurs, même au cours du procès criminel, il n’y a pas eu d’ordonnance de restitution[34];

[75]    De la même façon, aucune des victimes ne fût entendue au cours des auditions disciplinaires;

[76]    Le Comité en conclut donc qu’une ordonnance de remboursement serait contre-indiquée dans les circonstances puisque celle-ci aurait pour effet d’anéantir les chances de réhabilitation de l’intimé;

[77]    Pour ces motifs, le Comité rejette la demande d’ordonnance de remboursement;

 

          3.3 L’avis de radiation

[78]    Tel que le rappelait dernièrement le Tribunal des professions dans l’affaire Lambert[35] :

«Une radiation pour être efficace et utile, suppose nécessairement que celui qui en fait l’objet soit membre en règle de son ordre professionnel.»[36]

 

[79]    Dans ces circonstances, les périodes de radiation et la publication de l’avis de radiation ne seront ordonnées qu’advenant la remise en vigueur du certificat de l’intimé.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

RÉITÈRE l’ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation de tout renseignement nominatif et financier concernant les assurés et, plus particulièrement, les pièces P-3, P-4(A) et P-13, le tout suivant l’article 142 C. prof;

REJETTE la demande d’ordonnance de remboursement;

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

      Chef no 1 : une radiation permanente;

      Chef no 2 : une radiation temporaire de cinq (5) ans et une amende de 2 000 $;

      Chef no 3 : une radiation temporaire de cinq (5) ans et une amende de 2 000 $;

RÉDUIT la somme des amendes à un montant global de 2 000,00 $;

DÉCLARE que les périodes de radiation devront être purgées de façon concurrente, débutant à compter de la date de remise en vigueur du certificat de l’intimé;

ORDONNE la publication d’un avis de radiation permanente et temporaire à compter de la remise en vigueur du certificat de l’intimé;

CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés à l’exclusion, le cas échéant, des frais de publication de l’avis de radiation permanente et temporaire;

ACCORDE à l’intimé un délai de douze (12) mois pour acquitter le montant des amendes et des déboursés calculé à compter de la signification de la présente décision.

 

 

 

__________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du Comité de discipline

 

__________________________________

Mme France Laflèche, C.d’A.A., courtier en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

 

__________________________________

M. Carl Hamel, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Membre du Comité de discipline

 

Me Claude G. Leduc et Me Vanessa Goulet

Procureurs de la partie plaignante

 

M. Patrice Desrochers, intimé se représentant seul

 

Dates d’audiences :

  7 juin 2012

 

18 septembre 2012

 



[1]     C.H.A.D. c. Desrochers, 2010 CanLII 58180;

[2]     Pièces P-10 à P-12;

[3]     Pièces P-4 (A) et P-13;

[4]     Pièces P-5;

[5]     Audition du 7 juin 2012;

[6]     Pièce P-14 en liasse;

[7]     Voir les réponses fournies sous les paragraphes 2.1 (C) et 3.2 (A) de la pièce P-14;

[8]     Par. 1.1 (b) " nous présumons";

Par. 5.1 (b) " nous supposons ";

[9]     Rocheleau c. Notaires [1997] D.D.O.P. 322 (T.P.);

[10]    R. c. Zelensky [1978] 2 R.C.S. 940 aux pp. 942-943;

      R. c. Devgan [1999] CanLII 2412 (ON C.A.);

[11]    Art. 469 C.p.c.;

[12]    Vézina c. Brady, 2006 QCCA 1069;

[13]    Prometic Sciences de la vie inc. c. Banque de Montréal, 2007 QCCA 1419;

[14]    R. c. Ford, 2002 CanLII 34585 (QCCQ);

[15]    R. c. Fitzgibbon [1990] 1 R.C.S. 1005 ou 1990 CanLII 102 (CSC);

[16]    ibid, p. 9

[17]    [2003] 1 R.C.S. 247 ou 2003 CSC 20;

[18]    Pigeon c. Daigneault 2003 CanLII 32934 (QCCA) par. 37 à 40;

[19]    Béliveau c. Avocats, [1990] D.D.C.P. 247 (T.P.);

      Lavallée c. Notaires, [1993] D.D.C.P. 241 (T.P.);

      Normand c. Médecins, [1996] D.D.C.P. 234 (T.P.);

[20]    Thomas c. Avocats 2005 QCTP 10;

[21]    Legault c. R., 2008 QCCA 1228;

[22]    Art. 738 (1) a) C.cr.;

[23]    Bendwell c. R., 2009 QCCA 12;

[24]    R. c. Fitzgibbon, [1990] 1 R.C.S. 1005 ou 1990 CanLII 102 (CSC);

[25]    Notaires c. Gareau, 2002 QCTP 68;

[26]    R. c. Castro, 2010 ONCA 718 (CanLII);

[27]    Art. 37(8) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, voir aussi Laflamme c. Prudential-Bache Commodities Canada Ltd, 2000 CSC 26 (CanLII);

[28]    Chad c. Ayotte, 2007 CanLII 72587 (QC CDCHAD);

[29]    Moisescu c. Psychologues, 1999 QCTP 55;

[30]    Blanchette c. Psychologues, 1996 D.D.O.P. 325;

[31]    Brochu c. Médecins, 2002 QCTP 2;

[32]    Pharmaciens c. Lasnier-Lavigne 1998 QCTP 1686;

[33]    R. c. Legault 2008 QCCA;

      Bendwell c. R., 2009 QCCA;

[34]    Art. 738 (1) a) C.cr.;

[35]    Lambert c. Agronomes, 2012 QCTP 39;

[36]    Infirmières auxiliaires c. Labelle, 2005 CanLII 31276 (QCTP);

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