Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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CANADA

COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE (ANCIENNEMENT CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES)

PROVINCE DE QUÉBEC

No: 2023-09-01(C) DATE : 23 octobre 2025

LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat Mme Sultana Chichester, courtier en assurance de dommages des particuliers Mme Véronique Miller, agent en assurance de dommages des particuliers

Président Membre

Membre

Me CATHERINE BAZINET, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de l’assurance

Plaignante c. ALEXANDRE GASPO, courtier en assurance de dommages

Intimé et ABC et al. Mis en cause

DÉCISION SUR UNE DEMANDE DE MODIFICATION D’UNE ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION (Art. 143 du Code des professions)

[1] Le 11 septembre 2025, le Comité de discipline se réunissait par visioconférence pour entendre une demande visant à modifier une ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation rendue le 18 mars 2024 dans le cadre d’une décision sur culpabilité et sanction 1 ;

[2] Cette demande de modification fut présentée par l’ex-cliente de l’intimé et ses administrateurs et actionnaires (ABC et al.);

[3] Ceux-ci, tout en demandant au Comité de préserver la confidentialité de leur identité et de leurs renseignements personnels et financiers, demandent au Comité de

1 ChAD c. Gaspo, 2024 CanLII 26483 (QC CDCHAD);

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leur communiquer une copie intégrale et non caviardée des documents suivants : Les pièces P-1 à SP-12;

La pièce SP-13, soit l’exposé conjoint des faits; Les listes d’autorités déposées par les parties et les recommandations communes sur sanction;

L’avis de radiation; Les enregistrements de l’audience. [4] Il y a lieu de noter que ces demandes ne sont pas contestées par la plaignante ni par l’intimé;

[5] Il appert que les mis en cause ont besoin de ces documents dans le cadre d’une poursuite civile

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;

[6] Cela dit, le 11 septembre 2025, le Comité a accepté de rendre l’ordonnance requise, motifs à suivre;

[7] La présente décision constitue les motifs écrits à l’appui de l’ordonnance émise verbalement le 11 septembre 2025;

I. Analyse et décision A) L’article 143 du Code des professions [8] Selon l’article 376 de la LDPSF 3 , les dispositions du Code des professions 4 (ci-après, « C. prof. ») relatives à l’introduction et à l’instruction d’une plainte, dont l’article 143 C. prof. s’appliquent aux plaintes que reçoit le Comité de discipline;

[9] Or, suivant l’article 143 C. prof., le Comité a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence;

[10] La Cour d’appel, dans l’arrêt De Barros 5 , a reconnu que l’article 143 C. prof. doit recevoir une interprétation qui favorise l’exercice de sa compétence 6

;

2 Pièce R-3; 3 RLRQ, c. D-9.2; 4 RLRQ, c. C-26; 5 Normandin c. De Barros, 2018 CanLII 817 (QC CA); 6 Ibid., par. 14;

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B) La règle du « functus officio » [11] Autrefois, suivant la règle du functus officio, un tribunal n’était pas autorisé à réviser ses propres décisions une fois son jugement rendu puisqu’il avait épuisé sa compétence 7 ;

[12] Par contre, en 2021, la Cour suprême est venue assouplir cette règle en reconnaissant aux tribunaux inférieurs la compétence nécessaire pour superviser et contrôler leurs propres dossiers;

[13] Il s’agit de l’arrêt Société Radio-Canada c. Manitoba émettait les principes suivants :

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dans lequel la Cour suprême

[33] Suivant son acception actuelle, la règle du functus officio indique que la décision définitive d’un tribunal qui est susceptible d’appel ne peut pas, en règle générale, être examinée de nouveau par le tribunal qui a rendu cette décision (voir Chandler c. Alberta Association of Architects, 1989 CanLII 41 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 848, p. 860; Reekie c. Messervey, 1990 CanLII 158 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 219, p. 222-223; Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, par. 77-79). Un tribunal perd sa compétence, auquel cas on dit qu’il est functus officio, une fois le jugement officiel rendu (R. c. Adams, 1995 CanLII 56 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 707, par. 29; R. c. Smithen-Davis, 2020 ONCA 759, 68 C.R. (7th) 75, par. 33-34). À partir de ce moment, il est entendu que le tribunal ne peut modifier le jugement que dans des circonstances très limitées, par exemple s’il existe une assise législative pour ce faire, s’il faut corriger une erreur dans l’expression de son intention manifeste ou lorsque l’affaire n’a pas été entendue sur le fond (Chandler, p. 861, citant Paper Machinery Ltd. c. J.O. Ross Engineering Corp., 1934 CanLII 1 (SCC), [1934] R.C.S. 186; R. c. H. (E.) (1997), 1997 CanLII 418 (ON CA), 33 O.R. (3d) 202 (C.A.), p. 214-215, citant The Queen c. Jacobs, 1970 CanLII 143 (CSC), [1971] R.C.S. 92; voir également R. c. Burke, 2002 CSC 55, [2002] 2 R.C.S. 857, par. 54).

(…) [36] Il est utile de faire la distinction entre le pouvoir de connaître du fond, perdu par application de la règle du functus officio, et la compétence qui existe pour superviser le dossier judiciaire. Comme je m’efforcerai de l’expliquer plus loin, même lorsqu’un tribunal a perdu le pouvoir de connaître du fond d’une affaire pour avoir inscrit son jugement formel, il demeure compétent pour contrôler son propre dossier à l’égard d’une instance généralement considérée comme étant une affaire accessoire, mais indépendante (voir, p. ex., GEA Refrigeration Canada Inc. c. Chang, 2020 BCCA 361, 43 B.C.L.R. (6th) 330, par. 185-186).

(…)

7 Chandler c. Alberta Association of Architects, 1989 CanLII 41 (CSC); 8 2021 CSC 33;

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[38] Le besoin d’établir un juste équilibre entre ces intérêts publics fondamentaux ne disparaît pas du seul fait que l’ordonnance sur le fond est définitive et aurait pu être portée en appel. On peut avoir accès aux dossiers judiciaires même lorsque l’instance est arrivée à terme. De fait, d’importantes décisions au sujet de la publicité du dossier judiciaire peuvent devoir être prises après la fin de l’instance sur le fond (voir, p. ex., R. c. Wagner, 2017 ONSC 6603; R. c. Henry, 2012 BCCA 374, 327 B.C.A.C. 190). Si la compétence à l’égard de la publicité des débats judiciaires cessait lorsque l’ordonnance officielle sur le fond était inscrite, les tribunaux perdraient la maîtrise de leur propre dossier sans raison valable. Prenez par exemple le cas aucune ordonnance limitant la publicité des débats judiciaires n’est rendue avant l’inscription du jugement formel sur le fond et l’on constate par la suite qu’il faut protéger un intérêt public important. À mon humble avis, conclure que ce pouvoir est entièrement perdu une fois l’ordonnance formelle sur le fond inscrite risque de mettre à mal la bonne administration de la justice au service d’une interprétation de la règle du functus officio qui est étrangère à son objectif.

[39] Reconnaître que cette compétence subsiste après la fin de l’instance sous-jacente n’est pas incompatible avec les objectifs du caractère définitif des procédures et de la stabilité des jugements liés à la règle du functus officio. La réparation accordée en vertu de ce pouvoir laisse intacts le fond de l’instance sous-jacente et les motifs qui l’appuient. Bien que certaines requêtes interlocutoires, par exemple les requêtes portant sur l’admissibilité d’éléments de preuve, puissent avoir un impact sur la décision définitive au fond, la décision concernant l’accès au dossier judiciaire n’a aucune incidence sur l’instance sous-jacente ou sur l’appel dont elle peut faire l’objet. La règle du functus officio témoigne du transfert du pouvoir décisionnel à l’égard des jugements définitifs de la cour de première instance à la cour d’appel (Chandler, p. 860, citant In re St. Nazaire Co. (1879), 12 Ch. D. 88). Cette règle n’a jamais eu pour but de restreindre la capacité de ces tribunaux d’instance inférieure d’être maîtres de leurs propres dossiers en ce qui concerne ces décisions.

[40] Soyons clairs, cela ne veut pas dire que la règle du functus officio ne s’applique jamais aux interdictions de publication ou aux ordonnances de mise sous scellés. Je tiens simplement à préciser que rien n’empêche un tribunal de trancher une requête qui concerne la publicité des débats judiciaires simplement parce qu’il est functus officio à l’égard du fond de l’instance sous-jacente.

(caractères gras ajoutés)

[14] Cela étant établi, la Cour suprême concluait comme suit :

[50] Sur le fondement de ces principes, donc, et faute de disposition contraire explicite, un tribunal peut modifier ou annuler une ordonnance concernant la publicité des débats judiciaires qu’il a rendue sur motion déposée en

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temps opportun par une personne touchée qui n’a pas été avisée du prononcé de cette ordonnance et à qui il y a lieu d’accorder la qualité pour agir à cette fin.

(…) [56] Les situations dans lesquelles un tribunal peut réexaminer une décision portant sur son dossier judiciaire se distinguent de l’appel ou d’une demande de certiorari faits à une juridiction supérieure de ces décisions (voir, en général, Dagenais, p. 870-872). Dans une motion en réexamen fondée sur les deux motifs décrits ci-dessus, on ne demande pas au tribunal d’origine de réexaminer sa décision parce qu’elle était erronée, mais plutôt parce qu’elle a été rendue en l’absence d’observations utiles de la part d’une partie touchée ou en raison d’un changement important des circonstances qui justifiaient la décision initiale.

(caractères gras ajoutés)

[15] Or, dans le présent dossier, les parties intéressées, soit la cliente ABC, ses administrateurs et actionnaires, n’avaient pas été avisés et n’avaient pas participé au débat ayant mené à la décision d’émettre l’ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation émise à l’origine, le 18 mars 2024, dans le cadre de la décision sur culpabilité et sanction 9 ;

[16] De toute évidence, il s’agit d’une raison justifiant, a fortiori, une révision de l’ordonnance;

C) Les précédents [17] Forts de ces principes, plusieurs Conseils de discipline ont accepté de réviser des ordonnances de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation, à titre d’exemple, il suffit de citer les décisions suivantes :

Médecins (Ordre professionnel des) c. St-Denis-Demers, 2022 QCCDMD 21 (CanLII)

Barreau du Québec (Syndic) c. Gagnon, 2022 QCCDBQ 92 (CanLII) D) Conclusion [18] En tenant compte de cette jurisprudence et de l’absence d’opposition des autres parties, le Comité estime qu’il est bien-fondé d’accepter la demande de révision présentée par la cliente, ses administrateurs et actionnaires (ABC et al.).

9 2024 CanLII 26483;

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PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : ACCUEILLE la demande présentée par les mis en cause ABC et al. MAINTIENT l’ordonnance de non-publication, de non-diffusion et de non-divulgation du nom de la cliente et de ses administrateurs et actionnaires et de tout renseignement ou information personnelle ou de nature financière les concernant mentionnés dans la plainte et dans les pièces à son soutien et plus particulièrement des pièces SP-1 et SP-2, le tout tel que décrété le 18 mars 2024;

MODIFIE cette ordonnance pour le futur EN PRÉCISANT que la cliente et ses administrateurs et actionnaires (ABC et al.), les mis en cause en la présente instance, ont droit d’obtenir une copie intégrale et non-caviardée du dossier en la présente instance dont, notamment, tout renseignement ou information personnelle ou de nature financière les concernant mentionnés dans la plainte et dans les pièces produites à son soutien et plus particulièrement des pièces SP-1 et SP-2;

ORDONNE au greffe du Comité de discipline de la Chambre de l’assurance communiquer aux mis en cause (ABC et al.) une copie intégrale et non caviardée du dossier en la présente instance soit, notamment les éléments qui suivent, le tout sujet au paiement de frais raisonnables :

Liste des pièces P-1 à SP-12 de la partie plaignante; Pièce SP-13 : Exposé conjoint des faits signé par les procureurs des parties;

Liste d’autorités des parties et recommandations communes sur sanction;

Avis de radiation; Enregistrements de l’audience;

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LE TOUT sans frais, vu l’absence de contestation.

___________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président

____________________________________ Mme Sultana Chichester, courtier en assurance de dommages des particuliers Membre

____________________________________ Mme Véronique Miller, agent en assurance de dommages des particuliers Membre

Me Catherine Bazinet (se représentant seule) Partie plaignante

Me Sonia Paradis Procureure de la partie intimée

Me Hamza Allem Procureur des mis en cause

Date d’audience : 11 septembre 2025 (par visioconférence)

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