Contenu de la décision
COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC
No : 2024-03-02(E) DATE : 1 7 mars 2025
LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat M. Luc Demers, expert en sinistre Mme Julie Lessard, expert en sinistre
Président Membre Membre
Me ISABELLE CHARRON, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de l’assurance de dommages
Partie plaignante en reprise d’instance c. MARIO TOUZIN, expert en sinistre
Partie intimée
DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION
ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DU NOM DE L’ASSURÉE ET DE TOUT RENSEIGNEMENT ET INFORMATION PERMETTANT DE L’IDENTIFIER, LE TOUT CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS
[1] Le 11 décembre 2024, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition par visioconférence de la plainte numéro 2024-03-02(E);
[2] La syndique adjointe était alors représentée par Me Mathieu Cardinal et, de son côté, l’intimé était représenté par Me Yves Carignan;
I. La plainte [3] L’intimé fait l’objet d’une plainte amendée comportant un seul chef d’accusation, soit :
1) Entre les ou vers les 27 juin 2021 et 31 janvier 2022, dans le cadre du traitement du dossier de réclamation n o XXXXXXXX de M.D., suivant un dégât d’eau par le toit de sa résidence située dans la ville de Sainte-Julie, a exercé ses activités de manière négligente et/ou a
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fait preuve d’un manque de contrôle de la réclamation, notamment (...) en négligeant de veiller à ce que les travaux d’assèchement soient complétés en temps utile, en tardant à demander la réalisation d’un test d’amiante, en omettant de s’assurer en temps utile que la résidence sinistrée soit isolée par temps froid, en ne s’assurant pas que les travaux requis soient réalisés dans un délai raisonnable, en ne communiquant pas à l’entrepreneur toutes les informations utiles, en ne prenant pas au sérieux les inquiétudes de M.D. quant à la qualité de l’air, l’apparition de moisissure et l’absence d’isolation, en contravention avec les articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre.
[4] L’intimé ayant plaidé coupable, les parties ont alors procédé aux représentations sur sanction;
II. Preuve sur sanction [5] L’avocat de la syndique adjointe, de consentement avec le procureur de l’intimé, dépose les pièces P-1 à P-46;
[6] Un énoncé conjoint des faits est aussi produit sous la cote P-47; [7] Essentiellement, cette preuve a permis d’établir que l’intimé avait fait preuve d’une grande négligence dans le traitement de la réclamation de l’assurée M.D.;
[8] Plus particulièrement, il a fait défaut d’agir de manière proactive et, n’eût été nombreuses interventions de l’assurée visant à faire progresser son dossier, le traitement de sa réclamation n’aurait pas progressé;
[9] D’ailleurs, l’assurée exaspérée par le manque de soutien de la part de l’intimé a demandé, après six mois d’inaction, à ce que ce dernier soit remplacé;
[10] Soulignons que, suivant la preuve, l’assurée, en raison du délai inacceptable pour traiter sa réclamation, a dû vivre dans la moisissure et une maison froide;
[11] C’est à la lumière de cette trame factuelle que le Comité devra examiner le bien-fondé de la sanction suggérée par les parties;
III. Recommandations communes [12] À la suite du plaidoyer de culpabilité de l’intimé, les parties, d’un commun accord, ont suggéré d’imposer la sanction suivante :
Chef 1 : Une amende de 6 000 $. [13] La partie plaignante souligne que la sanction suggérée répond aux enseignements de la Cour d’appel 1 concernant les quatre critères suivants :
• La protection du public;
1 Pigeon. c. Daigneault, 2003 CanLlI 32934 (QC CA) ;
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• La dissuasion; • L’exemplarité; • Le droit du professionnel de gagner sa vie. [14] De plus, les parties ont considéré dans l’élaboration de leur suggestion commune les facteurs aggravants suivants :
• Mise en péril de la protection du public; • Les préjudices et les inconvénients causés à l’assurée; • Le fait que l’infraction se situe au cœur de l’exercice de la profession; • La durée de l’infraction (sept mois); • La gravité objective de l’infraction; • L’impact de l’infraction sur la confiance du public à l’égard des experts en sinistre.
[15] Concernant les facteurs atténuants, les parties attirent l’attention du Comité sur les suivants :
• Le plaidoyer de culpabilité de l’intimé; • Son absence d’antécédents disciplinaires depuis le début de sa carrière en 1993;
• Sa bonne collaboration à l’enquête et au processus disciplinaire; • Le fait qu’il s’agit d’un acte isolé, le premier en 30 ans de carrière; • L’absence d’intention malveillante; • Le faible risque de récidive; • Sa volonté de corriger son comportement. [16] Les parties ont également tenu compte des fourchettes des sanctions habituellement imposées pour cette catégorie d’infraction en s’inspirant des décisions suivantes :
• Chad c. Plourde et Bilinski, 2016 CanLlI 87759; • Chad c. Allaire, 2022 CanLII 114650;
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• Chad c. Messier, 2023 CanLII 18475; • Chad c. Mathieu, 2023 CanLII 28779; • Chad c. Gemme, 2020 CanLII 28856. [17] Suivant cette jurisprudence, ce type d’infraction est habituellement sanctionnée par l’imposition d’une amende variant entre 3 000 $ et 5 000 $;
[18] Cependant, il y a lieu de spécifier que dans les affaires Messier 2 et Mathieu 3 que les intimés se sont vu imposer respectivement des radiations de 30 jours et de 3 mois;
[19] Cela étant dit, les parties demandent au Comité d’entériner leur suggestion commune soit une amende de 6 000 $ à laquelle s’ajouteront les frais du dossier;
[20] Finalement, les parties proposent que l’intimé puisse bénéficier d’un délai de paiement de 90 jours;
[21] En conséquence, les parties demandent au Comité d’entériner leur suggestion commune;
IV. Analyse et décision [22] Dans un premier temps, rappelons que le plaidoyer de culpabilité équivaut pour l’intimé à une reconnaissance que les faits reprochés constituent une faute déontologique 4 ;
[23] De plus, le fait de plaider coupable constitue un facteur atténuant particulièrement important dont le Comité doit tenir compte, sous peine de commettre une erreur 5 ;
[24] Cela dit, la recommandation commune formulée par les parties sera entérinée par le Comité;
[25] Suivant la Cour suprême dans les arrêts Anthony-Cook 6 et Nahanee 7 , une recommandation commune en matière de sanction ne peut être écartée à la légère;
[26] Ce n’est uniquement dans les cas où la sanction proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou être « d’une autre façon contraire à l’intérêt public »;
[27] De surcroît, le Tribunal des professions dans une décision récente, soit l’affaire
2 2023 CanLlI 18475 (QC CDCHAD); 3 2023 CanLlI 28779 (QC CDCHAD); 4 Castiglia. c. Frégeau, 2014 QCCQ 849 (CanLlI) par. 29; 5 Boudreau c. Avocats, 2013 QCTP 22 (CanLlI) par.25; 6 R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43; 7 R. c. Nahanee, 2022 CSC 37;
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Gaudy c. Chiropraticiens 8 rappelait le caractère pour le moins limité de la discrétion du Comité lorsqu’il s’agit d’examiner le bien-fondé d’une recommandation commune
9 ;
[28] Enfin, pour terminer, il convient de se référer à la jurisprudence récente du Tribunal des professions en matière de recommandations communes;
[29] En conséquence et conformément à la jurisprudence des tribunaux supérieurs, le Comité entérinera la recommandation commune proposée par les parties;
[30] Toutefois, tout en reconnaissant que le Comité n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence de la sanction 10 , sachant également que celle-ci fut négocié par deux avocats d’expérience, il demeure néanmoins que l’intimé aurait dû faire l’objet d’une radiation de 30 jours comme dans l’affaire Messier 11 vu son incurie et son laxisme lors du traitement de la réclamation de l’assurée;
[31] À cela s’ajoute la preuve accablante de la négligence de l’intimé à s’acquitter de ses obligations professionnelles et sa lenteur à prendre des moyens efficaces afin de permettre à l’assurée de reprendre le cours normal de sa vie dans un délai raisonnable;
[32] En pratique, ce n’est qu’au mois d’août 2023 que l’assurée a pu réintégrer son domicile soit 26 mois après son sinistre survenu le 27 juin 2021;
[33] Par contre, vu la jurisprudence des tribunaux supérieurs, la recommandation commune sera entérinée.
PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : PREND acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimé; DÉCLARE l’intimé coupable des infractions reprochées au chef 1 et plus particulièrement comme suit :
Chef 1 : pour avoir contrevenu à l’article 58 (1) du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q. c. D-9.2, R.4);
PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef 1 de la plainte;
IMPOSE à l’intimé la sanction suivante : Chef 1 : une amende de 6 000 $.
8 2023 QCTP 48 (CanLII); 9 ibid, par. 10 et 25; 10 Notaires. c. Génier, 2019 QCTP 79 (CanLlI), par. 27; 11 ChAD c. Messier, 2023 CanLII 18475 (QC CDCHAD);
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CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés; PERMET à l’intimé de payer le montant de l’amende et des frais en trois (3) versements mensuels et égaux débutant le 31 e jour suivant la signification de la présente décision;
En cas de défaut de respecter l’un des versements mensuels, l’intimé perdra le bénéfice du terme et la totalité du montant deviendra dû et exigible, sans autre avis, ni délai.
____________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président
____________________________________ M. Luc Demers, expert en sinistre Membre
____________________________________ Mme Julie Lessard, expert en sinistre Membre
Me Mathieu Cardinal Procureur de la partie plaignante
Me Yves Carignan Procureur de la partie intimée
Date d’audience : 11 décembre 2024 (par visioconférence)