Contenu de la décision
COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC
No : 2023-11-01(E) DATE : 2 4 janvier 2025
LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat M. Daniel Balthazar, expert en sinistre M. Luc Demers, expert en sinistre
Président Membre Membre
Me CATHERINE BAZINET, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de l’assurance de dommages
Partie plaignante c. TRESOR NKANDI MOSI LUYEYE, expert en sinistre (inactif et sans mode d’exercice)
Partie intimée
DÉCISION SUR SANCTION
ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIVULGATION ET DE NON-DIFFUSION :
•
•
Du nom des assurés et de tout renseignement et information permettant de les identifier et plus particulièrement des annexes jointes à la pièce P-3 ;
Du numéro d’assurance sociale de l’intimé et des informations financières le concernant et particulièrement des relevés bancaires produits sous les cotes P-8, P-9 et P-10 ;
LE TOUT AFIN DE PROTÉGER LEUR VIE PRIVÉE, CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS
[1] Le 10 décembre 2024, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition sur sanction dans le dossier numéro 2023-11-01(E);
[2] La syndique adjointe se représentait seule et, de son côté, l’intimé était absent malgré le fait qu’il ait été dûment convoqué;
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[3] Dans les circonstances, la partie plaignante fut autorisée à procéder par défaut suivant l’article 144 du Code des professions;
[4] Cela dit, le 26 août 2024, l’intimé fut reconnu coupable 1 d’avoir détourné à son profit, à 13 occasions différentes, plusieurs montants d’argent totalisant une somme de plus de 100 000 $ 2 ;
[5] Compte tenu de l’importance des montants détournés, la syndique adjointe demande au Comité d’imposer à l’intimé une radiation permanente sur chacun des chefs d’accusation, fondée sur l’argumentation suivante :
I. Argumentation [6] Au soutien de sa demande de radiation permanente, Me Bazinet soumet plusieurs circonstances aggravantes justifiant cette sanction, soit :
• La gravité extrêmement élevée des infractions; • Le montant détourné de plus de 100 000 $; • L’absence de remboursement; • Le caractère répétitif des infractions; • La mise en place par l’intimé d’un stratagème frauduleux visant à s’approprier illégalement les montants détournés;
• Le caractère prémédité des infractions; • Le préjudice et les inconvénients causés à son employeur; • L’atteinte à l’image et à la réputation de tous les experts en sinistre; • L’atteinte à la réputation de son employeur; • Le fait que les infractions se situent au cœur même de l’exercice de la profession d’expert en sinistre;
• L’absence de repentir de l’intimé, lequel a d’ailleurs tenté par tous les moyens d’éviter d’être présent aux auditions disciplinaires en invoquant différents prétextes.
1 Chad c. Luyeye, 2024 CanLII 88705 (QC CD CHAD); 2 Ibid, par. 12 et 13;
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[7] À l’appui de ses prétentions, la syndique adjointe a déposé une série de décisions, soit :
• Chad c. Elliot, 2022 CanLII 113611 (QC CDCHAD); • Chad c. Labrie, 2021 CanLII 48582 (QC CDCHAD); • Chad c. Caron, 2009 CanLII 72968 (QC CDCHAD); • Chad c. Al Gass Dabo, 2020 CanLII 31793 (QC CDCHAD); • Chad c. Hallé, 2012 CanLII 50496 (QC CDCHAD); • C.S.F. c. Messier, 2012 CanLII 97159 (QC CDCSF).
[8] Finalement, elle a insisté sur le caractère exemplaire que doit revêtir la sanction afin de dissuader les autres membres de la profession à commettre des infractions semblables;
[9] Me Bazinet a également insisté sur les conséquences d’une perte aussi importante pour l’ex-employeur de l’intimé, telles que les frais d’enquête et les frais d’avocats qu’il a dû engager pour tenter de tirer au clair cette situation et obtenir un jugement civil contre l’intimé;
[10] Quant aux circonstances atténuantes, elle n’en voit qu’une seule, soit l’absence d’antécédents disciplinaires. Toutefois, vu la gravité objective des infractions, cela n’a pas réellement d’effet atténuant sur la sanction devant être imposée à l’intimé;
[11] En conclusion, elle demande au Comité d’imposer à l’intimé une radiation permanente avec publication dans les journaux, le tout, aux frais de l’intimé;
II. Analyse et décision [12] Dans un premier temps, le Comité de discipline désire souligner l’extrême gravité des infractions pour lesquelles l’intimé a été reconnu coupable;
[13] Le détournement de fonds ou l’appropriation illégale d’argent porte directement atteinte à deux caractéristiques fondamentales dont tout professionnel doit faire preuve, soit la probité et l’honnêteté;
[14] Ces qualités sont essentielles à l’exercice de toute profession reliée au domaine financier et elles sont à la base du lien de confiance qui doit exister entre le client et le professionnel;
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[15] De plus, toute contravention à ces normes fondamentales porte atteinte à l’image et à la réputation de l’ensemble des membres de la Chambre de l’assurance de dommages;
[16] Elles se situent au cœur même de l’exercice de la profession et une infraction à celles-ci est d’une gravité extrême;
[17] De surcroît, la mise en place d’un stratagème frauduleux visant à détourner à son profit personnel d’importantes sommes d’argent démontre le caractère prémédité et intentionnel des infractions;
[18] Il s’agit là d’un facteur qui entraine l’imposition d’une sanction plus sévère comme le soulignait la Cour d’appel dans l’arrêt Morand c. McKenna 3 puisque cela démontre une ‘’volonté consciente de transgresser la norme déontologique’’ 4 ;
[19] Enfin, la protection du public doit être au cœur des préoccupations du Comité de discipline 5 ;
[20] À cet égard, qu’il nous soit permis de rappeler les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Marston 6 :
[46] La LDPSF a été conçue pour protéger le public et, pour cette raison principalement, il y a lieu de privilégier une interprétation large et libérale de ses dispositions. À cet égard, je renvoie à l'arrêt Kerr c. Danier Leather Inc. dans lequel la Cour suprême écrit : «« La Loi sur les valeurs mobilières est une mesure législative corrective et doit recevoir une interprétation large ».
(…) [48] La LDPSF réglemente l'exercice des professions associées à la vente de produits et services financiers. En ce qui concerne les représentants, ils doivent être détenteurs d'un certificat délivré par l'AMF, exercer leurs fonctions « avec honnêteté et loyauté » et agir avec « compétence et professionnalisme ».
[49] L'AMF a pour mission de veiller à la protection du public relativement à l'exercice des activités régies par la LDPSF. À cette fin, elle est investie de pouvoirs divers, dont celui de déterminer, par règlement, la formation requise, les règles de déontologie, etc. La LDPSF crée le « Fonds d'indemnisation des services financiers » qui est affecté au paiement d'indemnités aux victimes de fraude ou de manœuvre dolosive dont est responsable un représentant.
[50] Deux chambres sont aussi instituées par la LDPSF, la « Chambre de la sécurité financière » et la « Chambre de l'assurance de dommages ». Elles ont aussi comme
3 2011 QCCA 1197 (CanLII); 4 Ibid, par. 41 ; 5 Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA); 6 Marston c. A.M.F., 2009 QCCA 2178 (CanLII);
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mission de s'assurer de la protection du public en maintenant la discipline et en veillant à la formation et à la déontologie de ses membres. Chaque chambre nomme un syndic qui est chargé de faire enquête en cas d'allégation d'infraction à la LDPSF en vue
d'un éventuel dépôt de plainte devant un comité de discipline, qui entend les plaintes et rend sa décision.
(…) [52] Ce survol de la LDPSF permet de constater que l'objectif central de cette loi est la protection du public et que les moyens mis de l'avant pour atteindre ce but se rattachent d'abord et avant tout au contrôle de l'exercice de la fonction par la délivrance d'un certificat autorisant son titulaire à exercer sa profession et par le maintien d'une discipline rigoureuse.
(Soulignements ajoutés, renvois omis)
[21] Dans l’arrêt Bruni 7 , la Cour d’appel souligne, encore une fois, l’importance des qualités d’honnêteté et de probité nécessaire à l’exercice d’une profession régie par la LDPSF. 8 :
[61] L'objet prédominant de la demande formulée par l'intimée est au contraire rattaché directement à l'application de l'article 220, disposition qui est l'une des manifestations concrètes de la volonté du législateur de protéger le public investisseur, ce que confirme expressément l'article 184 L.d.p.s.f., qui chapeaute le chapitre de la loi où se trouve l'article 220 :
184. L'Autorité a pour mission de veiller à la protection du public relativement à l'exercice des activités régies par la présente loi.
Elle voit à l’application des dispositions de la présente loi et de ses règlements auxquelles sont assujettis les titulaires de certificat, les cabinets ainsi que les représentants autonomes et les sociétés autonomes.
220. L'Autorité peut, pour une discipline, refuser de délivrer un certificat si elle est d'avis que celui qui le demande ne possède pas la probité nécessaire pour exercer des activités dans une telle discipline ou se trouve dans une situation incompatible avec l'exercice de telles activités.
[62] L'article 220 fait écho à l'article 16 de la même loi : 16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.
Il doit agir avec compétence et professionnalisme.
(Soulignements ajoutés)
7 Bruni c. A.M.F., 2011 QCCA 994 (CanLII); 8 R.L.R.Q. c. D-9.2;
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[22] Dans le même ordre d’idée, on consultera avec avantage l’arrêt Murphy lequel la Cour d’appel conclut comme suit :
9 dans
[24] L’interprétation et l’application de l’article 220 est au cœur de la mission spécialisée de l’AMF et comporte une importante dose d’appréciation discrétionnaire qui relève de la compétence exclusive de l’AMF. Dans Mastrocola c. AMF, la juge Bich précise que le manque de probité d’un individu se répercute nécessairement sur sa capacité à exercer des fonctions de représentant qui requièrent des qualités d’honnêteté, de loyauté, de professionnalisme et de compétence.
(Soulignement ajouté, renvois omis)
[23] La Cour suprême dans l’affaire Cartaway Resources Corp. 10 rappelait l’importance d’imposer une peine exemplaire et dissuasive même en présence d’une première infraction 11 :
[24] Le Comité est d’avis, dans les circonstances, que seule une radiation pourra atteindre l’objectif d’exemplarité et de dissuasion générale nécessaire pour assurer la protection du public et empêcher que d’autres experts en sinistre soient portés à commettre des infractions semblables;
[25] Ainsi, même si la sanction ne doit pas viser la punition du professionnel, il n’en demeure pas moins qu’elle peut être exemplaire et dissuasive, tel que le rappelait le Tribunal des professions dans l’affaire Lambert 12 :
«Il est acquis qu’une sanction disciplinaire n’a pas à être punitive, mais qu’elle peut être exemplaire et dissuasive (...)»
[26] La Cour d’appel exprimait une opinion semblable dans l’affaire Pigeon c. Daigneault 13 :
[38] La sanction disciplinaire doit permettre d’atteindre les objectifs suivants : au premier chef, la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d’exercer sa profession (...).
9 Murphy c. A.M.F., 2016 QCCA 878 (CanLII); 10 2004 CSC 26 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 672); 11 Ibid, par. 60 et 61; 12 Lambert c. Infirmières et infirmiers, D.D.E. 98D-20 (T.P.); 13 Op. cite note 5;
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[39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l’infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l’exercice de la
profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, .... Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l’expérience, du passé disciplinaire et de l’âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d’une sanction qui tient compte à la fois des principes applicables en matière du droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes de l’affaire. (Caractères gras ajoutés)
[27] Pour l’ensemble de ces motifs, le Comité estime que seule une période de radiation importante saura remplir cet objectif d’exemplarité ;
[28] En conclusion, de l’avis du Comité, une radiation permanente s’impose afin d’atteindre l’objectif d’exemplarité et de dissuasion générale nécessaire pour assurer la protection et éviter la répétition des infractions par l’intimé ou tout autre membre de la profession.
PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :
IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes : Chefs 1 à 13 : une radiation permanente sur chacun des chefs d’accusation; DÉCLARE que les périodes de radiation imposées sur les chefs 1 à 13 seront purgées de façon concurrente;
ORDONNE la publication d’un avis de radiation permanente dans le Journal de Montréal, et ce, dès la signification à l’intimé de la présente décision, le tout, conformément aux articles 156, 158, 166 (3) et 180 du Code des professions (R.L.R.Q. c. C-26);
PERMET la notification de la présente décision aux parties par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01), à savoir par courrier électronique;
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CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés, incluant les frais de publication de l’avis de radiation permanente.
___________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président
___________________________________ M. Daniel Balthazar, expert en sinistre Membre
___________________________________ M. Luc Demers, expert en sinistre Membre
Me Catherine Bazinet (se représentant seule) Partie plaignante
Tresor Nkandi Mosi Luyeye (absent) Partie intimée
Date d’audience : 10 décembre 2024 (par visioconférence)