Contenu de la décision
COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC
No: 2023-09-01(C) DATE :
LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat Mme Sultana Chichester, courtier en assurance de dommages des particuliers Mme Véronique Miller, agent en assurance de dommages des particuliers
Président Membre
Membre
Me CATHERINE BAZINET, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de l’assurance de dommages
Partie plaignante c. ALEXANDRE GASPO, courtier en assurance de dommages
Partie intimée
DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION
ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DU NOM DE LA CLIENTE ET DE SES ADMINISTRATEURS ET ACTIONNAIRES ET DE TOUT RENSEIGNEMENT OU INFORMATION PERSONNELLE OU DE NATURE FINANCIÈRE LES CONCERNANTS MENTIONNÉS DANS LA PLAINTE ET DANS LES PIÈCES PRODUITES À SON SOUTIEN ET PLUS PARTICULIÈREMENT DES PIÈCES SP-1 ET SP-2, LE TOUT CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS (R.L.R.Q., c. C-26)
[1] Le 20 février 2024, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait par visioconférence pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2023-09-01(C) ;
[2] La syndique adjointe agissait alors pour elle-même et, de son côté, l’intimé était représenté par Me Sonia Paradis ;
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I. [3]
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La plainte L’intimé fait l’objet d’une plainte comportant deux (2) chefs d’accusation, soit : 1. À Montréal, le ou vers le mois de mars 2022, l’intimé a, sans tenir compte des limites de ses aptitudes, de ses connaissances et/ou des moyens dont il dispose, accepté d’effectuer des démarches d’obtention de cautionnements de soumission auprès d’Intact compagnie d’assurance pour et au nom de son client (ABC), le tout contrairement à l’article 17 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;
2. À Montréal, entre les mois de mars et avril 2022, l’intimé a permis que soient produits auprès de la Ville de Montréal plusieurs faux documents à savoir des cautionnements de soumission qu’il a signés au nom d’Intact compagnie d’assurance à leur insu, le tout, dans le but que son client (ABC) puisse remporter des contrats de construction de travaux publics, contrevenant ainsi aux articles 15, 27, 37 (1), 37 (7) et 37 (9) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;
[4] D’entrée de jeu, l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’encontre des chefs d’accusation de la plainte ;
[5]
Les parties ont alors procédé aux représentations sur sanction ;
II. Preuve sur sanction [6] Me Bazinet a produit de consentement avec Me Paradis la pièce P-1 ainsi que les pièces SP-1 à SP-12 ;
[7] Les parties ont également produit un exposé conjoint des faits sous la cote SP-13 ; [8] Il convient d’ailleurs d’en citer certains extraits afin d’établir la trame factuelle à l’origine de la présente plainte :
4.
5. 6.
7.
8.
9.
Vers le mois de mars 2022, une cliente de longue date, l’entrepreneur en construction (ABC), a donné le mandat à l’intimé d’obtenir du cautionnement de soumission d’un assureur dans le but de soumissionner sur différents projets de travaux publics à la Ville de Montréal ;
L’intimé admet qu’il n’a alors jamais exécuté ce genre de mandat ; De plus, l’intimé admet qu’il ne possède pas les connaissances ni les moyens nécessaires pour exercer ce genre de mandat ;
Malgré ce qui précède et considérant sa volonté à vouloir répondre aux besoins de sa cliente, l’intimé a accepté le mandat ;
De ce fait, dès le 10 mars 2022, il a contacté Intact Compagnie d’assurance (ci-après, « Intact ») afin d’entamer les démarches d’obtention de cautionnements de soumission, le tout tel qu’il appert de la pièce SP-1 :
Dès le lendemain, soit le 11 mars 2022, M. Louis Bélanger, analyste au département de cautionnement chez Intact, écrit à l’intimé afin d’obtenir plusieurs informations et documents concernant (ABC), le tout tel qu’il appert de la pièce SP-2 ;
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10. L’intimé admet avoir partiellement répondu aux demandes de renseignements de M. Bélanger un mois plus tard, soit le 11 avril 2022, au moment où sa cliente lui communique l’information demandée ;
11. L’intimé admet que des demandes d’informations additionnelles ont par la suite été formulées par M. Bélanger, lesquelles il a fait suivre à sa cliente, afin de compléter le dossier ;
12. Or, entre le 11 mars 2022 et le 11 avril 2022, l’intimé a rempli, signé et permis que soient produits auprès de différents arrondissements de la Ville de Montréal les formulaires de cautionnement suivants :
(…) 13. Suivant la production de ces documents, (ABC) a remporté les appels d’offres pour les projets 1 à 5 apparaissant dans (…) ;
14. C’est dans ce contexte et après avoir participé à une réunion avec Intact que l’intimé a réalisé que le procédé était complexe et ne constituait pas une simple formalité ;
15. Ainsi, le 25 avril 2022, l’intimé a appelé Intact pour les informer qu’il avait produit sans leur autorisation les formulaires de cautionnements pour les projets 1 à 5 (…), le tout tel qu’il appert de la pièce SP-10 ;
16. Suivant cette dénonciation de l’intimé, Intact a ouvert une enquête interne dans le cadre de laquelle elle a appris que l’intimé avait aussi permis que soient produits les formulaires 6 à 10 (…) ;
17. Ainsi, le 9 mai 2022, Intact a envoyé une mise en demeure à l’intimé l’enjoignant de cesser de produire des documents au nom d’Intact sans avoir leur autorisation, le tout tel qu’il appert de la pièce SP-11 ;
18. De plus, le 13 mai 2022, Intact a formulé une demande d’enquête auprès de l’Autorité des marchés financiers, le tout tel qu’il appert de la pièce SP-12 ;
19. Suivant la transmission de ce courriel, le bureau du syndic a ouvert une enquête ; 20. Dans le cadre de cette enquête, la plaignante s’est entretenue avec l’intimé lors d’une rencontre Teams ayant eu lieu le 20 juillet 2023 ;
21. Durant cette rencontre, l’intimé a reconnu : a) Qu’il ne possède pas les aptitudes, les moyens et les connaissances nécessaires pour accepter le mandat de sa cliente ;
b) c)
d)
Qu’il n’avait pas l’autorisation nécessaire pour signer les formulaires SP-3 à SP-9 ; Qu’en signant ces formulaires SP-3 à SP-9, il a faussement laissé croire qu’Intact se portait caution de (ABC) ;
Qu’il a permis que soient produits ces faux documents auprès de différents arrondissements de la Ville de Montréal ;
22. La plaignante ajoute que lors de cette rencontre, l’intimé a pleinement reconnu la gravité de ses gestes et a fait preuve d’un sérieux repentir ;
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[9] Cela étant établi, l’intimé a également témoigné pour sa défense ; [10] Essentiellement, son témoignage a permis d’établir les faits suivants : • Il exerce dans le domaine de l’assurance depuis environ 30 ans et comme courtier en assurance depuis 20 ans ;
• Il s’agit de sa première plainte disciplinaire ; • Il a modifié ses pratiques depuis les faits reprochés et ne pratique plus dans les domaines pour lesquels il n’a pas les compétences ;
• Il regrette amèrement les faits et gestes qu’il a posés et surtout les inconvénients qu’il a pu causer aux parties ;
[11] C’est à la lumière de ces faits que le Comité examinera le bien-fondé des sanctions suggérées par les parties ;
III. Recommandations communes [12] Me Bazinet, en collaboration avec l’avocate de la défense, suggère d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :
Chef 1 : Chef 2 :
une radiation temporaire de trente (30) jours une radiation temporaire de six (6) mois
[13] À cela s’ajoutera le coût des déboursés et les frais inhérents à la publication d’un avis de radiation dans un journal où l’intimé à son domicile professionnel ;
[14] De l’avis des parties, cette suggestion tient compte des quatre (4) critères établis par l’arrêt Pigeon c. Daigneault 1 , soit :
• La protection du public ; • La dissuasion ; • L’exemplarité ; • Le droit du professionnel de gagner sa vie ; [15] De plus, les parties ont déposé une série d’autorités au soutien de leur proposition, soit :
1 2003 CanLII 32934 (QC CA) ;
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Chef 1 : • ChAD c. Domon, 2019 CanLII 104023 (QC CDCHAD) ;
Chef 2 : • ChAD c. Duclos, 2007 CanLII 26315 (QC CDCHAD) ; • ChAD c. Verret, 2019 CanLII 47053 (QC CDCHAD) ; • ChAD c. Ricard, 2018 CanLII 48591 (QC CDCHAD) ; • ChAD c. Bernard, 2007 CanLII 26743 (QC CDCHAD) ; • ChAD c. Lacombe, 2014 CanLII 70912 (QC CDCHAD) ; • ChAD c. Dion, 2017 CanLII 78644 (QC CDCHAD) ;
[16] Enfin, les parties ont insisté sur les facteurs aggravants et atténuants suivants : Facteurs aggravants : • La gravité de l’infraction ; • Les gestes sont directement liés à l’exercice de la profession de l’intimé, en ce que sa cliente avait besoin des services de l’intimé pour obtenir des cautionnements d’un assureur ;
• L’intimé n’a pas agi de façon isolée : il a signé et permis que soient produits dix (10) formulaires ;
• L’intimé était un professionnel d’expérience au moment de la commission des infractions ;
• Les gestes posés par l’intimé portent atteinte à la perception/protection du public ; Facteurs atténuants : • L’intimé s’est dénoncé lui-même auprès d’Intact ; • L’intimé a pleinement collaboré à l’enquête de la plaignante et a fait preuve d’honnêteté ;
• L’intimé a admis les faits et a enregistré un plaidoyer de culpabilité à la première occasion ;
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• L’intimé a fait preuve de repentir en ce que : a) L’intimé reconnaît la gravité de ses gestes ; b) L’intimé n’acceptera plus jamais de mandats pour lesquels il ne possède pas les compétences et connaissances nécessaires ;
• L’intimé a déjà subi plusieurs conséquences en raison des gestes qu’il a commis : perte de sa relation d’affaires avec Intact, surcharge de travail causée par le transfert des dossiers Intact auprès de son nouveau partenaire (l’Unique Assurances), enquête du bureau de l’enquête générale (ci-après, « le BIG ») à son bureau ;
• Il y a absence de bénéfices personnels ; • Il y a absence de pertes tant du côté de la cliente que du côté d’Intact ; • L’intimé n’a aucun antécédent disciplinaire ; • À la lumière de sa rencontre du 20 juillet dernier (avec le syndic) et des échanges survenus avec la procureure de l’intimé, les parties sont d’avis qu’il existe un très faible risque de récidive ;
[17] Pour conclure, les parties ont demandé conjointement au Comité d’entériner les sanctions proposées, lesquelles sont justes et appropriées au cas particulier de l’intimé ;
IV. Analyse et décision [18] Suivant la Cour suprême dans les arrêts Anthony-Cook 2 et Nahanee 3 , une recommandation commune en matière de sanction ne peut être écartée à la légère ;
[19] Ce n’est uniquement que dans les cas où la sanction proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou est « d’une autre façon contraire à l’intérêt public » ;
[20] D’ailleurs, il est intéressant de noter l’opinion du Tribunal des professions dans l’affaire Conea 4 concernant l’application de l’arrêt Nahanee en droit disciplinaire :
[43] Pour le Tribunal, les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Nahanee s’appliquent en droit disciplinaire.
[44] Le droit disciplinaire est un droit sui generis empruntant aux différentes branches du droit. En ce qui concerne l’audience sur culpabilité et l’administration de
2 R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 ; 3 R. c. Nahanee, 2022 CSC 37 ; 4 Conea c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2022 QCTP 56 (CanLII) ;
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la preuve, les règles s’inspirent généralement du droit civil. Cependant, lors de l’audience pour la détermination de la sanction, les règles émanent du droit pénal et du droit administratif.
[45] Par ailleurs, le Tribunal des professions a adopté et appliqué les principes de l’arrêt Anthony-Cook de la Cour suprême en ce qui concerne les recommandations communes de sanctions qui sont directement issus du droit pénal.
(…) [48] À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les principes de l’arrêt Nahanee s’inscrivent dans le courant de ces arrêts et le Tribunal conclut qu’ils trouvent application en matière disciplinaire.
(caractères gras ajoutés)
[21] Dans un même ordre d’idée, la Cour d’appel rappelait, dans l’arrêt Létourneau principes applicables en semblable matière :
, les
[4] Dans l’arrêt récent R. c. Nahanee, le juge Moldaver décrit le déroulement usuel d’une audience sur une recommandation conjointe : « la Couronne lit généralement un exposé conjoint des faits et explique la position conjointe. Habituellement, ces audiences se terminent rapidement, et la peine est infligée sur-le-champ. Le juge est rarement tenu de rendre une longue décision ».
[5] Toujours dans l’arrêt Nahanee, le juge Moldaver résume le critère encadrant le rejet d’une recommandation conjointe :
[25] L’arrêt Anthony-Cook a établi un critère rigoureux fondé sur l’intérêt public auquel il doit être satisfait avant que les juges de la peine ne puissent rejeter une recommandation conjointe faisant suite à un plaidoyer de culpabilité. Au paragraphe 34 de cette décision, notre Cour a déclaré ce qui suit :
Le rejet [d’une recommandation conjointe] dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner.
[26] Ce critère place à dessein la barre très haut. Il vise à encourager les ententes entre les parties, ce qui permet aux tribunaux de sauver du temps d’audience à l’étape de la détermination de la peine. Ce critère constitue également une incitation à inscrire des plaidoyers de culpabilité, ce qui épargne aux victimes et au système de justice la nécessité de tenir des procès coûteux et chronophages (Anthony-Cook, par. 35 et 40). Les accusés en bénéficient parce qu’ils ont un très haut degré de certitude que la peine proposée conjointement sera celle qui leur sera infligée; la Couronne en bénéficie parce qu’elle a l’assurance d’un plaidoyer de culpabilité à des conditions qu’elle est prête à accepter (par. 36-39). Les deux parties en bénéficient également du fait qu’elles n’ont pas à se préparer pour un procès ou pour une audience de détermination de la peine contestée.
5 Létourneau c. R., 2023 QCCA 592 (CanLII) ;
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[Soulignements ajoutés] [6] L’adoption du critère d’intérêt public vise la protection de la recommandation conjointe des parties et permet « au système de justice de fonctionner de manière efficace et efficiente ».
(…) [9] En matière de recommandation conjointe, la jurisprudence de la Cour est constante. Les juges ne doivent pas « utiliser le critère de l’intérêt public pour simplement imposer la peine qu’ils estiment appropriée » ou « justifier [leur] intervention à partir de l’utilisation implicite d’un critère assimilable à une recommandation conjointe "manifestement non indiquée" ».
[10] Finalement, dans l’arrêt Nahanee, le juge Moldaver précise aussi que : « [l]orsqu’une recommandation conjointe est présentée, ce n’est que dans de très rares cas qu’un juge appliquant le critère de l’intérêt public s’écarte de la peine précise proposée ». Ainsi, bien que le juge puisse écarter une recommandation conjointe selon le critère énoncé plus haut, il convient de reconnaître, comme l’observe le juge Gagnon dans l’arrêt Reyes, que le « pouvoir discrétionnaire en ce domaine est ténu puisqu’il s’agit de l’une des normes les plus limitées d’intervention qui soit ».
(caractères gras ajoutés)
[22] Enfin, pour terminer, il convient de se référer à la jurisprudence récente du Tribunal des professions en matière de recommandations communes ;
[23] Le Tribunal des professions, dans une décision récente, soit l’affaire Emrich 6 , rappelait le caractère pour le moins limité de la discrétion du Comité lorsqu’il s’agit d’examiner le bien-fondé d’une recommandation commune :
[16] Pour les motifs qui suivent, je propose d’accueillir l’appel et d’imposer à l’intimé les sanctions qui avaient été proposées à l’origine par les parties.
[17] En effet, sous le couvert d’examiner si les sanctions proposées étaient susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice ou étaient par ailleurs contraires à l’intérêt public, le Conseil, dans une décision de 150 pages, s’attarde plutôt à la justesse des sanctions et impose finalement les sanctions qui, à son avis, auraient dû être imposées. Ce n’était pas son rôle. Il s’agit là d’une erreur de principe justifiant l’intervention du Tribunal.
[18] Dans l’arrêt R. c. Binet, la Cour d’appel mettait d’ailleurs en garde les juges d’instance contre le risque d’utiliser le critère de l’intérêt public pour simplement imposer la peine qu’ils estiment appropriée. Manifestement, un tel rappel est nécessaire ici.
(…)
6 Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Emrich, 2022 QCTP 55 (CanLII) ;
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[63] Dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, le juge Moldaver, rendant jugement pour la Cour suprême, écrivait ceci :
[1] Les discussions que tiennent les avocats du ministère public et ceux de la défense en vue d’un règlement sont non seulement courantes dans le système de justice pénale, elles sont essentielles. Menées correctement, elles permettent un fonctionnement en douceur et efficace du système.
[2] Les recommandations conjointes relatives à la peine — c’est-à-dire lorsque les avocats du ministère public et de la défense conviennent de recommander au juge une peine en particulier, en échange d’un plaidoyer de culpabilité de la part de l’accusé — font partie des discussions en vue d’un règlement. Elles constituent un moyen à la fois accepté et acceptable d’arriver à une entente sur le plaidoyer. On en voit tous les jours dans les salles d’audience partout au pays, et elles sont essentielles au bon fonctionnement du système de justice pénale. Comme l’a dit notre Cour dans R. c. Nixon, ces recommandations conjointes contribuent non seulement à ce « que l’on règle la grande majorité des affaires pénales au Canada », mais « elles contribuent donc à rendre le système de justice pénale équitable et efficace » (par. 47).
[…] [41] […] comme je l’ai mentionné, la présentation de recommandations conjointes ne reste possible que si les parties sont très confiantes qu’elles seront acceptées. Si elles doutent trop, les parties peuvent plutôt choisir d’accepter les risques d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Si les recommandations conjointes en viennent à être considérées comme des solutions de rechange insuffisamment sûres, l’accusé en particulier hésitera à renoncer à un procès et à ses garanties concomitantes, notamment la faculté cruciale de mettre à l’épreuve la solidité de la preuve du ministère public.
[42] D’où l’importance, pour les juges du procès, de faire montre de retenue et de ne rejeter les recommandations conjointes que lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Un seuil moins élevé que celui-ci jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement. Le critère de l’intérêt public garantit que ces ententes de règlement jouissent d’un degré de certitude élevé.
[références omises] [64] Ces principes s’appliquent tout autant en matière de droit disciplinaire. Dans une affaire de Audioprothésistes (Ordre professionnel des) c. Gougeon, une formation du Tribunal des professions écrivait ceci en débutant son analyse de la question qui nous intéresse :
[8] Les principes qui gouvernent les recommandations communes en matière disciplinaire sont bien connus. Ils sont identiques à ceux résumés par la Cour suprême dans l’arrêt Anthony-Cook en matière pénale. Bien qu’un conseil de discipline ne soit pas lié par toute recommandation conjointe, son pouvoir d’aller outre cette recommandation est bien circonscrit. Depuis que la Cour suprême a clarifié l'obligation d'entériner les suggestions communes dans Anthony-Cook, il faut se garder de référer au vocable utilisé avant cet arrêt, comme le Tribunal des professions le soulignait dans Pharmaciens (Ordre professionnel de) c. Vincent. En effet, face à une suggestion commune, le conseil ne peut y déroger - même s’il la considère inadéquate ou déraisonnable - que si elle est à ce point inadéquate ou déraisonnable, qu’elle déconsidère l’administration de la
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justice ou est contraire à l’intérêt public. Si tel n’est pas le cas, il ne revient pas au conseil de s’interroger sur la sévérité ou la clémence de la sanction suggérée.
[références omises] (…) [79] Comme en droit criminel, les parties, en droit disciplinaire, sont bien placées pour en arriver à une recommandation conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux du professionnel. En principe, ils connaîtront très bien la situation du professionnel et les circonstances de l’infraction, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le syndic est chargé de s’assurer de la protection du public tandis que l’on exige que l’avocat du professionnel qu’il agisse dans son intérêt supérieur. Et les deux avocats sont tenus, sur le plan professionnel et éthique, de ne pas induire le conseil en erreur. Bref, ils sont entièrement capables d’arriver à des règlements équitables et conformes à l’intérêt public. Les tribunaux estiment que les suggestions conjointes présument d'une discussion préalable franche entre les parties à l'aune de leurs intérêts respectifs […].
(caractères gras ajoutés)
[24] Ce jugement s’inscrit dans la lignée des décisions rendues dans les affaires Gougeon 7 et Duval 8 , de plus, ces principes ont été réitérés dernièrement dans l’arrêt Gaudy c. Chiropraticiens 9 ;
[25] Cela dit, de l’avis du Comité, les sanctions suggérées répondent aux quatre (4) critères de l’arrêt Pigeon c. Daigneault 10 , soit :
• La protection du public ; • La dissuasion du professionnel de récidiver ; • L’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables ;
• Le droit pour le professionnel visé d’exercer sa profession ; [26] Rappelons également que selon le Tribunal des professions, « La suggestion commune issue d’une négociation rigoureuse dispose d’une force persuasive certaine » 11 ;
[27] Enfin, les ententes communes constituent « un rouage utile et parfois nécessaire à
7 Audioprothésistes (Ordre professionnel des) c. Gougeon, 2021 QCTP 84 (CanLII) ; 8 Duval c. Comptables professionnels agréés (Ordre des), 2022 QCTP 36 (CanLII) ; 9 2023 QCTP 48 (CanLII); 10 Op. cit., note 1, par. 37; 11 Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5 (CanLII), par. 42 ;
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une saine administration de la justice » 12 ; [28] De plus, la Cour d’appel, dans l’arrêt Binet 13 , reprenant alors l’opinion émise par la Cour d’appel d’Alberta dans l’affaire Belakziz 14 , précisait qu’il n’appartient pas au juge de déterminer la sanction qui pourrait être imposée pour ensuite la comparer avec celle proposée par les parties ;
[29] Dans le même ordre d’idée, le Comité n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence de la sanction, il ne s’agit pas d’un élément déterminant face à une recommandation commune formulée par les parties 15 ;
[30] Dans les circonstances, en considérant les enseignements des tribunaux supérieurs et en tenant compte des facteurs objectifs et subjectifs, à la fois aggravants et atténuants, et plus particulièrement des représentations des parties, le Comité n’a aucune hésitation à entériner la recommandation commune ;
[31] De l’avis du Comité, les sanctions suggérées sont justes et raisonnables et, surtout, appropriées au présent dossier ;
[32] Finalement, elles assurent la protection du public sans punir outre mesure l’intimé ; [33] En conséquence, et en conformité avec les enseignements du Tribunal des professions dans les arrêts Gougeon 16 , Duval 17 , Emrich 18 et Gaudy 19 , le Comité entérinera la recommandation commune et imposera les sanctions suggérées.
PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : PREND acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimé; DÉCLARE l’intimé coupable des chefs 1 et 2 de la plainte et plus particulièrement comme suit :
Chef 1:
Chef 2:
pour avoir contrevenu à l’article 17 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5);
pour avoir contrevenu à l’article 37(9) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5);
12 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII), par. 21 ; 13 R. c. Binet, 2019 QCCA 669 (CanLII), par. 19 et 20 ; 14 R. c. Belakziz, 2018 ABCA 370 (CanLII), par. 17 et 18 ; 15 Notaires (Ordre professionnel des) c. Génier, 2019 QCTP 79 (CanLII), par. 27 ; 16 Op. cit., note 7 ; 17 Op. cit., note 8 ; 18 Op. cit., note 6 ; 19 Op. cit., note 9 ;
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PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien du chef 2 de la plainte ;
IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes : Chef 1 : une radiation temporaire de 30 jours Chef 2 : une radiation temporaire de six (6) mois ORDONNE que les périodes de radiation imposées sur les chefs 1 et 2 soient purgées de façon concurrente pour un total de six (6) mois ;
ORDONNE la publication d’un avis de radiation dans le Journal de Montréal ; CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés incluant les frais de publication de l’avis de radiation temporaire.
____________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président
____________________________________ Mme Sultana Chichester, courtier en assurance de dommages des particuliers Membre
____________________________________ Mme Véronique Miller, agent en assurance de dommages des particuliers Membre
Me Catherine Bazinet (se représentant elle-même) Procureure de la partie plaignante
Me Sonia Paradis Procureure de la partie intimée
Date d’audience : 20 février 2024 (par visioconférence)