Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

No: 2023-05-01(A) DATE : 27 octobre 2023

LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat Président Mme Anne-Marie Hurteau, agent en assurance de Membre dommages Mme Véronique Miller, agent en assurance de dommages des Membre particuliers

Me PASCAL PAQUETTE-DORION, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante c . FRANCIS ST-CYR-LAMOTHE, agent en assurance de dommages des particuliers

Partie intimée

DÉCISION RECTIFIÉE SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DU NOM DE l’ASSURÉE ET DU NOM DES LIQUIDATEURS ET DE TOUT RENSEIGNEMENT OU INFORMATION PERMETTANT DE LES IDENTIFIER ET MENTIONNÉS DANS LA PLAINTE ET LES DOCUMENTS PRODUITS À SON SOUTIEN, LE TOUT AFIN DE PROTÉGER LEUR VIE PRIVÉE CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS (R.L.R.Q., c. C-26)

ATTENDU que certaines erreurs d’écriture se sont glissées aux paragraphes 3 et 8 de la décision sur culpabilité et sanction du 20 octobre 2023 ;

EN CONSÉQUENCE et conformément à l’article 161.1 du Code de professions, le Comité de discipline rectifie la décision du 20 octobre 2023 comme suit :

[1] Le 26 septembre 2023, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2023-05-01(A),

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par visioconférence ; [2] Le syndic adjoint était alors représenté par Me Marie-Hélène Sylvestre et, de son côté, l’intimé était représenté par Me Sonia Paradis ;

I. [3]

La plainte L’intimé fait l’objet d’une plainte comportant un chef d’accusation, soit : 1. À Vaudreuil-Dorion, entre les ou vers les 23 août 2021 et 4 avril 2022, relativement au contrat d’assurance habitation R422XXXXXXX-XX, au nom de L.M. et/ou Succession L.M., a agi de manière négligente et/ou non professionnelle, notamment au regard du traitement de l’information en lien avec la réception du testament de L.M. et dans le cadre de ses démarches afin d’apporter des modifications audit contrat d’assurance, contrevenant ainsi à l’article 37 (1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, RLRQ, chapitre D-9.2, r. 5 et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, RLRQ, chapitre D-9.2.

[4] D’entrée de jeu, l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’encontre de l’infraction reprochée ;

[5] Les parties ont alors procédé aux représentations sur sanction ; II. Preuve sur sanction A) Par la partie plaignante [6] À titre d’avocate du syndic adjoint, Me Sylvestre dépose, de consentement avec l’intimé, l’ensemble des pièces documentaires afférentes au dossier ;

[7] De façon plus particulière, Me Sylvestre réfère le Comité de discipline à l’exposé conjoint des faits (SP-19) ;

[8] Pour une meilleure compréhension, il convient de reproduire de larges extraits de cet exposé :

4.

5.

6.

Le 5 avril 2022, N.R. achemine une plainte concernant l’Intimé à l’Autorité des marchés financiers (AMF) dans laquelle elle exprime son mécontentement à l’égard de certains agissements de l’Intimé commis dans le cadre du dossier d’assurance habitation de sa défunte mère.

Pièce SP-1 : Plainte transmise à l’Autorité des marchés financiers (AMF) par N.R. en date du 5 avril 2022.

Suivant la réception de cette plainte, une enquête disciplinaire concernant l’Intimé est ouverte au bureau du syndic de la Chambre de l’assurance de dommages.

Dans le cadre de l’enquête disciplinaire, des entrevues sont notamment menées auprès de l’Intimé, de N.R. et de Nancy Cadorette, gestionnaire de l’Intimé.

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Également, plusieurs documents pertinents à l’enquête et enregistrements téléphoniques des conversations tenues entre l’Intimé et N.R. sont communiqués à l’enquêteur et au syndic adjoint Me Pascal Paquette-Dorion.

7.

8.

Les évènements qui ont mené au dépôt de la plainte disciplinaire à l’encontre de l’Intimé peuvent être ainsi résumés :

L.M. détient deux polices d’assurance chez Promutuel : l’une pour sa voiture, l’autre pour sa maison.

9. L.M. décède le 18 août 2021. 10. N.R. est l’une des liquidatrices de la succession de L.M. 11. Le 23 août 2021, N.R. appelle chez Promutuel afin de résilier l’assurance automobile de L.M., sa défunte mère, et dont le véhicule avait précédemment fait l’objet d’une cession.

12. Lors de cet appel, l’Intimé informe N.R. que la police d’assurance automobile doit d’abord être mise au nom de la succession de L.M. et que pour ce faire, il lui faut obtenir le testament, le nom des liquidateurs et les signatures de ces derniers.

13. Puisque L.M. détient également une police d’assurance habitation chez Promutuel, l’Intimé ajoute que ladite police d’assurance doit également être mise au nom de la succession de L.M., le tout suivant la réception des documents et informations précédemment mentionnés.

Pièce SP-2 : Enregistrement de l’appel téléphonique du 23 août 2021 entre N.R. et Francis St-Cyr-Lamothe Pièce SP-3 : Annotations au compte 0000513XXX Pièce SP-4 : Annotations au dossier de la police habitation R422XXXXXXXX Pièce SP-5 : Annotations au dossier de la police automobile A422XXXXXXX-XX

14. Le même jour, N.R. transmet par courriel à l’adresse indiquée par l’Intimé, trois documents, dont une copie du testament de L.M., afin de « (…) procéder à l’annulation de la police d’assurance automobile de XXXXX. »

Pièce SP-6 : Courriel transmis VSservice@promutuel.ca, accompagné de :

par

N.R.

à

l’adresse

a. Document de la Société de l’assurance automobile du Québec daté du 23 juillet 2021 concernant la cession du véhicule de L.M. b. Attestation de décès de L.M. daté du 20 août 2021 c. Testament de L.M.

15. Le lendemain, soit le 24 août 2021 à 8h28, l’Intimé inscrit dans ses notes du dossier habitation : « en attente du testament… ».

Pièce SP-4 : Annotations au dossier de la police habitation R422XXXXXXX-XX, page 6

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16. À 12h06, l’Intimé appelle N.R. pour l’informer qu’il a reçu les documents joints à son courriel du 23 août 2021, mais que les signatures des liquidateurs sont manquantes et que celles-ci sont requises pour procéder à l’annulation de la police automobile.

17. Dans sa note du 27 août 2021 du dossier automobile, l’Intimé inscrit que les liquidateurs « (…) ont signé l’annulation ». La police d’assurance automobile est par la suite résiliée rétroactivement en date du 24 août 2021.

Pièce SP-7 : Document de Promutuel assurance concernant les modalités de paiement de la police d’assurance automobile A422XXXXXXX-XX, page 5

18. Le 10 décembre 2021, l’Intimé appelle N.R. au sujet de l’assurance habitation et l’avise être en attente du testament de L.M. depuis le 23 d’août 2021. Il lui explique que suivant la réception dudit testament, des modifications pourront être faites afin de modifier la police d’assurance pour la maison désormais vacante de feue L.M. et ajuster les protections en conséquence.

19. L’Intimé propose alors de lui envoyer le testament de L.M. par courriel, mais N.R. mentionne ne pas avoir de crayon et invite plutôt l’Intimé à lui envoyer un courriel à son adresse qu’elle lui donne au même moment.

Pièce SP-8 : Enregistrement de l’appel téléphonique du 10 décembre 2021 entre N.R. et Francis St-Cyr-Lamothe

20. Dans les minutes qui suivent, l’Intimé transmet un courriel dans lequel il demande à N.R. une copie du testament et les coordonnées du ou des liquidateurs.

21. Ce courriel est cependant transmis à une adresse courriel qui diffère de celle donnée précédemment par N.R.

Pièce SP-4 : Annotations au dossier de la police habitation R422XXXXXXX-XX, page 5

Pièce SP-9 : Courriel daté du 10 décembre 2021 transmis par Francis St-Cyr-Lamothe à l’adresse XXXXXXXXX@hotmail.com

22. N’ayant pas reçu de courriel de la part de l’Intimé, N.R. lui transmet un courriel en date du 19 décembre 2021 et par lequel elle lui transfère le courriel daté du 23 août 2021, sans les pièces jointes, qu’elle lui avait alors envoyé et qui était notamment accompagné du testament de L.M.

23. De plus, N.R. écrit notamment qu’elle n’a jamais reçu le courriel de l’Intimé suite à l’appel du 10 décembre 2021 et lui demande s’il lui manque autre chose.

Pièce SP-10 : Courriel daté du 19 décembre 2021 transmis par N.R. à Francis St-Cyr-Lamothe

24. Le 3 février 2022, l’Intimé rappelle N.R. au sujet du testament.

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25. Lors de cet appel, N.R. informe notamment l’Intimé qu’elle n’a jamais reçu de courriel de sa part suite à leur entretien téléphonique du 10 décembre dernier, qu’elle lui a envoyé un courriel le 19 décembre 2021 et qu’il est en possession du testament depuis le 23 août 2021.

26. L’Intimé procède alors à des vérifications dans son dossier, mentionne d’abord ne pas trouver le courriel du 19 décembre 2021 dans sa boîte courriel, pour ensuite retracer le testament dans le dossier de la police automobile après que N.R. lui ait dit que le testament se trouvait déjà dans ce dossier.

Pièce SP-11 : Enregistrement du premier appel téléphonique du 3 février 2022 entre N.R. et Francis St-Cyr-Lamothe

27. Lors d’un second appel logé le 3 février 2022, l’Intimé pose différentes questions à N.R. afin de remplir le formulaire de vacance de la maison, et l’informe notamment que les liquidateurs devront signer ledit formulaire qui lui sera transmis par la poste.

Pièce SP-12 : Enregistrement du second appel téléphonique du 3 février 2022 entre N.R. et Francis St-Cyr-Lamothe

28. En date du 23 février, Sylvie Cantin, analyste de risques, agente en assurance de dommages des particuliers chez Promutuel, inscrit une note au dossier de la police habitation à l’attention de l’Intimé dans laquelle elle lui demande d’informer les liquidateurs de la succession de L.M. des changements qui seront apportés à la police habitation et l’invite à leur faire parvenir le document qu’elle a rempli et qu’ils doivent signer et retourner d’ici le 16 mars 2022. Elle termine en mentionnant l’importance de garder un suivi pour l’obtention de la signature.

Pièce SP-4 : Annotations au dossier de la police habitation R422XXXXXXX-XX, page 5

29. Dans les minutes qui suivent l’entrée de cette note, Sylvie Cantin transmet un courriel à l’Intimé auquel est joint l’avis de modification maison vacante et dans lequel elle écrit notamment «Voir si possible de l’envoyer par courriel pour que ce soit plus rapide ».

Pièce SP-13 : Courriel daté du 23 février 2022 transmis par Sylvie Cantin à Francis St-Cyr-Lamothe.

30. Dans le cadre des rencontres avec l’enquêteur Annick Gemme, l’Intimé affirme avoir envoyé le document une première fois par la poste le 23 février 2023, mais qu’il n’a pas inscrit de note à cet effet.

31. Vers la fin du mois de mars 2023, n’ayant pas reçu l’avis de modification signé, l’Intimé transmet de nouveau l’avis de modification à N.R. sans y apporter de changement, notamment au niveau de la date de la lettre ou du délai pour retourner le document signé, soit avant le 16 mars 2022.

32. Le 1 er avril 2022, N.R. reçoit par la poste l’avis de modification maison vacante daté du 23 février 2022 dans lequel il est mentionné que ledit avis doit être signé et retourné avant le 16 mars 2022.

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33.

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Selon les prétentions de N.R., le « timbre de poste indique le 30 mars ». Pièce SP-1 : Plainte transmise à l’Autorité des marchés financiers (AMF) par N.R. en date du 5 avril 2022.

34. Le 4 avril 2022, l’Intimé communique avec N.R. et lui demande de signer et de retourner l’avis de modification pour la maison vacante.

Pièce SP-14: Enregistrement du message téléphonique laissé par Francis St-Cyr-Lamothe à N.R. en date du 4 avril 2022.

Pièce SP-15 : Enregistrement de l’appel téléphonique du 4 avril 2022 entre N.R. et Francis St-Cyr-Lamothe

35. L’avis de modification est signé le 5 avril 2022 par les liquidateurs de la succession.

Pièce SP-16 : Formulaire de modifications suite à la vacance d’un bâtiment signé par les liquidateurs de la succession de L.M. et daté du 5 avril 2022.

36. Dans une lettre datée du 7 avril 2023, Promutuel confirme les modifications apportées à l’assurance habitation à compter du 3 février 2022.

Pièce SP-17 : Document de Promutuel assurance concernant les modifications apportées à la police d’assurance habitation R422XXXXXXXXX

[9] C’est en raison de ces faits que les liquidateurs de la succession ont déposé une plainte à l’AMF

1

;

B) Par l’intimé [10] Cela dit, l’avocate de la défense, Me Paradis, a fait témoigner son client ; [11] Essentiellement, son témoignage a permis d’établir les faits suivants : Il regrette amèrement les inconvénients qu’il a pu causer à l'assurée et aux liquidateurs de la succession ;

D’ailleurs, dès le début de l’enquête, il a reconnu ses fautes et n’a pas tenté d’esquiver ses responsabilités ;

De plus, afin d’éviter la répétition des faits reprochés, il a complété diverses formations tant auprès de son employeur qu’auprès de la ChAD ;

Il a instauré de nouvelles méthodes de travail et aujourd’hui il est beaucoup plus méticuleux et plus assidu dans le suivi de ses dossiers ;

1 Pièce SP-1;

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Il est un jeune professionnel et n’a débuté sa pratique qu’en 2018 ; De surcroît, il n’a pas d’antécédents disciplinaires ; [12] C’est à la lumière de ces faits que le Comité examinera le bien-fondé de la recommandation commune formulée par les parties ;

III. Recommandation commune [13] Les parties, d’un commun accord, suggèrent d’imposer à l’intimé le paiement d’une amende de 2 000 $ auquel s’ajoutera une condamnation pour les frais du dossier ;

[14] Me Sylvestre, après avoir rappelé sommairement les principes applicables en matière de suggestions communes 2 , entreprend un exposé sommaire des règles applicables lorsqu’il s’agit de sanctionner un professionnel 3 ;

[15] Ainsi, la sanction disciplinaire doit répondre au quatre (4) critères 4 suivants : La dissuasion ; L’exemplarité ; La protection du public ; Le droit pour le professionnel de gagner sa vie ; [16] Cela étant établi, Me Sylvestre fait état des circonstances aggravantes et atténuantes que les parties ont considéré pour l’établissement de la sanction ;

[17] Concernant les facteurs aggravants, l’avocate du syndic adjoint dresse la liste suivante :

La gravité objective de l’infraction ; La durée et le caractère répétitif des infractions, soit six (6) manquements professionnels sur une période s’étendant du mois d’août 2021 à avril 2022 ;

La mise en péril de la protection du public ; L’atteinte à l’image et à la réputation de la profession ; Le fait que les infractions se situent au cœur même de l’exercice de la profession ;

2 R. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 (CanLII); 3 Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA); 4 Ibid., par. 37 à 39;

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Le stress et les inconvénients causés aux clients ; [18] Du côté des facteurs atténuants, Me Sylvestre reconnaît que l’intimé doit bénéficier des facteurs suivants, soit :

Son jeune âge et son manque d’expérience ; Son absence d’antécédents disciplinaires ; [19] Finalement, Me Sylvestre dépose à l’appui des recommandations communes une série de jurisprudence, soit :

Chambre de l’assurance de dommages c. Sayouth, 2023 CanLII 39953 (QC CDCHAD) ;

Chambre de l’assurance de dommages c. Trépanier, 2018 CanLII 38255 (QC CDCHAD) ;

Chambre de l’assurance de dommages c. Bouhayat, 2021 CanLII 22731 (QC CDCHAD) et 2022 CanLII 6231 (QC CDCHAD) ;

Chambre de l’assurance de dommages c. Sayag, 2023 CanLII 33921 (QC CDCHAD) ;

Chambre de l’assurance de dommages c. Marchand, 2018 CanLII 52153 (QC CDCHAD)

[20] Fort de celles-ci, elle demande au Comité d’entériner la suggestion commune des parties ;

[21] De son côté, l’avocate de l’intimé, Me Paradis, souligne que la sanction suggérée est taillée sur mesure au cas de l’intimé ;

[22] Elle insiste sur le caractère isolé de l’infraction, laquelle ne concerne qu’un seul dossier ;

[23] De surcroît, elle considère que les clients n’ont pas subi de préjudice et que la situation a été corrigée à leur satisfaction ;

[24] Elle met également l’accent sur le fait que l’intimé est un jeune professionnel qui manquait d’expérience au moment des faits reprochés ;

[25] En définitive, elle souligne la volonté pour l’intimé de s’amender notamment par la mise en place de nouvelles méthodes de travail et par sa participation à plusieurs formations continues ;

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IV. Analyse et décision [26] Suivant la Cour suprême dans les arrêts Anthony-Cook 5 et Nahanee 6 , une recommandation commune en matière de sanction ne peut être écartée à la légère ;

[27] Ce n’est uniquement que dans les cas la sanction proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou être « d’une autre façon contraire à l’intérêt public » ;

[28] D’ailleurs, il est intéressant de noter l’opinion du Tribunal des professions dans l’affaire Conea 7 concernant l’application de l’arrêt Nahanee en droit disciplinaire :

[43] Pour le Tribunal, les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Nahanee s’appliquent en droit disciplinaire.

[44] Le droit disciplinaire est un droit sui generis empruntant aux différentes branches du droit. En ce qui concerne l’audience sur culpabilité et l’administration de la preuve, les règles s’inspirent généralement du droit civil. Cependant, lors de l’audience pour la détermination de la sanction, les règles émanent du droit pénal et du droit administratif.

[45] Par ailleurs, le Tribunal des professions a adopté et appliqué les principes de l’arrêt Anthony-Cook de la Cour suprême en ce qui concerne les recommandations communes de sanctions qui sont directement issus du droit pénal.

[…] [48] À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les principes de l’arrêt Nahanee s’inscrivent dans le courant de ces arrêts et le Tribunal conclut qu’ils trouvent application en matière disciplinaire.

(caractères gras ajoutés) [29] Dans un même ordre d’idée, la Cour d’appel rappelait, dans l’arrêt Létourneau les principes applicables en semblable matière :

8

,

[4] Dans l’arrêt récent R. c. Nahanee, le juge Moldaver décrit le déroulement usuel d’une audience sur une recommandation conjointe : « la Couronne lit généralement un exposé conjoint des faits et explique la position conjointe. Habituellement, ces audiences se terminent rapidement, et la peine est infligée sur-le-champ. Le juge est rarement tenu de rendre une longue décision ».

[5] Toujours dans l’arrêt Nahanee, le juge Moldaver résume le critère encadrant le rejet d’une recommandation conjointe :

5 R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 ; 6 R. c. Nahanee, 2022 CSC 37 ; 7 Conea c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2022 QCTP 56 (CanLII); 8 Létourneau c. R., 2023 QCCA 592 (CanLII);

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[25] L’arrêt Anthony-Cook a établi un critère rigoureux fondé sur l’intérêt public auquel il doit être satisfait avant que les juges de la peine ne puissent rejeter une recommandation conjointe faisant suite à un plaidoyer de culpabilité. Au paragraphe 34 de cette décision, notre Cour a déclaré ce qui suit :

Le rejet [d’une recommandation conjointe] dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner.

[26] Ce critère place à dessein la barre très haut. Il vise à encourager les ententes entre les parties, ce qui permet aux tribunaux de sauver du temps d’audience à l’étape de la détermination de la peine. Ce critère constitue également une incitation à inscrire des plaidoyers de culpabilité, ce qui épargne aux victimes et au système de justice la nécessité de tenir des procès coûteux et chronophages (Anthony-Cook, par. 35 et 40). Les accusés en bénéficient parce qu’ils ont un très haut degré de certitude que la peine proposée conjointement sera celle qui leur sera infligée; la Couronne en bénéficie parce qu’elle a l’assurance d’un plaidoyer de culpabilité à des conditions qu’elle est prête à accepter (par. 36-39). Les deux parties en bénéficient également du fait qu’elles n’ont pas à se préparer pour un procès ou pour une audience de détermination de la peine contestée.

[Soulignements ajoutés] [6] L’adoption du critère d’intérêt public vise la protection de la recommandation conjointe des parties et permet « au système de justice de fonctionner de manière efficace et efficiente ».

[…] [9] En matière de recommandation conjointe, la jurisprudence de la Cour est constante. Les juges ne doivent pas « utiliser le critère de l’intérêt public pour simplement imposer la peine qu’ils estiment appropriée » ou « justifier [leur] intervention à partir de l’utilisation implicite d’un critère assimilable à une recommandation conjointe "manifestement non indiquée" ».

[10] Finalement, dans l’arrêt Nahanee, le juge Moldaver précise aussi que : « [l]orsqu’une recommandation conjointe est présentée, ce n’est que dans de très rares cas qu’un juge appliquant le critère de l’intérêt public s’écarte de la peine précise proposée ». Ainsi, bien que le juge puisse écarter une recommandation conjointe selon le critère énoncé plus haut, il convient de reconnaître, comme l’observe le juge Gagnon dans l’arrêt Reyes, que le « pouvoir discrétionnaire en ce domaine est ténu puisqu’il s’agit de l’une des normes les plus limitées d’intervention qui soit ».

(caractères gras ajoutés)

[30] Enfin, pour terminer, il convient de se référer à la jurisprudence récente du Tribunal des professions en matière de recommandations communes ;

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[31] Le Tribunal des professions, dans une décision récente, soit l’affaire Emrich 9 , rappelait le caractère pour le moins limité de la discrétion du Comité lorsqu’il s’agit d’examiner le bien-fondé d’une recommandation commune :

[16] Pour les motifs qui suivent, je propose d’accueillir l’appel et d’imposer à l’intimé les sanctions qui avaient été proposées à l’origine par les parties.

[17] En effet, sous le couvert d’examiner si les sanctions proposées étaient susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice ou étaient par ailleurs contraires à l’intérêt public, le Conseil, dans une décision de 150 pages, s’attarde plutôt à la justesse des sanctions et impose finalement les sanctions qui, à son avis, auraient être imposées. Ce n’était pas son rôle. Il s’agitd’une erreur de principe justifiant l’intervention du Tribunal.

[18] Dans l’arrêt R. c. Binet, la Cour d’appel mettait d’ailleurs en garde les juges d’instance contre le risque d’utiliser le critère de l’intérêt public pour simplement imposer la peine qu’ils estiment appropriée. Manifestement, un tel rappel est nécessaire ici.

[…] [63] Dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, le juge Moldaver, rendant jugement pour la Cour suprême, écrivait ceci :

[1] Les discussions que tiennent les avocats du ministère public et ceux de la défense en vue d’un règlement sont non seulement courantes dans le système de justice pénale, elles sont essentielles. Menées correctement, elles permettent un fonctionnement en douceur et efficace du système.

[2] Les recommandations conjointes relatives à la peine c’est-à-dire lorsque les avocats du ministère public et de la défense conviennent de recommander au juge une peine en particulier, en échange d’un plaidoyer de culpabilité de la part de l’accusé font partie des discussions en vue d’un règlement. Elles constituent un moyen à la fois accepté et acceptable d’arriver à une entente sur le plaidoyer. On en voit tous les jours dans les salles d’audience partout au pays, et elles sont essentielles au bon fonctionnement du système de justice pénale. Comme l’a dit notre Cour dans R. c. Nixon, ces recommandations conjointes contribuent non seulement à ce « que l’on règle la grande majorité des affaires pénales au Canada », mais « elles contribuent donc à rendre le système de justice pénale équitable et efficace » (par. 47).

[…] [41] […] comme je l’ai mentionné, la présentation de recommandations conjointes ne reste possible que si les parties sont très confiantes qu’elles seront acceptées. Si elles doutent trop, les parties peuvent plutôt choisir d’accepter les risques d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Si les recommandations conjointes en viennent à être considérées comme des solutions de rechange insuffisamment sûres, l’accusé en particulier hésitera à renoncer à un procès et à ses garanties concomitantes, notamment la faculté cruciale de mettre à l’épreuve la solidité de la preuve du ministère public.

9 Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Emrich, 2022 QCTP 55 (CanLII);

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[42] D’où l’importance, pour les juges du procès, de faire montre de retenue et de ne rejeter les recommandations conjointes que lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Un seuil moins élevé que celui-ci jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement. Le critère de l’intérêt public garantit que ces ententes de règlement jouissent d’un degré de certitude élevé.

[références omises] [64] Ces principes s’appliquent tout autant en matière de droit disciplinaire. Dans une affaire de Audioprothésistes (Ordre professionnel des) c. Gougeon, une formation du Tribunal des professions écrivait ceci en débutant son analyse de la question qui nous intéresse :

[8] Les principes qui gouvernent les recommandations communes en matière disciplinaire sont bien connus. Ils sont identiques à ceux résumés par la Cour suprême dans l’arrêt Anthony-Cook en matière pénale. Bien qu’un conseil de discipline ne soit pas lié par toute recommandation conjointe, son pouvoir d’aller outre cette recommandation est bien circonscrit. Depuis que la Cour suprême a clarifié l'obligation d'entériner les suggestions communes dans Anthony-Cook, il faut se garder de référer au vocable utilisé avant cet arrêt, comme le Tribunal des professions le soulignait dans Pharmaciens (Ordre professionnel de) c. Vincent. En effet, face à une suggestion commune, le conseil ne peut y déroger - même s’il la considère inadéquate ou déraisonnable - que si elle est à ce point inadéquate ou déraisonnable, qu’elle déconsidère l’administration de la justice ou est contraire à l’intérêt public. Si tel n’est pas le cas, il ne revient pas au conseil de s’interroger sur la sévérité ou la clémence de la sanction suggérée.

[références omises] […] [79] Comme en droit criminel, les parties, en droit disciplinaire, sont bien placées pour en arriver à une recommandation conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux du professionnel. En principe, ils connaîtront très bien la situation du professionnel et les circonstances de l’infraction, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le syndic est chargé de s’assurer de la protection du public tandis que l’on exige que l’avocat du professionnel qu’il agisse dans son intérêt supérieur. Et les deux avocats sont tenus, sur le plan professionnel et éthique, de ne pas induire le conseil en erreur. Bref, ils sont entièrement capables d’arriver à des règlements équitables et conformes à l’intérêt public. Les tribunaux estiment que les suggestions conjointes présument d'une discussion préalable franche entre les parties à l'aune de leurs intérêts respectifs […].

(caractères gras ajoutés)

[32] Ce jugement s’inscrit dans la lignée des décisions rendues dans les affaires Gougeon 10 et Duval 11 , de plus, ces principes ont été réitérés dernièrement dans l’arrêt Gaudy c. Chiropraticiens 12 ;

10 Audioprothésistes c. Gougeon, 2021 QCTP 84 (CanLII); 11 Duval c. Comptables professionnels agréés (Ordre des), 2022 QCTP 36 (CanLII); 12 2023 QCTP 48 (CanLII);

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[33] Cela dit, de l’avis du Comité, les sanctions suggérées répondent aux quatre (4) critères de l’arrêt Pigeon c. Daigneault 13 , soit :

La protection du public ; La dissuasion du professionnel de récidiver ; L’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables ;

Le droit pour le professionnel visé d’exercer sa profession ; [34] Rappelons également que selon le Tribunal des professions, « la suggestion commune issue d’une négociation rigoureuse dispose d’une force persuasive certaine » 14 ;

[35] Enfin, les ententes communes constituent « un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice disciplinaire » 15 ;

[36] De plus, la Cour d’appel, dans l’arrêt Binet 16 , reprenant alors l’opinion émise par la Cour d’appel d’Alberta dans l’affaire Belakziz 17 , précisait qu’il n’appartient pas au juge de déterminer la sanction qui pourrait être imposée pour ensuite la comparer avec celle proposée par les parties ;

[37] Dans le même ordre d’idée, le Comité n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence de la sanction, il ne s’agit pas d’un élément déterminant face à une recommandation commune formulée par les parties 18 ;

[38] Dans les circonstances, en considérant les enseignements des tribunaux supérieurs et en tenant compte des facteurs objectifs et subjectifs, à la fois aggravants et atténuants, et plus particulièrement des représentations des parties, le Comité n’a aucune hésitation à entériner la recommandation commune ;

[39] De l’avis du Comité, les sanctions suggérées sont justes et raisonnables et, surtout, appropriées au présent dossier ;

[40] Finalement, elles assurent la protection du public sans punir outre mesure l’intimé ; [41] En conséquence, et en conformité avec les enseignements du Tribunal des professions dans les arrêts Gougeon 19 , Duval 20 , Emrich 21 et Gaudy 22 , le Comité

13 2003 CanLII 32934 (QC CA), par. 37; 14 Chan c. Médecins, 2014 QCTP 5 (CanLII), par. 42 ; 15 Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII), par. 21 ; 16 R. c. Binet, 2019 QCCA 669 (CanLII), par. 19 et 20 ; 17 R. c. Belakziz, 2018 ABCA 370 (CanLII), par. 17 et 18 ; 18 Notaires c. Génier, 2019 QCTP 79 (CanLII), par. 27 ; 19 Op. cit., note 10;

2023-05-01(A)

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entérinera la recommandation commune et imposera les sanctions suggérées. PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimé ; DÉCLARE l’intimé coupable du chef 1 de la plainte et plus particulièrement comme suit :

Chef 1:

pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) ;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard de l’autre disposition législative et réglementaire alléguée au soutien du chef 1 de la plainte;

IMPOSE à l’intimé la sanction suivante : Chef 1 : une amende de 2 000 $ CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés du dossier.

___________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président

____________________________________ Mme Anne-Marie Hurteau, agent en assurance de dommages Membre

____________________________________ Mme Véronique Miller, agent en assurance de dommages des particuliers Membre

Me Marie-Hélène Sylvestre Avocate de la partie plaignante

Me Sonia Paradis Avocate de la partie intimée

Date d’audience : 26 septembre 2023 (par visioconférence)

20 Op. cit., note 11; 21 Op. cit., note 9; 22 Op. cit, note 12;

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