Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

: 2021-11-04(C) DATE : 22 juin 2023

LE COMITÉ : Me Daniel M. Fabien, avocat Mme Mireille Gauthier, agent en assurance de dommages Mme Véronique Miller, agent en assurance de dommages des particuliers

Vice-président Membre

Membre

M E YANNICK CHARTRAND, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

c.

Partie plaignante

CHANEL-ANOUSHKA GIROUX, courtier en assurance de dommages Partie intimée

DÉCISION SUR LA SANCTION

[1] Le 15 mai 2023, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages (« le Comité ») procède par visioconférence à l’audition des représentations des parties sur les sanctions à être imposées à l’intimée à la suite de la décision sur culpabilité 1 rendue dans le présent dossier.

[2] Le syndic est représenté par Me Mathieu Cardinal. Quant à l’intimée, elle est représentée par Me Yves Carignan.

1 ChAD c. Giroux, 2022 CanLII 85413 (QC CDCHAD);

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I. La décision sur culpabilité [3] Dans sa décision sur la culpabilité de l’intimée rendue le 6 septembre 2022, le Comité fait de graves constats, dont notamment ce qui suit :

l’intimée n’a pas tenu compte des limites de ses aptitudes, connaissances et moyens avant d’entreprendre le mandat d’agir pour le compte de l’entreprise assurée. (par. 119);

au cours de son témoignage, l’intimée n’a fait aucun effort pour dire la vérité de bonne foi. (par.131);

l’intimée a fait preuve d’une conduite qui est manifestement déloyale envers l’assureur RSA Facility. (par.134);

l’intimée a délibérément et malhonnêtement induit en erreur l’expert en sinistre mandaté par l’assureur RSA Facility. (par. 149-150);

l’intimée a transmis un courriel à l’expert en sinistre afin de tromper ce dernier dans le but de brouiller les pistes pour tenter de se disculper. (par. 154-157).

[4] L’intimée a été déclarée coupable sur chacun des chefs de la plainte. Toutefois, considérant la règle interdisant les condamnations multiples, une suspension conditionnelle des procédures fut ordonnée sur le chef 3 de la plainte.

[5]

L’intimée doit donc être sanctionnée relativement aux condamnations suivantes : 1. Entre les ou vers les 4 mai 2020 et 2 mars 2021, a fait défaut de tenir compte des limites de ses aptitudes, de ses connaissances ainsi que des moyens dont elle disposait, en agissant comme courtier en assurance de dommages pour M[…] T[…] Limitée ayant une flotte de véhicules à assurer dans la province de l’Ontario, sans être membre de Registered Insurance Brokers of Ontario, en contravention avec l’article 17 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

2. Le ou vers le 20 août 2020, à la suite de l’incendie d’un camion Kenworth 2007 appartenant à l’assurée M[…] T[…] Limitée, a abusé de la bonne foi de l’assureur Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances et/ou a usé de procédés déloyaux à son endroit, en recommandant au représentant de l’assurée, M.L., de présenter une réclamation d’assurance sur la base d’une protection d’assurance pour dommages matériels sans collision apparaissant erronément sur la copie du contrat d’assurance automobile no RIC 058662228 imprimée le 12 août 2020, alors qu’elle savait ou devait savoir que telle protection n’était pas audit contrat, en contravention avec l’article 27 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

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4. Le ou vers le 1er octobre 2020, a abusé de la bonne foi de l’assureur Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances et de son expert en sinistre et/ou a usé de procédés déloyaux à leur endroit, en transmettant à l’expert en sinistre de l’assureur copie du contrat d’assurance automobile no RIC 058662228 imprimée le 12 août 2020 indiquant une protection d’assurance pour dommages matériels sans collision pour le camion Kenworth 2007 appartenant à l’assurée M[…] T[…] Limitée, alors qu’elle savait ou devait savoir que cette copie était erronée, en contravention avec l’article 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

5. Le ou vers le 9 novembre 2020, a abusé de la bonne foi de l’assureur Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances et de son expert en sinistre et/ou a usé de procédés déloyaux à leur endroit, en déclarant faussement qu’elle croyait que le contrat d’assurance automobile no RIC 058662228 contenait une protection d’assurance pour dommages matériels sans collision pour le camion Kenworth 2007 appartenant à l’assurée M[…] T[…] Limitée, en contravention avec l’article 37(7) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

II. La preuve sur sanction [6] Me Cardinal nous informe qu’il n’a pas de preuve additionnelle à offrir et qu’il entend uniquement référer le Comité à la preuve administrée lors de l’instruction sur culpabilité.

[7]

Me Carignan nous avise également qu’il n’entend pas administrer une preuve.

III. Représentation sur sanction de la partie plaignante [8] Me Cardinal requiert la radiation temporaire du certificat de l’intimée pour des périodes concurrentes de 9 mois sur chacun des chefs 1, 2, 4 et 5 de la plainte.

[9] Le procureur du syndic demande également la publication d’un avis de radiation temporaire aux frais de l’intimée et que cette dernière soit condamnée au paiement de tous les déboursés.

[10] Le procureur du syndic affirme que le Comité est saisi d’un cas d’espèce le Comité doit se soucier de l’objectif primordial de la sanction disciplinaire, soit la protection du public, tout en mettant l’accent sur la dissuasion de l’intimée à récidiver.

[11] Quant aux facteurs aggravants, Me Cardinal souligne les éléments suivants : qu’il s’agit d’infractions au cœur de la profession; le préjudice causé à l’assurée;

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le fait que, par son inaptitude, l’intimée a empiré la situation de l’assurée; le caractère répétitif des fautes déontologiques commises; le caractère désinvolte et spontané de la malhonnêteté de l’intimée; le manque alarmant d’intégrité et de probité de l’intimée et l’absence totale d’une volonté de se corriger;

son indifférence voire mépris du processus disciplinaire et du Comité; un risque de récidive très élevée considérant l’absence d’introspection de l’intimée.

[12] En somme, considérant le manque de probité de l’intimée, le syndic est d’avis que la période de suspension du certificat de l’intimée ne doit pas être symbolique, mais plutôt exemplaire et dissuasive.

[13] À l’appui de cette suggestion, le procureur du syndic se fonde sur les sources jurisprudentielles suivantes :

Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA) ChAD c. Pong, 2006 CanLII 53734 (QC CDCHAD) ChAD c. Bernard, 2019 CanLII 22097 (QC CDCHAD) ChAD c. Domon, 2019 CanLII 104023 (QC CDCHAD) ChAD c. Verret, 2019 CanLII 47053 (QC CDCHAD) ChAD c. Thiffault, 2019 CanLII 112813 (QC CDCHAD) ChAD c. D’Anjou, 2020 CanLII 55841 (QC CDCHAD) [14] En résumé, le comportement de l’intimée met en péril la protection du public et le risque de récidive est très élevé, considérant que l’intimée se moque du processus disciplinaire.

[15] Dans un tel contexte, considérant que l’intimée n’a pas de probité, la partie plaignante est d’avis que seule une longue période de radiation temporaire peut adéquatement protéger le public et dissuader l’intimée de récidiver.

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IV. Représentation sur sanction de la partie intimée [16] Le procureur de l’intimée débute ses représentations en affirmant que l’intimée exerce la profession depuis 18 ans dont 7 ans en assurance de dommages en matière de transport automobile routier.

[17] Selon Me Carignan, l’intimée ne doit pas être punie pour les gestes qu’elle a posés comme le voudrait le syndic.

[18] L’intimée doit bénéficier des facteurs atténuants suivants : l’absence d’antécédent disciplinaire; sa bonne collaboration à l’enquête du syndic; le fait que l’intimée exerce la profession dans une grande organisation qui comporte plusieurs ressources pouvant désormais encadrer son exercice de la profession.

[19] Selon le procureur de l’intimée, le Comité ne peut pas évacuer le dernier objectif de la sanction disciplinaire élaboré dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault, soit le droit du professionnel d’exercer sa profession.

[20] En fait, le procureur est d’avis qu’une radiation temporaire de 9 mois pourrait tuer la carrière d’un professionnel.

[21] Me Carignan nous renvoie aussi à l’arrêt Thibault c. Da Costa 2 , afin de nous rappeler que la sanction disciplinaire ne doit pas avoir pour objectif de punir le professionnel.

[22] Par la suite, le procureur de l’intimée nous réfère à ses autorités, notamment à l’affaire Filion 3 qui s’est fait imposer une amende totale de 16 000 $.

[23] Me Carignan réitère que l’intimée a bien collaboré avec l’enquêteur Yves Barrette de la ChAD et que suivant la jurisprudence du Comité, une suspension de 30 jours est la sanction qui doit guider le Comité dans le présent dossier.

[24] Bref, considérant entre autres l’encadrement dont bénéficie l’intimée au cabinet BFL Canada, la radiation du permis de l’intimée pour une période aussi importante que 9 mois serait non seulement inappropriée, mais punitive.

[25] Cela étant, en se fondant principalement sur les décisions Architectes (Ordre professionnel des) c. Lavoie, 2018 CanLII 3662 (QC OARQ) et ChAD c. Filion 4 , le

2 2014 QCCA 2347 (CanLII), par. 63; 3 ChAD c. Filion, 2021 CanLII 15950 (QC CDCHAD); 4 Supra, note 3;

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procureur de l’intimée nous suggère d’imposer les sanctions suivantes : Chef 1 : une amende de 2 500 $; Chef 2 : une amende de 2 500 $; Chef 4 : une amende de 2 000 $; Chef 5 : une amende de 2 000 $. [26] Par ailleurs, en se fondant sur le principe de la globalité 5 , selon le procureur de l’intimée, le montant total des amendes devrait être réduit à une somme globale de 6 000¤$.

[27] Subsidiairement, le procureur plaide que, si le Comité considère que le cas de l’intimée justifie l’imposition d’une période de radiation temporaire, celle-ci devrait être pour une période maximale de 30 jours.

[28] À l’appui de ses suggestions, Me Carignan nous soumet également les décisions suivantes du Comité :

ChAD c. Mousseau, 2016 CanLII 66956 (QC CDCHAD); ChAD c. Domon, 2019 CanLII 104023 (QC CDCHAD); ChAD c. Côté, 2020 CanLII 55837 (QC CDCHAD); ChAD c. D’Anjou, 2020 CanLII 55841 (QC CDCHAD); ChAD c. Jasmin, 2021 CanLII 51162 (QC CDCHAD).

V. Analyse et décision Les critères en matière de sanction [29] Dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault 6 , le juge Chamberland de la Cour d’appel énonce les objectifs visés par la sanction disciplinaire :

[37] La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d'espèce.

5 Kenny c. Baril, 1993 CanLII 9195 (QC TP); 6 2003 QCCA 32934 (CanLII);

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[38] La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants: au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), 1998 QCTP 1687 (CanLII), [1998] D.D.O.P. 311; Dr J. C. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al, 1995 CanLII 5215 (QC CA), [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c. Burns, 1994 CanLII 127 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 656).

[39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire.

(Nos soulignements) [30] Dans l’arrêt Mailloux c. Deschênes 7 , la Cour d’appel écrit qu’« en matière de discipline professionnelle, l’objectif primordial dans l’attribution d’une sanction est celui de la protection du public. ».

[31] Toujours sur l’objectif de la sanction disciplinaire, il convient de se référer à un jugement plus récent du Tribunal des professions, soit l’affaire Serra 8 , le juge Vanchestein précise ce qui suit :

[117] Par exemple, la protection du public doit s’évaluer en tenant compte de la situation particulière du professionnel et non in abstracto. Les conseils de discipline doivent s’interroger si ce professionnel en particulier représente un risque de préjudice pour le public et non le faire d’une façon abstraite, sans lien avec le dossier à l'étude.

[118] En ce qui concerne l’objectif de la dissuasion spécifique, le conseil de discipline doit notamment analyser la situation du professionnel au moment de la sanction et déterminer si le processus disciplinaire l’a

7 2015 QCCA 1619 (CanLII), par.145; 8 Serra c. Médecins (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 2 (CanLII);

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suffisamment dissuadé de répéter son comportement, donc considérer l’effet dissuasif du processus disciplinaire lui‑même.

[119] Pour l’objectif de l’exemplarité, qu’il suffise de souligner le fait que la Cour d’appel du Québec a mentionné à plusieurs reprises la valeur toute relative de cette notion.

[120] Le dernier objectif relativement au droit d’exercer sa profession ne doit pas être négligé, même s’il semble être rarement considéré par les instances disciplinaires. Si le professionnel ne représente pas ou plus un danger pour le public, il n’y a peut‑être pas lieu d’imposer de longues périodes de radiation temporaire, ce qui a comme effet de priver le professionnel de revenus. En intégrant cet objectif, la Cour d’appel dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault cible la réhabilitation, facteur inhérent à toute mesure punitive, et impose aux conseils de discipline de considérer l’éventuelle réintégration du professionnel dans son milieu.

(Références omises, nos soulignements) [32] En prenant appui sur l’arrêt de la Cour d’appel dans Marston c. Autorité des marchés financiers 9 , le Tribunal des professions souligne la nécessité de s’intéresser avant tout à la gravité objective de l’infraction :

[78] Cette nécessité de s’intéresser d’abord à l’infraction est intimement liée à l’objectif de protection du public alors que la gravité objective d’une faute donnée ne doit pas être subsumée au profit de circonstances atténuantes lesquelles relèvent davantage de la personnalité du professionnel que de l’exercice de la profession 10 . (Références omises, notre soulignement,)

[33] Ainsi donc, ayant toujours à l'esprit le critère primordial de la protection du public, le Comité doit situer la sanction à l'intérieur d'un cadre établi tout d'abord à partir de facteurs objectifs, à savoir notamment, la nature des infractions, les circonstances dans lesquelles elles ont été commises et la relation des infractions avec l'exercice de la profession.

[34] Ensuite, s'ajoutent des facteurs de nature subjective qui découlent principalement de la personnalité du professionnel visé. Par exemple, les antécédents disciplinaires, son âge, sa crédibilité, son expérience, ses remords et sa volonté de réhabilitation sont tous des facteurs subjectifs qui aident à déterminer si la sanction est juste, raisonnable et proportionnée à la faute commise.

9 2009 QCCA 2178 (CanLII); 10 Rabbani c. Médecins (Ordre professionnel des), 2022 QCTP 3;

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[35] Examinons maintenant les facteurs atténuants et aggravants. Les facteurs atténuants [36] En l’espèce, l’intimée bénéficie d’un seul facteur atténuant. Il s’agit de son absence d’antécédent disciplinaire.

[37] Quant à l’argument soulevé en défense au sujet de la bonne collaboration de l’intimée auprès de l’enquêteur Yves Barrette de la ChAD, il y a lieu de revenir sur les faits.

[38] À notre avis, le 21 juin 2021, au cours d’un entretien téléphonique de plus d’une (1) heure avec M. Barrette 11 , l’intimée n’est pas franche avec l’enquêteur.

[39] À titre d’exemples, soulignons les éléments qui suivent : elle mentionne à l’enquêteur que l’histoire est nébuleuse alors que l’assuré a plaidé coupable à une accusation criminelle de méfait pour avoir déclaré un véhicule volé alors que celui-ci était en la possession d’un garagiste qui faisait valoir son droit de rétention suite aux travaux effectués sur le véhicule;

elle se défend devant le Comité en disant que l’histoire est nébuleuse; elle déclare que son mandat n’était pas d’enquêter pour savoir ce qui s’était passé, mais plutôt de replacer l’assurance;

elle déclare également que le contrat d’assurance de l’assurée n’était pas résilié en date du 4 mai 2020, mais omet de mentionner à l’enquêteur que Cooperators avait avisé l’assurée que ses polices devaient être résiliées en date du 15 mai 2020;

elle mentionne également « que c’est avec le bureau de Toronto qu’on a géré » le dossier de l‘assurée et que Scott Cober, le responsable à Toronto, qui a géré le dossier avec les Facilities alors que c’est plutôt l’intimée qui a géré l’affaire et placé le risque alors qu’elle n’était pas certifiée RIBO.

[40] Certes, l’intimée a eu plusieurs communications au cours desquelles elle s’est entretenue avec M. Barrette. Cependant, tout au long de l’exercice, la franchise et la transparence n’étaient pas constamment au rendez-vous.

[41] Autre circonstance atténuante soulevée par le procureur de l’intimée, l’encadrement dont elle bénéficie chez BFL Canada sera salutaire et fera en sorte que le public sera protégé.

11 Voir à ce sujet la pièce P-44;

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[42] Cet argument ne peut être retenu. Voici pourquoi. [43] D’abord, aucune preuve n’a été administrée à ce sujet par la partie intimée. En conséquence, le Comité ignore quelle est la teneur d’un tel soutien et suivi de la part de BFL Canada.

[44] Ensuite, la défense présentée par l’intimée au cours de l’audition sur culpabilité n’a pas été retenue par le Comité.

[45] Cette défense de l’intimée était principalement basée sur deux éléments. [46] Premier élément, l’intimée a fait valoir que le risque avait été placé par l’équipe de BFL Canada à Toronto par l’entremise des courtiers Scott Cober et Michael Nituda, et non pas par elle-même.

[47] Deuxième élément de la défense, l’intimée agissait uniquement comme intermédiaire auprès de l’assuré au motif que ce dernier ne parlait pas l’anglais.

[48] Or, le Comité a complètement rejeté l’ensemble de cette défense de l’intimée 12 . [49] Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, nous sommes d’avis qu’en l’absence d’un engagement formel de BFL Canada et d’une preuve probante sur la question, la thèse soulevée en défense voulant que l’encadrement futur de l’intimée par BFL Canada constitue un facteur atténuant est sans valeur.

[50] Cela étant dit, il y a désormais lieu d’analyser les facteurs aggravants. Les facteurs aggravants [51] Quant aux facteurs aggravants, ils sont nombreux : la grande gravité objective des infractions commises; le fait qu’il s’agit d’infractions qui sont au cœur de la profession; la grande expérience de l’intimée; la malhonnêteté de l’intimée et son manque flagrant de probité; les procédés déloyaux de l’intimée tant envers l’assureur que l’expert en sinistre;

12 Supra, note 1, voir notamment le paragraphe 131 de notre décision sur culpabilité;

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le caractère répétitif des gestes inappropriés; l’absence de repentir et d’introspection de la part de l’intimée; l’absence de preuve d’une quelconque réhabilitation; son manque de respect envers le processus disciplinaire; un risque élevé de récidive. [52] Cela étant, un principe important en matière de détermination d’une sanction juste et appropriée est l’exemplarité positive.

[53] À ce sujet, il importe de voir qui est la partie intimée au moment elle se présente devant le Comité pour l’imposition de la sanction :

Finalement, en vertu du principe de l’exemplarité positive, le comité de discipline, dans la détermination de la sanction appropriée, doit tenir compte des éléments propres à la personnalité du professionnel, comme l’évolution positive de ce dernier lorsque s’est écoulée une longue période entre la commission des infractions et l’imposition de la sanction. C’est d’ailleurs l’individu que le comité de discipline a devant lui au moment de l’imposition de la sanction et non celui qu’il était au moment de la commission de l’infraction qui doit être évalué 13 .

(Notre soulignement) [54] Or, en l’espèce, l’intimée n’a pas témoigné lors de l’audition sur la sanction. [55] En somme, la partie intimée que le Comité a devant lui pour les fins de la sanction est celle que nous avons vue et entendue lors de l’audition sur culpabilité. Ainsi, le Comité ne dispose d’aucune preuve lui permettant de venir à la conclusion que l’intimée a cheminé depuis l’audition sur culpabilité ou qu’elle est en voie de se réhabiliter.

[56] De ce fait, avec la preuve disponible, le Comité conclut que l’intimée constitue un grave risque pour la protection du public.

La sanction juste et appropriée dans les circonstances [57] La Cour d’appel dans l’arrêt Courchesne c. Castiglia 14 souligne que l’analyse des précédents est un exercice délicat considérant que chaque cas est un cas d’espèce :

[83] L'appelant reproche ensuite au juge de la Cour du Québec d'avoir fait

13 Précis de droit professionnel, Me Jean-Guy Villeneuve, Nathalie Dubé et Tina Hobday, Les Éditions Yvon Blais, aux pages 250 et suivantes; 14 2009 QCCA 2303 (CanLII);

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une analyse erronée des précédents en matière de sanction. Le reproche est mal fondé. La détermination de la peine, que ce soit en matière disciplinaire ou en matière pénale, est un exercice délicat, le principe fondamental demeurant celui d'infliger une peine proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. L'analyse des précédents permet au décideur de s'assurer que la sanction qu'il apprête à infliger au délinquant est en harmonie avec celles infligées à d'autres contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Mais l'analyse des précédents n'est pas sans embûche, chaque cas étant différent de l'autre. En l'espèce, à la lecture de la décision du comité de discipline et du jugement dont appel, il me semble que le reproche formulé par l'appelant est sans fondement.

(Références omises, nos soulignements) [58] Cela étant dit, le Tribunal des professions a reconnu à plusieurs reprises qu’un comité n’est pas lié par les précédents jurisprudentiels et qu’il bénéficie d’une large discrétion pour imposer la sanction appropriée.

[59] Ainsi, dans l’affaire Laurion 15 , le Tribunal des professions exprime l’avis suivant : [14] Un conseil de discipline est une instance spécialisée, formée en partie de pairs bien placés pour évaluer la sanction qui doit être imposée à un membre de leur profession. Il jouit d’une large discrétion et sa décision sur sanction doit faire l’objet de déférence. Règle générale, la retenue de l’instance d’appel s’impose.

[…] [24] D’ailleurs, pour des infractions de même nature, la jurisprudence varie de la simple réprimande, parfois assortie d’amende, jusqu’à une radiation provisoire de deux ans. Il n’existe pas de sanction uniforme pour une infraction donnée. Une sanction doit être individualisée en fonction de la personnalité du professionnel et des circonstances particulières du dossier.

[25] Le principe d’individualisation de la sanction entraîne nécessairement un certain degré de disparité dans les sanctions infligées. L’existence de circonstances atténuantes ou aggravantes peut favoriser un écart important dans la détermination d’une sanction. Quoiqu’il en soit, même si les précédents judiciaires doivent être considérés, la jurisprudence ne peut demeurer statique. (Référence omise, nos soulignements)

[60] Après revue des précédents soumis par les parties et d’autres décisions en matière disciplinaire, le Comité est incapable de trouver un précédent jurisprudentiel qui se rapproche vraiment des faits de la présente affaire.

15 Laurion c. Médecins (Ordre professionnel des), 2015 QCTP 59 (CanLII);

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[61] Néanmoins, dans l’affaire ChAD c. Lacelle 16 , le Comité alors présidé par Me Marco Gaggino, tient des propos très durs à l’endroit d’une partie intimée dans le cadre de sa décision sur sanction. Or, la présente formation du Comité est d’avis que la discussion qui suit s’applique mutatis mutandis au présent dossier :

[64] En ce qui concerne les autres facteurs subjectifs, outre l’âge de l’intimé, le Comité ne retrouve guère de facteurs pouvant atténuer la gravité objective de ses agissements. L’intimé a plusieurs années de pratique à son actif, il connaît la profession et les gestes posés sont réfléchis et mettent à partie son honnêteté. L’intimé n’a démontré aucune volonté de s’amender, il n’a fait preuve d’aucun remords, contrition ou empathie pour les victimes de ses gestes et il ne s’est jamais préoccupé des conséquences possibles de ceux-ci. Son intérêt personnel l’a guidé tout au long des situations de fautes déontologiques dans lesquelles il a plongé volontairement. L’intimé plaide d’ailleurs qu’il a toujours agi de bonne foi, qu’il n’a pas mis en danger le public et qu’il n’y a aucun facteur aggravant dans son dossier, laissant ainsi sérieusement douter de son potentiel de réhabilitation. L’intimé n’a pas admis les faits, mais les a plutôt contestés offrant souvent des moyens de défense peu crédibles afin de se disculper. Il n’a pas non plus fait preuve d’une collaboration franche et transparente avec la syndic.

(Nos soulignements) [62] Ainsi donc, nous sommes d’avis qu’afin de protéger le public, la sanction doit être particulièrement exemplaire et dissuasive en l’espèce. En d’autres mots, sans être punitive 17 , une importante période de radiation temporaire s’impose considérant tout ce qui précède et notamment la malhonnêteté de l’intimée et le risque de récidive élevé.

[63] Quant à la période de suspension maximum de 30 jours suggérée par le procureur de l’intimée, nous sommes d’avis que le simple passage d’un mois ne saurait être suffisant pour faire réaliser à l’intimée qu’elle ne peut pas agir comme elle le fait.

[64] Comme le mentionne avec justesse le procureur du syndic, la malhonnêteté désinvolte et spontanée de l’intimée est dangereuse et doit cesser. Le public doit être véritablement protégé puisque le manque de probité d’un professionnel se répercute nécessairement sur sa capacité à exercer des fonctions qui requièrent des qualités d’honnêteté, de loyauté, de professionnalisme et de compétence 18 .

[65] Enfin, l’intimée doit absolument saisir que la profession de courtier en assurance de dommages est un privilège accordé aux professionnels qui s’engagent à en respecter

16 ChAD c. Lacelle, 2012 CanLII 64436 (QC CDCHAD), au paragraphe 64. Dans cette affaire, l’intimé Lacelle a été radié de façon permanente; 17 Voir à ce sujet Grisé c. Deschamps, 2020 QCCQ 2221 (CanLII), au paragraphe 62; 18 Mastrocola c. Autorité des marchés financiers, 2011 QCCA 995 (CanLII), au paragraphe 14;

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toutes les obligations prescrites par le législateur 19 . [66] Cela étant dit, après avoir délibéré, nous partageons entièrement le point de vue du syndic quant à la sanction qui doit être imposée à l’intimée. En conséquence, même si l’objectif du droit de gagner sa vie existe, dans la présente affaire, il doit nécessairement céder le pas à l’objectif primordial de la protection du public. Or, sur les chefs 1, 2, 4 et 5, nous sommes en présence d’infractions profondément liées, de même nature et de gravité identique vu qu’elles s’enchainent selon un rapport de continuité, chacune des infractions mettant en jeu le manque de probité de l’intimée. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de les départager 20 .

[67] Ainsi donc, sur chacun des chefs, le certificat de l’intimée sera radié pour des périodes concurrentes de 9 mois, un avis de radiation devra être publié et l’intimée est condamnée au paiement de tous les frais et déboursés.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : IMPOSE à l’intimée Chanel-Anoushka Giroux les sanctions suivantes : Chef no 1 : une radiation temporaire de 9 mois; Chef no 2 : une radiation temporaire de 9 mois; Chef no 4 : une radiation temporaire de 9 mois; Chef no 5 : une radiation temporaire de 9 mois; DÉCLARE que les périodes de radiation temporaire imposées seront purgées de façon concurrente entre elles pour une radiation temporaire totale de 9 mois;

ORDONNE à la secrétaire du Comité de discipline de faire publier dans un journal circulant dans le lieu l’intimée détient son domicile professionnel un avis de la présente décision, et ce, aux frais de l’intimée;

CONDAMNE l’intimée au paiement de tous les frais et déboursés, plus les frais de publication de l’avis de radiation temporaire;

19 David c. Bergeron, ès qualités (denturologistes), 2000 QCTP 65 (CanLII); 20 Voir Terjanian c. Lafleur, 2019 QCCA 230 (CanLII), au paragraphe 40;

2021-11-04(C)

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____________________________________ Me Daniel M. Fabien, avocat Vice-président du Comité de discipline

_________________________________ Mme Mireille Gauthier, agent en assurance de dommages Membre

____________________________________ Mme Véronique Miller, agent en assurance de dommages des particuliers Membre

Me Mathieu Cardinal Procureur de la partie plaignante

Me Yves Carignan Procureur de la partie intimée

Date d’audience: 15 mai 2023 par visioconférence

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