Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

: 2021-12-04(E)

DATE :

LE COMITÉ : M e Daniel M. Fabien, avocat M. Yvan Roy, expert en sinistre M. Luc Demers, expert en sinistre

Vice-président Membre Membre

M E PASCAL PAQUETTE-DORION, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages

c.

Partie plaignante

JEAN-PIERRE GAMELIN, expert en sinistre Partie intimée

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

I.

L’audition disciplinaire

[1] Le 6 mars 2023, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages (le « Comité ») procède par visioconférence Zoom afin de disposer de la plainte portée contre l’intimé dans le présent dossier.

e Yves

[2] L’intimé n’est pas présent lors de l’instruction mais il est représenté par M Carignan.

[3] M e Claude G. Leduc représente le syndic adjoint M e Sandrine Bouchard. [4] Les procureurs des parties déposent sous la cote SP-1 un exposé sommaire et conjoint des faits qui dispose du dossier par le dépôt d’une plainte modifiée par laquelle

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le libellé des chefs 1 et 2 sont nettoyés, l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité sur les nouveaux chefs 1 et 2 et une recommandation conjointe sur sanction pour considération par le Comité.

II.

Le plaidoyer de culpabilité de l’intimé

[5] Séance tenante, le Comité autorise d’une plainte modifiée qui ne compte que deux chefs d’accusation, soit les chefs 1 et 2.

[6] Questionné par le vice-président du Comité sur le plaidoyer de culpabilité, le procureur de l’intimé confirme qu’il est dûment autorisé à enregistrer un plaidoyer de culpabilité pour et au nom de son client.

[7] Séance tenante, le Comité prend acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimé et le déclare coupable des infractions reprochées.

III.

[8]

Les déclarations de culpabilité

La plainte modifiée du 4 octobre 2022 fait les reproches suivants à l’intimé : 1. Entre les ou vers les 21 août 2019 et 31 mai 2021, dans le cadre du traitement de la réclamation de l’assuré S.L.J., logée aux termes du contrat d’assurance des entreprises no GC115192 émis par Desjardins assurances générales inc., à la suite d’un dommage par incendie survenu le 21 août 2019, a exercé ses activités de manière négligente en faisant preuve d’un manque de contrôle de la réclamation et en faisant défaut de fournir à l’assuré les explications relatives à l’exécution des travaux et le traitement de sa réclamation, (…) :

(…) en contravention avec (…) l’article 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre;

2. Entre les ou vers les 21 août 2019 et 31 mai 2021, a été négligent dans la tenue du dossier de réclamation de l’assuré S.L.J., notamment en faisant défaut d’y inscrire toutes ses démarches et interventions, ainsi que toutes les communications avec les divers intervenants au dossier, en contravention avec l’article 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, les articles 10 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre et les articles 12 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome.

[9] Sur le chef 1, l’intimé est déclaré coupable d’avoir enfreint l’article 58(1 de déontologie des experts en sinistre, qui stipule :

o ) du Code

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Art. 58. Constitue un manquement à la déontologie, le fait pour l’expert en sinistre d’agir à l’encontre de l’honneur et la dignité de la profession, notamment :

1 o d’exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente; [10] Quant au chef 2, l’intimé est déclaré coupable d’avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome, soit :

Art. 21 Les dossiers clients qu’un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome inscrit dans la discipline de l’assurance de dommages doit tenir sur chacun de ses clients dans l’exercice de ses activités doivent contenir les mentions suivantes:

son nom; le montant, l’objet et la nature de la couverture d’assurance; le numéro de police et les dates de l’émission du contrat et de la signature de la proposition, le cas échéant;

le mode de paiement et la date de paiement du contrat d’assurance; la liste d’évaluation des biens de l’assuré transmise par celui-ci, le cas échéant.

Tout autre renseignement ou document découlant des produits vendus ou des services rendus recueillis auprès du client doit également y être inscrit ou déposé.

[11] Un arrêt des procédures est ordonné sur les autres dispositions réglementaires invoquées au soutien des chefs d’accusation.

IV. La preuve sur sanction [12] L’exposé sommaire et conjoint des faits des parties expose la trame factuelle suivante :

I.

LES PARTIES Me Paquette-Dorion agit en sa qualité de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages et dépose une plainte contre l’intimé, monsieur Jean-Pierre Gamelin, le 7 décembre 2021 (ci-après la « Plainte »), pour des manquements commis dans le cadre du traitement de la réclamation du syndicat de la copropriété Le Jardinier (ci-après le « Syndicat ») dont l’immeuble est sis au 3160-3166-3170 rue de Rouville à Montréal (ci-après l’« Immeuble »);

L’intimé, monsieur Jean-Pierre Gamelin, détient sa certification d’expert en sinistre (5A) et est rattaché à Desjardins Assurances générales au moment

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de la survenance des manquements décrits dans la Plainte, soit entre les ou vers les 21 août 2019 et 31 mai 2021;

II.

Le 31 octobre 2019, le Syndicat avise M. Gamelin par courriel du mandat confié à l’expert public, monsieur Pierre Gemme, qui représentera le Syndicat dans ses échanges avec M. Gamelin;

LES FAITS Le Syndicat est assuré aux termes du contrat d’assurance des entreprises numéro GC115192 auprès de Desjardins Assurances générales inc. pour la période du 15 décembre 2018 au 15 décembre 2019;

Le 21 août 2019, un incendie se déclare sur le toit de l’Immeuble et l’ensemble des unités sont endommagées;

Le Syndicat déclare le sinistre le jour même à son assureur, soit Desjardins Assurances générales, et le dossier de réclamation #76380372 est ouvert et assigné à M. Gamelin;

M. Gamelin mandate immédiatement Darcon et cie inc. pour effectuer les travaux d’urgence Darcon barricade l’Immeuble et fait un compte-rendu des travaux effectués à M. Gamelin le 22 août 2019;

Le 30 août 2019, le Syndicat avise M. Gamelin par courriel que de l’eau s’infiltre dans l’Immeuble jusqu’au niveau du rez-de-chaussée et du rez-de-jardin dans une des unités. À la suite de cette information, M. Gamelin voit à ce qu’une bâche soit installée sur le mur extérieur de l’Immeuble;

La bâche ne suffit toutefois pas à bloquer l’entrée d’eau quand la pluie est forte;

M. Gamelin recommande des travaux d’urgence sur le toit; M. Gamelin omet cependant d’obtenir le permis de la ville de Montréal pour procéder aux travaux d’urgence et/ou a omis de s’enquérir auprès de la Ville de la possibilité de procéder aux travaux d’urgence sans permis;

Lors des travaux, il y a des problèmes au niveau de la sécurisation de l’Immeuble;

M. Gamelin et l’entrepreneur sont avisés à plusieurs reprises par le Syndicat d’un certain relâchement quant aux règles de sécurisation de l’Immeuble;

Les seize unités de l’Immeuble sont dégarnies en leur entièreté, ne laissant que la structure en place. Toutefois, même dans les unités les plus touchées par l’incendie, plusieurs éléments sont restés intacts (comptoirs en granite

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échangeurs d'air, toilettes, bains, lavabos, plomberie, électricité, luminaires, etc.);

o

o

o

o

Les travaux de démolition effectués sont plus importants que ceux demandés. L’estimé des travaux additionnels effectués sont environ 200,000.00$;

M. Gamelin devait s’assurer que les devis de reconstruction produits par l’assureur étaient complets;

Le Syndicat et M. Gamelin ne s’entendent pas en ce qui concerne le remboursement des factures d’électricité;

M. Gamelin procède au remboursement des factures d’électricité en juin 2020 sur la base des mêmes factures que M. Gemme lui avait envoyées le 22 janvier 2020, Desjardins ayant décidé de rembourser les copropriétaires;

M. Gamelin accepte de plaider coupable à un chef d’accusation de négligence dans l’exercice de ses activités. Le syndic appuie ce chef par les éléments suivants :

Voyant que l’évaluateur mandaté, M. Savard, ne répondait pas aux demandes de M. Gamelin entre le 19 décembre 2019 et le 7 février 2020, M. Gamelin devait aviser son supérieur de ce fait rapidement. M. Gamelin avise son supérieur le 26 mars 2020, causant des délais dans le traitement de la réclamation;

M. Gamelin ne fournit pas des explications adéquates au Syndicat quant à la durée des travaux de reconstruction et la durée de traitement de la réclamation;

M. Gamelin n’explique pas adéquatement, dès le début du dossier, les conditions d’application de la garantie pour la perte de frais de copropriété. M. Gamelin ne justifie pas le délai pour le paiement des frais de copropriété une fois qu’il a été convenu que lesdits frais seraient assumés par l’assureur;

Lors d’une conversation téléphonique du 31 mai 2021 avec l’enquêtrice de la ChAD, M. Gamelin indique ne pas être en mesure de retracer des notes et des échanges à quelques reprises démontrant une négligence dans la tenue du dossier de réclamation du Syndicat;

Les copropriétaires réintègrent leurs logements environ deux (2) ans suivant la survenance de l’incendie. La première des deux (2) années est consacrée au règlement de la réclamation.

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Les parties réfèrent le Comité à la pièce P-7, soit le reportage de La Facture, lequel fait état de l’incendie survenue le 21 août 2019 à l’immeuble sis au 3160- 3166-3170 rue de Rouville, à Montréal.

V. Les facteurs atténuants et aggravants [13] Dans l’établissement de la recommandation conjointe, les parties ont pris en considération les facteurs atténuants suivants :

le plaidoyer de culpabilité de l’intimé; l’absence d’antécédent disciplinaire; la bonne collaboration de l’intimé avec le syndic et le processus disciplinaire.

[14] Quant aux facteurs aggravants, l’intimé est un expert en sinistre d’une grande expérience et il s’agit d’infractions qui sont au cœur de la profession.

[15] Les procureurs des parties sont d’avis que les sanctions suivantes sont appropriées dans les circonstances :

[16]

VI.

Chef 1 : une amende de 12 000 $; Chef 2 : une amende de 3 000 $;

Soit une amende totale de 15 000 $ plus les frais de l’instance.

Analyse et décision

A) Les facteurs objectifs et subjectifs [17] Quant aux facteurs atténuants et aggravants, nous partageons entièrement l’exposé des procureurs des parties.

[18] Récemment, la Cour suprême a revisité le principe de la proportionnalité de la peine dans l’affaire R. c. Bissonnette

[19]

1 .

Il convient ici de citer certains passages clés importants de cet arrêt important : [50] Cependant, la détermination de la peine doit en toutes circonstances être guidée par le principe cardinal de la proportionnalité. La peine doit être suffisamment sévère pour dénoncer l’infraction, sans excéder « ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction » (R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 42; voir aussi R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 37). La proportionnalité des peines est

1 2022 CSC 23 (CanLII);

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considérée comme un facteur essentiel au maintien de la confiance du public dans l’équité et la rationalité du système de justice pénal et criminel. L’application de ce principe permet d’assurer au public que le contrevenant mérite la punition qui lui a été infligée (Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.-B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 533, la juge Wilson, motifs concordants).

[51] Ainsi, « on ne peut infliger à une personne une peine totalement disproportionnée à la seule fin de dissuader ses concitoyens de désobéir à la loi » (Nur, par. 45). De même, le juge Vauclair affirme avec justesse que « la recherche de l’exemplarité au détriment des éléments de preuve qui démontrent le mérite des objectifs de réhabilitation est incompatible avec le principe d’individualisation » (Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711, par. 30 (CanLII), citant R. c. Paré, 2011 QCCA 2047, par. 48 (CanLII), le juge Doyon). La proportionnalité joue un rôle restrictif et, en ce sens, elle est garante d’une peine qui est individualisée, juste et appropriée.

[52] Le principe de la proportionnalité est si fondamental qu’il possède une dimension constitutionnelle consacrée à l’art. 12 de la Charte, lequel interdit l’infliction d’une peine exagérément disproportionnée au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine (Nasogaluak, par. 41; Ipeelee, par. 36). En tant que principe de détermination de la peine, le principe de proportionnalité ne bénéficie toutefois d’aucune protection constitutionnelle en tant que tel, n’étant pas reconnu comme un principe de justice fondamentale visé à l’art. 7 de la Charte (R. c. Malmo-Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 160; R. c. Safarzadeh‑Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180, par. 71).

(nos soulignements) [20] Ainsi donc, pour être individualisée, juste et appropriée, la sanction doit être proportionnelle à la gravité des infractions et au degré de responsabilité du professionnel.

B) La recommandation conjointe [21] Dès 2014, le Tribunal des professions souligne l’importance et l’utilité des suggestions communes dans l’affaire Ungureanu

2 :

[21] Les ententes entre les parties constituent en effet un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice. Lors de toute négociation, chaque partie fait des concessions dans le but d'en arriver à un règlement qui convienne aux deux. Elles se justifient par la réalisation d'un objectif final. Lorsque deux parties formulent une suggestion commune, elles doivent avoir une expectative raisonnable que cette dernière sera respectée. Pour cette raison, une suggestion commune formulée par deux avocats d'expérience devrait être respectée à moins qu'elle ne soit déraisonnable, inadéquate ou contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice.

2 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel de) c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII);

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(nos soulignements) [22] Il en résulte que lorsque des sanctions sont suggérées conjointement par des procureurs d’expérience, le Comité n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence de celles-ci. Il doit y donner suite, sauf s’il les considère contraires à l’intérêt public ou si elles sont de nature à déconsidérer l’administration de la justice, et ce, tel que la Cour suprême le décide dans l’arrêt Anthony-Cook 3 .

[23] En l’espèce, nous sommes d’avis que la sanction suggérée par les procureurs est une sanction qui colle aux faits du présent dossier.

[24] Voilà pourquoi le Comité a accepté la recommandation conjointe des parties lors de l’audition sur culpabilité et sanction. Il y a lieu maintenant de l’entériner.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : AUTORISE le dépôt au dossier de la plainte modifiée 2021-12-04(E) en date du 4 octobre 2022;

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sur les deux chefs de la plainte modifiée;

DÉCLARE l’intimé coupable du chef n o 1 pour avoir contrevenu à l’article 58(1 Code de déontologie des experts en sinistre;

o ) du

DÉCLARE l’intimé coupable du chef n o 2 pour avoir contrevenu à l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard de toutes les autres dispositions réglementaires alléguées au soutien des chefs susdits;

3 R. c. Anthony-Cook 2016 CSC 43 (CanLII);

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IMPOSE LES SANCTIONS SUIVANTES À L’INTIMÉ : Chef n o 1 : une amende de 12 000 $; Chef n o 2 : une amende de 3 000 $; CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés et frais de l’instance.

__________________________________ M e Daniel M. Fabien, avocat Vice-président du Comité de discipline

__________________________________ M. Yvan Roy, expert en sinistre Membre du Comité de discipline

__________________________________ M. Luc Demers, expert en sinistre Membre du Comité de discipline

M e Claude G. Leduc Procureur de la partie plaignante

M e Yves Carignan Procureur de la partie intimée

Date d’audience : Le 6 mars 2023 par visioconférence

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