Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

No: 2021-04-02(E) DATE : 20 mars 2023

LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat M. Yvan Roy, expert en sinistre Mme Janie Hébert, expert en sinistre

Président Membre Membre

Me YANNICK CHARTRAND, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante, en reprise d’instance c. GUYLAINE MATHIEU, expert en sinistre

Partie intimée

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DU NOM DES ASSURÉS ET DE TOUT RENSEIGNEMENT OU INFORMATION PERMETTANT DE LES IDENTIFIER ET MENTIONNÉS DANS LA PLAINTE ET LES PREUVES DOCUMENTAIRES ET/OU TESTIMONIALES PRODUITES AU SOUTIEN DE LA PLAINTE, LE TOUT AFIN DE PROTÉGER LEUR VIE PRIVÉE CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS (c. C-26)

[1] Le 4 novembre 2021 et le 31 janvier 2023, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2021-04-02(E) par visioconférence ;

[2] Le syndic était alors représenté par Me Gabriel Chaloult-Lavoie et, de son côté, l’intimée était représentée par Me Sonia Paradis ;

I. [3]

La plainte L’intimée fait l’objet d’une plainte modifiée comportant trois (3) chefs d’accusation, soit : 1. Entre les ou vers les 20 août et fin décembre 2018, a exercé ses activités de manière

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négligente, (…) en faisant preuve d’un manque de contrôle de la réclamation des assurés N.P. et M.L., déposée en vertu du contrat d’assurance habitation émis par Desjardins assurances générales inc., portant le n o 3D133034, en vigueur du 15 juillet 2018 au 15 juillet 2019, à la suite d’un dommage par l’eau survenu le 19 août 2018 (…) en contravention avec (…) l’article […] 58(1) (…) du Code de déontologie des experts en sinistre [c. D-9.2, r. 1.02, r.1.02.1 et r. 4];

2. Entre les ou vers les 20 août et fin décembre 2018, a exercé ses activités de manière négligente et/ou a fait défaut de fournir à l’assurée N.P. les explications relatives aux protections offertes par le contrat d’assurance multirisques des entreprises émis par Desjardins assurances générales inc. au nom de Les I. N. P. inc. portant le n o L-E3D-13303-4, en vigueur du 15 juillet 2018 au 15 juillet 2019 (…),en contravention avec (…) l’article (…) 21 du Code de déontologie des experts en sinistre [c. D-9.2, r. 1.02, r.1.02.1 et r. 4];

3. Entre les ou vers les 20 août et fin décembre 2018, a exercé ses activités de manière négligente et/ou a fait défaut de mettre en place les mesures qui s’imposaient (…) auprès des assurés N.P. et M.L. et de leur famille dans le cadre de la réclamation déposée en vertu du contrat d’assurance habitation émis par Desjardins assurances générales inc., portant le n o 3D133034, en vigueur du 15 juillet 2018 au 15 juillet 2019 (,,,), en contravention avec (…) l’article (…) 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre [c. D-9.2, r. 1.02, r.1.02.1 et r. 4].

[4] Le 4 novembre 2021, l’intimée enregistrait un plaidoyer de culpabilité à l’encontre des trois (3) chefs d’accusation de la plainte modifiée ;

[5] Celle-ci fut donc déclarée coupable, séance tenante, des infractions reprochées et les parties ont alors convenu de reporter les représentations sur sanction à une date ultérieure ;

[6] Après plusieurs tentatives pour fixer une date d’audition qui convenait à toutes les parties ainsi qu’aux membres du Comité, le présent dossier fut fixé au 31 janvier 2023 pour les représentations sur sanction ;

II. Preuve sur sanction [7] Au-delà du plaidoyer de culpabilité, la poursuite a déposé de consentement les pièces PS-1 à PS-29 ;

[8]

De l’ensemble de cette preuve, il ressort que : Un dégât d’eau est survenu au mois d’août 2018 à la résidence des assurés ; Cela dit, l’intimée aurait fait défaut d’assurer un suivi adéquat de son dossier : o En perdant le contrôle de la réclamation (chef 1) ; o En faisant défaut de fournir à ses clients les explications relatives aux diverses protections offertes par leur contrat d’assurance (chef 2) ;

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o En faisant défaut de mettre en place les mesures qui s’imposaient auprès des assurés et de leur famille (chef 3) ;

[9] De son côté, la défense a tenu à souligner qu’il s’agit d’un concours de circonstances particulières qui fut compliqué par les difficultés à trouver un entrepreneur ;

[10] De plus, l’intimée n’aurait pas agi de mauvaise foi et elle regrette les inconvénients causés aux assurés ;

III. Recommandations communes [11] D’un commun accord, les parties suggèrent d’imposer à l’intimée les sanctions suivantes :

Chef 1 : une radiation de trois (3) mois Chef 2 : une amende de 5 000 $ Chef 3 : une radiation de trois (3) mois [12] De plus, les parties suggèrent que les périodes de radiation soient purgées de façon concurrente pour un total de trois (3) mois ;

[13] Cela dit, en plus des déboursés du dossier, la publication de l’avis de radiation sera à la charge de l’intimée ;

[14] Dans le but d’établir la fourchette des sanctions, les parties ont considéré les facteurs aggravants suivants :

L’expérience de l’intimée (20 ans et plus) ; La gravité objective des infractions ; Le fait que celles-ci sont au cœur de l’exercice de la profession ; La grossière négligence de l’intimée ; [15] Quant aux facteurs atténuants, les parties soulignent les éléments suivants : Le plaidoyer de culpabilité de l’intimée ; Son absence de mauvaise foi ; [16] Finalement, plusieurs jurisprudences furent déposées pour démontrer le bien-fondé des sanctions recommandées, soit :

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Par le syndic : AMF c. 2962-9334 Québec inc., 2022 QCCQ 2168 (CanLII) ; ChAD c. Allaire, 2022 CanLII 114650 (QC CDCHAD) ; ChAD c. Soucy, 2013 CanLII 14894 (QC CDCHAD) ; Par l’intimée : ChAD c. Beauchesne, 2011 CanLII 20132 (QC CDCHAD) ; ChAD c. Bilinsky, 2016 CanLII 87759 (QC CDCHAD) ; ChAD c. Mayer, 2011 CanLII 15491 (QC CDCHAD) ; [17] De l’avis des procureurs, les sanctions suggérées sont conformes à la jurisprudence citée ;

[18] Pour ces motifs, les parties demandent au Comité d’entériner leur suggestion commune ;

IV. Analyse et décision [19] Dans un arrêt récent, soit l’affaire Duval 1 , le Tribunal des professions rappelait aux divers comités de discipline que leur discrétion est plutôt limitée lorsqu’ils sont confrontés à une recommandation commune en matière de sanction ;

[8] Les deux parties sont d’avis que le Conseil a erré en refusant de suivre la recommandation commune et en s’appuyant sur des faits et des facteurs aggravants qui ne faisaient pas partie de la trame factuelle convenue entre elles.

[13] Suivant les enseignements de la Cour suprême du Canada dans Anthony Cook [4] , le Conseil devait déterminer si la sanction suggérée conjointement était contraire à l’intérêt public ou déconsidérait l’administration de la justice [5] . La question pour le Tribunal en l’espèce n’est donc pas de savoir si la sanction infligée par le Conseil est déraisonnable, mais bien si la recommandation commune l’était au point il fallait la rejeter.

[14] Ce motif d’appel soulève une question de droit, permettant au Tribunal d’intervenir en cas d’erreur. En matière de suggestion commune sur sanction, lorsqu’un Conseil de discipline s’attarde à examiner la justesse de la sanction proposée conjointement, au lieu de se limiter à la question de son incidence sur l’intérêt public ou l’administration de la justice, il commet une erreur de droit qui justifie l’intervention du Tribunal.

[15] Il ne fait aucun doute que le Conseil est maître de l’appréciation de la preuve dans les dossiers qui procèdent devant lui. Cependant, en l’espèce, il se devait de

1 Duval c. Comptables professionnels agréés, 2022 QCTP 36 (CanLII);

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considérer la trame factuelle de l’infraction, non pas en fonction d’une preuve partielle entendue à l’audience, mais seulement en fonction de celle présentée conjointement par les parties, laquelle fournissait le fondement de leur recommandation commune. Bien que le résumé des faits au début de la décision du Conseil cerne correctement cet exposé conjoint des faits, le Conseil réfère d’ailleurs à plusieurs facteurs aggravants ainsi qu’à des faits étrangers à cet exposé conjoint pour s’autoriser à s’écarter de la suggestion commune sur sanction.

22] Le Tribunal est d’avis que si le Conseil avait respecté les limites circonscrites en matière de suggestions communes et s’était tenu seulement aux faits admis par les parties, il n’aurait pu conclure autrement que d’entériner la recommandation des parties. Cette recommandation reflète les faits particuliers du dossier tels que résumés dans l’exposé conjoint et elle se situe à l’intérieur de la fourchette des sanctions applicables, telle qu’illustrée.

(caractères gras ajoutés)

[20] En définitive, un comité de discipline ne peut intervenir que si la suggestion commune des parties :

1. déconsidère l’administration de la justice; ou 2. est contraire à l’intérêt public; [21] Cela dit, de l’avis du Comité, les sanctions suggérées répondent aux quatre (4) critères de l’arrêt Pigeon c. Daigneault 2 , soit :

La protection du public; La dissuasion du professionnel de récidiver; L’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables;

Le droit pour le professionnel visé d’exercer sa profession; [22] Rappelons également que selon le Tribunal des professions, « la suggestion commune issue d’une négociation rigoureuse dispose d’une force persuasive certaine » 3;

[23] Enfin, les ententes communes constituent « un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice disciplinaire » 4 ;

[24] De plus, la Cour d’appel, dans l’arrêt Binet 5 , reprenant alors l’opinion émise par la Cour d’appel d’Alberta dans l’affaire Belakziz 6 , précisait qu’il n’appartient pas au juge de

2 2003 CanLII 32934 (QC CA), par. 37; 3 Chan c. Médecins, 2014 QCTP 5 (CanLII), par. 42; 4 Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII), par. 21; 5 R. c. Binet, 2019 QCCA 669 (CanLII), par. 19 et 20; 6 R. c. Belakziz, 2018 ABCA 370 (CanLII), par. 17 et 18;

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déterminer la sanction qui pourrait être imposée pour ensuite la comparer avec celle proposée par les parties;

[25] Dans le même ordre d’idée, le Comité n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence de la sanction, il ne s’agit pas d’un élément déterminant face à une recommandation commune formulée par les parties 7 ;

[26] Dans les circonstances, en considérant les enseignements des tribunaux supérieurs et en tenant compte des facteurs objectifs et subjectifs, à la fois aggravants et atténuants, et plus particulièrement des représentations des parties, le Comité n’a aucune hésitation à entériner la recommandation commune;

[27] De l’avis du Comité, les sanctions suggérées sont justes et raisonnables et, surtout, appropriées au présent dossier;

[28] Finalement, elles assurent la protection du public sans punir outre mesure l’intimée; [20] En conséquence, et en conformité avec les enseignements du Tribunal des professions dans les arrêts Gougeon 8 et Duval 9 , le Comité entérinera la recommandation commune et imposera les sanctions suggérées.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : AUTORISE le dépôt d’une plainte modifiée ; PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée ;

DÉCLARE l’intimée coupable des chefs 1 à 3 de la plainte modifiée et plus particulièrement comme suit :

Chef 1:

Chef 2:

pour avoir contrevenu à l’article 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q. c, D-9.2, r.4) ;

pour avoir contrevenu à l’article 21 du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q. c, D-9.2, r.4) ;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’encontre des autres dispositions réglementaires alléguées au soutien du chef 2 ;

Chef 3:

pour avoir contrevenu à l’article 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q. c, D-9.2, r.4) ;

IMPOSE à l’intimée les sanctions suivantes :

7 Notaires c. Génier, 2019 QCTP 79 (CanLII), par. 27; 8 Audioprothésistes (Ordre professionnel des) c. Gougeon, 2021 QCTP 84 (CanLII); 9 Op. cit., note 1;

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Chef 1: Une radiation de trois (3) mois Chef 2: Une amende de 5 000 $ Chef 3: Une radiation de trois (3) mois DÉCLARE que les périodes de radiation temporaires imposées sur les chefs 1 et 3 seront purgées de façon concurrente pour un total de trois (3) mois de radiation ;

ORDONNE la publication d’un avis de radiation dans un journal distribué dans la Ville de Montréal, le tout aux frais de l’intimée ;

CONDAMNE l’intimée au paiement de tous les déboursés, incluant les frais de publication de l’avis de radiation temporaire.

___________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président

___________________________________ M. Yvan Roy, expert en sinistre Membre

Me Gabriel Chaloult-Lavoie Procureur de la partie plaignante

___________________________________ Mme Janie Hébert, expert en sinistre Membre

Me Sonia Paradis Procureure de la partie intimée

Dates d’audience : 4 novembre 2021 et 31 janvier 2023

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