Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

No: 2022-03-03(E) DATE :

LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat M. Mario Joannette, expert en sinistre Me Martine Carrier, expert en sinistre

Président Membre Membre

Me YANNICK CHARTRAND, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante c. ANDRÉ LANGEVIN, expert en sinistre (5A)

Partie intimée

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATON, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DU NOM DE L’ASSURÉ S.G. ET DE TOUT RENSEIGNEMENT ET INFORMATION PERMETTANT DE L’IDENTIFIER ET MENTIONNÉS DANS LA PLAINTE ET LES PIÈCES PS-1 À PS-21 AFIN DE PROTÉGER SA VIE PRIVÉE, CONFORMÉMENT À L’ART. 142 DU CODE DES PROFESSIONS (R.L.R.Q., c. C-26)

[1] Le 17 janvier 2023, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2022-03-03(E), par visioconférence ;

[2] Le syndic était alors représenté par Me Maryse Ali et, de son côté, l’intimé était représenté par Me Gaëtan Legris ;

I. La plainte [3] L’intimé fait l’objet d’une plainte modifiée comportant trois (3) chefs d’accusation, soit :

1. À Sainte-Julie, entre les ou vers les 23 octobre 2020 et 4 février 2021, dans le cadre d’une réclamation en responsabilité contre l’assuré de TD Assurance, S.G., pour des

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dommages par l’eau, a omis de faire signer le document de « Convention d’honoraires et mandat » au Syndicat de copropriété S.C.P.U. pour lequel il agissait, en contravention avec les articles 48 et 50 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 2 et 30 du Code de déontologie des experts en sinistre;

2. À Sainte-Julie, depuis au moins le ou vers le 5 février 2021 jusqu’à ce jour, fait signer à ses clients un document type intitulé « Convention d’honoraires et mandat » qui prévoit un taux d’intérêt déraisonnable de 12%, soit un taux supérieur à celui de 6% fixé conformément à l’article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu, devenue la Loi sur l’administration fiscale, en contravention avec l’article 42 du Code de déontologie des experts en sinistre;

3. À Sainte-Julie, à compter du ou vers le 27 janvier 2021, dans le cadre d’une réclamation en responsabilité contre l’assuré de TD Assurance, S.G., pour des dommages par l’eau, a eu une conduite qui n’était pas empreinte de modération et/ou qui ne favorisait pas le traitement de ladite réclamation, notamment dans ses communications avec des représentants et l’assuré de TD Assurance, agissant ainsi en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 15, 50, 52 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre (…)

[4] D’entrée de jeu, l’intimé a plaidé coupable aux trois (3) chefs d’accusation de la plainte modifiée ;

[5] Le Comité a alors déclaré l’intimé coupable des infractions reprochées et les parties ont procédé aux représentations sur sanction ;

II. [6]

Preuve sur sanction Essentiellement, la preuve a permis d’établir que l’intimé : Avait omis de faire signer à son client une « convention d’honoraires et mandat », cependant, à sa décharge, il n’avait pas encore commencé à dispenser des services à ce dernier (chef 1) ;

Par contre, au moment il fait signer ladite convention, celle-ci comprend un taux d’intérêt supérieur à celui de 6% prévu par la Loi (chef 2) ;

Toutefois, il y a lieu de signaler que l’intimé n’a jamais réclamé ni perçu d’intérêts de son client ;

Enfin, dans le cadre de son mandat, l’intimé n’a pas eu, en tout temps, une conduite empreinte de modération, notamment dans ses communications avec les autres intervenants (chef 3) ;

[7]

Il fut également mis en preuve que l’intimé a déjà reçu un « Avis formel », le

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3 octobre 2019, pour avoir manqué de modération 1 ; [8] Le Comité se doit aussi de souligner que l’intimé utilise un nouveau type de convention/mandat conforme à la réglementation (IS-3) ;

[9] D’autre part, l’intimé s’est engagé par écrit à respecter l’article 28 de la Loi sur le Ministère du Revenu et à se référer au taux d’intérêt prescrit (IS-2) ;

[10] C’est à la lumière de ces différents faits que le Comité devra examiner le bien-fondé des sanctions suggérées par les parties ;

III. Recommandations communes [11] D’un commun accord, les parties suggèrent d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

Chef 1 : une réprimande Chef 2 : une réprimande et l’obligation de respecter son engagement (IS-2) Chef 3 : une amende de 3 000 $ [12] De l’avis des parties, les sanctions suggérées respectent les critères développés par la Cour d’appel dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault 2 , soit :

La protection du public ; La dissuasion du professionnel de récidiver ; L’exemplarité à l’égard des autres membres ; Le droit pour le professionnel de gagner sa vie ; [13] D’autre part, les parties ont considéré les facteurs aggravants suivants : La longue expérience de l’intimé (45 ans) ; La gravité objective des divers chefs d’accusation ; Le fait que ces gestes (chef 2) se situent au cœur de l’exercice de la profession ;

L’atteinte à l’image de la profession ; L’avis formel reçu par l’intimé en octobre 2019 ;

1 PS-21; 2 2003 CanLII 32934 (QC CA);

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[14] Du côté des circonstances atténuantes, les parties ont tenu compte des éléments suivants :

Le plaidoyer de culpabilité de l’intimé ; Son absence d’antécédents disciplinaires ; Sa volonté de modifier ses méthodes de travail (IS-2 et IS-3) ; Le fait qu’aucun geste professionnel ne fut posé sans l’accord du client ; L’absence de conséquences pour les clients ; [15] Cela dit, les parties ont fondé leur suggestion commune sur plusieurs précédents jurisprudentiels, soit :

Chef 1 : ChAD c. Mayer, 2010 CanLII 33101 (QC CDCHAD) ; ChAD c. Mayer, 2011 CanLII 15491 (QC CDCHAD) ; Chef 2 : ChAD c. Fequet, 2019 CanLII 104542 (QC CDCHAD) ; ChAD c. Bernard, 2016 CanLII 87221 (QC CDCHAD); ChAD c. Bernard, 2017 CanLII 47418 (QC CDCHAD) ; Chef 3 : ChAD c. Vaudeville, 2021 CanLII 140156 (QC CDCHAD) ; Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Laferrière, 2021 QCCDBQ 052 (CanLII) ;

OACIQ c. Charles, 2019 CanLII 98844 (QC CDCHAD) ; [16] Pour l’ensemble de ces motifs, les parties demandent au Comité d’entériner leur recommandation commune ;

IV. Analyse et décision A) Le plaidoyer de culpabilité [17] L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité constitue un aveu que les faits

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reprochés sont une faute déontologique preuve plus élaborée 4 ;

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sans qu’il soit nécessaire de faire une

[18] En conséquence, l’intimé est reconnu coupable, séance tenante, des infractions reprochées aux chefs 1 à 3 de la plainte ;

B) La recommandation commune [19] Dans un arrêt récent, soit l’affaire Duval 5 , le Tribunal des professions rappelait aux divers conseils de discipline que leur discrétion est plutôt limitée lorsqu’il s’agit d’évaluer le bien-fondé d’une recommandation commune :

[8] Les deux parties sont d’avis que le Conseil a erré en refusant de suivre la recommandation commune et en s’appuyant sur des faits et des facteurs aggravants qui ne faisaient pas partie de la trame factuelle convenue entre elles.

[13] Suivant les enseignements de la Cour suprême du Canada dans Anthony Cook, le Conseil devait déterminer si la sanction suggérée conjointement était contraire à l’intérêt public ou déconsidérait l’administration de la justice. La question pour le Tribunal en l’espèce n'est donc pas de savoir si la sanction infligée par le Conseil est déraisonnable, mais bien si la recommandation commune l'était au point il fallait la rejeter.

[14] Ce motif d’appel soulève une question de droit, permettant au Tribunal d’intervenir en cas d’erreur. En matière de suggestion commune sur sanction, lorsqu’un Conseil de discipline s’attarde à examiner la justesse de la sanction proposée conjointement, au lieu de se limiter à la question de son incidence sur l’intérêt public ou l’administration de la justice, il commet une erreur de droit qui justifie l’intervention du Tribunal.

[15] Il ne fait aucun doute que le Conseil est maître de l’appréciation de la preuve dans les dossiers qui procèdent devant lui. Cependant, en l’espèce, il se devait de considérer la trame factuelle de l’infraction, non pas en fonction d’une preuve partielle entendue à l’audience, mais seulement en fonction de celle présentée conjointement par les parties, laquelle fournissait le fondement de leur recommandation commune. Bien que le résumé des faits au début de la décision du Conseil cerne correctement cet exposé conjoint des faits, le Conseil réfère d’ailleurs à plusieurs facteurs aggravants ainsi qu’à des faits étrangers à cet exposé conjoint pour s’autoriser à s’écarter de la suggestion commune sur sanction.

[22] Le Tribunal est d’avis que si le Conseil avait respecté les limites circonscrites en matière de suggestions communes et s’était tenu seulement aux faits admis par les parties, il n’aurait pu conclure autrement que d’entériner la recommandation des parties. Cette recommandation reflète les faits particuliers du dossier tels que résumés dans l’exposé conjoint et elle se

3 Castiglia c. Frégeau, 2014 QCCQ 849 (CanLII), par. 28; 4 Duquette c. Gauthier, 2007 QCCA 863 (CanLII), par. 20; 5 Duval c. Comptables professionnels agréés, 2022 QCTP 36 (CanLII);

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situe à l’intérieur de la fourchette des sanctions applicables, telle qu’illustrée dans le tableau de jurisprudence soumise au Conseil. Elle ne déconsidère pas l’administration de la justice et n’est pas contraire à l’intérêt public.

(Caractères gras ajoutés) [20] Cela dit, de l’avis du Comité, les sanctions suggérées répondent aux quatre (4) critères de l’arrêt Pigeon c. Daigneault 6 , soit :

La protection du public ; La dissuasion du professionnel de récidiver ; L’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables ;

Le droit pour le professionnel visé d’exercer sa profession ; [21] Rappelons également que selon le Tribunal des professions, « la suggestion commune issue d’une négociation rigoureuse dispose d’une force persuasive certaine » 7 ;

[22] Enfin, les ententes communes constituent « un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice disciplinaire » 8 ;

[23] De plus, la Cour d’appel, dans l’arrêt Binet 9 , reprenant alors l’opinion émise par la Cour d’appel d’Alberta dans l’affaire Belakziz 10 , précisait qu’il n’appartient pas au juge de déterminer la sanction qui pourrait être imposée pour ensuite la comparer avec celle proposée par les parties ;

[24] Dans le même ordre d’idée, le Comité n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence de la sanction, il ne s’agit pas d’un élément déterminant face à une recommandation commune formulée par les parties 11 ;

[25] Dans les circonstances, en considérant les enseignements des tribunaux supérieurs et en tenant compte des facteurs objectifs et subjectifs, à la fois aggravants et atténuants, et plus particulièrement des représentations des parties, le Comité n’a aucune hésitation à entériner la recommandation commune ;

[26] De l’avis du Comité, les sanctions suggérées sont justes et raisonnables et, surtout, appropriées au présent dossier ;

6 2003 CanLII 32934 (QC CA), par. 37; 7 Chan c. Médecins, 2014 QCTP 5 (CanLII), par. 42 ; 8 Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII), par. 21 ; 9 R. c. Binet, 2019 QCCA 669 (CanLII), par. 19 et 20 ; 10 R. c. Belakziz, 2018 ABCA 370 (CanLII), par. 17 et 18 ; 11 Notaires c. Génier, 2019 QCTP 79 (CanLII), par. 27 ;

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[27] Finalement, elles assurent la protection du public sans punir outre mesure l’intimé ;

[28] En conséquence, et en conformité avec les enseignements du Tribunal des professions dans les arrêts Gougeon 12 et Duval 13 , le Comité entérinera la recommandation commune et imposera les sanctions suggérées.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : PREND acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimé ; DÉCLARE l’intimé coupable de toutes les infractions reprochées et plus particulièrement comme suit :

Chef 1:

Chef 2:

Chef 3:

pour avoir contrevenu à l’article 2 du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.4)

pour avoir contrevenu à l’article 42 du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.4)

pour avoir contrevenu à l’article 15 du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.4)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs 1 à 3 de la plainte;

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes : Chef 1 : une réprimande Chef 2 : une réprimande et l’obligation de respecter son engagement (IS-2) Chef 3 : une amende de 3 000 $ CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés ; ACCORDE à l’intimé un délai de paiement de 90 jours pour acquitter le montant de l’amende et des déboursés, payable en trois (3) versements mensuels, égaux et consécutifs débutant le 31 e jour suivant la signification de la présente décision.

12 Audioprothésistes c. Gougeon, 2021 QCTP 84 (CanLII); 13 Op. cit., note 5;

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____________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président

____________________________________ M. Mario Joannette, expert en sinistre Membre

Me Maryse Ali Procureure de la partie plaignante

____________________________________ Me Martine Carrier, expert en sinistre Membre

Me Gaëtan Legris Procureur de la partie intimée

Date d’audience : 17 janvier 2023 (par visioconférence)

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