Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

No: 2022-02-01(A) DATE :

LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat Mme Véronique Bastien, agent en assurance de dommages des particuliers Mme Mélanie Couture, agent en assurance de dommages des particuliers

Président Membre

Membre

Me YANNICK CHARTRAND, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante en reprise d’instance c. RITA MOUAWAD, agent en assurance de dommages (inactif et sans mode d’exercice)

Partie intimée

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIVULGATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-ACCESSIBILITÉ DE TOUT RENSEIGNEMENT ET INFORMATION PERMETTANT D’IDENTIFIER LES ASSURÉS MENTIONNÉS À LA PLAINTE ET DANS LES PIÈCES DOCUMENTAIRES ET PLUS PARTICULIÈREMENT DE LA PIÈCE P-37, LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS (R.L.R.Q., c. C-26)

[1] Le 20 septembre 2022, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2022-02-01(A), par visioconférence ;

[2] Le syndic était alors représenté par Me Maryse Ali et, de son côté, l’intimée assurait seule sa défense ;

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I. La plainte [3] L’intimée fait l’objet d’une plainte comportant plusieurs chefs d’accusation, répartie comme suit :

1. À Montréal, le ou vers le 19 décembre 2019, a créé les soumissions d’assurance suivantes, sans avoir procédé à une cueillette d’informations auprès des assurés, à leur insu et sans instructions en ce sens, de façon qu’ils puissent continuer à bénéficier d’un rabais multi-avantage ;

a) la soumission n o 180393001, pour une assurance habitation auprès de Allstate du Canada, compagnie d’assurance, au nom de l’assuré P.D. qui avait souscrit le contrat d’assurance automobile n o 051801008 auprès du même assureur;

b) la soumission n o 180393129, pour une assurance habitation auprès de Allstate du Canada, compagnie d’assurance, au nom de l’assurée R.A.Z. qui avait souscrit le contrat d’assurance automobile n o 051793926 auprès du même assureur;

c) la soumission n o 180393026, pour une assurance habitation auprès de Allstate du Canada, compagnie d’assurance, au nom de l’assuré A.B. qui avait souscrit le contrat d’assurance automobile n o 051799929 auprès du même assureur;

d) la soumission n o 180393090, pour une assurance habitation auprès de Allstate du Canada, compagnie d’assurance, au nom de l’assuré D.S. qui avait souscrit le contrat d'assurance automobile n o 051796751 auprès du même assureur;

e) la soumission n o 180392977, pour une assurance habitation auprès de Allstate du Canada, compagnie d’assurance, au nom de l’assurée R.M. qui avait souscrit le contrat d’assurance automobile n o 051784973 auprès du même assureur;

f) la soumission n o 180393010, pour une assurance habitation auprès de Allstate du Canada, compagnie d’assurance, au nom de l’assuré S.N. qui avait souscrit le contrat d’assurance automobile n o 051799275 auprès du même assureur;

g) la soumission n o 080574695, pour une assurance automobile auprès de Allstate du Canada, compagnie d’assurance, au nom des assurées S.L. et A.R. qui avaient souscrit le contrat d’assurance habitation n o 151794015 auprès du même assureur;

h) la soumission n o 180393155, pour une assurance habitation auprès de Allstate du Canada, compagnie d’assurance, au nom de l’assuré U.J.P. qui avait souscrit le contrat d’assurance automobile n o 051794668 auprès du même assureur;

agissant ainsi, à chacune de ces occasions, en contravention avec l’article 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 26, 27 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

[4] L’intimée ayant choisi de contester la plainte, les parties ont procédé à l’audition sur culpabilité ;

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II.

[5]

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La preuve A) Remarques préliminaires Essentiellement, la plainte reproche à l’intimée d’avoir, à plusieurs reprises : Créé des soumissions d’assurance : o Sans avoir procédé à une cueillette d’information auprès des assurés ; o Uniquement dans le but de leur permettre de bénéficier d’un rabais multi- avantages ;

[6] Suivant la plainte, ces soumissions auraient été créées à l’insu des assurés et sans instructions de leur part ;

[7] Il y a lieu de noter qu’aucun des assurés n’a été entendu par le Comité afin d’établir les éléments essentiels de la plainte, à savoir :

Qu’il n’y aurait pas eu de cueillettes d’informations ; Que les soumissions d’assurance auraient été créées à l’insu des assurés et sans instructions de leur part ;

[8] À cet égard, le Comité rappelle que le libellé de la plainte est de la responsabilité du syndic et que celui-ci est lié par cette rédaction, tout comme le Comité composer avec ce choix 2 ;

1

, et qu’il doit

B) Le cas particulier du chef 1e) [9] Cela dit, la seule version fournie par une assurée est constituée d’un courriel (P-21) par lequel l’assurée (R.M.) se plaint d’avoir subi une augmentation de sa prime d’assurance-automobile ;

[10] Brièvement résumé, l’assurée (R.M.) prétend que l’intimée ne lui a jamais dit qu’elle devait prendre une assurance-habitation pour pouvoir bénéficier d’un rabais ;

[11] Finalement, on l’informe que suite à une discussion avec l’un des directeurs, sa prime initiale sera rétablie à son taux original et ce, jusqu’à son prochain renouvellement ;

[12] L’intimée a contesté cette version des faits, premièrement, en mentionnant qu’il ne s’agissait pas d’un seul versement mais plutôt d’un versement mensuel, d’ailleurs, cela explique pourquoi le numéro de carte de crédit du client est toujours dans le système du cabinet ;

1 2

Nadon c. Avocats, 2008 QCTP 12 (CanLII), par. 72; Chimistes c. Weigenberg, 2013 QCTP 42 (CanLII), par. 57;

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[13] Deuxièmement, en mentionnant que cette plainte arrive après son départ et que personne n’a pris le soin de vérifier avec elle sa version des faits ;

[14] En l’absence de ses explications, son ex-employeur a pris pour acquis que l’assurée (R.M.) disait la vérité, ce que l’intimée nie ;

[15] Qu’en est-il au juste ? [16] Cette pièce P-21, d’ailleurs, comme toutes les autres pièces documentaires, a été déposée de consentement, cela a-t-il pour effet d’empêcher l’intimée d‘en contester le bien-fondé ?

[17] Le Comité ne le croit pas et, à cet égard, nous prenons appui sur l’affaire Laurin c. Chauvin 3 :

[47] Le tribunal est d'avis que l'appelant a pu présenter une défense pleine et entière. C'est en toute connaissance de cause que l'appelant a accepté le dépôt de la preuve documentaire pour valoir témoignage. Il a eu la possibilité de refuser ce dépôt. De plus, cette acceptation du dépôt de la preuve documentaire n'a empêché en rien la possibilité pour l'appelant de faire entendre des témoins ou de témoigner lui-même. Le tribunal constate également que le Comité a fait preuve de prudence en fournissant les explications appropriées à l'appelant compte tenu qu'il n'était pas représenté par avocat.

(Caractères gras ajoutés)

[18] D’ailleurs, dans l’une des décisions fournies par la procureure du syndic, soit l’affaire Lévesque 4 , le Comité reconnaît la possibilité de contredire les notes versées au dossier :

[135] Cela étant dit, le Comité conclut que les notes consignées dans le dossier d’un assureur et/ou d’un courtier d’assurance font preuve prima facie des faits qu’elles relatent, sauf si la partie adverse produit une preuve mettant sérieusement en doute leur fiabilité ;

(Caractères gras ajoutés)

[19] De plus, il est bien connu que la preuve par ouï-dire est permise en droit disciplinaire 5 , cependant, elle peut être contredite si la crédibilité du témoin est douteuse et qu’une autre preuve concluante est présentée au Comité 6 ;

[20] Cela étant établi, le Comité considère que la plainte de l’assurée (R.M.) que l’on retrouve dans la pièce P-21 et dont la crédibilité et la fiabilité n’ont pas passé l’épreuve d’un contre-interrogatoire, doit être écartée en faveur du témoignage de l’intimée qui, dans les circonstances, lui a semblé plus crédible et plus fiable vu les explications fournies, à savoir

3 4 5 6

2006 QCCQ 6115 (CanLII); ChAD c. Lévesque, 2013 CanLII 4787 (QC CDCHAD); Alipoor c. Pinet, 2011 QCCQ 15421 (CanLII); Ibid, par.119 et 120;

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que les conditions d’application du rabais multi-avantage avaient été expliquées à la cliente ;

C) Les autres chefs d’accusation [21] Au-delà de ces considérations, la poursuite a quand même fait entendre un témoin à l’appui de ses prétentions, soit Mme Nathalie Brun, spécialiste à la vérification chez Allstate du Canada ;

[22] De façon plus précise, son travail consiste à vérifier l’exactitude des renseignements inscrits par un agent dans les dossiers ;

[23] En l’espèce, son mandat était de vérifier si les conditions d’application du rabais multi­avantage avaient été respectées par l’intimée ;

[24] Cela dit, le rabais multi-avantage fait l’objet d’une directive 7 ; [25] De façon simplifiée, le client a droit à un rabais s’il s’engage à souscrire une deuxième police d’assurance dans un délai de 120 jours ;

[26] Pour ce faire, l’agent doit inscrire dans le système un numéro de « F.E.D » (future effective date), ce faisant, le client bénéficie, dès l’émission de la première police d’assurance, d’un rabais ;

[27] Cependant, la deuxième police d’assurance doit obligatoirement être souscrite dans le délai maximum de 120 jours sans quoi le rabais sera annulé rétroactivement à la date d’émission de la première police ;

[28] Cela étant établi, le Comité se doit de signaler qu’il doute sérieusement de la crédibilité et de la fiabilité du témoin (Mme Brun) ;

[29] Lors de son témoignage principal, Mme Brun a affirmé que l’intimée modifiait les numéros de « F.E.D. » pour permettre à ses clients de bénéficier du rabais multi-avantage ;

[30] À son avis, en modifiant le numéro de « F.E.D. », on permettait au rabais de continuer à s’appliquer ;

[31] Par contre, en contre-interrogatoire, elle reconnaît que le fait de modifier le numéro de « F.E.D. » ne change pas la durée à laquelle le délai de 120 jours expirera ;

[32] Bref, le prétendu stratagème qui aurait été mis en place par l’intimée ne peut être fondé sur les changements de numéros de « F.E.D. » puisque tout est fait en fonction de la date butoir de 120 jours ;

7

Pièce P-37;

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[33] Cela dit, il reste à déterminer si le témoignage de Mme Brun a permis d’établir que l’intimée aurait créé des soumissions d’assurance sans avoir procédé à une cueillette d’information auprès des assurés ;

[34] À cet égard, il y a lieu de souligner que Mme Brun n’a parlé à aucun des assurés et que son témoignage est entièrement fondé sur son analyse des notes que l’on retrouve dans les dossiers de Allstate ;

[35] Suite à son analyse des diverses notes aux dossiers 8 , elle conclut que l’intimée n’a pas procédé à une cueillette d’information auprès de ses clients puisque celle-ci ne se retrouve pas dans les notes au dossier ;

[36] De son côté, l’intimée affirme avoir procédé à cette cueillette d’information même si celle-ci n’apparaît pas comme tel dans les notes au dossier ;

[37] Il y a plus, elle mentionne que les dossiers indiquent plusieurs informations dont Mme Brun n’a pas fait état et donne, comme exemple, le nom des assurés, leur adresse résidentielle et diverses informations de base ;

[38] Finalement, elle précise que cette cueillette d’information se faisait au moment de la déclaration initiale du client ;

[39] Il se peut que les informations changent, dans ce cas, elle invitait ses clients à communiquer avec elle pour lui signaler ces changements ;

[40] Dans tous les cas, elle téléphonait à ses clients avant l’expiration du délai de 120 jours pour une dernière validation des informations ;

[41] Concernant les erreurs de numéros « F.E.D. », elle mentionne qu’elle préparait ses soumissions le soir à partir de chez elle et qu’il arrivait souvent que le système « plantait », elle n’avait alors aucun moyen de retrouver le numéro de « F.E.D. » et c’est pourquoi elle mettait le numéro F.E.D.-8888 ;

[42] Elle insiste pour rappeler que le changement du numéro « F.E.D. » n’a pas pour effet d’accorder au client un rabais non autorisé puisque seul le délai de 120 jours est considéré, tel que d’ailleurs Mme Brun l’a reconnu ;

[43] Elle précise qu’il s’agissait d’une simple erreur commise de bonne foi sans intention malhonnête ;

[44] Elle insiste également pour mentionner que cette erreur de numéro n’avait pas pour effet de prolonger le délai de 120 jours ;

[45] Après avoir passé en revue chacun des chefs d’accusation, l’intimée insiste sur le fait qu’il s’agissait, dans tous les cas, de véritables soumissions ;

8

Pièces P-5.1, P-9.1, P-12.1, P-17.1, P-22.1, P-30 et P-34.1;

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[46] Elle souligne également qu’il ne s’agissait pas d’un système frauduleux, qu’il n’y a eu aucune perte pour Allstate et, surtout, elle insiste pour dire qu’elle ne recevait aucune commission sur les soumissions ;

[47] De plus, le client ne retirait aucun avantage puisque le rabais était automatiquement annulé et de façon rétroactive dès le dépassement du délai de 120 jours ;

[48] Il n’y avait donc aucun avantage à falsifier les numéros de « F.E.D. » ou les soumissions ;

[49] Enfin, elle indique que son ancien employeur n’a pu retracer que huit (8) dossiers comportant des erreurs, alors que durant la même période elle a traité plus de 120 dossiers ;

[50] À cette époque, elle a été désignée pour divers bonis, précisément parce que son travail était conforme aux normes ;

[51] À son avis, son ex-employeur a commencé à lui chercher des poux à la suite de son congédiement 9 survenu le 24 janvier 2020 ;

[52] Finalement, elle insiste pour dire que les informations recueillies étaient confirmées de vive voix avec ses clients ;

[53] Elle conclut en mentionnant qu’à la suite de son congédiement (24 janvier 2020), elle ne pouvait plus faire le suivi de ses dossiers, ni finaliser les soumissions ou conclure les contrats d’assurance dans le délai de 120 jours ;

[54] C’est à la lumière de ces faits que le Comité devra déterminer le bien-fondé de la plainte ;

III. Argumentation A) Par le syndic [55] Essentiellement, Me Ali a repris la présentation de la preuve soumise par son témoin, Mme Brun ;

[56] De plus, la procureure du syndic insiste sur la valeur probante des notes que l’on retrouve dans les divers dossiers 10 ;

[57] À ce sujet, elle prend appui sur l’affaire ChAD c. Lévesque

9 10 11

Pièce P-35; Pièces P-5.1, P-9.1, P-12.1, P-17.1, P-22.1, P-30 et P-34.1; Op. cit., note 4;

11

;

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[58] De plus, elle considère que l’ensemble des pièces documentaires ainsi que la preuve testimoniale devraient amener le Comité à conclure qu’il y a une présomption de faits composés de différents éléments graves, précis et concordants qui pointent tous vers la culpabilité de l’intimée ;

[59] Enfin, elle précise que l’article 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages 12 devrait être retenu à titre de disposition de rattachement puisqu’elle considère que l’intimée a exercé ses activités professionnelles de façon malhonnête ;

[60] Subsidiairement, elle réfère le Comité à l’article 27 du Code de déontologie 13 puisqu’elle estime que l’intimée, par ses agissements a abusé de la bonne foi de l’assureur ;

[61] En conséquence, elle demande au Comité de déclarer l’intimée coupable de toutes les infractions reprochées ;

B) Par l’intimée [62] En défense, l’intimée reprend essentiellement les arguments présentés lors de son témoignage ;

[63] De plus, elle insiste sur le fait qu’elle n’a jamais fait preuve de malhonnêteté ; [64] Elle ajoute qu’il s’agissait de vrais clients et de véritables soumissions pour lesquelles elle avait personnellement procédé à la cueillette des informations ;

[65] De plus elle a toujours respecté le délai de 120 jours ; [66] Elle reconnaît avoir fait des erreurs de numéros mais elle n’a jamais eu d’intention malhonnête ;

[67] De plus, elle souligne que sur une période de quatre (4) ans à l’emploi de Allstate, elle n’a jamais reçu aucun avis disciplinaire, ni plainte d’aucun client ;

[68] Elle n’a pas non plus reçu aucun avis de non-conformité ; [69] Finalement, elle plaide que son ex-employeur s’est mis à lui chercher des poux après son congédiement ;

[70] Elle conclut en demandant au Comité de l’acquitter vu qu’elle n’a jamais eu d’intention malhonnête et qu’il s’agit de simples erreurs commises de bonne foi ;

12 13

R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5; Ibid.;

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IV. Analyse et décision A) Fardeau de la preuve [71] Il est bien établi que le fardeau de la preuve en matière disciplinaire est celui de la prépondérance de la preuve et, par conséquent, la preuve doit toujours être claire et convaincante 14 ;

[72] En l’espèce, le Comité estime que le syndic n’a pas réussi à se décharger de son fardeau de preuve pour plusieurs motifs ;

[73] Normalement, en l’absence d’une contestation par l’intimée, le dépôt de consentement des pièces documentaires pour équivaloir à témoignage aurait permis au syndic de se décharger de son fardeau de preuve 15 ;

[74] Toutefois, plusieurs éléments essentiels de la preuve du syndic ont été contredits par le témoignage de l’intimée ;

[75] Évidemment, il ne suffit pas de contredire la preuve du syndic par un seul témoin, encore faut-il que ce témoignage soit crédible et fiable ;

[76] Le Comité reviendra sur cette question de crédibilité et de fiabilité dans les lignes qui suivent ;

[77] Pour l’instant, il convient de citer certains passages de l’arrêt Vaillancourt sur le fardeau de preuve ;

16

portant

[96] Certes, il est bien établi que la question de la fiabilité d'une version relève de la souveraine appréciation du décideur de première instance qui a le privilège de voir et d'observer le témoin ainsi que d'en palper les forces et les faiblesses. Cependant, dans la perspective d'une preuve divergente sur un fait qui ne permet pas d'arriver à une conclusion certaine selon la règle des probabilités, celui qui a le fardeau de démonstration échoue.

[113] La plainte disciplinaire et la nature de l'infraction invoquée imposaient à l'intimée un lourd fardeau; et au Conseil, une tâche non moins lourde pour les mêmes raisons, mais aussi hautement délicate en raison d'une preuve fondée essentiellement sur des documents prêtant à interprétation.

[114] La déclaration de Martineau, attestée par les notes sténographiques de l'audience de la CQLC, et l'interprétation des interventions des commissaires ne peuvent pas établir par prépondérance les probabilités que l'appelant a intentionnellement induit en erreur la CQLC et a aidé son client à faire une déclaration la sachant fausse, s'il n'existe aucune raison d'écarter la version de celui-ci. Il ne s'agit pas d'une preuve de haute qualité, claire et sans ambiguïté qui se heurte au surplus à la version de l'appelant. Qu'un avis

14 15 16

Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078 (CanLII) par.67; Laurin c. Chauvin, op. cit., note 3; Vaillancourt c. Avocats, 2012 QCTP 126 (CanLII);

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d'appel n'ait pas été déposé n'exclut pas a priori qu'une contestation de la condamnation et de la peine n'ait pas été sérieusement envisagée, comme en témoigne l'appelant devant le Conseil.

[116] Le Conseil aurait rejeter la plainte disciplinaire. (Caractères gras ajoutés)

[78] Cela dit, il y a lieu de souligner, de nouveau, les éléments essentiels des infractions reprochées à l’intimée, à savoir :

La création de soumissions d’assurance : o Sans avoir procédé à la cueillette d’information des assurés ; o À leur insu et sans instruction en ce sens ; o De façon qu’ils puissent continuer à bénéficier d’un rabais multi-avantage ; [79] Or, l’intimée, par son témoignage, a contredit l’ensemble des prétentions de la partie poursuivante ;

[80] Plus particulièrement, elle affirme et précise : Que la création des soumissions avait été précédée d’une cueillette d’information auprès des assurés et ce, dès son premier contrat avec ceux-ci ;

Que lesdites soumissions n’avaient pas été créées à leur insu mais, bien au contraire, avec leur participation ;

Elle reconnaît que sa tenue de dossier était déficiente mais s’en explique en mentionnant qu’elle travaillait de chez elle le soir et que le système de Allstate « plantait » régulièrement, sans compter que durant cette période elle avait de graves problèmes de santé et a été hospitalisée à plusieurs occasions ;

Quant à la véracité des informations recueillies, elle donne comme exemple que, dans le cas de l’assurance-habitation de l’assurée (R.M.) auquel réfère le chef 1e), elle indique la présence d’un deuxième étage à la résidence, démontrant ainsi qu’elle a procédé à une véritable cueillette d’information auprès de l’assurée ;

Finalement, elle n’a jamais eu aucune intention malhonnête et si des erreurs se sont glissées dans le système, il s’agit d’erreurs commises de bonne foi ;

D’ailleurs, durant cette période, elle affirme avoir fait entre 120 et 130 soumissions et que l’on a retrouvé que huit (8) soumissions prétendument frauduleuses ;

[81] Cela dit, il convient d’examiner la crédibilité de l’intimée afin de déterminer si sa version des faits permet de faire échec à la preuve du syndic ;

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B) Crédibilité de l’intimée [82] Dans un premier temps, le Comité tient à souligner qu’il ne peut simplement écarter le témoignage de l’intimée en prétendant que celle-ci a intérêt à mentir pour obtenir son acquittement 17 ;

[83] De plus, le Comité considère que le témoignage de l’intimée était crédible et fiable pour les motifs suivants :

18

Elle a témoigné de manière sincère et de bonne foi ; Elle n’a pas tenté d’esquiver les questions et n’a pas fait preuve d’une mémoire sélective ;

Elle n’a pas nié en bloc les accusations mais a plutôt donné des détails pour chacun des cas ;

Elle a reconnu qu’elle pouvait avoir fait des erreurs mais que celles-ci avaient été commises de bonne foi et sans intention malveillante ;

[84] En conclusion, le Comité considère qu’en l’absence du témoignage des assurés, l’intimée a démontré par une preuve non-contredite que la preuve du syndic n’était pas suffisamment claire et convaincante pour être déclarée prépondérante ;

C) Preuve non-contredite [85] Concernant cette question, le Comité prend appui sur les renseignements de la Cour du Québec dans l’affaire Gardo Musique 19 ;

[67] Dans le scénario il devient impossible pour le Tribunal d’établir ce qui s’est réellement passé, la partie sur les épaules de qui le fardeau de la preuve reposait verra sa Demande échouer. En effet, tel est le cas lorsque deux versions contradictoires, toutes aussi crédibles l’une que l’autre, sont présentées devant le Tribunal.

[68] Comme le mentionne le Juge Benoit Sabourin, J.C.Q., dans l’affaire Coll Longbottom c. Succession de Thériault:

[18] Le Tribunal est d’avis que les demandeurs n’ont pas fait la preuve prépondérante que les items qu’ils prétendent être manquants faisaient partie de la vente. En effet, la preuve sur laquelle ils se basent pour faire cette affirmation est fortement contredite. Lorsque le Tribunal est en présence de deux versions contradictoires qui ne peuvent être départagées, c’est la partie sur laquelle le fardeau de preuve repose qui doit perdre son recours. Le fardeau de preuve

17

18 19

R. c. Laboucan, 2010 CSC 12 (CanLII), par.15; Dansereau c. Médecins, 2022 QCTP 33 (CanLII), par. 13 et ss ; Gestion immobilière Gouin c. Complexe Funéraire Fostin, 2010 QCCS 1763 (CanLII); Gardo Musique c. Municipalité de Bouchette, 2019 QCCQ 7127 (CanLII);

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reposait sur les épaules des demandeurs. Cet aspect de leur demande est donc rejeté.

[le Tribunal souligne] [69] Dans la même veine, le Professeur Léo Ducharme, dans son Précis de la preuve, s’exprime ainsi à ce sujet :

B. La sanction de la charge de la preuve 146. S’il est nécessaire de savoir sur qui repose l’obligation de convaincre, c’est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l’absence de preuve. En effet, si par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l’impossibilité de déterminer se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l’obligation de convaincre perdra.

147. Toutefois, ce n’est pas parce qu’une preuve est contradictoire que le juge est dispensé de l’apprécier. Bien au contraire, il lui incombe alors d’examiner tous les éléments de preuve offerts de part et d’autre afin de déterminer, si possible, se situe la vérité. C’est seulement lorsque cette recherche se révèle infructueuse qu’il doit se résoudre à faire succomber celui sur qui reposait le fardeau de la preuve. À partir du moment le juge dispose d’éléments de conviction suffisants, il est indifférent de savoir sur qui reposait le fardeau de la preuve.

[le Tribunal souligne]

(Caractères gras ajoutés)

[86] Cela dit, le Comité est d’opinion qu’en considérant l’ensemble de la preuve, la partie poursuivante n’a pas réussi à démontrer de manière prépondérante la culpabilité de l’intimée ;

D) Présomption de faits [87] Mais il y a plus, la procureure du syndic, pour tenter de contrer les affirmations de l’intimée, a plaidé l’existence d’une présomption de faits composée de plusieurs éléments graves, précis et concordants devant amener le Comité à conclure à la culpabilité de l’intimée ;

[88] De l’avis du Comité, cette prétention du syndic doit échouer car il manque un élément essentiel à cette preuve, à savoir, la démonstration d’une intention malhonnête de la part de l’intimée ;

[89] Encore une fois, il y a lieu de se référer à l’arrêt Vaillancourt

20

:

[108] L'utilisation d'une présomption de faits en droit de la preuve relève de la discrétion du décideur. Toutefois, l'article 2849 du Code civil du Québec limite expressément cette discrétion en imposant au décideur l'obligation de ne prendre

20

Op.cit., note 16;

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en considération que les présomptions qui sont graves, précises et concordantes. Cette disposition codifie en fait ce qu'en avait dit la jurisprudence, notamment dans l'arrêt Longpré c. Thériault, citant les propos d'un auteur français :

Les présomptions sont graves, lorsque les rapports du fait connu au fait inconnu sont tels que l'existence de l'un établit, par une induction puissante, l'existence de l'autre(…)

Les présomptions sont précises, lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. S'il était également possible d'en tirer les conséquences différentes et mêmes contraires, d'en inférer l'existence de faits divers et contradictoires, les présomptions n'auraient aucun caractère de précision et ne feraient naître que le doute et l'incertitude.

Elles sont enfin concordantes, lorsque, ayant toutes une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu'il s'agit de prouver…Si…elles se contredisent…et se neutralisent, elles ne sont plus concordantes, et le doute seul peut entrer dans l'esprit du magistrat.

[109] En l'occurrence, les éléments de preuve ne répondent pas aux qualités que doit revêtir une présomption probante de fait.

[110] La lettre de l'appelant à la syndique ne démontre pas en soi l'élément matériel fautif. Le Conseil y voit un élément de preuve démontrant l'intention blâmable de l'appelant. Il semble prêter au terme « stratégie » utilisé par l'appelant dans sa lettre une connotation péjorative.

[111] Le Tribunal ne disconvient pas que la facture de cette lettre laisse sceptique. Toutefois, stratégie n'est pas en soi ruse mal intentionnée ou duperie. La coordination de moyens, ce qui est une stratégie, par un avocat pour bien représenter son client n'est pas en soi blâmable si elle ne compromet pas les devoirs et obligations déontologiques.

[112] En tout état de cause, cet aspect du dossier présente moins d'importance dans la mesure il ne subsiste aucune raison sérieuse de ne pas retenir la version de l'appelant.

5.1.4 Conclusion [113] La plainte disciplinaire et la nature de l'infraction invoquée imposaient à l'intimée un lourd fardeau; et au Conseil, une tâche non moins lourde pour les mêmes raisons, mais aussi hautement délicate en raison d'une preuve fondée essentiellement sur des documents prêtant à interprétation.

(Caractères gras ajoutés)

[90] De l’avis du Comité, la poursuite avait l’obligation de démontrer le caractère malhonnête des gestes commis, vu le libellé de la plainte ;

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[91] D’ailleurs, au moment des plaidoiries, la partie plaignante a, de façon spécifique, soulevé le fait que l’intimée avait exercé ses activités professionnelles de façon malhonnête au sens de l’article 37(1) du Code de déontologie 21 ;

E) Preuve de l’intention malhonnête [92] En voulant prétendre qu’il s’agissait de fausses soumissions d’assurance, le syndic avait l’obligation de démontrer l’intention coupable de l’intimée tel que décidé par la Cour d’appel dans l’arrêt Henry 22 ;

[93] Concernant cette preuve d’intention coupable, il convient aussi de se référer au jugement du Tribunal des professions dans l’affaire Renaud 23 :

[85] Bien que son mémoire n’aborde pas expressément cette question de l’état d’esprit du professionnel accusé de contrevenir à la norme précitée, l’appelant l’évoque à l’audience en faisant valoir notamment qu’une évaluation objective d’un comportement au regard de la norme édictée par l’article 3.02.01c) du Code, sans égard à l’état d’esprit, pourrait mener à des résultats tout à fait inacceptables en ce que, par exemple, un avocat violerait la norme en produisant un document faux, à son insu, voir même à l’insu de son client, mais de nature à induire le tribunal en erreur. Il y aurait culpabilité sans faute, une situation niant l’exigence minimale en matière de faute relativement à toute infraction pénale ou réglementaire.

[98] Dans l’arrêt Dupont c. Brault, Guy, O’Brien Inc. 1989 CanLII 1328 (QC C.A.), (1990) R.J.Q. 112, la défenderesse conteste une plainte portée en vertu de l’article 197 paragraphe 4 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., Chap. V-1.1) qui lui reproche d’avoir fourni des informations fausses ou trompeuses dans un document ou un renseignement fourni à la Commission ou à l’un de ses agents. La Cour d’appel maintient l’acquittement prononcé par le juge d’instance, et confirmé par la Cour supérieure qui, tous deux, concluent que la mens rea constitue un élément essentiel de l’infraction prévue à l’article 197 de la Loi sur les valeurs mobilières.

[102] Bien que tirée du droit pénal, il n’y a aucune raison que cette jurisprudence ne trouve pas application en droit disciplinaire, du moins au plan de la constitution des éléments requis pour qu’il y ait contravention à une norme déontologique en ne perdant pas de vue deux distinctions importantes : d’une part, le fardeau du poursuivant, quant à la norme de preuve, diffère; d’autre part, la notion de doute raisonnable n’existe pas.

[103] Ainsi, il faut tenir que les infractions contre le bien-être public peuvent comporter un élément d’intention blâmable ou de conscience volontaire et dans le meilleur des scénarios pour l’intimé, si l’on tient pour acquis que l’arrêt Roberge, précité, représente, sur la question, l’état du droit dans la province de Québec, l’infraction contre le bien-être public doit être présumée tomber dans la catégorie des infractions dites de responsabilité stricte même si elles comportent un élément intentionnel auquel cas le défendeur peut faire valoir qu’il en est dénué.

21 22

23

R.L.R.Q., c. D-9.2, r.5; Henry c. Comité de surveillance de l’association des courtiers d’assurance de la province de Québec, 1998 CanLII 10041 (QC CA); Renaud c. Barreau du Québec, 2003 QCTP 111;

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[109] Dès lors que l’article 3.02.01c) du Code nécessite la démonstration d’un élément intentionnel, le Comité devait s’y arrêter et se demander si au regard de l’ensemble des faits et de tout le contexte, en incluant le témoignage de l’appelant, il pouvait conclure à la présence d’un état d’esprit blâmable. En ne le faisant pas pour la raison que l’on sait, il commet une erreur de droit.

(Caractères gras ajoutés) [94] Rappelons que la Cour d’appel, dans l’affaire Henry 24 , concluait que la falsification d’une police d’assurance nécessite une preuve de l’intention de tromper et qu’il ne peut exister de falsification par mégarde ;

[95] En définitive, le Comité conclut que le syndic ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve et plus particulièrement en considérant :

1. 2. 3.

4.

La version non-contredite de l’intimée ; L’absence d’une preuve d’intention malhonnête ; L’absence de faits précis, graves et concordants permettant d’établir une présomption de faits entraînant la culpabilité de l’intimée ;

L’absence du témoignage d’un ou plusieurs assurés qui aurait pu amener le Comité à conclure que :

Les soumissions avaient été créées à leur insu et sans cueillette d’information ;

Dans l’unique but de leur faire bénéficier d’un rabais multi-avantage auquel ils n’avaient pas droit.

[96] Pour l’ensemble de ces motifs, l’intimée sera acquittée des accusations reprochées à la plainte.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

ACQUITTE l’intimée de toutes les infractions reprochées aux chefs 1a) à 1h) ; DÉCLARE que les déboursés du dossier seront à la charge du syndic.

24

Henry c. Comité de surveillance de l’association des courtiers d’assurance de la province de Québec, 1998 CanLII 12544 (QC CA);

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___________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président

___________________________________ Mme Véronique Bastien, agent en assurance de dommages des particuliers Membre

___________________________________ Mme Mélanie Couture, agent en assurance de dommages des particuliers Membre

Me Maryse Ali Procureure de la partie plaignante

Mme Rita Mouawad (personnellement) Partie intimée

Date d’audience : 20 septembre 2022 (par visioconférence)

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