Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

N o : 2021-07-01(C) DATE :

LE COMITÉ : M e Daniel M. Fabien, avocat M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages M me Anne-Marie Hurteau, MBA, FPAA, CRM, agent en assurance de dommages

Vice-président Membre

Membre

M e YANNICK CHARTRAND, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

c.

Partie plaignante

JULIEN STEPHENS, courtier en assurance de dommages (4A) Partie intimée

DÉCISION RECTIFIÉE SUR SANCTION

ORDONNANCE DE NON-DIVULGATION, NON-PUBLICATION ET NON-DIFFUSION DES NOMS DES ASSURÉS EN VERTU DE L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS.

ATTENDU qu’une erreur cléricale s’est glissée aux paragraphes 48, 52, 54 et 57 de la décision sur sanction du 14 novembre 2022 ;

EN CONSÉQUENCE, le Comité rectifie la décision du 14 novembre 2022 pour remplacer la somme avant l'application du principe de la globalité de la sanction de 10 000 $ à 11 000 $.

[1]

Le 13 septembre 2022, le Comité se réunit par visioconférence Zoom pour

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procéder à l’audition sur sanction dans le présent dossier. [2] Le syndic est alors représenté par M e Karoline Khelfa et, de son côté, l’intimé est représenté par M e Alain Polynice.

[3]

Le 19 mai 2022, l’intimé est reconnu coupable 1 des infractions suivantes : 1. Chef n o 1 : Avoir manqué de transparence dans l’exécution de son mandat et/ou a fait des déclarations fausses, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur à l’assurée lors d’une conversation téléphonique, notamment en ne l’informant pas de la raison pour laquelle l’assureur ne renouvelait pas le contrat d’assurance, lui laissant plutôt croire que c’était à une réclamation antérieure;

2. Chef n o 2 : Avoir exercé ses activités de manière négligente et/ou a fait défaut d’agir en conseiller consciencieux envers les assurés, en omettant de leur fournir tous les renseignements nécessaires ou utiles quant aux protections disponibles et de leur préciser la nature des garanties offertes;

3. Chef n o 3 : Avoir manqué de transparence dans l’exécution de son mandat et/ou a fait des déclarations fausses, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur à l’assurée A.W. lors d’une conversation téléphonique, notamment en tentant de la convaincre qu’aucun autre assureur ne pourrait lui offrir une meilleure tarification, et en prétendant avoir fait des démarches auprès de dix (10) autres assureurs alors que ce n’était pas le cas;

4. Chef n o 4 : Avoir été négligent dans la tenue du dossier des assurés T.W. et A.W, en faisant défaut d’y noter la conversation téléphonique, les conseils donnés, les décisions prises et les instructions reçues.

I. Preuve sur sanction [4] La partie plaignante dépose en preuve la pièce PS-1 qui établit le statut de courtier en assurance de dommages de l’intimé. De son côté, la partie intimée introduit en preuve la pièce IS-1. Cette pièce est une fiche de représentant qui concerne l’intimé auprès de l’AMF. Ce document stipule notamment ce qui suit :

Raison de l’ajout 2022-08-01 Congédiement justifié en lien avec la décision sur culpabilité. Décision sur culpabilité no. 2021-07-01 (C), rendue le 19 mai 2022 par le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages. Décision sur culpabilité signifiée le 19 mai 2022.2 congédiements pour cause le 21 juin 2022 en lien avec la décision disciplinaire.

1 ChAD c. Stephens, 2022 CanLII 49669 (QC CDCHAD);

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Raison du retrait Décision sur culpabilité no. 2021-07-01(C) rendue le 19 mai 2022 par le Comité de discipline de la Chad : Les faits au dossier seront analysés lorsque la décision sur sanction sera rendue à l’endroit du représentant. Veuillez obtenir l’autorisation de la DCI-Conformité avant de procéder à toute demande dans ce dossier.

[5]

L’intimé Julien Stephens est assermenté. Il relate principalement ce qui suit : il est courtier en assurance de dommages depuis 2013; lors des faits du présent dossier, il était rattaché au cabinet Courtiersnet, lequel a été acheté depuis par le cabinet Deslauriers;

ce qui l’anime dans sa profession, c’est le pouvoir d’aider les clients; or, avant la présente affaire, il n’a jamais eu quelque problème que ce soit avec sa clientèle;

l’intimé reconnait qu’il aurait pu faire mieux; cette affaire a été très dure sur lui puisqu’il a été congédié par Deslauriers; il considère que le processus disciplinaire a été long et dur à son égard; il affirme aussi qu’il ne savait pas qu’il pouvait plaider coupable; sa situation financière est précaire en raison de la perte de son emploi chez Deslauriers;

contre-interrogé, l’intimé nous révèle qu’il travaille aussi dans le domaine du courtage hypothécaire pour une firme spécialisée dans ce domaine;

l’intimé nous dit qu’il devra communiquer notre décision sur sanction à son employeur dans le domaine hypothécaire afin que celui-ci prenne position sur son sort.

[6] Voilà l’essentiel du témoignage de l’intimé. II. Représentations sur sanction A) Par la partie plaignante [7] Au nom du syndic, M suivantes :

e Khelfa nous propose d’imposer à l’intimé les sanctions

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Chef n o 1 : une radiation temporaire de 30 jours; Chef n o 2 : une radiation temporaire de 30 jours; Chef n o 3 : une radiation temporaire de 30 jours; Chef n o 4 : une amende de 2 000 $; Les périodes de radiation devant être purgées concurremment et la publication d’un avis de radiation.

[8] À cet égard, M e Khelfa nous rappelle les 4 objectifs de la sanction disciplinaire, tel que décidé par l’arrêt Pigeon c. Daigneault

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, soit :

la protection du public; la dissuasion du professionnel de récidiver; L’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables;

Le droit pour le professionnel visé d’exercer sa profession. [9] Quant aux facteurs aggravants, la procureure souligne la grande gravité objective de manquements qui touchent le devoir de conseils du courtier.

[10] Pour les facteurs atténuants, elle considère l’absence d’antécédent disciplinaire de l’intimé.

[11] Cela étant, M e Khelfa soumet à l’appui de ses prétentions une série de jurisprudence, notamment :

ChAD c. Dupuis-Richard, 2018 CanLII 78589 (QC CDCHAD) ChAD c. Bertolotto, 2021 CanLII 69240 (QC CDCHAD) ChAD c. Charles, 2019 CanLII 120596 (QC CDCHAD) ChAD c. Michaud, 2020 CanLII 55384 (QC CDCHAD) ChAD c. Lemelin, 2018 CanLII 102709 (QC CDCHAD [12] En terminant, M e Khelfa suggère que l’intimé soit condamné au paiement du 4/5 e des déboursés, considérant que ce dernier a été acquitté sur le cinquième chef

2 2003 CanLII 32934 (QC CA);

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d’accusation. B) Par la partie intimée [13] M e Polynice affirme que le Comité devrait imposer l’amende minimale sur chacun des chefs n os 1 et 2 et des réprimandes sur les chefs n os 3 et 4.

[14] Au soutien de cette prétention, M e Polynice plaide l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Gladue 3 et affirme que la population racisée exerce rarement une profession comme celle de courtier en assurance de dommages. Le procureur exprime également l’avis que les sanctions sont généralement plus sévères pour les personnes racisées.

[15] Le Comité doit donc, selon la partie intimée, se mettre en garde et examiner, outre la radiation temporaire, toutes les sanctions alternatives applicables, et ce, pour fixer une sanction appropriée au cas de l’intimé en regard des infractions commises.

[16] M e Polynice cite Malcom X et nous dit : « Si tu es un noir en Amérique, tu es en prison 4 . »

[17] À son avis, la suggestion de sanction du syndic ne prend pas suffisamment en considération le fait que l’intimé a déjà été sanctionné, car son employeur l’a congédié.

[18] D’autre part, il est clair, de l’avis de M e Polynice, que les professionnels de l’assurance caucasiens écopent tous d’amendes pour des infractions similaires. Alors, pourquoi rechercher la suspension du permis de l’intimé? D’autant plus que l’intimé risque d’être congédié à titre de courtier hypothécaire s’il est radié comme courtier en assurance de dommages.

[19] Se fondant sur l’affaire Labarge 5 , il nous demande initialement de prononcer un arrêt des procédures sur les chefs no 3 et 4 au motif qu’ils sont moindres et inclus et que le principe interdisant les condamnations multiples de Kienapple 6 doit s’appliquer. Séance tenante, cette demande de l’intimé est rejetée au motif que les chefs n os 3 et 4 ne sont pas des infractions moindres et incluses.

[20] Le procureur se ravise et nous suggère l’imposition de l’amende minimale sur les chefs n os 1 et 2 et de réprimande sur les chefs n os 3 et 4 seraient une sanction appropriée.

[21] Quant aux frais, vu l’acquittement sur le chef n o 5, M e Polynice nous demande de condamner son client à seulement 50 % des déboursés et frais de l’instance.

[22] Cela étant, M

e

Polynice soumet à l’appui de ses prétentions des précédents du

3 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 RCS 688; 4 «If you are born in America with a black skin, you're in prison»; 5 Agence de douanes et du revenu c. Labarge, 2007 QCCQ 11286 (CanLII); 6 Kienapple c. R., 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 RCS 729;

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Comité, notamment : ChAD c. Maravilla-Parada, 2021 CanLII 115136 (QC CDCHAD) ChAD c. Richard, 2022 CanLII 27106 (QC CDCHAD) ChAD c. Salimi, 2022 CanLII 71582 (QC CDCHAD) ChAD c. Chapleau, 2018 CanLII 103157 (QC CDCHAD) OACIQ c. Bitar, 2017 CanLII 3753 (QC OACIQ) Agence de douanes et du revenu c. Labarge, III. Analyse et décision [23] Tout d’abord, considérant la preuve IS-1, le Comité ne peut occulter le fait que l’intimé a déjà été en quelque sorte sanctionné dans la présente affaire, et ce, à la suite d’un congédiement fondé sur la décision sur culpabilité rendue en l’espèce.

[24] Considérant que la sanction doit coller aux faits du dossier 7 , le Comité doit tenir compte de ce congédiement dans l’élaboration d’une sanction individualisée au cas de l’intimé.

[25] Dans un arrêt récent, R. c. Bissonnette 8 , la Cour suprême discute à nouveau des principes de la détermination de la peine comme suit :

[47] L’objectif de dissuasion, pour sa part, se décline en deux formes. La première, la dissuasion spécifique, vise à décourager le contrevenant lui-même de récidiver. La deuxième, la dissuasion générale, a pour but de décourager les membres du public qui pourraient être tentés de se livrer à l’activité criminelle dont le contrevenant a été déclaré coupable (R. c. B.W.P., 2006 CSC 27, [2006] 1 R.C.S. 941, par. 2). Dans la poursuite de cet objectif, le contrevenant est puni plus sévèrement afin de communiquer un message à la population, en d’autres termes pour servir d’exemple. La dissuasion générale est un objectif qui doit être soupesé par le tribunal, mais dont l’efficacité a souvent été remise en question. En dépit de ces réserves légitimes, il demeure que la certitude d’être puni, de même que l’ensemble des sanctions pénales, produisent néanmoins un certain effet dissuasif, quoique difficilement mesurable, chez les contrevenants potentiels (Ruby, §1.31; Commission canadienne sur la détermination de la peine, Réformer la sentence : une approche canadienne (1987), p. 150-151).

7 Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA); 8 2022 CSC 23 (CanLII);

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[48] Enfin, l’objectif de réinsertion sociale vise à réformer le contrevenant en vue de sa réintégration dans la société, afin qu’il devienne un citoyen respectueux des lois. Cet objectif pénologique présuppose chez l’individu une capacité de prendre sa vie en main et de s’améliorer, avec pour conséquence ultime une meilleure protection de la société. Les auteurs M. Manning et P. Sankoff soulignent que la réhabilitation [traduction] « constitue probablement à long terme la solution la plus économique sur le plan financier et l’objectif pénologique le plus humain » (Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law (5e éd. 2015), ¶1.155). Dans ce même ordre d’idées, je réitère, comme je l’ai affirmé dans l’arrêt R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, que « [c]et objectif fait partie des valeurs morales fondamentales qui distinguent la société canadienne de nombreuses autres nations du monde » (par. 4).

[49] L’importance relative de chacun des objectifs de la peine varie selon la nature du crime et les particularités du contrevenant (R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 309, p. 329). Il n’existe aucune formule mathématique permettant de déterminer ce qui constitue une peine juste et appropriée. C’est pourquoi notre Cour a décrit la détermination de la peine comme un « art délicat, l’on tente de doser soigneusement les divers objectifs sociétaux de la détermination de la peine, eu égard à la culpabilité morale du délinquant et aux circonstances de l’infraction, tout en ne perdant jamais de vue les besoins de la communauté et les conditions qui y règnent » (M. (C.A.), par. 91).

[50] Cependant, la détermination de la peine doit en toutes circonstances être guidée par le principe cardinal de la proportionnalité. La peine doit être suffisamment sévère pour dénoncer l’infraction, sans excéder « ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction » (R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 42; voir aussi R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 37). La proportionnalité des peines est considérée comme un facteur essentiel au maintien de la confiance du public dans l’équité et la rationalité du système de justice pénal et criminel. L’application de ce principe permet d’assurer au public que le contrevenant mérite la punition qui lui a été infligée (Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.-B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 533, la juge Wilson, motifs concordants).

[51] Ainsi, « on ne peut infliger à une personne une peine totalement disproportionnée à la seule fin de dissuader ses concitoyens de désobéir à la loi » (Nur, par. 45). De même, le juge Vauclair affirme avec justesse que « la recherche de l’exemplarité au détriment des éléments de preuve qui démontrent le mérite des objectifs de réhabilitation est incompatible avec le principe d’individualisation » (Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711, par. 30

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(CanLII), citant R. c. Paré, 2011 QCCA 2047, par. 48 (CanLII), le juge Doyon). La proportionnalité joue un rôle restrictif et, en ce sens, elle est garante d’une peine qui est individualisée, juste et appropriée.

[52] Le principe de la proportionnalité est si fondamental qu’il possède une dimension constitutionnelle consacrée à l’art. 12 de la Charte, lequel interdit l’infliction d’une peine exagérément disproportionnée au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine (Nasogaluak, par. 41; Ipeelee, par. 36). En tant que principe de détermination de la peine, le principe de proportionnalité ne bénéficie toutefois d’aucune protection constitutionnelle en tant que telle, n’étant pas reconnu comme un principe de justice fondamentale visé à l’art. 7 de la Charte (R. c. Malmo-Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 160; R. c. Safarzadeh-Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180, par. 71).

(nos soulignements) [26] Cela étant dit, examinons les circonstances aggravantes et atténuantes de la présente affaire.

[27] Quant aux facteurs aggravants, le Comité considère la grande gravité objective des fautes commises par l’intimé aux chefs n os 1, 2 et 3. Elles sont de nature à mettre en péril la protection du public et à ternir l’image de la profession.

[28] Par ailleurs, l’intimé est un courtier qui avait une bonne expérience au moment des faits reprochés à la plainte.

[29] Quant aux facteurs atténuants, soulignons les éléments suivants : l’absence d’antécédent disciplinaire de l’intimé; les impairs de l’intimé ne visent qu’un seul client; le fait qu’il s’agit d’un cas isolé même si celui-ci perdure un certain temps; l’absence de bénéfice personnel pour l’intimé. [30] De plus, l’intimé semble avoir appris une leçon de l’ensemble du processus disciplinaire.

[31] Considérant les circonstances qui précèdent et pour les motifs ci-après exposés, le Comité n’entend pas retenir la suggestion du syndic qui recherche la radiation temporaire du certificat de l’intimé.

A) Chef n o 1 [32] Le chef n o 1 vise les fausses déclarations de l’intimé lors d’un entretien

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téléphonique avec l’assurée. [33] Tel qu’il appert de notre décision sur culpabilité 9 , l’intimé n’a pas véritablement compris ce que le syndic lui reprochait puisqu’il a prétendu, lors de son témoignage sur culpabilité, que ses affirmations à l’assurée étaient conformes au contenu de la lettre adressée à celle-ci en date du 9 avril 2019 10 .

[34] Cette infraction est grave puisque les déclarations faites à l’assurée par l’intimé sont non seulement complètement fausses, mais elles sont aussi de nature à laisser croire que le non-renouvellement de la police résulte du suicide du fils de l’assuré alors que ce motif n’est pas du tout conforme à la réalité. Bref, l’assurée a été carrément induite en erreur.

[35] Cela étant dit, le syndic requiert l’imposition d’une radiation de 30 jours pour ce chef. Quant à l’intimé, il demande au Comité de lui imposer l’amende minimale de 2 000 $.

[36] Vu l’importance évidente de dire la vérité à ses clients, il nous apparait que l’imposition d’une amende d’une somme de 3 500 $ constitue une sanction adéquate, juste et appropriée et que l’imposition de l’amende minimale ne reflèterait pas du tout la grande gravité objective du manquement dans les circonstances du présent dossier 11 .

B) Chef n o 2 [37] Le chef n o 2 concerne l’omission par l’intimé de fournir tous les renseignements nécessaires ou utiles quant aux protections disponibles et de leur préciser la nature des garanties offertes dans le cadre de la souscription d’un contrat d’assurance habitation auprès d’Intact.

[38] D’après le syndic, cette infraction justifie l’imposition d’une radiation de 30 jours, alors que l’intimé, par l’entremise de M e Polynice, suggère une amende de 2 000 $.

[39] Cette infraction est très grave puisqu’elle se situe au cœur de la profession. Elle met également en cause le devoir d’information et de conseils de l’intimé. La sanction sur ce chef se doit d’être dissuasive.

[40] En conséquence, le Comité imposera sur le chef n o C) Le chef n o 3

2 une amende de 3 500 $ 12

.

9 Ibid., note 1; 10 Pièce P-6; 11 Voir l’affaire ChAD c. Dupuis-Richard, 2018 CanLII 78589 (QC CDCHAD), le Comité a imposé une amende de 2 000 $ à un agent d’assurance qui avait plaidé coupable à des allégations de fausses déclarations; 12 Voir notamment à ce sujet ChAD c. Lemelin, 2018 CanLII 102709 (QC CDCHAD);

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[41] Encore une fois, l’intimé a fait des déclarations qui sont fausses à son assurée notamment en tentant de la convaincre qu’aucun autre assureur ne pourrait lui offrir une meilleure tarification tout en en prétendant avoir fait des démarches auprès de dix (10) autres assureurs alors que ce n’était pas le cas.

[42] Tout comme le chef n o 1, cette infraction est d’une grande gravité objective. Elle est également de nature à mettre en péril la protection du public.

[43] À notre avis, une amende de 2 000 $ est pleinement justifiée dans les circonstances.

D) Le chef n o 4 [44] En matière d’infractions relatives aux notes et à la tenue des dossiers, pour une première infraction, le Comité impose normalement et de façon usuelle l’amende minimale 13 .

[45] Or, dans les circonstances de la présente affaire, nous considérons qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de cette règle. L’intimé se verra imposer une amende de 2 000 $.

E) Le principe de la globalité de la sanction [46] Dans tous les cas nous sommes appelés à sanctionner un professionnel, nous devons toujours appliquer le principe de la globalité et nous demander si la sanction, lorsque vue globalement, est appropriée, juste et adéquate dans les circonstances.

[47] Voici comment le Tribunal des professions s’exprime à ce sujet dans l’affaire Kenny c. Baril14 :

« Quant à la globalité ou à la totalité des amendes imposées (…) elle doit être analysée par le comité de discipline. Ce dernier doit regarder si cette globalité ou totalité ne constitue pas une sanction accablante même si les sanctions imposées sur chacun des chefs peuvent par ailleurs apparaitre justes, appropriées et proportionnées dans les circonstances. »

(notre soulignement) [48] La somme des amendes imposées sur les chefs n os 1, 2, 3 et 4 qui totalise une somme de 11 000 $ constitue-t-elle une sanction excessive justifiant l’application du principe de la globalité notamment en regard du congédiement de l’intimé?

[49] Qu’en est-il au juste? [50] Premièrement, la capacité financière n’est pas un élément essentiel à

13 Voir notamment ChAD c. Dupuis, 2021 CanLII 140384 (QC CDCHAD); 14 Kenny c. Baril, 1993 CanLII 9195 (QC TP);

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l’application du principe de la globalité de la sanction 15 . [51] Deuxièmement, dans l’affaire Jacques c. Joyal 16 , le juge Éric Dufour de la Cour du Québec discute comme suit sur le principe de la globalité:

[19] Le principe de la globalité dans l’élaboration d’une peine réfère à la situation d’un délinquant faisant face à plusieurs sanctions. Alors que chacune d’elles se situe dans le spectre des peines idoines, leur cumul les fait soudainement bondir en dehors de ce qui devrait être infligé. L’auteur Pierre Bernard en résume bien la théorie:

Le juge lorsqu’il est appelé à imposer plusieurs sanctions en regard de plusieurs chefs d’accusation pour lesquels le professionnel a été reconnu coupable doit alors faire appel à un autre principe dans la détermination de la sanction soit le principe de la globalité, c’est-à-dire qu’il doit regarder, en imposant les différentes sanctions, l’effet global qui va en être obtenu à la fin du compte. Le résultat global auquel il doit en arriver ne doit pas, selon cette règle, être excessif par rapport à la culpabilité générale du contrevenant.

(nos soulignements) [20] C’est alors que vient en aide le principe de la globalité des sanctions, qui procure au Tribunal des moyens pour éviter l’imposition de sanctions qui dans leur globalité soient hors norme. Les sanctions peuvent être purgées de manière concurrente au lieu qu’elles le soient de manière consécutive, par exemple.

[21] C’était le cas dans l’affaire Kenny c. Baril, à laquelle d’ailleurs réfère le Comité de discipline, et dont voici un autre extrait pertinent :

« Dans Forst, [1980] 23 Crim. L.Q. 37 (C.A. Ont.), la décision de la Cour démontre que le principe de totalité s’applique à une accumulation de sentences prononcées sur plusieurs années aussi bien qu’à des sentences rendues simultanément. Dans la cause en question, une sentence de sept ans d’emprisonnement pour vol à main armée à purger consécutivement à une sentence de 19 ans, le reste de deux sentences antérieures, est réduite à 3 ans.

[22] Dans l’affaire Pluviose, précitée, la Cour du Québec (le juge Choquette) réfère à la pondération des amendes, qui se fait par l’imposition de celle sur le premier chef et, le cas échéant, la réprimande sur les autres chefs de même nature.

(caractères gras ajoutés) [52] Cela dit, le Comité considère, et ce, sans égard à la capacité financière de

15 Lebel c. Milevschi, 2020 QCCQ 8962 (CanLII), au paragraphe 77; 16 2021 QCCQ 326 (CanLII);

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l’intimé, que l’addition des amendes imposées sur les chefs n os 1, 2, 3 et 4, soit la somme de 11 000 $ est excessive par rapport à la culpabilité générale de l’intimé.

[53] Rappelons que l’intimé a été congédié à la suite des infractions commises dans le cadre d’un cas isolé qui ne concerne qu’un seul risque.

[54] Or, dans ce contexte, le total de ces amendes (11 000 $) a pour effet de donner à ces sanctions un effet punitif, surtout lorsque l’on sait que le but ultime de la sanction disciplinaire est d’assurer la protection du public et non pas de punir le professionnel 17 . De plus, de l’avis du Comité, le processus disciplinaire comporte en soi un effet dissuasif et un rappel à l’ordre dont l’intimé saura tirer leçon 18 .

[55] Récemment, le Tribunal des professions dans l’affaire Serra 19 à ce sujet :

écrivait ce qui suit

[111] En matière disciplinaire, le principe jurisprudentiel établissant que la sanction ne doit pas être punitive signifie que les mesures prises ne doivent pas uniquement sanctionner un comportement fautif, mais veiller à ce que ce comportement ne se reproduise plus, dans un esprit de maintien des normes professionnelles propres à chaque discipline et par le fait même participer à assurer la protection du public. Ainsi, il peut arriver qu’une sanction qui, par sa sévérité cible trop fortement l’exemplarité par une longue période de radiation, puisse ne pas satisfaire les objectifs recherchés par la sanction disciplinaire et devenir punitive.

[115] Ainsi, ce qui doit guider une instance disciplinaire lors de l’imposition de la sanction est le principe de l’individualisation et de la proportionnalité. Un conseil de discipline ne sanctionne pas d’abord une faute déontologique, mais plutôt un professionnel ayant contrevenu à certaines règles en posant certains gestes précis. L’analyse doit donc porter sur les faits particuliers de l’affaire et sur le professionnel à sanctionner, comme l’a précisé le Tribunal des professions dans Brochu :

[69] Il faut rappeler que le rôle du Comité ne consiste pas à sanctionner seulement un comportement, mais à imposer une sanction à un professionnel qui a eu un comportement fautif. L’attention se porte aussi sur l’individu en fonction du geste qu’il a posé (…)

[117] Par exemple, la protection du public doit s’évaluer en tenant compte de la situation particulière du professionnel et non in abstracto. Les conseils de discipline doivent s’interroger si ce professionnel en particulier représente un risque de préjudice pour le public et non le faire d’une façon abstraite, sans lien avec le dossier à l'étude.

[118] En ce qui concerne l’objectif de la dissuasion spécifique, le conseil de discipline doit notamment analyser la situation du professionnel au

17 Thibault c. Da Costa, 2014 QCCA 2347 (CanLII); 18 ChAD c. Couture, 2011 CanLII 81636 (QC CDCHAD), au paragraphe 36; 19 Serra c. Médecins, 2021 QCTP (CanLII);

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moment de la sanction et déterminer si le processus disciplinaire l’a suffisamment dissuadé de répéter son comportement, donc considérer l’effet dissuasif du processus disciplinaire lui-même.

[119] Pour l’objectif de l’exemplarité, qu’il suffise de souligner le fait que la Cour d’appel du Québec a mentionné à plusieurs reprises la valeur toute relative de cette notion.

[120] Le dernier objectif relativement au droit d’exercer sa profession ne doit pas être négligé, même s’il semble être rarement considéré par les instances disciplinaires. Si le professionnel ne représente pas ou plus un danger pour le public, il n’y a peut-être pas lieu d’imposer de longues périodes de radiation temporaire, ce qui a comme effet de priver le professionnel de revenus. En intégrant cet objectif, la Cour d’appel dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault cible la réhabilitation, facteur inhérent à toute mesure punitive, et impose aux conseils de discipline de considérer l’éventuelle réintégration du professionnel dans son milieu.

[121] En définitive, un conseil de discipline qui ne considère pas à sa juste valeur les principes de l’individualisation et de la proportionnalité risque fort de commettre une erreur de principe et d’imposer une sanction manifestement non indiquée.

(nos soulignements, caractères gras ajoutés) [56] Vu les passages qui précèdent, le Comité considère qu’il a l’obligation d’appliquer le principe de la globalité de la sanction en l’espèce.

[57] En conséquence, afin de respecter ce principe, le Comité module le montant total des amendes de 11 000 $ à une somme globale de 8 000 $ comme suit 20 :

Sur le chef n o 2 000 $;

Sur le chef n o 2 000 $;

1 : en modulant l’amende de 3 500 $ à l’amende minimale de

2 : en modulant l’amende de 3 500 $ à l’amende minimale de

F) Les déboursés [58] Puisque l’intimé a été acquitté uniquement du chef n o 5, il serait inapproprié qu’il soit condamné uniquement à la moitié des déboursés et frais de l’instance.

[59] Pour ces motifs, l’intimé est condamné au paiement du 4/5 e déboursés 21 .

des frais et

20 Gingras c. Pluviose, 2020 QCCQ 8495 (CanLII), aux paragraphes 86 et 89; 21 ChAD c. Picard, 2015 CanLII 51891 (QC CDCHAD), au paragraphe 24;

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G) Le délai pour payer [60] Considérant le congédiement de l’intimé, celui-ci pourra bénéficier d’un délai de 30 mois pour payer les amendes et les déboursés et frais de l’instance, le tout en 30 versements mensuels, égaux et consécutifs jusqu’à parfait paiement.

[61] En cas de défaut, l’intimé perdra le bénéfice du terme et toute somme alors due sera immédiatement payable.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : CONSIDÉRANT LA GLOBALITÉ DE LA SANCTION, IMPOSE à l’intimé, Julien Stephens, les sanctions suivantes:

Chef n o 1 : une amende de 2 000 $; Chef n o 2 : une amende de 2 000 $; Chef n o 3 : une amende de 2 000 $; Chef n o 4 : une amende de 2 000 $;

CONDAMNE l’intimé au paiement du 4/5 e des déboursés. ACCORDE à l’intimé un délai de 30 mois pour acquitter les amendes, déboursés et frais de l’instance, le tout en 30 versements mensuels, égaux et consécutifs, délai qui sera calculé uniquement à compter du 31 e jour suivant la signification de la présente décision;

DÉCLARE que si l’intimé est en défaut de payer à échéance l’un ou l’autre des versements susdits, il perdra le bénéfice du terme et toute somme alors impayée deviendra immédiatement due et exigible.

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____________________________________ M e Daniel M. Fabien, avocat Vice-président

____________________________________ M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages Membre

____________________________________ M me Anne-Marie Hurteau, MBA, FPAA, CRM, agent en assurance de dommages Membre

M e Karoline Khelfa Procureure de la partie plaignante

M e Alain Polynice Procureur de la partie intimée

Date d’audience : Le 13 septembre 2022 par visioconférence

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