Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

No: 2022-07-01(E) DATE : 3 1 octobre 2022

LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat Mme Lise Martin, expert en sinistre Me Martine Carrier, expert en sinistre

Président Membre Membre

Me PASCAL PAQUETTE-DORION, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante c. MONIKA ELLIOTT, expert en sinistre, inactif et sans mode d’exercice

Partie intimée

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DU NOM DES ASSURÉS ET DE TOUT RENSEIGNEMENT OU INFORMATION PERMETTANT DE LES IDENTIFIER, LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS

[1] Le 6 septembre 2022, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2022-07-01(E), par visioconférence ;

[2] Le syndic adjoint était alors représenté par Me Maryse Ali et, de son côté, l’intimée assurait seule sa défense ;

I. [3]

La plainte L’intimée fait l’objet d’une plainte comportant cinq (5) chefs d’accusation, soit : 1. À Saint-Hyacinthe, le ou vers le 23 juin 2017, dans le cadre du traitement de la réclamation n o 4030748734 en responsabilité civile de l’assuré G.L., a manqué de probité et/ou a exercé ses activités de façon malhonnête en faisant émettre par Intact Compagnie d’assurance un chèque au montant de 13 881,75 $ en paiement de M.M., un fournisseur fictif, en contravention avec l’article 16 de la Loi

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sur la distribution de produits et services financiers et les articles 48, 58(1), 58(4), 58(5) et 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre;

2.

3.

4.

5.

À Saint-Hyacinthe, le ou vers le 23 mai 2019, dans le cadre du traitement de la réclamation n o 1032340853 en responsabilité civile de l’assurée 9332-XXXX Québec inc., a manqué de probité et/ou a exercé ses activités de façon malhonnête en faisant émettre par Intact Compagnie d’assurance un chèque au montant de 31 617,10 $ en paiement de J.C., un fournisseur fictif, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 48, 58(1), 58(4), 58(5) et 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre;

À Saint-Hyacinthe, le ou vers le 5 novembre 2019, dans le cadre du traitement de la réclamation n o 3032605467 en responsabilité civile de l’assurée T.R.G. et F. inc., a manqué de probité et/ou a exercé ses activités de façon malhonnête en faisant émettre par Intact Compagnie d’assurance un chèque au montant de 27 966,16 $ en paiement de M.P., un fournisseur fictif, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 48, 58(1), 58(4), 58(5) et 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre;

À Saint-Hyacinthe, le ou vers le 1 er mai 2020, dans le cadre du traitement de la réclamation n o 1032796650 en responsabilité civile de l’assurée M.G.B. inc., a manqué de probité et/ou a exercé ses activités de façon malhonnête en faisant émettre par Intact Compagnie d’assurance un chèque au montant de 37 045,16 $ en paiement de G.P., un fournisseur fictif, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 48, 58(1), 58(4), 58(5) et 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre;

À Saint-Hyacinthe, le ou vers le 16 juillet 2020, dans le cadre du traitement de la réclamation n o 6032746142 en responsabilité civile de l’assurée T.Y.G. inc., a manqué de probité et/ou a exercé ses activités de façon malhonnête en faisant émettre par Intact Compagnie d’assurance un chèque au montant de 44 768,53 $ en paiement de J.C., un fournisseur fictif, en contravention avec l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 48, 58(1), 58(4), 58(5) et 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre;

[4] D’entrée de jeu, l’intimée a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’encontre des chefs d’accusation de la plainte ;

[5] Les parties ont alors procédé à l’audition sur sanction; II. Preuve sur sanction [6] La preuve de la partie plaignante fut essentiellement constituée d’un nombre important de pièces documentaires d’un exposé des faits 2 ;

1 2

Pièces P-1 à P-47; Pièce P-48;

1

comportant plus de 1 000 pages suivies du dépôt

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[7] L’intimée a consenti au dépôt de ces pièces pour équivaloir à témoignage [8] Cela dit, la procureure du syndic adjoint a fait un long exposé des faits à l’origine de la plainte ;

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;

[9] En défense, l’intimée a brièvement témoigné pour expliquer certaines particularités du dossier tout en réitérant son plaidoyer de culpabilité et, surtout, en mentionnant à plusieurs reprises qu’elle assumait ses actes et qu’elle prenait l’entière responsabilité des faits reprochés ;

III. Les faits [10] Essentiellement, la preuve démontre que l’intimée a demandé à la compagnie d’assurance Intact l’émission de plusieurs chèques en faveur de divers fournisseurs inexistants ;

[11] Ce stratagème a permis à l’intimée et à certaines de ses connaissances de s’approprier plusieurs montants importants totalisant environ 155 000 $ ;

[12] À la suite de la découverte de cette fraude, l’intimée fut immédiatement congédiée par son employeur ;

[13] L’intimée a alors convenu d’une entente de paiement avec son ancien employeur ; [14] Enfin, il semblerait que les montants détournés auraient servi au paiement de certains travaux dont le coût aurait été gonflé afin de favoriser des connaissances de l’intimée ;

[15] En échange de son implication, l’intimée prétend n’avoir reçu que l’équivalent du montant des taxes ;

[16] Finalement, la preuve a permis d’établir que l’intimée n’a pas d’antécédents disciplinaires ;

[17] C’est sur la base de ces faits et des nombreuses pièces documentaires que le Comité devra déterminer la sanction appropriée au cas de l’intimée ;

IV. L’argumentation A) Par le syndic adjoint [18] Le syndic adjoint suggère d’imposer à l’intimée une radiation permanente sur chacun des chefs d’accusation ;

[19] De plus, le syndic adjoint recommande au Comité de prononcer une ordonnance de

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Laurin c. Chauvin, 2006 QCCQ 6115 (CanLII), par. 47;

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remboursement pour un montant de 155 000 $ ; [20] Enfin, l’intimée devra se voir imposer tous les déboursés incluant les frais de publication de l’avis de radiation permanente (art. 180 C. prof.) ;

[21] Concernant la publication de l’avis dans les journaux, Me Ali souligne, avec justesse, que dans le cas particulier d’une radiation permanente, le Comité de discipline n’a pas compétence pour décider du bien-fondé ou non de la publication d’un tel avis 4 puisque le deuxième alinéa de l’article 180 C. prof. 5 ne laisse aucune discrétion au secrétaire du Comité :

[22] De plus, les frais de publication sont automatiquement à la charge du professionnel (art. 180 in fine, C. prof.) ;

[23] Cela étant établi, Me Ali rappelle les grands principes en matière de sanction 6 , soit : La protection du public ; La dissuasion du professionnel de récidiver ; L’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession ; Le droit du professionnel de gagner sa vie 7 ; [24] Concernant les facteurs aggravants propres au dossier de l’intimée, l’avocate du syndic adjoint insiste sur les points suivants :

L’extrême gravité des infractions ; L’importance des montants détournés ; L’expérience de l’intimée au moment des faits reprochés, plus de 20 ans ; La durée des infractions (3 ans) ; La multiplicité des infractions ; Le stratagème frauduleux mis en place par l’intimée, laquelle a fabriqué plusieurs faux documents pour arriver à ses fins ;

Le préjudice envers l’assureur et ses clients ; L’atteinte à l’image de la profession ;

4 5 6 7

Art. 156 C. prof.; R.L.R.Q., c. C-26; Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA); Ibid., par. 38;

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Le fait que les infractions se situent au cœur de l’exercice de la profession d’expert en sinistre ;

[25] Parmi les facteurs atténuants, le syndic adjoint n’en retient que quelques-uns, soit : Le plaidoyer de culpabilité de l’intimée ; L’absence d’antécédents disciplinaires ; L’entente de paiement convenue avec son ex-employeur pour le remboursement des sommes détournées ;

[26] Finalement, à l’appui de ses prétentions, la poursuite cite plusieurs décisions disciplinaires dont les plus pertinentes sont les suivantes :

ChAD c. Labrie, 2021 CanLII 48582 (QC CDCHAD) ; ChAD c. Al Gass Dabo, 2020 CanLII 31793 (QC CDCHAD) ; OACIQ c. Paradis, 2013 CanLII 25358 (QC OACIQ) ; [27] Cela dit, Me Ali conclut que seule une radiation permanente pourra être représentative de la gravité objective des infractions commises par l’intimée ;

[28] Enfin, elle insiste sur l’importance d’émettre contre l’intimée une ordonnance de remboursement ;

B) Par l’intimée [29] En défense, l’intimée ne conteste pas vraiment les sanctions suggérées et se contente de réitérer qu’elle assume ses actes ;

[30] Quant à l’ordonnance de remboursement, elle souligne au Comité qu’elle a déjà remboursé une somme de 100 000 $ et que le solde de 50 000 $ sera remboursé en deux (2) versements de 25 000 $ conformément à l’entente convenue avec son ex-employeur ;

V. Analyse et décision 4.1 Le plaidoyer de culpabilité [31] Rappelons qu’en matière disciplinaire, l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité constitue une reconnaissance du caractère malhonnête des gestes posés et de l’intention coupable nécessaire à la commission d’une telle infraction 8 ;

[32] De plus, un plaidoyer de culpabilité équivaut à une reconnaissance que les faits

8 Tribunal Avocats 5, [1987] D.D.C.P. 251;

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reprochés constituent une faute déontologique 9 ; [33] D’ailleurs, dans l’affaire Castiglia c. Frégeau

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, la Cour du Québec écrivait :

[28] Le Syndic a raison de soutenir que Frégeau, ayant plaidé coupable à l’audition sur culpabilité, il ne peut remettre en question ce plaidoyer qui constitue une admission des principaux faits allégués dans la plainte. À cet égard, le Syndic réfère le Tribunal à l’arrêt de principe de la Cour d’appel de Lefebvre c. La Reine, la Cour d’appel conclut qu’un plaidoyer de culpabilité consiste à admettre l’ensemble des éléments de l’infraction et que sa peine doit être évaluée à partir de ce fondement.

[29] Ce même principe a été reconnu par le Tribunal des professions dans Pivin c. Inhalothérapeutes, le Tribunal confirme qu’un plaidoyer en droit disciplinaire, est la reconnaissance par le professionnel des faits qui lui sont reprochés et du fait qu’ils constituent une faute déontologique.

[34] Dans l’arrêt Duquette c. Gauthier que :

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(caractères gras ajoutés)

, la Cour d’appel va même plus loin en déclarant

[20] Le Tribunal est conscient que la décision sur une demande de retrait de plaidoyer procède du pouvoir discrétionnaire du Comité et qu'il s'agit d'une question de droit. Le plaidoyer de culpabilité emporte en soi un aveu que l'accusé a commis le crime imputé, de même qu'un consentement à ce qu'une déclaration de culpabilité soit inscrite sans autre forme de procès.

(caractères gras ajoutés) [35] Cela étant établi, il convient maintenant de déterminer la sanction appropriée au cas de l’intimée ;

4.2 Les critères en matière de sanction [36] Dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault 12 , la Cour d’appel précise les objectifs visés par la sanction disciplinaire :

[37] La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d'espèce.

[38] La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants: au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de

9 Pivin c. Inhalothérapeutes, 2002 QCTP 32 (CanLII); Lemire c. Médecins, 2004 QCTP 59 (CanLII); Mercier c. Médecins, 2014 QCTP 12 (CanLII); 10 2014 QCCQ 849 (CanLII); 11 2007 QCCA 863 (CanLII); 12 2003 CanLII 32934 (QC CA);

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récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), 1998 QCTP 1687 (CanLII), [1998] D.D.O.P. 311; Dr J. C. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al, 1995 CanLII 5215 (QC CA), [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c. Burns, 1994 CanLII 127 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 656).

[39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire.

(caractères gras ajoutés) [37] Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel, dans l’affaire Pigeon c. Proprio Direct inc. 13 , rappelle l’importance de la justice par les pairs :

[27] Quant à l'expertise du Comité de discipline, comme le souligne mon collègue le juge Chamberland dans l'arrêt François Pigeon c. Stéphane Daigneault, précité, elle ne fait pas de doute. En effet, le Comité est composé, majoritairement, de gens du milieu du courtage immobilier (art. 131 de la Loi) qui connaissent intimement ce secteur d'activités économiques. Le législateur a donc voulu une justice par des pairs, conscient qu'en matière de déontologie les normes de comportement attendues sont généralement mieux définies par des personnes qui oeuvrent dans le secteur et qui peuvent mesurer à la fois les intérêts du public et les contraintes d'un secteur économique donné (Pearlman c. Manitoba Law Society, 1991 CanLII 26 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 869). Par contre, le juge oeuvrant à la chambre civile de la Cour du Québec se voit conférer compétence dans des domaines très variés; il ne saurait prétendre posséder une expertise particulière en matière de discipline professionnelle et, encore moins, en matière de courtage immobilier. Ce deuxième facteur milite encore une fois en faveur d'un degré de retenue quant à l'interprétation des normes de conduite propres au courtier et l'imposition des sanctions appropriées.

[28] En ce qui concerne l'objet de la Loi, l'article 66 précise que la principale mission de l'Association consiste à «assurer la protection du public par l'application des règles de déontologie et l'inspection professionnelle de ses membres». À cet effet, l'Association doit constituer un comité de discipline (art. 108 de la Loi). Clairement, le législateur a voulu d'abord et avant tout confier la

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2003 CanLII 45825 (QC CA);

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protection du public à l'Association agissant, notamment, par le syndic et le Comité de discipline.

(caractères gras ajoutés) 4.3 Les facteurs à considérer [38] Suivant la Cour d’appel 14 , « en matière de discipline professionnelle, l’objectif primordial dans l’attribution d’une sanction est celui de la protection du public » 15 ;

[39] Sur cette question, il convient également de se référer à l’arrêt Marston c. A.M.F. dans lequel la Cour d’appel faisait état de l’importance de certains critères :

16 ,

[67] Dans un article intitulé La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions, Me Pierre Bernard rappelle les objectifs visés par la sanction disciplinaire :

Revenons au droit disciplinaire. On a vu jusqu'à présent ce qui semblait être les objectifs que cible la sanction disciplinaire, soit :

- protéger le public; - dissuader le professionnel de recommencer; - décourager les autres d'agir de la même façon. Ce sont ce qu'on voit comme étant mentionné le plus souvent, mais on a pu voir qu'on attribue également d'autres objectifs à la sanction. À l'occasion on mentionne aussi d'autres objectifs qui sont :

- maintenir le bon renom de la profession; - écarter quelqu'un qui serait incapable de bien servir l'intérêt public; - préserver la confiance du public; - punir; - ou encore réhabiliter le professionnel. [68] Plus loin, l'auteur ajoute : En ce sens, un comité de discipline a amorcé une réflexion qui peut s'avérer intéressante pour nous. En effet, dans Avocats (Corp. professionnelle des) c. Schneiberg le comité de discipline disait :

Les facteurs subjectifs doivent être utilisés avec soin. On ne doit pas leur accorder une importance telle qu'ils prévalent sur la gravité objective de l'infraction puisqu'ils portent sur la personnalité de l'intimé alors que la gravité objective porte sur l'exercice de la profession.

14 15 16

Mailloux c. Deschênes, 2015 QCCA 1619 (CanLII); Ibid., par. 145; 2009 QCCA 2178 (CanLII);

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L'auteur MacKenzie dont on a parlé plus haut, citant une cause de la Cour d'appel d'Angleterre portant sur une affaire disciplinaire, faisait la même analyse :

The court of appeal held that because the main purpose of imposing penalty in discipline cases is not punishment, but rather the maintenance of public confidence in the profession, mitigating circumstances are entitled to less weight than they would be in a criminal case.

(...) Pour parvenir à une décision sur la sanction, avant donc de l'individualiser en lui appliquant les facteurs, il faut considérer :

- la finalité du droit disciplinaire, c'est-à-dire la protection du public. Cette protection est en relation avec la nature de la profession, sa finalité et avec la gravité de l'infraction;

- l'atteinte à l'intégrité et à la dignité de la profession; - la dissuasion qui vise autant un individu que l'ensemble de la profession;

- l'exemplarité. Cet exercice est donc antérieur à l'individualisation. Cette nécessité de s'intéresser d'abord à l'infraction comme telle et ensuite seulement à la personnalité du professionnel trouve un appui important dans les commentaires que faisait Me Mario Goulet, qui disait ceci dans son volume au sujet des critères subjectifs :

Dans un domaine du droit administratif qui vise à protéger le public et non à punir, la gravité objective d'une faute donnée ne devrait jamais être subsumée au profit de circonstances atténuantes relevant davantage de la personnalité du praticien que de l'exercice de sa profession.[29]

[69] L'AMF a imposé une sanction que la juge de première instance qualifie de sévère, mais l'appelant ne me convainc pas qu'elle est déraisonnable. L'absence de conséquences fâcheuses pour les investisseurs et le caractère isolé de sa faute ne constituent pas des éléments suffisants pour occulter la gravité objective de la faute de l'appelant, son impact sur l'intégrité et la dignité de sa discipline, sur le caractère dissuasif associé à une sanction disciplinaire et son effet sur la protection du public.

(caractères gras ajoutés) [40] C’est à la lumière de ces principes que le Comité déterminera la sanction appropriée au cas de l’intimée ;

4.4 Facteurs objectifs et subjectifs [41] Le jugement rendu par le Tribunal des professions dans l’affaire Brochu c. Médecins 17 résume les critères objectifs et subjectifs dont le Comité de discipline doit tenir compte :

17

2002 QCTP 2 (CanLII);

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[25] On reconnaît quatre critères objectifs: entre autres, la nature de l'infraction, les circonstances dans lesquelles elle a été commise, le degré de préméditation et la relation de l'infraction avec l'exercice de la profession (Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, 2000, pp. 147 ss., Me Patrick de Niverville).

[45] Les critères subjectifs concernent évidemment la personne du professionnel. Sur ce point, la jurisprudence fait référence aux critères suivants: la présence ou l'absence d'antécédents disciplinaires ; l'âge, l'expérience et la réputation du professionnel ; le risque de récidive ; la dissuasion, le repentir et les chances de réhabilitation du professionnel ; sa situation financière; les conséquences pour le client (Sylvie Poirier, La discipline professionnel au Québec, Éd. Blais, 1998, pp. 172-173 ; Patrick de Niverville, La sentence en matière disciplinaire, pp. 149-171).

[57] Au cours des années, le Tribunal des professions a identifié d'autres critères qui doivent être pris en considération au moment de l'imposition d'une sanction. Me de Niverville, dans son étude Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, (2000 pp. 174 ss.), en identifie quatre: l'autorité des précédents, la parité des sanctions, la globalité des peines et l'exemplarité positive. Selon l'appelant, le Comité n'en a pas tenu compte. (caractères gras ajoutés)

[42] Cela dit, le Tribunal des professions conclut comme suit :

[69] Il faut rappeler que le rôle du Comité ne consiste pas à sanctionner seulement un comportement mais à imposer une sanction à un professionnel qui a eu un comportement fautif. L'attention se porte aussi sur l'individu en fonction du geste qu'il a posé et du type de personne qu'il est. La nature, la gravité et les circonstances de l'infraction constituent des éléments essentiels, tout comme le sont les éléments propres à la personnalité du professionnel, lorsqu'il s'agit de déterminer la sanction appropriée. À cet égard, il faut chercher à réaliser un savant dosage entre les facteurs aggravants et les facteurs atténuants. Le Comité doit pondérer l'ensemble des facteurs atténuants et aggravants, tant objectifs que subjectifs, afin de déterminer la sanction juste, raisonnable et appropriée au cas du professionnel devant lui.

(caractères gras ajoutés) 4.4.1 Les facteurs objectifs A) La nature de l’infraction [43] La gravité objective des infractions commises par l’intimée ne fait aucun doute ; [44] Il s’agit d’infractions qui se situent au plus haut niveau des échelons puisqu’elles constituent des infractions d’appropriation ;

[45] Cela dit, ce type d’infractions commande l’imposition d’une sanction particulièrement

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importante pour, d’une part, refléter la gravité objective de celles-ci et, d’autre part, assurer la protection du public ;

B) Les circonstances de l’infraction [46] Le degré de préméditation entourant la commission des infractions constitue un facteur nettement défavorable à l’intimée ;

[47] En effet, la preuve comporte de nombreux éléments permettant de conclure à un haut degré de préméditation de l’intimée puisqu’elle a mis en place un stratagème lui permettant de détourner une somme de 155 000 $ ;

C) Le lien avec l’exercice de la profession [48] Les infractions commises par l’intimée sont directement liées à l’exercice de sa profession d’expert en sinistre, ajoutant ainsi un facteur aggravant à son dossier ;

[49] En l’espèce, l’intimée a utilisé ses connaissances dans le domaine des assurances pour commettre ses infractions, ce qui ajoute à la gravité de ses actes ;

4.4.2 Les facteurs subjectifs [50] Les critères subjectifs concernent la personne du professionnel et, dans le cas de l’intimée, ceux-ci sont de plusieurs ordres ;

A) Absence d’antécédents disciplinaires [51] À notre avis, le seul facteur atténuant en faveur de l’intimée est l’absence d’antécédents disciplinaires ;

[52] Quant à son plaidoyer de culpabilité, celui-ci, de l’avis du Comité, constitue un facteur neutre dans le cas de l’intimée puisqu’elle n’a jamais voulu expliquer le rôle des divers intervenants dans ce stratagème ;

4.4.3 Autres facteurs A) L’autorité des précédents [53] Tel que le soulignait la Cour d’appel dans l’arrêt Courchesne c. Castiglia 18 , l’analyse des précédents en semblables matières est un exercice périlleux puisque chaque cas est un cas d’espèce :

[83] L'appelant reproche ensuite au juge de la Cour du Québec d'avoir fait une analyse erronée des précédents en matière de sanction. Le reproche est mal fondé. La détermination de la peine, que ce soit en matière disciplinaire ou en matière pénale, est un exercice délicat, le principe fondamental demeurant

18 2009 QCCA 2303 (CanLII);

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celui d'infliger une peine proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. L'analyse des précédents permet au décideur de s'assurer que la sanction qu'il apprête à infliger au délinquant est en harmonie avec celles infligées à d'autres contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Mais l'analyse des précédents n'est pas sans embûche, chaque cas étant différent de l'autre. En l'espèce, à la lecture de la décision du comité de discipline et du jugement dont appel, il me semble que le reproche formulé par l'appelant est sans fondement.

(caractères gras ajoutés) [54] D’ailleurs, la Cour suprême, dans l’affaire Lacasse 19 , rappelait que les fourchettes de peine ne sont pas des carcans et que les tribunaux de première instance jouissent d’une large discrétion au moment d’imposer la peine la plus appropriée au cas de l’accusé :

[57] (…) Toutefois, ces fourchettes ne devraient pas être considérées comme des « moyennes », encore moins comme des carcans, mais plutôt comme des portraits historiques à l’usage des juges chargés de déterminer les peines. Ces derniers demeurent tenus d’exercer leur pouvoir discrétionnaire dans chaque espèce.

[58] (…) La détermination d’une peine juste et appropriée est une opération éminemment individualisée qui ne se limite pas à un calcul purement mathématique. (…) Encore une fois, tout dépend de la gravité de l’infraction, du degré de responsabilité du délinquant et des circonstances particulières de chaque cas.

[60] Autrement dit, les fourchettes de peines demeurent d’abord et avant tout des lignes directrices et elles ne constituent pas des règles absolues : Nasogaluak, par. 44. En conséquence, une dérogation à une fourchette de peines n’est pas synonyme d’erreur de droit ou de principe (…).

[67] Tout comme la fourchette elle-même, les catégories qui la composent sont des outils visant en partie à favoriser l’harmonisation des peines. Cependant, une dérogation à une telle fourchette ou catégorie ne constitue pas une erreur de principe et ne saurait à elle seule justifier d’office l’intervention d’une cour d’appel, à moins que la peine infligée ne s’écarte nettement et sans motif de celles prévues. En effet, en l’absence d’une erreur de principe, une cour d’appel ne peut modifier une peine que si celle-ci est manifestement non indiquée.

[69] J’estime pour ma part que c’est à tort que la Cour d’appel a appliqué de manière stricte la fourchette de peines. En affirmant que la peine aurait se situer non pas dans la gamme inférieure des peines de la troisième catégorie, mais plutôt dans la deuxième catégorie, la Cour d’appel a substitué son appréciation à celle du juge de première instance, sans avoir déterminé pour autant que la peine en cause était manifestement non indiquée. Ce faisant, elle a eu tort d’appliquer le mécanisme des fourchettes de peines comme s’il s’agissait

19 R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII);

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d’un carcan. Les fourchettes de peines doivent demeurer, en tout état de cause, qu’un outil parmi d’autres destinés à faciliter la tâche des juges d’instance.

(caractères gras ajoutés) [55] Cela dit, le Tribunal des professions a reconnu à plusieurs reprises qu’un comité n’est pas lié par les précédents jurisprudentiels et qu’il bénéficie d’une large discrétion pour imposer la sanction appropriée ;

[56] Il en est ainsi dans Laurion c. Médecins écrit :

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, dans laquelle le Tribunal des professions

[14] Un conseil de discipline est une instance spécialisée, formée en partie de pairs bien placés pour évaluer la sanction qui doit être imposée à un membre de leur profession. Il jouit d’une large discrétion et sa décision sur sanction doit faire l’objet de déférence. Règle générale, la retenue de l’instance d’appel s’impose.

[24] D’ailleurs, pour des infractions de même nature, la jurisprudence varie de la simple réprimande, parfois assortie d’amende, jusqu’à une radiation provisoire de deux ans. Il n’existe pas de sanction uniforme pour une infraction donnée. Une sanction doit être individualisée en fonction de la personnalité du professionnel et des circonstances particulières du dossier.

[25] Le principe d’individualisation de la sanction entraîne nécessairement un certain degré de disparité dans les sanctions infligées. L’existence de circonstances atténuantes ou aggravantes peut favoriser un écart important dans la détermination d’une sanction. Quoiqu’il en soit, même si les précédents judiciaires doivent être considérés, la jurisprudence ne peut demeurer statique.

(caractères gras ajoutés) [57] Cela étant dit, le cas de l’intimée est un cas d’espèce, nécessitant l’imposition d’une sanction individualisée, pour lequel il n’existe pas vraiment de précédents ;

B) La gradation des sanctions [58] Un autre principe en matière de sanction consiste à imposer une sanction minimale pour une première infraction, il s’agit du principe de la gradation des sanctions 21 ;

[59] En revanche, la jurisprudence reconnaît certaines exceptions qui permettent d’imposer une sentence maximale même pour une première infraction ;

[60] La Cour suprême, dans l’affaire Cartaway Resources Corp.

20 21 22

2015 QCTP 59 (CanLII); St-Laurent c. ACAIQ, 2001 CanLII 21978 (QC CQ); 2004 CSC 26 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 672;

22

, rappelait l’importance

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d’imposer une peine exemplaire et dissuasive même en présence d’une première infraction :

60. À mon avis, rien dans la compétence relative à l’intérêt public de la Commission que notre Cour a examinée dans Asbestos, précité, ne l’empêche de tenir compte de la dissuasion générale lorsqu’elle prononce une ordonnance. Au contraire, il est raisonnable de considérer qu’il s’agit d’un facteur pertinent, voire nécessaire, dans l’établissement d’ordonnances de nature à la fois protectrice et préventive. La juge Ryan l’a d’ailleurs reconnu dans sa dissidence : [traduction] « La notion de dissuasion générale n’est ni punitive ni réparatrice. Une pénalité qui se veut généralement dissuasive est celle qui vise à décourager ou à empêcher les autres de se livrer à de tels comportements » (par. 125).

61. Le Nouveau Petit Robert (2003) définit ainsi le mot « préventif » : « [q]ui tend à empêcher (une chose fâcheuse) de se produire ». Une pénalité qui se veut généralement dissuasive est celle qui vise à empêcher une chose de survenir; elle décourage les autres de se livrer à des actes fautifs semblables. En un mot, une mesure de dissuasion générale constitue une mesure préventive. On peut donc raisonnablement reconnaître la dissuasion générale comme un facteur pertinent, parmi d’autres, dans l’infliction d’une peine sous le régime de l’art. 162. L’importance respective du facteur de la dissuasion générale variera selon l’infraction à la Loi et la situation de la personne accusée de l’avoir commise.

(caractères gras ajoutés)

[61] Le Comité est d’avis, dans les circonstances, que seule une radiation permanente pourra atteindre l’objectif d’exemplarité et de dissuasion générale nécessaire pour assurer la protection du public et empêcher que d’autres représentants soient portés à commettre des infractions semblables ;

[62] Ainsi, même si la sanction ne doit pas viser la punition du professionnel, il n’en demeure pas moins qu’elle peut être exemplaire et dissuasive, tel que le rappelait le Tribunal des professions dans l’affaire Lambert 23 :

« Il est acquis qu’une sanction disciplinaire n’a pas à être punitive mais qu’elle peut être exemplaire et dissuasive (...) » 24

[63] La Cour d’appel exprimait une opinion semblable dans l’affaire Pigeon c. Daigneault 25 :

[38] La sanction disciplinaire doit permettre d’atteindre les objectifs suivants : au premier chef, la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui

23 Lambert c. Infirmières et infirmiers, 1997 CanLII 17405 (QC TP); 24 Ibid., p. 27; 25 Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA);

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pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d’exercer sa profession (...);

(caractères gras ajoutés) [64] Pour l’ensemble de ces motifs, le Comité estime que seule une radiation permanente saura remplir cet objectif d’exemplarité ;

[65] De plus, la Cour d’appel reconnaissait, dans l’arrêt Paquette 26 , que le principe de la gradation des sanctions doit céder le pas lorsque la protection du public est en jeu :

[4] Le Comité de discipline, à nouveau saisi de la question, a déclaré l'appelant coupable des actes reprochés le 22 septembre 1987, et le 6 janvier 1988 a prononcé contre lui une sentence de radiation de deux mois. Cette décision, portée en appel par les deux parties, fut confirmée le 10 août 1989 par le Tribunal des professions, mais qui substitua une radiation permanente à la radiation temporaire.

[25] Il est vrai que l'appelant, malgré ces interventions, n'a jamais été suspendu. Toutefois, la gradation des sanctions, qui constitue l'un des critères d'évaluation de la justesse d'une sanction disciplinaire, ne peut être préférée, en l'espèce, à la protection de la santé publique. En effet, l'appelant a clairement manifesté, depuis 1972, une croyance inflexible en une thérapie à risque, dont la valeur thérapeutique est totalement niée par la Corporation professionnelle. D'ailleurs, l'appelant a fait tenir aux juges de la formation, pendant le délibéré, un ouvrage « La médecine de l'espoir », dont il est l'auteur, et qui expose sa profonde conviction dans l'application de la thérapie donatienne.

(caractères gras ajoutés) [66] Ce principe fut d’ailleurs réitéré par la Cour d’appel, en 2015, dans l’affaire Mailloux 27 ;

[67] En conséquence, malgré le fait qu’il s’agit d’une première infraction, le Comité considère que seule une radiation permanente pourra assurer la protection du public ;

C) L’image de la profession [68] De plus, il y a lieu d’insister que l’intimée, par ses faits et gestes, a gravement nui à l’image et à la réputation de l’ensemble de la profession ;

[69] À cet égard, le Comité fait sienne l’opinion émise par le Tribunal des professions dans l’affaire Starks c. Dentistes 28 :

26

27 28

Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec, 1995 CanLII 5215 (QC CA); Mailloux c. Deschênes, 2015 QCCA 1619 (CanLII), par. 145; 2002 QCTP 37 (CanLII) ; voir également Bélanger c. Infirmières et infirmiers, 2010 QCTP 78 (CanLII), par. 64 à 75;

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[20] Le Comité appuie sa décision sur sanction sur le sérieux de l'infraction qui ternit l'image de la profession auprès du public et l'existence d'un antécédent disciplinaire de l'appelant relatif à un acte de même nature et pour lequel il s'était vu imposer une amende.

[…] [22] Le Tribunal ne peut considérer cette sentence déraisonnable en l'espèce vu la gravité de l'infraction, l'antécédent connu, même s'il n'est pas contemporain, et l'effet négatif de l'acte posé par un professionnel sur l'image de sa profession auprès du public.

(caractères gras ajoutés) [70] Dans les circonstances, il s’agit d’un autre motif justifiant l’imposition d’une sanction exemplaire et dissuasive vu la gravité des actes posés par l’intimée ;

4.5 Le droit de gagner sa vie [71] Le Comité se doit de préciser que le « droit du professionnel d’exercer sa profession » ne doit pas se faire au détriment de la protection du public ;

[72] D’ailleurs, la Cour d’appel, dans l’arrêt Mailloux c. Deschênes

29

,

déclarait :

[145] En matière de discipline professionnelle, l’objectif primordial dans l’attribution d’une sanction est celui de la protection du public. Par ailleurs, en vertu du paragraphe g) du premier alinéa de l’article 156 du Code des professions, la limitation ou la suspension du droit d’exercer des activités professionnelles constitue une des sanctions que peut imposer un conseil de discipline au même titre que la radiation temporaire ou permanente ou l’imposition d’une amende. Devant le Conseil de discipline, l’intimé a admis que la sanction demandée relativement à la limitation de prescrire des neuroleptiques ne se retrouvait pas dans la jurisprudence antérieure du Conseil de discipline du Collège des médecins.

(caractères gras ajoutés) [73] De la même façon, la Cour d’appel, dans l’arrêt Comité exécutif de l’Ordre des ingénieurs c. Roy 30 , précisait les limites de ce droit comme suit :

[40] On évoque parfois dans ce contexte le « droit de gagner sa vie ». À mon sens, les deux notions se recoupent mais ne se confondent pas. A priori, le « droit de gagner sa vie » signifie simplement le droit de tout citoyen de se livrer à une activité économique licite, dans une profession ou autrement, pour en tirer un gain matériel. Le droit d’exercer une profession réglementée comporte comme exigence préalable et additionnelle, en général sinon dans tous les cas, le fait pour l’intéressé de satisfaire à certaines conditions précises

29 2015 QCCA 1619 (CanLII) ; 30 2011 QCCA 1707 (CanLII) ;

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d’appartenance à un corps professionnel. Possède le « droit de gagner sa vie » en exerçant telle ou telle profession celui qui remplit ces conditions. Cela explique qu’on a pu écrire il y a déjà longtemps :

celui qui fait seulement exercer le droit de se livrer à toute activité non défendue n’a pas un droit acquis à la continuation de cette activité. C’est pourquoi, dans toutes les lois l’on crée de nouvelles professions fermées ou de nouvelles activités assujetties à un permis, il est nécessaire, si l’on veut respecter les droits acquis selon la notion populaire, par opposition à la notion juridique, de conférer le droit acquis par la loi, parce que, autrement, il n’y en a pas.

Cela explique aussi que, plus récemment, les tentatives de subsumer le « droit d’exercer une profession » sous certains droits généraux et constitutionnellement protégés se soient heurtées à la résistance de la jurisprudence. Ainsi, dans l’arrêt Atalla c. Québec (Procureur général), le juge Nuss écrivait:

Contrairement à ce qu’avance l’appelant, la jurisprudence rejette une interprétation de liberté absolue et inconditionnelle à l’exercice d’une profession. Les droits visés à l’article 7 [de la Charte canadienne des droits et libertés] ne peuvent s’étendre au droit d’exercer la profession de son choix sans aucune contrainte.

Le même raisonnement vaut pour diverses dispositions de la CDLP et tout indique que cette façon de voir les choses a reçu l’aval de la Cour suprême du Canada.

[41] En principe, une personne qui se conforme à toutes les conditions prévues par la loi par exemple, celles énoncées par l’article 46 du Code et que la loi fixe pour l’inscription au tableau d’un ordre professionnel pourra saisir le tribunal pour obtenir la sanction du droit que lui accorde la loi par exemple, celui d’être inscrit au tableau. Mais encore faut-il que toutes ces conditions soient remplies et lorsque l’une des conditions en jeu concerne la compétence de l’intéressé, le jugement que porte l’ordre professionnel sur sa conformité initiale ou ultérieure avec cette condition (c’est-à-dire le jugement des pairs de l’intéressé) a nécessairement beaucoup de poids.

[42] Replacé dans cette perspective, le droit que l’intimé peut invoquer ici est d’une portée plus restreinte. Il ne s’agit pas, en fin de compte, d’un quelconque droit substantiel d’exercer la profession d’ingénieur, mais plutôt d’un « droit à l’application régulière de la loi » (par analogie par exemple à l’affaire Sam Lévy & Associés inc. c. Mayrand) en tant que membre d’un ordre professionnel. Et une chose est sûre : personne ne peut revendiquer le droit de mal exercer, ou d’exercer de façon incompétente, une activité professionnelle régie par le Code. La protection du public dont sont garants les ordres professionnels s’y oppose.

(caractères gras ajoutés) [74] Plus récemment, la Cour suprême, dans l’arrêt Green 31 , précisait que ce droit est sujet aux restrictions imposées au professionnel, par la loi et la réglementation :

31 Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20 (CanLII);

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[49] Monsieur Green soutient également que les règles contestées qui exposent un avocat à une suspension sont déraisonnables parce que son [traduction] « droit issu de la common law » d’exercer la profession d’avocat ne peut lui être enlevé en l’absence d’un texte législatif clair. Cet argument ne me convainc pas. Le droit d’exercer la profession d’avocat n’est ni issu de la common law ni un droit de propriété, mais plutôt un droit conféré par la loi qui est tributaire des principes énoncés dans la Loi et des Règles adoptées par le Barreau. Comme la Cour l’a déjà conclu, « la Société du Barreau a les pleins pouvoirs pour déterminer les personnes qui peuvent exercer le droit dans la province, les conditions ou exigences qui leur sont imposées et, ce qui est peut-être le plus important, les moyens de faire respecter ces conditions ou exigences » : Pearlman, p. 886. Le Barreau n’a pas porté atteinte aux droits de l’appelant. Il fait seulement ce que la loi exige qu’il fasse, soit réglementer la formation des avocats dans l’intérêt public.

(caractères gras ajoutés) [75] En résumé, le droit de tout individu d’exercer sa profession doit céder le pas devant la protection du public ;

4.6 Le caractère punitif de la sanction [76] À prime abord, l’imposition d’une radiation permanente pour une première infraction semble conférer à cette sanction disciplinaire un caractère punitif ;

[77] Cependant, toute sanction a nécessairement un caractère punitif, tel que le soulignait le Tribunal des professions dans l’affaire Normandin 32 :

[18] Cette décision et d'autres, au même effet, ne peuvent être interprétées comme signifiant que la sanction, en droit disciplinaire, doit être vidée de tout caractère punitif. Autrement dit, quoique son premier objectif soit la protection du public, une sanction disciplinaire a nécessairement, au moins de façon incidente, un caractère punitif. Ce volet punitif peut d'ailleurs être, dans un cas exceptionnel, la seule façon de protéger le public.

(caractères gras ajoutés) [78] C’est ainsi que la Cour d’appel écrivait, dans l’arrêt Da Costa 33 , écrivait : [63] L’argument est fondé sur l’idée que les amendes imposées ont un effet punitif. Or, l’intimé n’est pas « pénalisé pour avoir tenté de se défendre », pour la raison que l’amende ne vise pas à le pénaliser ou à le punir. Il faut se pencher sur l’objet et non sur l’effet de la loi. C’est que la Cour suprême a dit dans Brosseau. La loi peut certes avoir un effet punitif, mais celui-ci n’est qu’accessoire. Le régime disciplinaire peut et même doit être d’application immédiate, car il vise la protection du public.

(caractères gras ajoutés)

32 33

Normandin c. Orthophonistes et audiologistes, 2002 QCTP 20 (CanLII); Thibault c. Da Costa, 2014 QCCA 2347 (CanLII);

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4.7 Une sanction par infraction [79] La plainte reproche à l’intimée cinq (5) infractions distinctes commises à cinq (5) dates différentes ;

[80] Dans les circonstances, chacune d’entre elles devra faire l’objet d’une sanction distincte 34 ;

4.8 Conclusions [81] En conséquence, l’intimée se verra imposer pour chacune des infractions une radiation permanente ;

[82] Le Comité impose ces sanctions en tenant compte des facteurs suivants : La gravité des infractions ; La protection du public ; Le préjudice subi par l’assureur et l’employeur de l’intimée ; Le caractère prémédité des actes ; Le lien direct des infractions avec l’exercice de la profession ; Le risque de récidive ; L’atteinte à l’image de la profession et les effets néfastes des gestes posés par l’intimée sur l’ensemble des membres de la profession, à court et moyen terme ;

[83] Enfin, un avis de la présente décision fera l’objet d’une publication dans un journal local ;

[84] De plus, tous les frais de l’instance seront à la charge de l’intimée, incluant les frais de publication de l’avis de radiation ;

4.9 Ordonnance de remboursement [85] Le Comité est d’avis que dans les circonstances du présent dossier, il ne serait pas opportun, ni souhaitable, d’assujettir l’intimée à une ordonnance de remboursement ;

[86] Premièrement, l’intimée et son ex-employeur ont déjà convenu d’une entente de remboursement comprenant un échéancier pour le paiement d’une somme de 150 000 $ payable en quatre (4) versements ;

34

Pigeon c. Proprio Direct inc., 2003 CanLII 45825 (QC CA); Pigeon c. Paiement, 2008 QCCQ 7494, conf. en appel, 2010 QCCA 961 (CanLII);

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[87] D’ailleurs, l’intimée a déjà remboursé une somme de 100 000 $, le reliquat de 50 000 $ sera payé en deux (2) versements égaux (P-67) ;

[88] Le principal argument avancé par le syndic adjoint en faveur de l’ordonnance de remboursement consiste à prétendre que le véritable montant par l’intimée est de 155 000 $, en conséquence, il manque un montant de 5 000 $, d’où la nécessité, à son avis, d’émettre une ordonnance de remboursement pour le plein montant, nonobstant l’entente entre les parties ;

[89] Cet argument comporte, à sa base même, une faille majeure puisqu’il fait abstraction du fait que les parties ont transigé sur cette dette conformément à l’article 2631 C.c.Q., lequel stipule :

2631. La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques.

Elle est indivisible quant à son objet. (caractères gras ajoutés) [90] Dans les circonstances, force-nous est de conclure que les parties ont nécessairement transigé sur cette somme de 155 000 $ en faisant « des concessions » de part et d’autre (art. 2631 C.c.Q.) ;

[91] Il y a donc « chose jugée » sur cette question 35 et il n’appartient pas au Comité de siéger en appel d’une décision de l’ex-employeur de l’intimée, lequel a librement choisi de laisser sur la table un montant de 5 000 $ afin de mettre un terme à ce litige ;

[92] D’ailleurs, ni Intact, ni l’ex-employeur de l’intimée n’ont témoigné devant le Comité pour réclamer le plein paiement de la somme de 155 000 $ ;

[93] On peut donc raisonnablement présumer que ceux-ci sont satisfaits de l’entente de remboursement, laquelle constitue une transaction au sens de l’art. 2631 C.c.Q. ;

[94] Dans les circonstances et pour l’ensemble de ces motifs, la demande du syndic adjoint pour l’émission d’une ordonnance de remboursement est rejetée ;

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : PREND acte du plaidoyer de culpabilité de l’intimée ; DÉCLARE l’intimée coupable des chefs 1 à 5 de la plainte et plus particulièrement comme suit :

35

Selon l’art. 2633 C.c.Q., la transaction a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée;

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Chef 1:

Chef 2:

Chef 3:

Chef 4:

Chef 5:

PAGE : 21

pour avoir contrevenu à l’article 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.4)

pour avoir contrevenu à l’article 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.4)

pour avoir contrevenu à l’article 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.4)

pour avoir contrevenu à l’article 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.4)

pour avoir contrevenu à l’article 58(6) du Code de déontologie des experts en sinistre (R.L.R.Q., c. D-9.2, r.4)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien des chefs 1 à 5 de la plainte ;

IMPOSE à l’intimée les sanctions suivantes : Chef 1 : une radiation permanente Chef 2 : une radiation permanente Chef 3 : une radiation permanente Chef 4 : une radiation permanente Chef 5 : une radiation permanente

DÉCLARE que les périodes de radiation seront purgées de façon concurrente ; ORDONNE la publication d’un avis de radiation permanente dès la signification de la présente décision à l’intimée ;

CONDAMNE l’intimée au paiement de tous les déboursés, incluant les frais de publication de l’avis de radiation permanente.

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____________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président

____________________________________ Mme Lise Martin, expert en sinistre Membre

____________________________________ Me Martine Carrier, expert en sinistre Membre

Me Maryse Ali Procureure de la partie plaignante

Mme Monika Elliott (personnellement) Partie intimée

Date d’audience : 6 septembre 2022 (par visioconférence)

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