Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

No: 2022-01-02(C) DATE : 3 août 2022

LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat Mme Nathalie Boyer, courtier en assurance de dommages Mme Martyne Lavoie, agent en assurance de dommages

Président Membre Membre

Me PASCAL PAQUETTE-DORION, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante c. ANTHONY ANGELONE, C.d’A.Ass., courtier en assurance de dommages

Partie intimée

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DE TOUT RENSEIGNEMENT OU INFORMATION PERMETTANT D’IDENTIFIER L’EMPLOYÉE QUI À L’ORIGINE A FAIT L’OBJET D’UNE PLAINTE, LE TOUT SUIVANT L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS

[1] Le 9 juin 2022, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition de la plainte numéro 2022-01-02(C) ;

[2] Le syndic adjoint était alors représenté par Me Valérie Déziel, assistée de Me Camille Tremblay-Pelchat et, de son côté, l’intimé était représenté par Me Mouhammad Gadiaga ;

I. La plainte [3] L’intimé fait l’objet d’une plainte modifiée qui comportait, à l’origine, quatre (4) chefs d’accusation, soit :

1. […] 2. À Montréal, au cours de la période du 29 septembre 2021, lors d’entretiens téléphoniques avec l’enquêteur du Bureau du syndic, n’a pas eu une conduite

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empreinte de modération et de respect en adoptant une attitude arrogante à son endroit et en lui tenant des propos inappropriés et déplacés, en contravention avec l’article 14 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

3. À Montréal, le ou vers le 27 octobre 2021, a fait défaut de s’assurer que M.G., une représentante à l’emploi du cabinet dont il est le dirigeant, se conforme à la loi et ses règlements en collaborant à l’enquête du syndic adjoint, usant plutôt de son lien d’autorité pour inciter celle-ci à ne pas répondre elle-même aux questions de l’enquêteur, en contravention avec l’article 85 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 2 et 11 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

4. […] [4] À la suite du dépôt de la plainte modifiée, l’intimé enregistra un plaidoyer de culpabilité à l’encontre des nouvelles accusations ;

[5] Cela dit, les parties ont alors procédé aux représentations sur sanction ; II. Preuve sur sanction A) Par le syndic adjoint [6] La partie plaignante a déposé de consentement les pièces P-1 à P-8 ; [7] Essentiellement, cette preuve consiste en l’enregistrement de deux (2) conversations téléphoniques (P-4 et P-6) intervenues entre l’intimé et une enquêtrice du Bureau du syndic ;

[8] La première conversation téléphonique (29 septembre 2021) démontre que l’intimé désire connaître la teneur de l’enquête concernant une de ses employées ;

[9] À cet égard, il insiste pour participer aux réunions avec le syndic ou ses enquêteurs et, dans les circonstances, il fait preuve d’un manque de modération et de respect et, surtout, il adopte une attitude arrogante à l’endroit de l’enquêtrice ;

[10] Dans la deuxième conversation téléphonique (27 octobre 2021), il se place comme intermédiaire entre son employée et l’enquêtrice du Bureau du syndic en insistant auprès de l’enquêtrice pour dire qu’il est le mieux placé pour répondre à ses questions en plus d’adopter une attitude irrespectueuse envers celle-ci ;

[11] Il décide même, de son propre chef, de mettre un terme à cette conversation téléphonique, empêchant ainsi l’enquêtrice d’exécuter ses fonctions et d’obtenir les réponses à ses diverses questions ;

B) Par l’intimé [12] En défense, l’intimé a fait entendre M. Jean Lapierre, lequel est venu expliquer

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que le cabinet de l’intimé a connu, depuis la pandémie, plusieurs problèmes de gestion majeurs ;

[13] Sans entrer dans tous les détails de la situation, il est permis de dire que, d’une part, l’entreprise a connu un très gros surplus de travail jumelé, d’autre part, à un manque de personnel ;

[14] À cet égard, le témoin nous indique que l’intimé est un employé-clé du cabinet et que sa radiation, même pour une très courte période, serait catastrophique, tant pour le cabinet que pour les clients ;

[15] Finalement, à son avis, la sanction imposée, au lieu de protéger le public, aurait pour effet de mettre en péril les intérêts du public ;

[16] Comme deuxième témoin, l’intimé fut entendu ; [17] De façon générale, il mentionne être intervenu au dossier à la demande de son employée, laquelle est une personne âgée et particulièrement stressée ;

[18] Il n’a jamais, d’aucune façon, voulu entraver l’enquête du Bureau du syndic ; [19] Il n’avait aucune intention malveillante et, en pratique, il voulait simplement aider son employée ;

[20] Cela dit, il comprend aujourd’hui qu’il n’aurait pas agir ainsi et, en conséquence, il regrette profondément ses faits et gestes ;

[21] Cela étant établi, il confirme que dans l’éventualité d’une radiation, cela serait catastrophique pour le cabinet et les clients de celui-ci ;

III. Argumentation A) Par le syndic adjoint [22] Suivant la poursuite, le Comité devrait imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

Chef 2 : une amende de 3 000 $ Chef 3 : une radiation de 30 jours [23] Suivant Me Déziel, le syndic adjoint considère que plusieurs facteurs aggravants militent en faveur d’une sanction sévère, soit :

Le fait que les infractions se situent au cœur même de la profession ; La mise en péril de la protection du public ;

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Les années d’expérience de l’intimé, lequel cumule plus de 30 années de pratique ;

Son poste de dirigeant et les devoirs qui en découlent ; Le risque élevé de récidive ; Les antécédents disciplinaires (P-7) de l’intimé auxquels s’ajoute un avis formel (P-8) ;

[24] Quant aux facteurs atténuants, Me Déziel reconnaît que l’intimé doit bénéficier des circonstances suivantes :

L’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité ; L’absence de préjudice à l’enquête du syndic ; Le fait qu’il n’a pas retiré de bénéfice personnel de son comportement ; [25] Enfin, Me Déziel soumet plusieurs autorités pour chacun des chefs d’accusation, soit :

Chef 2 : ChAD c. Vaval, 2019 CanLII 41638 (QC CDCHAD) ; ChAD c. Beaulieu, 2021 CanLII 51171 (QC CDCHAD) ; Chef 3 : ChAD c. Laperrière, 2016 CanLII 53908 (QC CDCHAD) ; OACIQ c. Proulx, 2017 CanLII 75045 (QC OACIQ) ; ChAD c. Ouellet, 2015 CanLII 51894 (QC CDCHAD) ; ChAD c. Brazeau-Nadeau, 2021 CanLII 138009 (QC CDCHAD) ; [26] En conclusion, la partie poursuivante considère que les sanctions suggérées s’intègrent parfaitement dans la fourchette de sanctions habituellement imposées pour ce genre d’infraction ;

B) Par l’intimé [27] De son côté, le procureur de l’intimé insiste sur le fait que son client n’a jamais eu l’intention d’entraver le travail du syndic, il ne désirait qu’aider une collègue de bureau ;

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[28] Dans la même veine, il précise que son client ne fait pas l’objet d’une accusation d’entrave puisque la plainte ne réfère pas à l’article 342 de la L.D.P.S.F. ou à l’article 35 du Code de déontologie ;

[29] D’autre part, l’intimé insiste sur plusieurs facteurs atténuants, soit : Son plaidoyer de culpabilité ; L’absence de préjudice et de conséquence pour l’enquêtrice ; Le fait que l’intimé n’était pas l’objet de l’enquête ; L’absence d’intention malicieuse ; [30] Quant aux antécédents disciplinaires de l’intimé qui remontent à l’année 2005, le procureur de la défense plaide que cela démontre que l’intimé n’a pas fait l’objet d’aucune autre plainte durant une période de 17 ans ;

[31] À l’appui de ses divers arguments, le procureur de l’intimé produit la jurisprudence suivante :

ChAD c. Bogne, 2019 CanLII 79819 (QC CDCHAD), 26 juillet 2019 ; ChAD c. Robert, 2020 CanLII 45424 (QC CDCHAD), 29 juillet 2020 ; ChAD c. Filion, 2021 CanLII 15950 (QC CDCHAD), 1 er mars 2021 ; [32] Cela dit, l’avocat de la défense conclut en insistant sur le fait que la sanction doit être individualisée au cas de l’intimé et qu’une radiation, au lieu d’assurer la protection du public, mettrait celle-ci à risque puisque l’intimé est un employé-clé du cabinet ;

IV. Analyse et décision A) Le plaidoyer de culpabilité [33] De l’avis du Comité, les sanctions suggérées par le syndic n’accordent pas un poids suffisant au caractère atténuant que représente un plaidoyer de culpabilité ;

[34] À cet égard, il y a lieu de rappeler, sur cette question, les enseignements du Tribunal des professions dans l’affaire Boudreau 1 :

[25] Cela dit, d'autres reproches formulés méritent plus d'attention. Selon l'appelant, le Conseil a ignoré les conséquences atténuantes pouvant découler du plaidoyer de culpabilité, surtout lorsqu'il est enregistré, comme ici, à la première occasion. En reconnaissant sa culpabilité, l'appelant admet avoir commis des actes répréhensibles qui constituent une faute déontologique. Ce faisant, l'appelant a permis d'éviter l'instruction de la plainte disciplinaire,

1 Boudreau c. Avocats, 2013 QCTP 22 (CanLII);

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imposant notamment à son ex-cliente les embûches d'un témoignage. L'appelant a raison de reprocher au Conseil d'avoir occulté ce facteur atténuant.

(caractères gras ajoutés)

B) Les antécédents disciplinaires [35] Par ailleurs, la partie poursuivante accorde un poids trop important aux antécédents disciplinaires de l’intimé ;

[36] Les trois antécédents de l’intimé remontent à 2005 ; [37] De l’avis du Comité, l’écoulement du temps démontre que l’intimé ne présente pas un risque élevé de récidive puisque durant les 17 dernières années, il a pratiqué sans faire l’objet d’aucun autre reproche ;

[38] À cet égard, il convient de citer les propos du Tribunal des professions dans l’affaire Ledoux 2 :

[46] On l’a souvent dit, il n’existe aucune prescription en droit disciplinaire. Cependant, dans un domaine la protection du public constitue la préoccupation primordiale, le passage du temps s’avère un indicatif pertinent aux fins d’évaluer le risque de récidive et les correctifs, dans les cas qui s’y prêtent, apportés par le professionnel.

[47] En novembre 2008, au moment le Conseil rend sa décision sur sanction, l’intimé exerce sa profession depuis 24 ans. Il n’a aucuns antécédents disciplinaires. La seule inconduite qu’on lui reproche remonte à plus de 10 ans.

[48] Bien que l’intimé ne démontre pas devant le Conseil la contrition que souhaiterait l’appelant, on ne peut pas évacuer de l’analyse un parcours sans faute depuis 1997. On peut donc croire que l’inconduite de l’appelant revêt un caractère isolé de sorte que le risque de récidive, et par voie de conséquence, celui de mettre en péril la protection du public, s’en trouve considérablement amoindri.

(caractères gras ajoutés)

[39] Dans le même ordre d’idées, le Tribunal des professions écrivait, dans l’affaire Girard 3 :

[50] En principe, une récidive constitue un facteur aggravant qui ne peut être ignoré. L'écoulement d'une longue période de temps sans histoire peut avoir pour effet d'atténuer le poids à donner à une récidive lorsqu'il s'agit d'imposer une nouvelle sanction pour des gestes similaires.

2 Avocats c. Ledoux, 2010 QCTP 19 (CanLII); 3 Girard c. Médecins, 2016 QCTP 129 (CanLII);

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[58] La jurisprudence reconnaît que des avertissements, des mises en garde, des reproches, ou des mesures d'encadrement peuvent s'avérer pertinents à la détermination d'une sanction visant des manquements disciplinaires de semblable nature. Il incombe à un conseil de discipline d'évaluer toute la situation au moment d'imposer la sanction. Si, dans certains cas, l'écoulement du temps peut être défavorable au professionnel, il peut, dans d'autres cas, lui bénéficier s'il s'avère qu'il a compris la gravité de ses gestes et qu'il a comblé ses lacunes professionnelles.

(caractères gras ajoutés)

C) L’avis formel [40] Suivant la poursuite, la présence d’un avis formel (P-8) dans le dossier de l’intimé constitue un autre motif justifiant l’imposition d’une sanction plus sévère ;

[41] Avec égard pour l’opinion contraire, le Comité se doit de souligner qu’il ne peut adhérer, sans nuances, à cette proposition ;

[42] Premièrement, l’avis formel (P-8) fut émis en 2005 et l’intimé n’a pas récidivé depuis cette époque, mais il y a plus ;

[43] Selon le Tribunal des professions dans l’affaire Malouf c. Médecins 4 , le Comité de discipline peut considérer les avertissements antérieurs mais ceux-ci ne deviennent pas pour autant des antécédents disciplinaires, encore faut-il que ceux-ci soient en lien avec l’infraction actuellement reprochée 5 ;

[44] L’avis formel (P-8) que l’on oppose à l’intimé remonte à 2005 et concerne la retenue d’un chèque d’indemnité dans le but de négocier le paiement d’une balance de compte et une demande de retrait de plainte au syndic ;

[45] Dans les deux cas, ces actes, tout en étant répréhensibles, n’ont aucun lien avec le présent dossier et, en plus, l’écoulement du temps a pour effet d’en atténuer grandement la pertinence ;

[46] Cela étant établi, le Comité considère que d’autres principes doivent également être considérés au moment d’imposer une sanction ;

D) Une sanction individualisée [47] Dans l’établissement d’une sanction juste et raisonnable, le Comité devra également tenir compte du principe visant à imposer une sanction individualisée au cas de l’intimé ;

[48] Tel que le soulignait la Cour d’appel dans l’arrêt Ordre des ingénieurs du

4 2021 QCTP 81 (CanLII); 5 Ibid., par. 153 à 157;

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Québec c. Gilbert

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[34] La justice disciplinaire a certes pour but de protéger le public mais elle doit également « traiter équitablement ceux dont le gagne-pain est placé entre ses mains » (…)

[49] De plus, la sanction « doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d’espèce » 7 ;

[50] Cela dit, l’analyse des précédents ne constitue pas une panacée, chaque cas étant différent des autres 8 ;

[51] Le Comité doit avant tout favoriser l’individualisation de la sanction 9 et, à la suite de l’analyse des différents facteurs, il imposera la sanction la plus appropriée au cas du professionnel 10 ;

[52] La Cour suprême, dans l’affaire Lacasse 11 , rappelait que les fourchettes de peine ne sont pas des carcans mais de simples lignes directrices ;

[53] Bref, il ne suffit pas d’appliquer une formule mathématique sans égard aux faits du dossier, tel que le soulignait la Cour du Québec dans l’affaire Choeb Jiménez 12 :

[59] C’est avec raison que le Comité affirme qu’il ne suffit d’appliquer bêtement une formule mathématique sans égard aux faits du dossier. Son rôle n’est pas de sanctionner une situation ou un comportement, mais plutôt un individu qui a eu un comportement fautif. Finalement, qu’on ne peut infliger à une personne une peine totalement disproportionnée à la seule fin de dissuader ses concitoyens de désobéir à la loi.

(caractères gras ajoutés)

[54] De plus, les comités de discipline ne sont pas tenus de suivre la règle du « stare decisis », tel que le rappelait le Tribunal des professions dans l’affaire Drolet-Savoie 13 :

[27] Enfin, rappelons que les comités de discipline ne sont pas liés par "des précédents" rendus en semblables matières par d'autres formations puisqu'ils agissent en première instance et que de ce fait, ils ne sont pas soumis à la règle du stare decisis comme le sont les tribunaux d'appel.

(caractères gras ajoutés)

6 2016 QCCA 2002 CanLII 32934 (QC CA); 7 Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 329 (QC CA), par. 37; 8 Courchesne c. Castiglia, 2009 QCCA 2303 (CanLII), par. 83; 9 R. c. Pham, 2013 CSC 15 (CanLII); 10 Chan, c. Médecins, 2014 QCTP 5 (CanLII); 11 R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), par. 57 et suivants; 12 Deschamps c. Choeb Jiménez, 2019 QCCQ 7011 (CanLII); 13 Drolet-Savoie c. Avocats, 2004 QCTP 19 (CanLII);

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[55] En résumé, le Comité de discipline bénéficie d’une large discrétion pour imposer une sanction individualisée au cas particulier de l’intimé 14 ;

E) Une sanction appropriée [56] Sur ce sujet, le Comité tient à souligner les enseignements récents de la Cour suprême dans l’arrêt Bissonnette 15 :

[49] L’importance relative de chacun des objectifs de la peine varie selon la nature du crime et les particularités du contrevenant (R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, p. 329). Il n’existe aucune formule mathématique permettant de déterminer ce qui constitue une peine juste et appropriée. C’est pourquoi notre Cour a décrit la détermination de la peine comme un « art délicat, l’on tente de doser soigneusement les divers objectifs sociétaux de la détermination de la peine, eu égard à la culpabilité morale du délinquant et aux circonstances de l’infraction, tout en ne perdant jamais de vue les besoins de la communauté et les conditions qui y règnent » (M. (C.A.), par. 91).

[50] Cependant, la détermination de la peine doit en toutes circonstances être guidée par le principe cardinal de la proportionnalité. La peine doit être suffisamment sévère pour dénoncer l’infraction, sans excéder « ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction » (R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 42; voir aussi R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 37). La proportionnalité des peines est considérée comme un facteur essentiel au maintien de la confiance du public dans l’équité et la rationalité du système de justice pénal et criminel. L’application de ce principe permet d’assurer au public que le contrevenant mérite la punition qui lui a été infligée (Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 533, la juge Wilson, motifs concordants).

[51] Ainsi, « on ne peut infliger à une personne une peine totalement disproportionnée à la seule fin de dissuader ses concitoyens de désobéir à la loi » (Nur, par. 45). De même, le juge Vauclair affirme avec justesse que « la recherche de l’exemplarité au détriment des éléments de preuve qui démontrent le mérite des objectifs de réhabilitation est incompatible avec le principe d’individualisation » (Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711, par. 30 (CanLII), citant R. c. Paré, 2011 QCCA 2047, par. 48 (CanLII), le juge Doyon). La proportionnalité joue un rôle restrictif et, en ce sens, elle est garante d’une peine qui est individualisée, juste et appropriée.

(caractères gras ajoutés)

[57] D’autre part, en matière de protection du public, l’obligation imposée aux chambres professionnelles doit être mitigée par son corollaire, soit l’obligation de traiter équitablement 16 ceux dont le gagne-pain est placé entre leurs mains et il n’y a

14 15 16

Laurion c. Médecins, 2015 QCTP 59 (CanLII); R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23; Kane c. Conseil d’administration de l’U.C-B, 1980 CanLII 10 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 1105;

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aucun avantage à faire prévaloir l’une de ces fonctions sur l’autre 17 ; F) Conclusion [58] C’est en tenant compte de ces divers principes que le Comité devra déterminer les sanctions les mieux appropriées au cas de l’intimé ;

[59] Concernant le chef 2, le Comité considère qu’une amende de 3 000 $ sera suffisante pour souligner la gravité objective de cette infraction et assurer la protection du public ;

[60] D’ailleurs, les deux parties semblent d’accord sur cette question puisque la défense n’a pas contesté cette suggestion, ses interventions ayant plutôt porté sur le chef 3 ;

[61] Au-delà de ces considérations, l’amende de 3 000 $ est à peine plus élevée que l’amende minimale et elle reflète adéquatement la modification du chef 2 auquel on a ajouté, par amendement, l’entretien téléphonique autrefois reproché au chef 4 ;

[62] En conséquence, le Comité considère qu’une amende de 3 000 $ sur le chef 2 permettra d’éviter toute forme de récidive et assurera de façon adéquate la protection du public ;

[63] Pour le chef 3, la question est plus délicate ; [64] La défense considère qu’une forte amende serait suffisante alors que le syndic adjoint exige, ni plus ni moins, qu’une radiation de 30 jours ;

[65] Tel que déjà mentionné, le Comité est d’avis que la partie plaignante sous-estime le caractère atténuant du plaidoyer de culpabilité de l’intimé ;

[66] De plus, les dossiers antérieurs de l’intimé n’ont pas le poids que veut leur accorder le syndic adjoint ;

[67] Ceux-ci remontant à 17 ans, ils ont plutôt pour effet de démontrer que l’intimé a pratiqué durant toute cette période sans aucune autre plainte à l’exception de la présente, laquelle ne concerne pas un assuré mais plutôt son comportement durant une enquête du syndic auprès d’une autre employée de son cabinet ;

[68] À cela s’ajoute le fait que la preuve démontre que l’intimé n’a pas agi de mauvaise foi et que son intention était d’aider une employée vieillissante et particulièrement stressée par l’enquête menée par le Bureau du syndic à son égard ;

[69] De plus, suivant la jurisprudence soumise par l’avocate du syndic adjoint, une

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Brosseau c. Alberta Securities Commission, 1989 CanLII 121 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 301, à la p. 315;

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seule décision fait état de l’imposition d’une période de radiation, soit l’affaire Laperrière 18 ;

[70] Une simple lecture de cette décision démontre que cette dernière ne possède aucun dénominateur commun avec le présent dossier ;

[71] En l’espèce, l’intimé était accusé d’avoir imposé à 180 clients des frais de courtage obscurs (chef 2) 19 ;

[72] C’est pour ces motifs que le Comité, à la suite d’une recommandation commune des parties, lui a imposé une radiation de 30 jours et une amende de 7 000 $ ;

[73] Dans notre présent dossier, il s’agit d’une infraction isolée qui ne risque pas de se répéter ;

[74] À cet égard, le Comité considère qu’une amende de 7 000 $ reflète, d’une part, la gravité intrinsèquement sévère de l’infraction commise par l’intimé et, d’autre part, les circonstances atténuantes propres au dossier de l’intimé ;

[75] Qui plus est, l’imposition d’une amende, tout en assurant la protection du public, reconnaît à l’intimé son droit à gagner sa vie, sans annihiler ses chances de réhabilitation ;

[76] Cela dit, le Comité fait sien les propos du Tribunal des professions dans l’affaire Serra 20 :

[115] Ainsi, ce qui doit guider une instance disciplinaire lors de l’imposition de la sanction est le principe de l’individualisation et de la proportionnalité. Un conseil de discipline ne sanctionne pas d’abord une faute déontologique, mais plutôt un professionnel ayant contrevenu à certaines règles en posant certains gestes précis. L’analyse doit donc porter sur les faits particuliers de l’affaire et sur le professionnel à sanctionner, comme l’a précisé le Tribunal des professions dans Brochu :

[69] Il faut rappeler que le rôle du Comité ne consiste pas à sanctionner seulement un comportement mais à imposer une sanction à un professionnel qui a eu un comportement fautif. L’attention se porte aussi sur l’individu en fonction du geste qu’il a posé (…)

[116] Les objectifs de la sanction disciplinaire sont énoncés au paragraphe 38 de l’arrêt Pigeon c. Daigneault, soit « au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession » et ils s’inscrivent dans l’esprit de cette règle fondamentale de l’individualisation et de la proportionnalité. Le but visé par la sanction disciplinaire est la protection du public et pour l’atteindre, les conseils de

18 19 20

ChAD c. Laperrière, 2016 CanLII 53908 (QC CDCHAD); Ibid., voir par. 32 ; Serra c. Médecins, 2021 QCTP 1 (CanLII);

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discipline doivent trouver un juste équilibre entre tous ces objectifs, en insistant à l’occasion sur l’un ou l’autre en relation avec le cas particulier, mais pas au détriment des autres objectifs.

[117] Par exemple, la protection du public doit s’évaluer en tenant compte de la situation particulière du professionnel et non in abstracto. Les conseils de discipline doivent s’interroger si ce professionnel en particulier représente un risque de préjudice pour le public et non le faire d’une façon abstraite, sans lien avec le dossier à l'étude.

[118] En ce qui concerne l’objectif de la dissuasion spécifique, le conseil de discipline doit notamment analyser la situation du professionnel au moment de la sanction et déterminer si le processus disciplinaire l’a suffisamment dissuadé de répéter son comportement, donc considérer l’effet dissuasif du processus disciplinaire lui-même.

[119] Pour l’objectif de l’exemplarité, qu’il suffise de souligner le fait que la Cour d’appel du Québec a mentionné à plusieurs reprises la valeur toute relative de cette notion.

[120] Le dernier objectif relativement au droit d’exercer sa profession ne doit pas être négligé, même s’il semble être rarement considéré par les instances disciplinaires. Si le professionnel ne représente pas ou plus un danger pour le public, il n’y a peut-être pas lieu d’imposer de longues périodes de radiation temporaire, ce qui a comme effet de priver le professionnel de revenus. En intégrant cet objectif, la Cour d’appel dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault cible la réhabilitation, facteur inhérent à toute mesure punitive, et impose aux conseils de discipline de considérer l’éventuelle réintégration du professionnel dans son milieu.

[121] En définitive, un conseil de discipline qui ne considère pas à sa juste valeur les principes de l’individualisation et de la proportionnalité risque fort de commettre une erreur de principe et d’imposer une sanction manifestement non indiquée.

(caractères gras ajoutés)

[77] Pour l’ensemble de ces motifs, l’intimé se verra imposer sur le chef 3 une amende de 7 000 $, soit une amende suffisante pour assurer la protection du public et éviter toute forme de récidive.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : AUTORISE le dépôt d’une plainte modifiée ; PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé ; DÉCLARE l’intimé coupable des infractions reprochées aux chefs 2 et 3 de la plainte modifiée, plus particulièrement comme suit :

Chef 2:

pour avoir contrevenu à l’article 14 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r. 5)

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Chef 3:

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pour avoir contrevenu à l’article 2 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (R.L.R.Q., c. D-9.2, r. 5)

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard des autres dispositions législatives et réglementaires alléguées au soutien de la plainte modifiée ;

IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes : Chef 2 : une amende de 3 000 $ Chef 3 : une amende de 7 000 $ CONDAMNE l’intimé au paiement de l’ensemble des déboursés.

___________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président

___________________________________ Mme Nathalie Boyer, courtier en assurance de dommages Membre

___________________________________ Mme Martyne Lavoie, agent en assurance de dommages Membre

Me Valérie Déziel et Me Camille Tremblay-Pelchat Procureures de la partie plaignante

Me Mouhammad Gadiaga Procureur de la partie intimée

Date d’audience : 9 juin 2022

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