Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

: 2021-11-01(E) 2021-11-02(E)

DATE : 27 mai 2022

LE COMITÉ : M e Daniel M. Fabien, avocat M e Benoit Loyer, LL. B., PAA, expert en sinistre M. Mario Joannette, FPAA, expert en sinistre

Vice-président Membre Membre

M E MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

c.

Partie plaignante

JOANNE LEFORT, expert en sinistre en assurance de dommages des particuliers (5B) -et- SOPHIE FASCIANO, expert en sinistre en assurance de dommages des particuliers (5B) Parties intimées

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION ORDONNANCE DE NON-DIVULGATION, NON-PUBLICATION ET NON-DIFFUSION DES NOMS DES ASSURÉS VISÉS PAR LES PLAINTES ET DES RENSEIGNEMENTS PERMETTANT DE LES IDENTIFIER, EN VERTU DE L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS.

I.

L’audition disciplinaire

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[1] Le 6 avril 2022, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages (le « Comité ») procède par visioconférence Zoom à l’instruction des plaintes portées contre les intimées dans le présent dossier.

[2] Les intimées sont présentes lors de l’instruction et elles sont représentées par M René Vallerand.

e

[3] M e Karoline Khelfa représente le syndic M e Marie-Josée Belhumeur. [4] D’entrée de jeu, M e Khelfa informe le Comité que les intimées plaident coupables à l’ensemble des chefs et qu’il y aura une recommandation conjointe sur sanction.

[5] Séance tenante, le Comité prend acte des plaidoyers de culpabilité des intimées, les déclarant coupables des infractions reprochées.

II.

[6]

[7]

Les déclarations de culpabilité des intimées

Le syndic reproche ce qui suit à l’intimée Lefort, soit :

1.

À Montréal, entre-les ou vers les 21 août et 30 septembre 2020, dans le cadre de la réclamation de l’assurée N.M. aux termes du contrat d’assurance habitation no 86585293 émis par TD Assurance Meloche Monnex, a exercé ses activités de manière négligente et/ou a fait défaut d’agir de manière consciencieuse, notamment dans le traitement d’informations concernant la vocation de l’immeuble assuré, en contravention avec les articles 10 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre.

Quant à l’intimée Fasciano, le syndic allègue ce qui suit :

1.

À Montréal, le ou vers le 11 août 2020, dans le cadre de la réclamation de l’assurée N.M. aux termes du contrat d’assurance habitation no 86585293 émis par TD Assurance Meloche Monnex, a exercé ses activités de manière négligente et/ou a fait défaut d’agir de manière consciencieuse, notamment en omettant de prendre connaissance du rapport de l’expert en sinistre indépendant mandaté par l’assureur contenant des informations quant à la vocation de l’immeuble assuré, en contravention avec les articles 10 et 58(1) du Code de déontologie des experts en sinistre.

[8] Les intimées sont déclarées coupables d’avoir enfreint l’article 10 du Code de déontologie des experts en sinistre, qui stipule :

Art. 10. L’expert en sinistre ne doit pas négliger les devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités; il doit s’en acquitter avec intégrité.

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[9] Un arrêt des procédures est ordonné sur les autres dispositions réglementaires invoquées au soutien des chefs d’accusation ci-haut mentionnés.

III. Le contexte [10] Le 23 juin 2020, l’immeuble situé à Trois-Rivières et assuré aux termes du contrat d’assurance habitation no 86585293 émis par TD Assurance (la « TD ») est la proie des flammes.

[11] M. Sébastien Beauchesne, expert en sinistre indépendant de la firme Indemnipro, est mandaté par la TD relativement à ce sinistre.

[12] Le 28 juillet 2020, M. Beauchesne fait parvenir son rapport n 2 du rapport, on peut y lire ce qui suit quant au risque assuré :

o 1 à la TD

1 . À la page

Bâtiment résidentiel de deux (2) étages construit en 1948 avec parement extérieur de brique ainsi qu'un revêtement en fibre d'amiante à l'étage. Le chauffage est assuré par un système de chauffage électrique central à l'eau chaude et une cuisinière est alimentée au gaz propane. Le bâtiment est loué à sept (7) locataires, dont six (6) louent une chambre à l'intérieur de la résidence et ont accès aux aires communes, salle familiale et cuisines. Un logement 2 ½ est aménagé au sous-sol du bâtiment et est aussi loué par un des locataires. Le bâtiment a été acquis par l'assurée en date du 3 novembre 2003 en copropriété indivise. Il est la seule propriété de l'assurée depuis le 3 août 2011, tel qu'indiqué à l'Index aux immeubles et l'Acte notarié ci-joints (document 4) ainsi qu'au Rôle d'évaluation foncière ci-joint (document 5).

[13]

(notre soulignement) Un peu plus loin, à la page 6 du rapport n o 1, M. Beauchesne écrit : Tel qu'indiqué précédemment, nous avons été en mesure de rencontrer votre assurée, N. M., ainsi que quatre des locataires occupants les lieux au moment du sinistre ou qui étaient sur les lieux quelques heures avant le sinistre. Nous avons aussi communiqué avec les autres locataires afin d'obtenir les détails des événements. Nous pourrons vous transmettre sur demande une copie de la déclaration audionumérique de madame M. et des locataires rencontrés au besoin. » (notre soulignement)

[14] Fait important, à la page 10 de son rapport, M. Beauchesne conclut à la recevabilité de la perte subie par l’assurée.

1

Pièce P-9.1;

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[15] Beaucoup plus tard, soit le 26 novembre 2020 2 , à la suite d’une demande de l’intimée Lefort, M. Beauchesne clarifie ce qui suit quant à la souscription de la police d’assurance émise par la TD, à savoir :

Faisant suite à votre demande d'informations supplémentaires en lien avec l'utilisation du bâtiment pour la location de chambres, nous vous joignons le détail des locations RB&B reçus de l'assurée (Document 29). Nous avons aussi reçue (sic) une demande d'accès à la documentation de la part de l'assurée, et nous avons référé celle-ci à l'Agent de protection des renseignements personnels tel (sic) que vos instructions reçues par courriel ce 23 novembre.

Tel que discuté avec madame Lefort ce 26 novembre en après-midi, nous comprenons que l'utilisation du bâtiment pour la location de chambres a entraîné l'annulation de la police d'assurance ab initio et que la position en lien avec les paiements recommandés aux précédents rapports n'avait pas encore été confirmée à madame Lefort. Nous avons donc avisé l'assurée et les intervenants impliqués qu'il nous était impossible pour le moment de confirmer la position de l'assureur et que les paiements recommandés précédemment n'avaient pas été libérés à ce jour. Nous serons donc en attente de recevoir vos commentaires et/ou instructions en lien avec cet aspect. (notre soulignement)

[16]

Le 2 décembre 2020, la TD fait parvenir la lettre suivante 3 à son assurée : La présente vous avise que l'emplacement […], sera résilié, conformément aux dispositions applicables.

La police a été annulée en raison d'un changement dans le matériel à risque. Le 27 mai 2016, alors que la police était souscrite, vous aviez déclaré que deux unités étaient louées dans la propriété en question. On vous a également demandé si vous aviez des chambreurs ou des pensionnaires et vous avez répondu non. Au moment du sinistre, il a été découvert que six chambres étaient louées à des locataires/pensionnaires différents. Au cours de l'enquête, vous avez également mentionné que vous aviez commencé à louer la majorité des biens par chambre, en tant que location à court terme à partir de 2017. Si cette information nous avait été divulguée, nous n'aurions pas proposé de police ou continué à offrir une couverture basée sur nos règles de souscription.

(notre soulignement) Le 14 décembre 2020, la TD transmet une lettre de négation de couverture 4 dans laquelle nous pouvons lire notamment ce qui suit :

2 3 4

Pièce P-27; Pièce P-28; Pièce P-29;

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À la suite de l’enquête relativement à un incendie survenu le 23 juin 2020 à votre emplacement […], nous vous avisons par la présente que puisque votre contrat d’assurance n’était pas en vigueur au moment du sinistre nous ne pouvons donner suite à votre demande d’indemnité telle que soumise. Votre police a été résiliée le 19 avril 2017 et, par conséquent, n’était pas en vigueur au moment du sinistre.

Selon votre police numéro 86585293, vous possédez une hypothèque avec la Banque Nationale du Canada. Tel que stipulé par la clause relative aux garanties hypothécaires, notre décision de ne pas donner suite à votre demande d’indemnité n’est pas opposable à votre créancier hypothécaire. Afin d’honorer cette condition de votre contrat, veuillez demander à votre créancier hypothécaire de communiquer avec nous afin que le paiement leur soit émis directement.

[17] Or, la situation ci-haut exposée et les conséquences qui en résultèrent proviennent de la négligence des intimées dans l’exercice de leurs activités professionnelles, d’où le plaidoyer de culpabilité de celles-ci. Bref, les intimées ont fait défaut de prendre connaissance du rapport n o 1 de M. Beauchesne alors qu’il était impératif de le faire.

[18] De plus, c’est uniquement le 30 septembre 2020 que l’intimée Lefort prend finalement connaissance du dossier 5 et réalise que la résidence est une maison de chambre qui n’est pas assurée selon les critères de souscription de la TD.

[19] En plus de ce qui précède, les procureurs des parties ont convenu de l’admission suivante :

La police d’assurance a été annulée ab initio par la TD. Au soutien de cette décision, la TD a invoqué de fausses déclarations de l’assurée relativement à la présence de chambreurs dans la résidence assurée lors de la souscription.

[20] Autrement dit, il appert de la preuve que l’assurée aurait caché à la TD le fait qu’elle avait des locataires-chambreurs dans sa résidence.

IV. La recommandation conjointe sur sanction des parties [21] M e Khelfa nous rappelle les objectifs de la sanction disciplinaire qui ont été élaborés dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault de même que les facteurs objectifs et subjectifs qui doivent guider le Comité pour imposer une sanction juste et adéquate.

[22] Quant aux facteurs atténuants, M e Khelfa est d’avis que les intimées ont plaidé coupables à la première occasion, elles n’ont pas d’antécédent disciplinaire et les intimées

5

Voir la pièce P-31

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ont bien collaboré au processus disciplinaire. De plus, il n’y a pas de malveillance en l’espèce. Relativement aux facteurs aggravants, la procureure du syndic plaide :

la gravité objective importante des fautes commises qui sont au cœur de la profession;

un manque de diligence inacceptable; le préjudice causé aux fournisseurs dont les services ont été retenus dans le cadre de l’expertise en sinistre;

l’expérience des intimées au moment des faits.

[23] M e Vallerand souligne avec justesse qu’à la source, toute cette affaire découle des fausses déclarations de l’assurée.

[24] Cela étant dit, M e Khelfa informe le Comité que les parties se sont entendues sur les sanctions suivantes :

Quant à l’intimée Lefort : une amende de 2 000 $; Quant à l’intimée Fasciano : une amende de 3 000 $; Que chacune des intimées soit condamnée à la moitié des déboursés et frais de l’instance.

[25] Au soutien de la recommandation conjointe, M jurisprudentiels suivants du Comité, à savoir :

V.

e Khelfa s’appuie sur les précédents

ChAD c. Morin, 2018 CanLII 55205 (QC CDCHAD) ChAD c. Giluni, 2018 CanLII 38262 (QC CDCHAD) ChAD c. Therriault, 2012 CanLII 21064 (QC CDCHAD) Analyse et décision A) Le plaidoyer de culpabilité

[26] Dans l’affaire Pivin c. Inhalothérapeutes 6 , il a été établi qu’« un plaidoyer en droit disciplinaire est la reconnaissance par le professionnel des faits qui lui sont reprochés et du fait qu’il constitue une faute déontologique ». Au surplus, la jurisprudence 7 nous

6 7

Pivin c. Inhalothérapeutes, 2002 QCTP 32 (CanLII); OACIQ c. Patry, 2013 CanLII 47258 (QC OACIQ) et OACIQ c. Lizotte, 2014 CanLII 3118 (QC OACIQ);

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indique que lorsqu’un comité de discipline est saisi d’un plaidoyer de culpabilité, aucune preuve relative à la culpabilité de la partie intimée n’est nécessaire.

B)

Les facteurs objectifs et subjectifs

[27] Quant aux facteurs atténuants et aggravants, nous partageons intégralement l’exposé de la partie plaignante à ce sujet. De plus, nous sommes d’avis que le risque de récidive est faible.

[28] Il convient ici de citer le passage suivant de la Cour d'appel dans l'affaire Courchesne

8 :

[83] L'appelant reproche ensuite au juge de la Cour du Québec d'avoir fait une analyse erronée des précédents en matière de sanction. Le reproche est mal fondé. La détermination de la peine, que ce soit en matière disciplinaire ou en matière pénale, est un exercice délicat, le principe fondamental demeurant celui d'infliger une peine proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. L'analyse des précédents permet au décideur de s'assurer que la sanction qu'il apprête à infliger au délinquant est en harmonie avec celles infligées à d'autres contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Mais l'analyse des précédents n'est pas sans embûche, chaque cas étant différent de l'autre. En l'espèce, à la lecture de la décision du comité de discipline et du jugement dont appel, il me semble que le reproche formulé par l'appelant est sans fondement. (notre soulignement)

[29] Bref, la sanction doit être proportionnelle à la gravité des infractions et au degré de responsabilité du professionnel.

C)

La recommandation conjointe

[30] Dès 2014, le Tribunal des professions rappelait l’importance et l’utilité des suggestions communes dans l’affaire Ungureanu

9 :

[21] Les ententes entre les parties constituent en effet un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice. Lors de toute négociation, chaque partie fait des concessions dans le but d'en arriver à un règlement qui convienne aux deux. Elles se justifient par la réalisation d'un objectif final. Lorsque deux parties formulent une suggestion commune, elles doivent avoir une expectative raisonnable que cette dernière sera respectée. Pour cette raison, une suggestion commune formulée par deux avocats d'expérience devrait être respectée à moins qu'elle ne soit

8

9

Courchesne c. Castiglia, 2009 QCCA 2303 (CanLII), demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême rejetée, 2010 CanLII 20533 (CSC); Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel de) c. Ungureanu, 2014 QCTP 20 (CanLII);

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déraisonnable, inadéquate ou contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice.

(notre soulignement)

[31] Au fond, lorsque des sanctions sont suggérées conjointement par des procureurs d’expérience, le Comité n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence de celles-ci. Il doit y donner suite, sauf s’il les considère contraires à l’intérêt public ou si elles sont de nature à déconsidérer l’administration de la justice, et ce, tel que la Cour suprême le décide dans l’arrêt Anthony-Cook 10 . Or, ici, les sanctions suggérées collent aux faits du présent dossier. Voilà pourquoi le Comité a accepté la recommandation conjointe des parties lors de l’audition sur culpabilité et sanction. Il y a donc lieu maintenant de l’entériner.

[32] Finalement, tous les déboursés et frais de l’instance seront assumés par les intimées, chacune pour moitié.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : QUANT À L’INTIMÉE JOANNE LEFORT : PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée sur le chef n 2021-11-01(E);

o 1 de la plainte

DÉCLARE l’intimée coupable du chef n o 1 pour avoir contrevenu à l’article 10 du Code de déontologie des experts en sinistre;

QUANT À L’INTIMÉE SOPHIE FASCIANO : PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée sur le chef n 2021-11-02(E);

o 1 de la plainte

DÉCLARE l’intimée coupable du chef n o 1 pour avoir contrevenu à l’article 10 du Code de déontologie des experts en sinistre;

PRONONCE un arrêt conditionnel des procédures à l’égard de l’autre disposition réglementaire alléguée au soutien des chefs susdits;

IMPOSE LA SANCTION SUIVANTE À L’INTIMÉE JOANNE LEFORT: Chef n o 1 : le paiement d’une amende de 2 000 $; IMPOSE LA SANCTION SUIVANTE À L’INTIMÉE SOPHIE FASCIANO:

10

R. c. Anthony-Cook [2016] 2 R.C.S. 204.

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Chef n o 1 : le paiement d’une amende de 3 000 $; CONDAMNE chacune des intimées au paiement de la moitié des déboursés et frais de l’instance.

__________________________________ M e Daniel M. Fabien, avocat Vice-président du Comité de discipline

__________________________________ M e Benoit Loyer, LL. B., PAA, expert en sinistre Membre du Comité de discipline

__________________________________ M. Mario Joannette, FPAA, expert en sinistre Membre du Comité de discipline

M e Karoline Khelfa Procureure de la partie plaignante

M e René Vallerand Procureur des intimées

Date d’audience : Le 6 avril 2022 par visioconférence

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