Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

No: 2020-11-02(C) DATE : 25 janvier 2022

LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat

Président

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante/Intimée c. FÉLIX COMTOIS, courtier en assurance de dommages

Partie intimée/Requérant

DÉCISION SUR REQUÊTE EN DIVULGATION DE PREUVE SUPPLÉMENTAIRE

I. Le contexte [1] L’intimé fait actuellement l’objet d’une plainte comportant six (6) chefs d’accusation qui lui reprochent essentiellement d’avoir exercé sa profession de manière négligente (chefs 1 à 5) ainsi qu’une mauvaise tenue de ses dossiers (chef 6) ;

[2] Cela dit, l’intimé estime qu’il lui manque plusieurs informations et renseignements afin de lui permettre de présenter une défense pleine et entière à l’encontre de la plainte ;

II. Les procédures [3] En conséquence, le 29 novembre 2021, il dépose une première « Demande de divulgation supplémentaire de la preuve » ;

[4] Le 3 décembre 2021, lors d’une conférence de gestion présidé par Me Daniel Fabien, vice-président du Comité de discipline, le procureur de l’intimé est avisé que sa requête ne répond pas aux exigences procédurales de l’arrêt O’Connor 1 et qu’il devra remédier à ce défaut ;

1 R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC);

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[5] À cet égard, il convient de souligner que le syndic avait formulé, dès le 3 décembre 2021, une « Demande verbale en rejet et en irrecevabilité » à l’encontre de la demande de divulgation présentée par l’intimé ;

[6] Afin d’éviter de faire perdre des droits à l’intimé, le vice-président lui demande de présenter pour le 25 janvier 2022 une « demande de divulgation adéquate » ;

[7] Le 18 janvier 2022, l’intimé, par le biais de son procureur, Me Courville, dépose une deuxième « Requête en divulgation de preuve supplémentaire » ;

[8] Constatant que cette nouvelle requête ne répond toujours pas aux exigences procédurales de l’arrêt O’Connor, le président du Comité de discipline informe, le 19 janvier 2022, les parties, par le biais d’un courriel de la secrétaire du Comité de discipline, qu’elles devront être prêtes à débattre, lors de l’audition du 25 janvier 2022, de la question suivante :

« Est-il permis au requérant de demander à un tiers de fournir des documents ou renseignements sans le mettre en cause dans la procédure et sans lui faire parvenir une assignation duces tecum, tel que requis par la Cour suprême dans l’arrêt O’Connor ? »

[9] Le 24 janvier 2022, l’intimé fait signifier une troisième « Demande modifiée en divulgation de la preuve » dans laquelle il précise certaines de ses conclusions sans toutefois mettre en cause le tiers LES ASSURANCES LAFAILLE INC. et/ou JEAN-FRANÇOIS RINGUETTE ;

[10] C’est sur la base de ces procédures que s’est déroulée l’audition du 25 janvier 2022 portant sur la recevabilité de la « Demande modifiée en divulgation de la preuve supplémentaire » présentée par l’intimé ;

III. La question en litige [11] Le présent dossier porte sur la question de savoir si le Comité de discipline peut émettre une ordonnance de type O’Connor sans que le tiers visé par cette ordonnance ne soit dûment assignée et, surtout, mise en cause dans les procédures ;

IV. Argumentation A) Par le syndic [12] Essentiellement, Me Leduc plaide, au nom du syndic, que la requête modifiée présentée par l’intimé ne répond toujours pas aux exigences de l’arrêt O’Connor en plus de constituer, à toutes fins pratiques, une expédition de pêche pour des documents ou renseignements qui n’existent pas et qui ne sont pas en possession du tiers ;

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B) Par l’intimé [13] De son côté, Me Courville, pour l’intimé, plaide que les documents ou renseignements sont pertinents et, surtout, que la présence du témoin Ringuette suite à son assignation est suffisante pour répondre aux critères de l’arrêt O’Connor ;

V. Analyse et décision [14] Tel qu’indiqué verbalement lors de l’audition du 25 janvier 2022, la « Demande modifiée en divulgation de preuve complémentaire » présentée par l’intimé sera rejetée aux motifs qu’elle ne respecte pas les exigences procédurales édictées par la Cour suprême dans l’arrêt O’Connor 2 ;

[15] Ces exigences ont clairement été énoncées dans l’arrêt O’Connor comme suit : 20 Pour entamer la procédure de production, l'accusé doit présenter par écrit une demande formelle appuyée d'un affidavit exposant les motifs précis de la production. Toutefois, dans l'intérêt de la justice, le tribunal devrait pouvoir exempter l'accusé de la nécessité de présenter une demande formelle dans certains cas. Quelle que soit la procédure retenue, les tiers en possession des documents et les personnes qui ont un intérêt de nature privée dans les dossiers doivent être avisés de la demande de production. L'accusé doit également veiller à ce que le gardien soit assigné à comparaître et à produire les dossiers. La demande initiale de divulgation devrait être adressée au juge saisi de l'affaire, mais elle peut être présentée devant le juge du procès avant la formation du jury, au moment de l'audition des autres requêtes. Cela évitera de déranger le jury et laissera au ministère public et à la défense tout le temps nécessaire pour préparer leur preuve en se fondant sur tout élément de preuve qui sera produit à la suite de la demande.

134 Le processus suivant tient compte des principes généraux que je viens de formuler. Premièrement, l'accusé qui cherche à obtenir la production de dossiers privés en la possession d'un tiers doit obtenir un subpoena duces tecum et le lui signifier. Après la signification de l'assignation, l'accusé doit aviser le ministère public, la personne visée par les dossiers et toute autre personne ayant un intérêt dans le caractère privé des dossiers, qu'il demandera au juge du procès d'en ordonner la production. Ensuite, au procès, l'accusé doit présenter une demande appuyée d'une preuve par affidavit indiquant que les dossiers sont susceptibles de se rapporter soit à une question en litige dans l'instance soit à l'habilité à témoigner de la personne visée par les dossiers. Si les dossiers sont pertinents, le tribunal doit alors pondérer les effets bénéfiques et les effets préjudiciables qu'entraînerait la délivrance en faveur de la défense de l'ordonnance de production de ces dossiers pour déterminer si et dans quelle mesure la production devrait être ordonnée.

a) Subpoena duces tecum et avis aux parties intéressées 135 La partie XXII du Code criminel prévoit la forme que prend le subpoena duces tecum et la procédure relative à son émission. Tout particulièrement,

2 R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC);

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l'assignation ne sera permise que si la demande établit que le témoin est susceptible de fournir une preuve substantielle: par. 698(1). L'assignation a pour but de citer le témoin -- en l'espèce, le gardien des dossiers -- à comparaître en cour et d'exiger qu'il apporte les documents décrits dans l'assignation. En soi, elle n'exige pas que le témoin divulgue les dossiers au tribunal ou à la défense.

136 Lors de la signification du subpoena, l'accusé doit aviser par écrit toutes les personnes qui peuvent avoir un intérêt dans le caractère confidentiel des dossiers qu'une requête sera présentée en vue d'obtenir une ordonnance pour la production des dossiers. Parmi les personnes intéressées, mentionnons le ministère public, la personne visée par les dossiers, le gardien des dossiers et toute autre personne qui doit être informée selon la loi. L'omission d'aviser toutes les parties concernées sera fatale à cette requête bien que l'accusé puisse présenter une nouvelle requête et que, par souci de commodité, le subpoena duces tecum puisse être accompagné d'un avis au gardien des dossiers.

b) Demande de production 137 Au procès, lorsque l'accusé demande une ordonnance de production des dossiers, le juge devrait procéder en deux étapes. Premièrement, l'accusé doit démontrer que les renseignements contenus dans les dossiers sont susceptibles de se rapporter soit à une question en litige dans l'instance soit à la capacité à témoigner de la personne visée par les dossiers. Si les renseignements ne satisfont pas à cette exigence minimale en matière de pertinence, l'analyse prend fin et aucune ordonnance ne sera rendue. Toutefois, si les renseignements se rapportent vraisemblablement soit à une question en litige dans l'instance soit à l'habilité à témoigner de la personne visée, le tribunal doit pondérer les effets bénéfiques et les effets préjudiciables de la production pour déterminer si et dans quelle mesure la production devrait être ordonnée. À chaque étape, on devrait accorder aux avocats des parties intéressées la possibilité de présenter des arguments. (Caractères gras ajoutés)

[16] En droit disciplinaire, on peut se référer aux enseignements du Tribunal des professions dans les affaires Hakim 3 et Ekmati 4 , lesquelles sont bien résumées dans la décision Di Genova 5 rendu par Me Daniel Y. Lord agissant alors comme président du Conseil de discipline des pharmaciens :

[54] Dans la décision Hakim, le Tribunal des professions réitère et enseigne que :

Comme nous le précisions dans la cause Ekmaty en référant à l'arrêt Stinchcombe, l'obligation de divulgation de la preuve demeure avant tout celle du syndic et elle ne vise que les documents ou les informations qu'il a en sa possession et tous les faits substantiels qu'il connaît.

Par ailleurs, dans l'affaire O'Connor, la Cour suprême précise comment procéder lorsque des informations (peut-être) pertinentes se trouvent en

3 Opticiens d’ordonnance c. Hakim, 1999 QCTP 9 (CanLII); 4 Ekmaty c. Médecins, 1997 CanLII 17402 (QC TP); 5 Pharmaciens (Ordre professionnel des) c. Di Genova, 2021 QCCDPHA 41 (CanLII);

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possession de tiers et non du ministère public (pour nous ici le syndic). Elle déclare en effet: "Quelle que soit la procédure retenue, les tiers en possession des documents et les personnes qui ont un intérêt de nature privée dans les dossiers doivent être avisés de la demande de production. L'accusé doit également veiller à ce que le gardien soit assigné à comparaître et à produire les dossiers." (Caractères gras ajoutés).

[17] De la même façon, en droit civil, l’article 17 du Code de procédure civile 6 exige que la règle audi alteram partem soit respectée avant d’émettre une ordonnance contre un tiers :

17. Le tribunal ne peut se prononcer sur une demande ou, s’il agit d’office, prendre une mesure qui touche les droits d’une partie sans que celle-ci ait été entendue ou dûment appelée.

Dans toute affaire contentieuse, les tribunaux doivent, même d’office, respecter le principe de la contradiction et veiller à le faire observer jusqu’à jugement et pendant l’exécution. Ils ne peuvent fonder leur décision sur des moyens que les parties n’ont pas été à même de débattre. (Caractères gras ajoutés)

[18] Or, l’intimé, par sa « Demande modifiée en divulgation de preuve supplémentaire », demande au Comité d’émettre une ordonnance à l’encontre d’un tiers, soit LES ASSURANCES LAFAILLE INC. et/ou JEAN-FRANÇOIS RINGUETTE sans que ni l’un, ni l’autre ne soit partie à la procédure à titre de mise en cause ou d’intimée ;

[19] Dans les circonstances, le président soussigné n’a d’autre choix que de rejeter la demande formulée par l’intimé ;

[20] Par contre, afin de respecter le droit à une défense pleine et entière de l’intimé, l’assignation à comparaître transmise à M. Jean-François Ringuette sera reportée au 4 février 2022 afin de permettre à l’intimé de le questionner quant aux documents qu’il a pu retracer et dont il a possession.

PAR CES MOTIFS, LE PRÉSIDENT SOUSSIGNÉ : ACCUEILLE la demande verbale de la partie plaignante en rejet et en irrecevabilité de la « Demande en divulgation supplémentaire de la preuve présentée par l’intimé » ;

REJETTE la « Demande supplémentaire » ;

modifiée

en

divulgation

de

la

preuve

6 R.L.R.Q., c. C-25.01;

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LE TOUT, frais à suivre.

Me Patrick de Niverville Président du Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages

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