Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

No: 2021-02-02(C) DATE : 1 5 décembre 2021

LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages M. Benoit Saint-Germain, courtier en assurance de dommages

Président Membre Membre

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante c. FIDAA NAJJAR, courtier en assurance de dommages

Partie intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE EN IRRECEVABILITÉ

[1] Le 15 novembre 2021, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait par visioconférence pour procéder à l’audition d’une requête en irrecevabilité présentée dans le cadre de la plainte numéro 2021-02-02(C) ;

[2] Le syndic était alors représenté par Me Valérie Déziel et, de son côté, l’intimée était représentée par Me Jennifer Nault, laquelle était assistée de Me Jonathan Deschamps ;

I. La requête en irrecevabilité [3] L’intimée fait l’objet d’une plainte disciplinaire dont les chefs 9, 10 et 11 se lisent comme suit :

9308-xxxx Québec inc. 9. Entre les ou vers les 9 mai 2018 et 17 juillet 2020, a été négligente dans sa tenue de dossier de sa cliente, notamment en omettant de noter adéquatement l’ensemble des conversations avec cette dernière, leur teneur, les conseils et explications donnés, les instructions reçues des assurés et les décisions prises, en contravention avec les articles 85 à 88 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, 9 et 37(1) du Code

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de déontologie des représentants en assurance de dommages et 12 et 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome;

10. Le ou vers le mois de mai 2020, dans le cadre d’une demande de soumission pour un contrat d’assurance automobile, a exercé ses activités de manière négligente et/ou a fait défaut de donner suite aux instructions de sa cliente, en contravention avec les articles 26 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages;

11. Le ou vers le mois de mai 2020, dans le cadre d’une demande de soumission pour un contrat d’assurance automobile, a omis de faire la mise à jour du dossier de sa cliente pour pouvoir transmettre à l’assureur toutes les informations utiles lui permettant d’évaluer le risque, en contravention avec l’article 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et les articles 29 et 37(1) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

(Nos caractères gras) [4] Ses procureurs et, plus particulièrement Me Nault, demandent au Comité de discipline, pour divers motifs, de déclarer irrecevable les chefs 9, 10 et 11 de la plainte et, en conséquence, de rejeter lesdits chefs ;

A) Position de l’intimée [5] Essentiellement, Me Nault base son argumentation sur la notion de « client » ; [6] Elle plaide que le rôle de l’intimée s’est limité à remplir quelques demandes de soumissions pour le bénéfice d’une société commerciale, lesquelles n’ont pas abouti puisque trois (3) assureurs différents ont refusé d’assurer le risque proposé ;

[7] À son avis, dans la meilleure des hypothèses, cette personne morale pourrait être considérée possiblement comme un client potentiel mais, en aucun cas, s’agit-il d’un véritable client et, encore moins, d’un assuré ;

[8] À l’appui de son argumentation, elle réfère le Comité aux différentes dispositions de rattachement alléguées au soutien des chefs 9, 10 et 11 de la plainte ;

Pour le chef 9

- Loi sur la distribution des produits et services financiers 85. Un cabinet et ses dirigeants veillent à la discipline de leurs représentants. Ils s’assurent que ceux-ci agissent conformément à la présente loi et à ses règlements.

86. Un cabinet veille à ce que ses dirigeants et employés agissent conformément à la présente loi et à ses règlements.

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86.0.1. Les dispositions des articles 17 à 19, 26 à 28, 31, 32, 35, 36 et 39 s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, au cabinet qui offre, sans l’entremise d’une personne physique, un produit ou un service.

De plus, les dispositions des articles 6 et 38 s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, au cabinet inscrit à titre de cabinet de courtage en assurance de dommages qui offre des produits d’assurance dans cette discipline sans l’entremise d’une personne physique.

87. Un cabinet et ses dirigeants ne peuvent aider ou, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, amener un autre cabinet, un représentant autonome ou une société autonome à enfreindre une disposition de la présente loi ou de ses règlements.

88. Un cabinet tient au Québec les dossiers de ses clients conformément aux règlements.

Il y conserve et rend accessible à l’Autorité, par les moyens que celle-ci indique, tous les documents et tous les renseignements provenant de ses représentants.

- Code de déontologie des représentants en assurance de dommages 9. Le représentant en assurance de dommages ne doit pas négliger les devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités; il doit s’en acquitter avec intégrité.

37. Constitue un manquement à la déontologie, le fait pour le représentant en assurance de dommages d’agir à l’encontre de l’honneur et de la dignité de la profession, notamment:

d’exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente;

- Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome

12. Le cabinet, le représentant autonome ou la société autonome tient des dossiers clients pour chacun de ses clients.

21. Les dossiers clients qu’un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome inscrit dans la discipline de l’assurance de dommages doit tenir sur chacun de ses clients dans l’exercice de ses activités doivent contenir les mentions suivantes:

son nom; le montant, l’objet et la nature de la couverture d’assurance; le numéro de police et les dates de l’émission du contrat et de la signature de la proposition, le cas échéant;

le mode de paiement et la date de paiement du contrat d’assurance;

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la liste d’évaluation des biens de l’assuré transmise par celui-ci, le cas échéant.

Tout autre renseignement ou document découlant des produits vendus ou des services rendus recueillis auprès du client doit également y être inscrit ou déposé.

Pour le chef 10

- Code de déontologie des représentants en assurance de dommages 26. Le représentant en assurance de dommages doit, dans les plus brefs délais, donner suite aux instructions qu’il reçoit de son client ou le prévenir qu’il lui est impossible de s’y conformer. Il doit également informer son client lorsqu’il constate un empêchement à la continuation de son mandat.

37. Constitue un manquement à la déontologie, le fait pour le représentant en assurance de dommages d’agir à l’encontre de l’honneur et de la dignité de la profession, notamment:

d’exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente;

Pour le chef 11

- Loi sur la distribution des produits et services financiers 27. Un représentant en assurance doit s’enquérir de la situation de son client afin d’identifier ses besoins.

Il doit s’assurer de conseiller adéquatement son client, dans les matières relevant des disciplines dans lesquelles il est autorisé à agir; s’il lui est possible de le faire, il offre à son client un produit qui convient à ses besoins.

- Code de déontologie des représentants en assurance de dommages 29. Le représentant en assurance de dommages doit donner à l’assureur les renseignements qu’il est d’usage de lui fournir.

37. Constitue un manquement à la déontologie, le fait pour le représentant en assurance de dommages d’agir à l’encontre de l’honneur et de la dignité de la profession, notamment:

d’exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente; (Nos caractères gras)

[9] Suivant Me Nault, considérant que les demandes de soumissions ont été refusées par trois (3) assureurs différents, aucune relation courtier-client n’a pu s’établir entre les parties et, en conséquence, les dispositions de la Loi et du Code de déontologie ne s’appliquent pas vu l’absence d’un véritable « client » ;

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[10] D’ailleurs, à cet égard, elle prend appui sur l’article 19 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages 1 , lequel établit une distinction entre un « assuré » et un « client éventuel » comme suit :

19. Le représentant en assurance de dommages doit en tout temps placer les intérêts des assurés et ceux de tout client éventuel avant les siens ou ceux de toute autre personne ou institution.

(Nos caractères gras)

[11] Suivant l’intimée, si le législateur avait voulu étendre les obligations déontologiques du courtier à toute situation factuelle incluant celle concernant un simple client « potentiel », il s’en serait clairement exprimé, tel qu’il l’a fait à l’article 19 du Code de déontologie en référant au concept de « client éventuel » ;

[12] Cela dit, en l’absence d’un texte précis, il faut s’en tenir à la définition traditionnelle du terme « client », lequel présuppose, selon l’intimée, qu’une police d’assurance a été émise, permettant ainsi l’établissement d’une véritable relation courtier-client ;

[13] Finalement, les procureurs de la défense ont cité plusieurs décisions disciplinaires et/ou jugements pour appuyer leurs prétentions, la plus pertinente étant l’affaire Marquis c. Renno 2 ;

[14] En l’espèce, l’avocat Renno se faisait reprocher par le biais d’une plainte privée de ne pas avoir donné suite à une demande de consultation formulée par M. Marquis ;

[15] Dans les circonstances, le Conseil de discipline du Barreau du Québec a rejeté une partie de la plainte en concluant que l’avocat n’était pas tenu d’accepter le mandat proposé par le plaignant et qu’il n’avait pas à motiver son refus 3 ;

[16] Cependant, sur un autre aspect de la plainte concernant, cette fois-ci, la transmission de documents, une audition sur culpabilité fut ordonnée 4 ;

[17] Ainsi, même en l’absence d’une relation avocat-client, le Conseil de discipline a tout de même conclu que la plainte devait procéder sur la question de la confidentialité de certains documents :

[128] Cette conclusion du Conseil ne doit pas être interprétée comme signifiant qu’un avocat n’a aucune obligation déontologique à assumer quant à la confidentialité des informations reçues d’un membre du public, lorsque ce dernier choisit de lui transmettre l’information alors qu’il n’avait pas accepté de mandat de le représenter. La transmission de documents dans ce contexte ne crée toutefois pas en soi de relation avocat client.

1 R.L.R.Q., c. D-9.2, r. 5; 2 2021 QCCDBQ 18 (CanLII); 3 Ibid., par. 120; 4 Ibid., par. 128 et 134;

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[18] En conclusion, l’intimée demande au Comité de déclarer irrecevables les chefs 9, 10 et 11 de la plainte et de rejeter, en conséquence, lesdites accusations ;

B) Réponse du syndic [19] D’après Me Déziel, le premier rôle du courtier d’assurance est de rechercher pour son client une police d’assurance qui répond à ses besoins ;

[20] En conséquence, la relation courtier-client débute dès les premiers échanges avec le client ;

[21] De plus, Me Déziel plaide que la notion de client ne doit pas être analysée sous le prisme du droit civil et, à cet égard, elle cite l’affaire Abbey 5 :

[59] Selon les normes professionnelles généralement reconnues dans l’industrie, les obligations de l’intimé ne doivent pas être analysées suivant la notion de client au sens civil du terme mais envers la personne qui va souscrire au contrat. Ses obligations, comme le devoir de conseil, commencent bien avant la signature dudit contrat. Ses recommandations doivent être appropriées à la personne qui deviendra ultimement son client et il doit lui-même lui fournir les explications et informations nécessaires. L’intimé ne pouvait satisfaire à ce devoir en déléguant monsieur Miller pour ce faire. Il ne pouvait pas non plus identifier le propriétaire du contrat ni attester de sa signature par l’entremise de ce dernier. Faire affaire avec un tiers pour les besoins d’un client éventuel, ne répond pas à la norme voulant que le professionnel obtienne personnellement de son client les informations pertinentes et qu’il lui fasse de la même façon ses recommandations.

(Nos caractères gras)

[22] Elle précise que le devoir de conseil du courtier débute dès les premiers échanges avec son client, au moment il s’agit de remplir et de compléter une proposition d’assurance ;

[23] Bref, le devoir de conseil est antérieur à la conclusion du contrat d’assurance ; [24] À ce sujet, le syndic rappelle les enseignements du Tribunal des professions dans l’arrêt Gagnon 6 suivant lesquels on doit favoriser une interprétation large et libérale des dispositions du Code de déontologie :

[53] Étant d'avis qu'il faut donner aux articles concernés du Code de déontologie une interprétation large et englobante, le Comité a interprété les mots « que ce soit envers le public, un client ou un employeur » comme ne restreignant en aucune manière la généralité de l'expression « Dans toutes les

5 CSF c. Abbey, 2010 CanLII 99868 (QC CDCSF); 6 Gagnon c. Comptables agréés, 2009 QCTP 48 (CanLII);

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circonstances » qui les précède. Au contraire, il a conclu qu'ils n'étaient que pour indiquer que même ces personnes sont visées par l'article.

[54] C'est donc en choisissant de donner au Code de déontologie une interprétation large plutôt que restrictive que le Comité a conclu que les articles du Code de déontologie s'appliquent à des déclarations faites à l'Ordre par le membre.

[55] Ce choix et la décision qui s'ensuit ne sont pas déraisonnables. [56] Le droit des professions et notamment le Code des professions ont pour principal objet la protection du public.

[57] Par ailleurs, en cas d'ambiguïté, il y a lieu d'appliquer le principe de l'interprétation la plus favorable à l'objet de la loi.

(Nos caractères gras)

[25] Finalement, la partie plaignante plaide que les obligations du professionnel ne se limitent pas à la sphère contractuelle ;

[26] À l’appui de cet argument, le syndic réfère le Comité à l’affaire Bencharef

7

:

[191] En fait, le Comité est d’avis, comme l’a mentionné la procureure du plaignant, que les obligations déontologiques de l’intimé Marzouki ne peuvent se limiter à la sphère contractuelle.

[192] À cet égard, le Comité fait siens les propos suivants de la Cour d’appel : « [43] À mon avis, le fondement de la responsabilité disciplinaire du professionnel réside dans les actes posés à ce titre tel qu'ils peuvent être perçus par le public. Les obligations déontologiques d'un ingénieur doivent donc s'apprécier in concreto et ne sauraient se limiter à la sphère contractuelle; elles la précèdent et la transcendent. Sinon, ce serait anéantir sa responsabilité déontologique pour tous les actes qu'il pose en dehors de son mandat, mais dans l'exécution de ses activités professionnelles et, de ce fait, circonscrire de façon indue la portée d'une loi d'ordre public qui vise la protection du public. »

(Nos caractères gras)

[27] Le syndic souligne également que l’intimée a posé plusieurs gestes professionnels tels que :

Discussion et échanges avec le représentant de la compagnie à numéro 9308 ; Cueillette d’information ; Démarches auprès de divers assureurs en vue d’obtenir une police d’assurance ; [28] Finalement, la poursuite conclut en rappelant que chacun des chefs 9, 10 et 11 réfèrent à l’article 37(1) du Code de déontologie, lequel est beaucoup plus large que toutes

7 CSF c. Bencharef, 2020 QCCDCSF 48 (CanLII);

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les autres dispositions alléguées puisqu’il vise tout manquement déontologique contraire à l’honneur et à la dignité de la profession ;

[29] De l’avis du syndic, cette disposition vise autant les clients que le public en général ; [30] Pour ces motifs, Me Déziel demande le rejet de la requête en irrecevabilité ; II. Analyse et décision [31] Dans un premier temps, le Comité estime qu’il doit rappeler deux (2) principes fondamentaux ayant cours en droit disciplinaire, soit :

1. Que les obligations du professionnel ne se limitent pas à la sphère contractuelle ; 2. Que les éléments essentiels d’un chef d’accusation d’une plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé mais par les dispositions du Code de déontologie qu’on lui reproche d’avoir enfreint ;

[32] Ces principes ont été établis par la Cour d’appel dans l’arrêt Tremblay c. Dionne [43] À mon avis, le fondement de la responsabilité disciplinaire du professionnel réside dans les actes posés à ce titre tels qu'ils peuvent être perçus par le public. Les obligations déontologiques d'un ingénieur doivent donc s'apprécier in concreto et ne sauraient se limiter à la sphère contractuelle; elles la précèdent et la transcendent. Sinon, ce serait anéantir sa responsabilité déontologique pour tous les actes qu'il pose en dehors de son mandat, mais dans l'exécution de ses activités professionnelles et, de ce fait, circonscrire de façon indue la portée d'une loi d'ordre public qui vise la protection du public.

8

:

[84] D'une part, les éléments essentiels d'un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions du code de déontologie ou du règlement qu'on lui reproche d'avoir violées (Fortin c. Tribunal des professions, 2003 CanLII 33167 (QC CS), [2003] R.J.Q. 1277, paragr. [136] (C.S.); Béliveau c. Comité de discipline du Barreau du Québec, précité; Béchard c. Roy, précité; Sylvie POIRIER, précitée, à la p. 25). De plus, le Code des professions exige simplement que le libellé de l'infraction indique sommairement la nature et les circonstances de temps et de lieu de l’infraction reprochée au professionnel (article 129) et permette à l’intimé de présenter une défense pleine et entière (article 144). J'estime ces exigences remplies en l'espèce. Enfin, en lisant les chefs 1 et 4 de la plainte, il me paraît clair, comme le souligne l'appelant, qu'on ne peut raisonnablement prétendre que leurs termes introductifs « dans le cadre d'un mandat relatif à la surveillance de la construction » ont pu induire l'intimé en erreur sur la portée réelle des infractions reprochées.

(Nos caractères gras)

8 2006 QCCA 1441 (CanLII);

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[33] Ils ont été réitérés par la Cour d’appel à plusieurs reprises, notamment dans les affaires suivantes :

Lapointe c. Chen, 2019 QCCCCA 1400 (CanLII) D’Amore c. Thibault, 2012 QCCA 100 (CanLII) Chauvin c. Beaucage, 2008 QCCA 922 (CanLII) Cuggia c. Champagne, 2016 QCCA 1479 (CanLII) [34] À cet égard, l’arrêt D’Amore c. Thibault 9 est particulièrement intéressant puisque le professionnel plaidait que la plainte ne concernait pas un véritable « client » puisqu’il s’agissait d’un de ses amis ;

[35] En l’espèce, la Cour d’appel a rejeté cet argument dans les termes suivants : [4] Le requérant soutient que les personnes ayant souscrit aux billets à ordre sont des amis et non des clients. Aucune preuve n'a été présentée, selon lui, établissant un quelconque mandat professionnel confié par l'un ou l'autre des plaignants au requérant. En l'absence d'un tel mandat, on ne peut lui reprocher une faute déontologique.

[5] Le requérant convient que la jurisprudence précise que la responsabilité professionnelle ne se limite pas aux termes du contrat entre le professionnel et son client. Dans l'arrêt Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441, le juge Dussault écrit au nom de la Cour ce qui suit:

[43] À mon avis, le fondement de la responsabilité disciplinaire du professionnel réside dans les actes posés à ce titre tels qu'ils peuvent être perçus par le public. Les obligations déontologiques d'un ingénieur doivent donc s'apprécier in concreto et ne sauraient se limiter à la sphère contractuelle; elles la précèdent et la transcendent. Sinon, ce serait anéantir sa responsabilité déontologique pour tous les actes qu'il pose en dehors de son mandat, mais dans l'exécution de ses activités professionnelles et, de ce fait, circonscrire de façon indue la portée d'une loi d'ordre public qui vise la protection du public.

[…] [86] Cette logique, on l'a vu précédemment, est fort différente de la logique purement contractuelle retenue par le Tribunal des professions qui l'a conduit à reprocher au Comité d'avoir commis une erreur fondamentale en omettant de considérer la preuve prépondérante selon laquelle l'intimé n'avait pas de mandat de surveillance du chantier et n'a pas assumé une telle surveillance. Dans la mesure où, comme je l'ai déjà mentionné, cette logique contractuelle est trop restrictive lorsque appliquée au domaine du droit disciplinaire qui vise la protection du public, j'estime qu'il était manifestement déraisonnable pour le Tribunal de conclure que le Comité de discipline avait commis une erreur fondamentale en n'examinant pas l'implication de l'intimé dans la surveillance du chantier sous l'éclairage de cette preuve.

9 2012 QCCA 100 (CanLII);

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[6] La juge cite ce dernier passage pour appuyer sa décision de confirmer le Comité de discipline sur ce point. Elle explique que le fait que l'appelant ait eu ou non des relations client-représentant avant ces transactions n'a aucune importance dans les faits. « Quand il a fait souscrire ce produit, il a laissé croire à ses clients qu'il était effectivement autorisé à le faire », écrit la juge au paragraphe de ses motifs : « C'est alors qu'il s'est créé une relation client/représentant ».

(Nos caractères gras)

[36] De l’avis du Comité, les arguments présentés par l’intimée ne résistent pas à une analyse plus poussée ;

[37] Cela dit, la position adoptée par les procureurs de l’intimée évacue totalement le devoir de conseil imposé à tous les courtiers en assurance en les cantonnant dans un rôle de simple vendeur d’assurance ;

[38] Le devoir de conseil est une composante essentielle de la profession de courtier, tel que le soulignait la Cour suprême dans l’arrêt Fletcher 10 :

55 À mon avis, l'arrêt Fine's Flowers permet d'affirmer que les agents d'assurances privés ont envers leurs clients l'obligation de fournir non seulement des renseignements sur la couverture disponible, mais encore des conseils sur les formes de protection dont ils ont besoin. Je remarque que, dans "Liability of Insurance Agents for Failure to Obtain Effective Coverage: Fine's Flowers Ltd. v. General Accident Assurance Co." (1979), 9 Man. L.J. 165, le professeur Snow résume ainsi l'incidence de l'arrêt Fine's Flowers, à la p. 169:

[TRADUCTION] L'incidence de cet arrêt et de bien d'autres décisions semblables rendues au cours des dernières années semble claire. Les consommateurs qui font confiance aux agents d'assurances soi-disant compétents, et qui voient leur confiance trahie, pourront souvent se pourvoir contre leur agent... [L]'obligation de l'agent d'assurances, telle qu'énoncée en l'espèce, pour ce qui est de négocier une assurance et d'indiquer à l'assuré les risques couverts et ceux qui ne le sont pas est assez stricte. De surcroît, étant donné qu'en général le commettant se fie énormément à la compétence de l'agent, il ne semble pas déraisonnable d'imposer cette obligation à un agent d'assurances. [Je souligne.]

56 Dans l'affaire G.K.N. Keller Canada Ltd. v. Hartford Fire Insurance Co. (1983), 1 C.C.L.I. 34 (H.C. Ont.) (conf. en appel (1984), 4 C.C.L.I. xxxvii (C.A. Ont.)), la cour a explicité davantage la nature de l'obligation de diligence de l'agent d'assurances. Elle y a décidé que, si le client décrit adéquatement à l'agent la nature de ses activités, ce dernier a alors l'obligation d'étudier les besoins en assurances du client et de lui fournir la protection complète demandée. Si un sinistre non assuré survient, l'agent est responsable à moins qu'il n'ait signalé à son client les lacunes dans la couverture et qu'il ne l'ait conseillé sur la façon de combler ces lacunes.

10 Fletcher c. Société d’assurance publique du Manitoba, 1990 CanLII 59 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 191;

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57 Il est évident, tant dans le milieu des assurances que devant les tribunaux, que l'on considère que les agents et courtiers d'assurances sont plus que de simples vendeurs. Les actes du colloque de 1985 sur le droit des assurances tenu par la Continuing Legal Education Society de la Colombie-Britannique mettent l'accent sur les services qu'ils fournissent la p. 6.1.03):

[TRADUCTION] Les services d'un agent ou d'un courtier compétent incluent, outre les conseils sur les assurances et le courtage ou la négociation de polices pour le compte du client, un intérêt et une participation concrets dans la prévention des sinistres, ainsi qu'un contrôle des demandes de règlement destiné à aider le client à obtenir un règlement satisfaisant.

58 Il est tout à fait légitime, à mon sens, d'imposer aux agents et aux courtiers d'assurances privés une obligation stricte de fournir à leurs clients des renseignements et des conseils. Ils sont, après tout, des professionnels agréés qui se sont spécialisés dans l'évaluation des risques au profit des clients et dans la négociation de polices personnalisées. Ils offrent un service très personnalisé, axé sur les besoins de chaque client. La personne ordinaire a souvent de la difficulté à comprendre les différences subtiles entre les diverses protections offertes. Les agents et les courtiers ont reçu une formation qui les rend aptes à saisir ces différences et à fournir des conseils adaptés à la situation de chaque individu. Il est à la fois raisonnable et opportun de leur imposer l'obligation non seulement de fournir des renseignements mais encore de conseiller les clients.

(Nos caractères gras) [39] Bref, la protection du public exige que le courtier et/ou l’agent ne limite pas son rôle à celui de « simple vendeur » d’assurance ;

[40] L’obligation de recueillir personnellement tous les renseignements pertinents est intimement liée à l’obligation de conseiller le client sur le produit d’assurance qui lui convient le mieux en fonction de ses besoins 11 ;

[41] Mais il y a plus, le raisonnement suggéré par les procureurs de l’intimée va à l’encontre des actes reconnus par la Loi 12 aux représentants en assurance, lesquels visent autant les gestes posés avant la conclusion d’un contrat d’assurance que ceux posés après l’obtention d’une police d’assurance, tel qu’il appert des articles 26, 27 et 28 :

26. Un représentant en assurance, qui place un risque auprès d’un assureur avec lequel il a des liens d’affaires, ou dont la société autonome ou le cabinet pour

11 Guillette c. Multico Service d’assurance inc., 2006 QCCS 836 (CanLII); Croteau c. Promutuel Bois-Francs, 2005 CanLII 23659 (QC CS); Baril c. l’Industriel, compagnie d’assurance, 1991 CanLII 3566 (QC CA); Gagné c. J. Jacques McCann inc., EYS 1994-75658; Laniel c. Centre de Service Excel, 2007 QCCS 4106 (CanLII); 12 Loi sur la distribution de produits et services financiers (R.L.R.Q., c. D-9.2);

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lequel il agit a de tels liens, doit les divulguer à la personne avec laquelle il transige.

Constituent des liens d’affaires, tout intérêt direct ou indirect qu’un assureur détient dans la propriété d’un cabinet ou, inversement, qu’un cabinet détient dans la propriété d’un assureur, ainsi que l’octroi par l’assureur de tout autre avantage ou de tout autre intérêt déterminés par règlement.

27. Un représentant en assurance doit s’enquérir de la situation de son client afin d’identifier ses besoins.

Il doit s’assurer de conseiller adéquatement son client, dans les matières relevant des disciplines dans lesquelles il est autorisé à agir; s’il lui est possible de le faire, il offre à son client un produit qui convient à ses besoins.

28. Un représentant en assurance doit, avant la conclusion d’un contrat d’assurance, décrire le produit proposé au client en relation avec les besoins identifiés et lui préciser la nature de la garantie offerte.

Il doit, de plus, indiquer clairement au client les exclusions de garantie particulières compte tenu des besoins identifiés, s’il en est, et lui fournir les explications requises sur ces exclusions.

(Nos caractères gras) Cela dit, le Comité est d’avis qu’à compter du moment le courtier remplit une demande de soumission pour l’obtention d’un contrat d’assurance, il agit alors dans le cadre de sa profession et, en conséquence, une relation courtier-client s’établit dès cet instant ;

[42] D’autre part, la présente décision ne saurait être complète sans revenir quelques instants sur la décision rendue par le Conseil de discipline dans l’affaire Marquis c. Renno 13 ;

[43] En l’espèce, la plainte avait été rejetée partiellement au motif que l’avocat n’avait jamais accepté le mandat que voulait lui confier M. Marquis et, par conséquent, aucun lien contractuel ne s’était établi entre les deux 14 ;

[44] Par conséquent, l’affaire Renno n’est d’aucune aide pour la thèse avancée par l’intimée puisque cette dernière a clairement accepté de poser des gestes professionnels en vue d’aider son client à obtenir de l’assurance-automobile ;

[45] Les règles du mandat sont claires ; [46] À cet égard, il convient de citer l’article 2132 du Code civil du Québec, lequel édicte :

2132. L’acceptation du mandat est expresse ou tacite; elle est tacite lorsqu’elle s’induit des actes et même du silence du mandataire.

13 Op. cit., note 2 ; 14 Ibid, par. 120, 123 et 124;

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[47] Finalement, pour l’ensemble de ces motifs, le Comité conclut qu’une relation professionnelle fut établie entre l’intimée et sa cliente (9308-XXXX Québec inc.) et, en conséquence, la requête en irrecevabilité est rejetée.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : REJETTE la requête en irrecevabilité présentée par l’intimée ; DEMANDE au secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties pour l’audition de la plainte ;

LE TOUT, frais à suivre.

___________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président

___________________________________ M. Philippe Jones, courtier en assurance de dommages Membre

Me Valérie Déziel Procureure de la partie plaignante

___________________________________ M. Benoit Saint-Germain, courtier en assurance de dommages Membre

Me Jennifer Nault et Me Jonathan Deschamps Procureurs de la partie intimée

Date d’audience : 15 novembre 2021 (par visioconférence)

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