Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE DE DOMMAGES CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

No: 2020-07-02(C) DATE : 13 janvier 2022

LE COMITÉ : Me Patrick de Niverville, avocat Mme Nathalie Boyer, courtier en assurance de dommages Mme Anne-Marie Hurteau, courtier en assurance de dommages

Président Membre Membre

Me MARIE-JOSÉE BELHUMEUR, ès qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages

Partie plaignante c. ZAKARIA BOUHAYAT, courtier en assurance de dommages des particuliers

Partie intimée

DÉCISION SUR SANCTION

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DU NOM DES ASSURÉS DONT IL EST QUESTION DANS LA PLAINTE, DANS LA PREUVE TESTIMONIALE ET DANS LA PREUVE DOCUMENTAIRE À L’ÉGARD DE TOUT RENSEIGNEMENT OU INFORMATION PERMETTANT DE LES IDENTIFIER ET CE, AFIN DE PROTÉGER LEUR VIE PRIVÉE, LE TOUT CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS

[1] Le 30 novembre 2021, le Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se réunissait pour procéder à l’audition sur sanction de la plainte numéro 2020-07-02(C), par visioconférence ;

[2] Le syndic était alors représenté par Me Valérie Déziel et, de son côté, l’intimé était absent et non représenté ;

[3]

Le 19 mars 2021, l’intimé a été reconnu coupable

1

des infractions suivantes :

1 2021 CanLII 22731 (QC CDCHAD) ;

2020-07-02(C) PAGE : 2 D’avoir négligé ses devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités et d’avoir fait défaut d’agir en conseiller consciencieux en omettant de faire les démarches nécessaires pour procurer à ses clients une couverture d’assurance (chef 1) ;

D’avoir fait une déclaration inexacte au conjoint de l’assurée afin de couvrir son incapacité à obtenir une couverture d’assurance (chef 2) ;

D’avoir fait défaut de rendre compte de son mandat et d’y mettre fin selon les règles (chef 3) ;

D’avoir omis de noter avec précision ses communications avec les assurés (chef 4) ;

[4] Cela dit, l’intimé, quoique dûment convoqué, a fait défaut de se présenter à la présente audition sur sanction et, en conséquence, le syndic fut autorisé à procéder par défaut, le tout conformément aux articles 144 et 150 du Code des professions (R.L.R.Q., c. C-26) ;

I. Représentations sur sanction [5] Le syndic demande au Comité d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes : Chef 1 : une amende de 3 000 $ Chef 2 : une amende de 2 000 $ Chef 3 : une amende de 3 000 $ Chef 4 : une amende de 2 000 $ [6] De l’avis de Me Déziel, procureure de la partie plaignante, les sanctions suggérées tiennent compte des circonstances aggravantes suivantes :

[7]

La gravité objective des infractions ; Le fait que celles-ci se situent au cœur même de l’exercice de la profession ; La mise en péril de la protection du public ; L’absence de l’intimé, laquelle démontre sa nonchalance à l’égard de ses obligations professionnelles ;

La situation potentiellement dangereuse pour les clients, vu l’incurie et la négligence de l’intimé ;

Quant aux circonstances atténuantes, le syndic plaide : L’absence d’antécédents disciplinaires de l’intimé ;

2020-07-02(C) PAGE : 3 Le caractère isolé des infractions, lesquelles ne concernent qu’une seule cliente ;

L’absence de préjudice pour les clients, lesquels n’ont pas, heureusement, subi de perte ;

[8] Finalement, les sanctions suggérées s’appuient sur de nombreux précédents, lesquels démontrent que celles-ci s’inscrivent parfaitement dans la fourchette des sanctions habituellement imposées pour cette catégorie d’infraction ;

[9]

Il s’agit, en l’espèce, des décisions suivantes : Chef 1 : Belhumeur c. Bassila, 2020 CanLII 31794 (QC CDCHAD), 17 mars 2020 ; Belhumeur c. Laroche, 2018 CanLII 115298 (QC CDCHAD), 20 novembre 2018 ;

Chef 2 : Belhumeur c. Bourassa, 2021 CanLII 20817 (QC CDCHAD), 12 mars 2021 Belhumeur c. Laroche, 2018 CanLII 115298 (QC CDCHAD), 20 novembre 2018 ;

Chef 3 : Belhumeur c. Thiffault, 2019 CanLII 112813 (QC CDCHAD), 23 octobre 2019 ;

Belhumeur c. Fequet, 2019 CanLII 104542 (QC CDCHAD), 4 septembre 2019 ;

Chef 4 : Belhumeur c. Sultanian, 2020 CanLII 141359 (QC CDCHAD), 7 mai 2021 ; Belhumeur c. Bassila, 2020 CanLII 31794 (QC CDCHAD), 17 mars 2020 ; Belhumeur c. Bourassa, 2021 CanLII 20817 (QC CDCHAD), 12 mars 2021 ; [10] Enfin, de l’avis du syndic, le Comité n’a pas à tenir compte du principe de la globalité puisqu’il s’agit d’infractions totalement différentes et chacune d’entre elles doit être sanctionnée indépendamment des autres ;

[11] Cela étant établi, Me Déziel demande au Comité d’entériner les sanctions suggérées par le syndic ;

2020-07-02(C) PAGE : 4 II. Analyse et décision [12] De l’avis du Comité, les sanctions suggérées par le syndic sont justes et raisonnables et, surtout, appropriées au cas de l’intimé ;

[13] D’autre part, elles sont conformes à la jurisprudence en semblable matière ; [14] Cela dit, le Comité considère que certaines nuances doivent être apportées quant à l’application du principe de la globalité ;

[15] À cet égard, le Comité prend appui sur un jugement récent de la Cour d’appel, soit l’arrêt Laguerre c. R. 2 :

[46] Commentant le principe de proportionnalité dans l’arrêt Lacasse, le juge Wagner observait ce qui suit :

[12] En la matière, la proportionnalité demeure le principe cardinal qui doit guider l’examen par une cour d’appel de la justesse de la peine infligée à un délinquant. Plus le crime commis et ses conséquences sont graves, ou plus le degré de responsabilité du délinquant est élevé, plus la peine sera lourde. En d’autres mots, la sévérité de la peine ne dépend pas seulement de la gravité des conséquences du crime, mais également de la culpabilité morale du délinquant. […]

[Soulignement ajouté] [47] La Cour suprême a par ailleurs précisé, dans l’arrêt R. c. M. (C.A.), que le principe de proportionnalité s’exprime en matière de peines consécutives sous la forme plus particulière du principe de totalité.

[48] Il s’agit donc de s’assurer, comme l’expliquait le juge Proulx dans un passage fréquemment cité de son opinion pour la Cour dans R. c. Bélanger, qu’au bout du compte l’effet cumulatif des peines ne résulte pas en une sentence injuste et disproportionnée par rapport à la culpabilité générale du délinquant, exercice qui implique particulièrement l’examen de la gravité des infractions commises et le degré de culpabilité morale du délinquant. La jurisprudence et la doctrine mentionnent aussi que le dernier regard (« last look ») que permet l’examen de la peine à l’aune du principe de totalité vise aussi à s’assurer que la peine n’est pas excessive au point d’annihiler le potentiel de réhabilitation du délinquant considérant son dossier et sa situation personnelle.

(caractères gras ajoutés) [16] Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel, dans l’affaire Azevedo c. R. déclarait :

3

,

[16] Le principe de la totalité exige du juge qui impose des peines pour plusieurs accusations le devoir de s’assurer que la peine totale ne dépasse pas la culpabilité globale du délinquant. L’effet de cette obligation est bien

2 2021 QCCA 1537 (CanLII) ; 3 2021 QCCA 1688 (CanLII) ;

2020-07-02(C) PAGE : 5 exprimé dans la doctrine : « Dans la poursuite de cet objectif, le juge peut être obligé de diminuer sensiblement les peines respectives de manière à atteindre le terme qu’il s’est fixé ». Cette réduction de la peine peut poser certaines difficultés relativement à la poursuite des objectifs pénologiques, comme l’objectif de dénonciation, par exemple :

Pour contourner ces difficultés, la Cour d’appel du Québec, dans Desjardins c. R., suggère l’imposition, pour chaque chef d’accusation, de la peine qui s’impose dans les circonstances, en fonction des objectifs recherchés et des principes généraux de la peine. Une fois la peine fixée pour chaque chef d’accusation, le tribunal devra décider, à la lueur des règles applicables en l’espèce, si les peines doivent être concurrentes ou consécutives. C’est donc uniquement après avoir déterminé la peine juste et appropriée pour chaque chef d’accusation que le principe de la totalité des peines pourra s’appliquer.

[Renvois omis] [17] Le requérant a été déclaré coupable de crimes dont plusieurs sont très graves, les peines s’y rapportant allant de cinq ans d’emprisonnement à l’emprisonnement à perpétuité. En ce qui a trait aux fourchettes applicables, le requérant ne démontre pas que les peines imposées se situent à l’extérieur de celles-ci. Encore récemment, dans l’affaire Laguerre, la Cour confirmait une peine d’emprisonnement de huit ans pour des crimes d’agression commis dans un contexte de violence conjugale.

[18] Pour ce qui touche le caractère concurrent et consécutif ainsi que la totalité et la proportionnalité des peines imposées, le juge se fonde sur les enseignements de la Cour d’appel. Dans le cas des peines en lien avec les crimes commis contre G. G., puisque les infractions découlent « d’un même événement en continu et présentent un lien étroit », le juge décide qu’elles doivent être concurrentes. Dans les cas des peines en lien avec les crimes commis contre A. D., le juge conclut aussi, malgré le caractère répétitif des actes de violence, qu’elles doivent être concurrentes « afin que la totalité de la peine ne devienne pas excessive ». Les peines reliées aux crimes contre l’administration de la justice (entrave à la justice et bris d’engagement) doivent être purgées consécutivement.

(caractères gras ajoutés) [17] Cela dit, le Comité considère que le principe de la totalité ou de la globalité ne s’applique pas dans le cas de l’intimé, pour les motifs suivants :

Le total des amendes imposées (10 000 $) ne dépasse pas la culpabilité globale de l’intimé ;

Chaque sanction est juste et appropriée pour chaque chef d’accusation ; Chaque sanction est conforme aux fourchettes de sanction établie par la jurisprudence en semblable matière ;

2020-07-02(C) PAGE : 6 Les amendes imposées sont conformes à la culpabilité morale de l’intimé pour chacun des chefs d’accusation ;

L’effet cumulatif des amendes ne résulte pas en une sanction injuste et disproportionnée par rapport à la culpabilité générale de l’intimé ;

Finalement, la globalité des sanctions n’a pas pour effet d’annihiler le potentiel de réhabilitation de l’intimé, ni son droit de gagner sa vie ;

[18] Mais il y a plus, les sanctions imposées sont conformes à l’objectif premier fixé par la Cour d’appel dans l’affaire Mailloux 4 , soit la protection du public 5 ;

[19] Finalement, tel que le mentionnait la Cour d’appel, dans l’arrêt Roy 6 , « personne ne peut revendiquer le droit de mal exercer ou d’exercer de façon incompétente »

7

;

[20] En dernière analyse, des amendes sérieuses sont nécessaires pour assurer la protection du public, tel que le soulignait la Cour d’appel dans l’arrêt Thibault c. Da Costa 8 :

[45] On peut donc conclure que la hausse des amendes poursuivait un objectif d’harmonisation avec d’autres lois connexes et avec les régimes applicables dans les autres provinces, et cela, pour que la loi produise ses effets dissuasifs. Son objectif n’était pas de transformer les amendes en outil de punition, mais de prévenir la commission d’infractions en imposant des amendes significatives. Une sanction suffisamment sérieuse est l’un des moyens susceptibles de freiner les fautes disciplinaires et, en conséquence, elle constitue un outil de protection du public.

(caractères gras ajoutés)

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE : IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes: Chef 1 : une amende de 3 000 $ Chef 2 : une amende de 2 000 $ Chef 3 : une amende de 3 000 $ Chef 4 : une amende de 2 000 $ CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés.

4 Mailloux c. Deschesnes, 2015 QCCA 1619 (CanLII) ; 5 Ibid., par. 145 ; 6 Comité exécutif de l’Ordre des ingénieurs c. Roy, 2011 QCCA 1707 (CanLII) ; 7 Ibid., par. 42 ; 8 2014 QCCA 2347 (CanLII) ;

2020-07-02(C)

PAGE : 7

____________________________________ Me Patrick de Niverville, avocat Président

____________________________________ Mme Nathalie Boyer, courtier en assurance de dommages Membre

Me Valérie Déziel Procureure de la partie plaignante

____________________________________ Mme Anne-Marie Hurteau, courtier en assurance de dommages Membre

M. Zakaria Bouhayat (absent et non représenté) Partie intimée

Date d’audience : 30 novembre 2021 (par visioconférence)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.